Figure 3 : stockage réel : le soutirage de 70 TWh (cf. fig. 2) par les moyens disponibles (colonne de gauche) est restitué partiellement dans la colonne de droite (déficit de 32 TWh).

Les taux de retour énergétique du mix électrique à forte proportion d’éolien et de solaire

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Dominique GRAND
Par Christian LE BRUN
Par Jacques TREINER

RTE a publié en 2021 pour la France des scé­na­rios de pro­duc­tion élec­trique pre­nant en compte les besoins de sto­ckage entraî­nés par l’intermittence des sources d’énergies renou­ve­lables. Cette étude per­met de quan­ti­fier ces besoins en vue des inves­tis­se­ments nécessaires.

L’approvisionnement éner­gé­tique est aus­si vital pour la socié­té que la nour­ri­ture l’est pour un indi­vi­du. Le char­bon, le pétrole et le gaz, qui four­nissent bien plus d’énergie que n’en réclame leur pro­duc­tion, ont per­mis le for­mi­dable déve­lop­pe­ment des socié­tés indus­trielles. Sor­tir des éner­gies fos­siles en 2050 est un objec­tif qui ne peut igno­rer cette réa­li­té du taux de retour éner­gé­tique, TRE, en anglais EROI : Ener­gy Return on Ener­gy Inves­ted. À l’échelle d’une ins­tal­la­tion, l’EROI est égal au rap­port Eout/Ein entre d’une part sa pro­duc­tion totale Eout sur sa durée de vie et, d’autre part, l’énergie Ein dépen­sée pour la construire à par­tir de maté­riaux dont l’extraction et le trans­port dépensent de l’énergie, pour la faire fonc­tion­ner et pour la déman­te­ler et en recy­cler éven­tuel­le­ment une partie.

Un EROI supé­rieur à 1 est évi­dem­ment néces­saire pour toute source d’énergie. Les EROI des éner­gies fos­siles sont éle­vés et supé­rieurs à 30 pour la pro­duc­tion de cha­leur. Notons que ces valeurs ont ten­dance à dimi­nuer avec le temps, car l’exploitation de gise­ments moins riches en res­source éner­gé­tique aug­mente l’énergie à investir.

Des scénarios pour 250

À l’avenir, l’atteinte de l’objectif cli­ma­tique consis­tant à dimi­nuer les émis­sions de CO₂ pas­se­ra notam­ment par l’électrification des usages, asso­ciée à une pro­duc­tion décar­bo­née d’électricité. Il convient donc de por­ter une atten­tion par­ti­cu­lière à l’EROI du mix élec­trique, compte tenu des diverses façons de com­bi­ner éner­gies de stocks, pilo­tables, et éner­gies de flux, inter­mit­tentes. En effet, l’introduction d’une pro­por­tion impor­tante de sources inter­mit­tentes – prin­ci­pa­le­ment éolien et solaire pho­to­vol­taïque (EnRI) – requiert de dis­po­ser de moyens de sto­ckage de l’énergie, de façon à assu­rer à tout ins­tant et en tout point du réseau l’égalité entre puis­sance appe­lée et puis­sance produite.

La mise en place de ces moyens de sto­ckage a évi­dem­ment un effet sur l’énergie inves­tie dans la consti­tu­tion du réseau et il faut essayer de défi­nir les besoins. En 2021, RTE a publié des scé­na­rios pour 2050 pre­nant en compte les besoins de flexi­bi­li­té et de sto­ckage en rai­son du carac­tère fatal et inter­mit­tent des pro­duc­tions solaires et éoliennes. Les besoins avaient été iden­ti­fiés par Wag­ner pour l’Allemagne dès 2013 et nous avons publié avec lui une syn­thèse de résul­tats obte­nus grâce à sa méthode pour la France et l’Allemagne.

Figure 1 : fluctuations des productions éolienne et solaire (EnRI) enregistrées sur les sept premières semaines de 2020 (source RTE éCO2mix).
Figure 1 : fluc­tua­tions des pro­duc­tions éolienne et solaire (EnRI) enre­gis­trées sur les sept pre­mières semaines de 2020 (source RTE éCO2mix).

Intermittence en hausse et besoin de flexibilité

Les résul­tats partent des enre­gis­tre­ments des quan­ti­tés d’électricité pro­duites et consom­mées toutes les demi-heures et publiées par les ges­tion­naires de réseau. À titre d’exemple, la figure 1 pré­sente l’évolution des pro­duc­tions éoliennes et solaires en France pour les sept pre­mières semaines de 2020.

L’ordonnée pré­sente la puis­sance déli­vrée par les parcs éoliens et solaires fran­çais par inter­valles d’une demi-heure et expri­mée en pour­cen­tage de la puis­sance ins­tal­lée des parcs. Le PV (orange) monte chaque jour jusqu’à un pic faible en hiver mais approche les 100 % de la puis­sance ins­tal­lée en été. L’éolien (gris) pro­duit aléa­toi­re­ment, au gré des alter­nances cyclone anti­cy­clone, de 80 % de la puis­sance ins­tal­lée à 2 %, sui­vant des varia­tions bru­tales d’une puis­sance qui dépend du cube de la vitesse du vent.

Des sources pilo­tables aux réglages de puis­sance rapides et amples sont néces­saires pour réagir aux varia­tions des EnRI prio­ri­taires sur le réseau : à la baisse pour s’effacer devant les EnRI et à la hausse pour com­pen­ser leur pro­duc­tion défaillante. Il faut de plus des moyens impor­tants de sto­ckage adap­tés aux dif­fé­rentes tem­po­ra­li­tés : quo­ti­dienne pour le solaire, heb­do­ma­daire pour l’éolien et le sui­vi de consom­ma­tion (week-end), et sai­son­nière pour les écarts été-hiver.

Variation saisonnière et besoin de stockage

La varia­tion sai­son­nière pose un pro­blème par­ti­cu­lier. En hiver, la consom­ma­tion est forte et le solaire pro­duit peu, alors qu’en été c’est l’inverse. Si l’éolien pro­duit plus en hiver, cela ne suf­fit pas à com­pen­ser le dés­équi­libre pré­cé­dent. Pour prendre la mesure des besoins de flexi­bi­li­té et de sto­ckage, on a simu­lé un mix pro­dui­sant annuel­le­ment 750 TWh avec 50 % de nucléaire et 50 % de renou­ve­lables, par extra­po­la­tion des don­nées enre­gis­trées en 2019. Ce mix est proche du scé­na­rio RTE dit « réin­dus­tria­li­sa­tion ». La réfé­rence pos­tule d’abord un sto­ckage d’électricité idéal illi­mi­té et sans perte, qui sou­tire les sur­plus de pro­duc­tion des EnRI à cer­taines périodes pour les sto­cker puis les appor­ter à d’autres où la pro­duc­tion est insuffisante.

Figure 2 : monotone de l’échange d’électricité entre le stockage et le réseau. En ordonnée, échange horaire, négatif en cas de soutirage, positif en cas d’apport. En abscisse classement des enregistrements depuis les plus forts soutirages du premier décile aux plus grands apports du dernier décile. Surface orange : transfert hebdomadaire ; bleue : saisonnier.
Figure 2 : mono­tone de l’échange d’électricité entre le sto­ckage et le réseau. En ordon­née, échange horaire, néga­tif en cas de sou­ti­rage, posi­tif en cas d’apport. En abs­cisse clas­se­ment des enre­gis­tre­ments depuis les plus forts sou­ti­rages du pre­mier décile aux plus grands apports du der­nier décile. Sur­face orange : trans­fert heb­do­ma­daire ; bleue : saisonnier.

La figure 2 repré­sente l’échange d’électricité (gigawatt­heure) entre le réseau et ce sto­ckage idéal, sans perte, à l’aide d’une mono­tone des échanges enre­gis­trés triés par valeur crois­sante. Les cinq pre­miers déciles de l’abscisse contiennent les valeurs néga­tives cor­res­pon­dant aux sou­ti­rages des sur­plus au réseau ; les cinq sui­vants posi­tifs les apports au réseau de l’électricité sto­ckée sans perte. 70 TWh d’électricité sont trans­fé­rés dans l’année pour une pro­duc­tion d’EnRI de 275 TWh. À la déci­male près, le trans­fert repré­sente 25 % de la pro­duc­tion d’EnRI, comme il a été pré­cé­dem­ment consta­té. Le maxi­mum du 10e décile montre la puis­sance, envi­ron 50 GW, dont il faut dis­po­ser pour équi­li­brer la consom­ma­tion, à l’aide ou en com­plé­ment des sources pilo­tables (nucléaire et hydrau­lique). Le début du pre­mier décile, 60 GW, défi­nit la capa­ci­té de sto­ckage néces­saire pour évi­ter des pertes d’électricité qui devraient être com­pen­sées par une pro­duc­tion supplémentaire.

Le stockage réel

Ensuite on regarde com­ment fonc­tion­ne­rait un sto­ckage réel qui doit trans­for­mer l’électricité sous une forme d’énergie sto­ckable : hydrau­lique gra­vi­ta­tion­nelle avec les STEP (sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page), élec­tro­chi­mique avec les bat­te­ries, chi­mique avec l’hydrogène ou le méthane. La trans­for­ma­tion de l’électricité en éner­gie sto­ckable, sa conser­va­tion, puis la pro­duc­tion d’électricité, abou­tissent à un ren­de­ment glo­bal de 80 % pour les STEP et les bat­te­ries adap­tées au trans­fert heb­do­ma­daire. Le ren­de­ment est de 30 % au mieux pour l’hydrogène et moins pour le méthane qui sont néces­saires au trans­fert sai­son­nier (voir figure 2).

La flexi­bi­li­té de la consom­ma­tion ou les échanges avec les pays voi­sins limitent les pertes d’électricité ; mais le pre­mier moyen entraîne des contraintes sur les usa­gers et le deuxième souffre de la chute simul­ta­née des pro­duc­tions inter­mit­tentes des pays euro­péens, évi­dente pour le solaire et obser­vée pour l’éolien dont les pro­duc­tions horaires cumu­lées chutent à 4 % de la puis­sance du parc euro­péen. Avec une hypo­thèse de répar­ti­tion entre ces dif­fé­rents moyens, le fonc­tion­ne­ment du sto­ckage réel est pré­sen­té figure 3.

Figure 3 : stockage réel : le soutirage de 70 TWh (cf. fig. 2) par les moyens disponibles (colonne de gauche) est restitué partiellement dans la colonne de droite (déficit de 32 TWh).
Figure 3 : sto­ckage réel : le sou­ti­rage de 70 TWh (cf. fig. 2) par les moyens dis­po­nibles (colonne de gauche) est res­ti­tué par­tiel­le­ment dans la colonne de droite (défi­cit de 32 TWh).

Le complément hydraulique/nucléaire

Les 70 TWh de sur­plus iden­ti­fiés dans la figure sont sou­ti­rés du réseau par les moyens lis­tés dans la colonne de gauche, mais seule une par­tie est res­ti­tuée dans la colonne de droite à cause des pertes de sto­ckage : 32 TWh dont 30 TWh pour l’hydrogène. Le retour à une pro­duc­tion éga­lant la consom­ma­tion néces­site un appoint de sources décar­bo­nées pilo­tables, nucléaire et hydrau­lique pour 32 TWh. Les deux peuvent agir de façon com­plé­men­taire, le nucléaire pou­vant four­nir une part signi­fi­ca­tive de l’électricité et l’hydraulique le com­plé­tant avec une bien meilleure réac­ti­vi­té aux varia­tions rapides de puis­sance requises pour le sui­vi de charge quotidien.

Les conséquences sur l’EROI

L’EROI du mix élec­trique pro­je­té à l’horizon 2050 est le rap­port de sa pro­duc­tion élec­trique à la dépense éner­gé­tique totale néces­saire à son fonc­tion­ne­ment. Cette dépense éner­gé­tique pro­vient en pre­mier lieu de celles des filières de pro­duc­tion du mix. Les valeurs publiées dans la lit­té­ra­ture peuvent être assez dis­per­sées, ce qui a tou­te­fois peu d’influence sur le résul­tat final. En effet, la dépense éner­gé­tique addi­tion­nelle du sto­ckage est plus importante.

Le sto­ckage entraîne des pertes d’électricité de 32 TWh qui doivent être rem­pla­cées par une pro­duc­tion addi­tion­nelle égale pour obte­nir la consom­ma­tion pré­vue. Au total 64 TWh sont dépen­sés pour le sto­ckage. En plus de ce mix à 50 % EnR, un deuxième à 100 % EnR a été étu­dié. Les pertes de sto­ckage aug­mentent dans ce cas et leur rem­pla­ce­ment par une pro­duc­tion addi­tion­nelle semble impos­sible. Dans une étude sou­mise à publi­ca­tion, on montre que l’EROI glo­bal, qui vaut envi­ron 25 aujourd’hui pour le mix élec­trique de la France, serait réduit au quart de cette valeur avec un mix à 50 % EnR et au dixième avec 100 % d’EnR, cette der­nière valeur étant incom­pa­tible avec le besoin de nos socié­tés. Ces résul­tats sont robustes vis-à-vis des incer­ti­tudes des valeurs d’EROI de chaque filière.

En conclu­sion, les besoins de sto­ckage sup­plé­men­taires impo­sés par l’intermittence des EnRI ne peuvent être igno­rés. Une pros­pec­tive de l’évolution de l’EROI est néces­saire pour étu­dier et gérer l’impact des scé­na­rios de tran­si­tion éner­gé­tique de sor­tie des éner­gies fos­siles. L’hydraulique peut aider à main­te­nir les hautes valeurs d’EROI requises grâce à sa pilo­ta­bi­li­té et aux STEP qui offrent un sto­ckage aux pertes éner­gé­tiques réduites.


Pour aller plus loin :

  • G. Bon­homme et J. Trei­ner, « Le taux de retour en éner­gie (EROI) » Reflets de la phy­sique, 77, p. 24–29 (2024)
  • RTE Futurs éner­gé­tiques 2050 : 7 – La sécu­ri­té d’approvisionnement https://assets.rte-france.com/prod/public/2022–06/FE2050%20_Rapport%20complet_7.pdf
  • D. Grand, C. Le Brun, R. Vidil, F. Wag­ner, Eur. Phys. J. Plus (2016) 131 : 329 
  • M. Fon­te­cave et D. Grand, Les scé­na­rios éner­gé­tiques à l’épreuve du sto­ckage des éner­gies inter­mit­tentes, CR Chi­mie 24–2, p. 331–350 (2021)
  • T. Lin­ne­mann, G.S. Val­la­na VGB Power­Tech, 131, n° 329 (2019)
  • M. Fon­te­cave, G. Bon­homme, D. Grand et J. Trei­ner, sou­mis aux CR Chi­mie de l’Académie des sciences (2025 à paraître) 
  • Z. Kis, N. Pan­dya and R. Kop­pe­laar, Elec­tri­ci­ty gene­ra­tion tech­no­lo­gies : com­pa­ri­son of mate­rials use, ener­gy return on invest­ment, jobs crea­tion and CO2 emis­sion reduc­tion, Ener­gy Poli­cy (mai 2018).

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