Les taux de retour énergétique du mix électrique à forte proportion d’éolien et de solaire



RTE a publié en 2021 pour la France des scénarios de production électrique prenant en compte les besoins de stockage entraînés par l’intermittence des sources d’énergies renouvelables. Cette étude permet de quantifier ces besoins en vue des investissements nécessaires.
L’approvisionnement énergétique est aussi vital pour la société que la nourriture l’est pour un individu. Le charbon, le pétrole et le gaz, qui fournissent bien plus d’énergie que n’en réclame leur production, ont permis le formidable développement des sociétés industrielles. Sortir des énergies fossiles en 2050 est un objectif qui ne peut ignorer cette réalité du taux de retour énergétique, TRE, en anglais EROI : Energy Return on Energy Invested. À l’échelle d’une installation, l’EROI est égal au rapport Eout/Ein entre d’une part sa production totale Eout sur sa durée de vie et, d’autre part, l’énergie Ein dépensée pour la construire à partir de matériaux dont l’extraction et le transport dépensent de l’énergie, pour la faire fonctionner et pour la démanteler et en recycler éventuellement une partie.
Un EROI supérieur à 1 est évidemment nécessaire pour toute source d’énergie. Les EROI des énergies fossiles sont élevés et supérieurs à 30 pour la production de chaleur. Notons que ces valeurs ont tendance à diminuer avec le temps, car l’exploitation de gisements moins riches en ressource énergétique augmente l’énergie à investir.
Des scénarios pour 250
À l’avenir, l’atteinte de l’objectif climatique consistant à diminuer les émissions de CO₂ passera notamment par l’électrification des usages, associée à une production décarbonée d’électricité. Il convient donc de porter une attention particulière à l’EROI du mix électrique, compte tenu des diverses façons de combiner énergies de stocks, pilotables, et énergies de flux, intermittentes. En effet, l’introduction d’une proportion importante de sources intermittentes – principalement éolien et solaire photovoltaïque (EnRI) – requiert de disposer de moyens de stockage de l’énergie, de façon à assurer à tout instant et en tout point du réseau l’égalité entre puissance appelée et puissance produite.
La mise en place de ces moyens de stockage a évidemment un effet sur l’énergie investie dans la constitution du réseau et il faut essayer de définir les besoins. En 2021, RTE a publié des scénarios pour 2050 prenant en compte les besoins de flexibilité et de stockage en raison du caractère fatal et intermittent des productions solaires et éoliennes. Les besoins avaient été identifiés par Wagner pour l’Allemagne dès 2013 et nous avons publié avec lui une synthèse de résultats obtenus grâce à sa méthode pour la France et l’Allemagne.

Intermittence en hausse et besoin de flexibilité
Les résultats partent des enregistrements des quantités d’électricité produites et consommées toutes les demi-heures et publiées par les gestionnaires de réseau. À titre d’exemple, la figure 1 présente l’évolution des productions éoliennes et solaires en France pour les sept premières semaines de 2020.
L’ordonnée présente la puissance délivrée par les parcs éoliens et solaires français par intervalles d’une demi-heure et exprimée en pourcentage de la puissance installée des parcs. Le PV (orange) monte chaque jour jusqu’à un pic faible en hiver mais approche les 100 % de la puissance installée en été. L’éolien (gris) produit aléatoirement, au gré des alternances cyclone anticyclone, de 80 % de la puissance installée à 2 %, suivant des variations brutales d’une puissance qui dépend du cube de la vitesse du vent.
Des sources pilotables aux réglages de puissance rapides et amples sont nécessaires pour réagir aux variations des EnRI prioritaires sur le réseau : à la baisse pour s’effacer devant les EnRI et à la hausse pour compenser leur production défaillante. Il faut de plus des moyens importants de stockage adaptés aux différentes temporalités : quotidienne pour le solaire, hebdomadaire pour l’éolien et le suivi de consommation (week-end), et saisonnière pour les écarts été-hiver.
Variation saisonnière et besoin de stockage
La variation saisonnière pose un problème particulier. En hiver, la consommation est forte et le solaire produit peu, alors qu’en été c’est l’inverse. Si l’éolien produit plus en hiver, cela ne suffit pas à compenser le déséquilibre précédent. Pour prendre la mesure des besoins de flexibilité et de stockage, on a simulé un mix produisant annuellement 750 TWh avec 50 % de nucléaire et 50 % de renouvelables, par extrapolation des données enregistrées en 2019. Ce mix est proche du scénario RTE dit « réindustrialisation ». La référence postule d’abord un stockage d’électricité idéal illimité et sans perte, qui soutire les surplus de production des EnRI à certaines périodes pour les stocker puis les apporter à d’autres où la production est insuffisante.

La figure 2 représente l’échange d’électricité (gigawattheure) entre le réseau et ce stockage idéal, sans perte, à l’aide d’une monotone des échanges enregistrés triés par valeur croissante. Les cinq premiers déciles de l’abscisse contiennent les valeurs négatives correspondant aux soutirages des surplus au réseau ; les cinq suivants positifs les apports au réseau de l’électricité stockée sans perte. 70 TWh d’électricité sont transférés dans l’année pour une production d’EnRI de 275 TWh. À la décimale près, le transfert représente 25 % de la production d’EnRI, comme il a été précédemment constaté. Le maximum du 10e décile montre la puissance, environ 50 GW, dont il faut disposer pour équilibrer la consommation, à l’aide ou en complément des sources pilotables (nucléaire et hydraulique). Le début du premier décile, 60 GW, définit la capacité de stockage nécessaire pour éviter des pertes d’électricité qui devraient être compensées par une production supplémentaire.
Le stockage réel
Ensuite on regarde comment fonctionnerait un stockage réel qui doit transformer l’électricité sous une forme d’énergie stockable : hydraulique gravitationnelle avec les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), électrochimique avec les batteries, chimique avec l’hydrogène ou le méthane. La transformation de l’électricité en énergie stockable, sa conservation, puis la production d’électricité, aboutissent à un rendement global de 80 % pour les STEP et les batteries adaptées au transfert hebdomadaire. Le rendement est de 30 % au mieux pour l’hydrogène et moins pour le méthane qui sont nécessaires au transfert saisonnier (voir figure 2).
La flexibilité de la consommation ou les échanges avec les pays voisins limitent les pertes d’électricité ; mais le premier moyen entraîne des contraintes sur les usagers et le deuxième souffre de la chute simultanée des productions intermittentes des pays européens, évidente pour le solaire et observée pour l’éolien dont les productions horaires cumulées chutent à 4 % de la puissance du parc européen. Avec une hypothèse de répartition entre ces différents moyens, le fonctionnement du stockage réel est présenté figure 3.

Le complément hydraulique/nucléaire
Les 70 TWh de surplus identifiés dans la figure sont soutirés du réseau par les moyens listés dans la colonne de gauche, mais seule une partie est restituée dans la colonne de droite à cause des pertes de stockage : 32 TWh dont 30 TWh pour l’hydrogène. Le retour à une production égalant la consommation nécessite un appoint de sources décarbonées pilotables, nucléaire et hydraulique pour 32 TWh. Les deux peuvent agir de façon complémentaire, le nucléaire pouvant fournir une part significative de l’électricité et l’hydraulique le complétant avec une bien meilleure réactivité aux variations rapides de puissance requises pour le suivi de charge quotidien.
Les conséquences sur l’EROI
L’EROI du mix électrique projeté à l’horizon 2050 est le rapport de sa production électrique à la dépense énergétique totale nécessaire à son fonctionnement. Cette dépense énergétique provient en premier lieu de celles des filières de production du mix. Les valeurs publiées dans la littérature peuvent être assez dispersées, ce qui a toutefois peu d’influence sur le résultat final. En effet, la dépense énergétique additionnelle du stockage est plus importante.
Le stockage entraîne des pertes d’électricité de 32 TWh qui doivent être remplacées par une production additionnelle égale pour obtenir la consommation prévue. Au total 64 TWh sont dépensés pour le stockage. En plus de ce mix à 50 % EnR, un deuxième à 100 % EnR a été étudié. Les pertes de stockage augmentent dans ce cas et leur remplacement par une production additionnelle semble impossible. Dans une étude soumise à publication, on montre que l’EROI global, qui vaut environ 25 aujourd’hui pour le mix électrique de la France, serait réduit au quart de cette valeur avec un mix à 50 % EnR et au dixième avec 100 % d’EnR, cette dernière valeur étant incompatible avec le besoin de nos sociétés. Ces résultats sont robustes vis-à-vis des incertitudes des valeurs d’EROI de chaque filière.
En conclusion, les besoins de stockage supplémentaires imposés par l’intermittence des EnRI ne peuvent être ignorés. Une prospective de l’évolution de l’EROI est nécessaire pour étudier et gérer l’impact des scénarios de transition énergétique de sortie des énergies fossiles. L’hydraulique peut aider à maintenir les hautes valeurs d’EROI requises grâce à sa pilotabilité et aux STEP qui offrent un stockage aux pertes énergétiques réduites.
Pour aller plus loin :
- G. Bonhomme et J. Treiner, « Le taux de retour en énergie (EROI) » Reflets de la physique, 77, p. 24–29 (2024)
- RTE Futurs énergétiques 2050 : 7 – La sécurité d’approvisionnement https://assets.rte-france.com/prod/public/2022–06/FE2050%20_Rapport%20complet_7.pdf
- D. Grand, C. Le Brun, R. Vidil, F. Wagner, Eur. Phys. J. Plus (2016) 131 : 329
- M. Fontecave et D. Grand, Les scénarios énergétiques à l’épreuve du stockage des énergies intermittentes, CR Chimie 24–2, p. 331–350 (2021)
- T. Linnemann, G.S. Vallana VGB PowerTech, 131, n° 329 (2019)
- M. Fontecave, G. Bonhomme, D. Grand et J. Treiner, soumis aux CR Chimie de l’Académie des sciences (2025 à paraître)
- Z. Kis, N. Pandya and R. Koppelaar, Electricity generation technologies : comparison of materials use, energy return on investment, jobs creation and CO2 emission reduction, Energy Policy (mai 2018).