Vue du bassin inférieur et de la centrale de la micro-STEP de Saint-Pierre en Martinique. © Brahim Daroui / agence Anonym’Art

Les micro-STEP, stabilisateurs de réseaux

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Denis PAYRE

Les STEP sont tech­ni­que­ment bien connues et maî­tri­sées, et répan­dues dans le monde. Elles ont d’indéniables avan­tages par rap­port aux bat­te­ries pour sto­cker de l’énergie afin de régu­ler les réseaux élec­triques. Mais la popu­la­tion fran­çaise accep­te­rait dif­fi­ci­le­ment leur mul­ti­pli­ca­tion, en rai­son des contraintes de den­si­té de popu­la­tion et des consi­dé­ra­tions envi­ron­ne­men­tales. Dans ces condi­tions la solu­tion est bien dans les STEP, mais dans des ins­tal­la­tions de petite taille, nom­breuses mais peu déran­geantes : les micro-STEP.

Les STEP (sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page) ont été lar­ge­ment déployées pour don­ner de la flexi­bi­li­té aux cen­trales nucléaires en Europe et aux États-Unis dans les années 70 et 80. Il s’agissait exclu­si­ve­ment de très grandes ins­tal­la­tions, à l’image de la cen­trale de Grand’Maison dans l’Isère avec sa capa­ci­té de 1 800 MW. Avec la tran­si­tion éner­gé­tique et l’intégration de sources d’énergies renou­ve­lables pho­to­vol­taïques et éoliennes, l’instabilité des réseaux élec­triques aug­mente beau­coup du fait de l’intermittence de ces sources d’énergie. Cette situa­tion contri­bue à un grand retour des STEP par­tout dans le monde. Le New York Times par­lait de « renais­sance hydro­élec­trique » en mai 2023 et esti­mait à 377 GW la puis­sance cumu­lée des pro­jets de STEP dans le monde actuellement.

Les STEP trouvent leur place en com­plé­ment des bat­te­ries lithium-ion, qui ont l’avantage de la rapi­di­té de déploie­ment mais ont aus­si de nom­breux incon­vé­nients : elles créent une dépen­dance à la Chine qui contrôle 80 % de la fabri­ca­tion de ces équi­pe­ments et de ses prin­ci­paux com­po­sants comme les cel­lules de bat­te­rie. La Chine contrôle aus­si la chaîne d’approvisionnement et de raf­fi­nage des prin­ci­paux maté­riaux néces­saires. Elle contrôle 90 % du raf­fi­nage du gra­phite mon­dial par exemple et oblige à des licences d’exportation sur ce produit.

Une question de souveraineté

Les bat­te­ries créent aus­si une dépen­dance aux oli­go­poles sur les maté­riaux rares comme le lithium, dont 90 % de la pro­duc­tion selon l’USGS (Ins­ti­tut d’études géo­lo­giques des États-Unis) pro­viennent de seule­ment trois pays dont la Chine, une dépen­dance pire que celle à l’OPEP. L’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie (AIE) ne cesse d’alerter sur les risques de pénu­rie de lithium, car les nou­velles mines n’ouvrent pas assez rapi­de­ment. Les STEP à l’inverse ne créent aucune dépen­dance. Elles sont désor­mais conçues pour fonc­tion­ner en cir­cuit fer­mé et ne consomment donc que très peu d’eau, pour faire face à l’évaporation. Leur coût est connu pour les cent pro­chaines années, alors que les bat­te­ries obligent à se confron­ter à la spé­cu­la­tion mon­diale sur les équi­pe­ments et les maté­riaux rares tous les dix ans.

Un excellent bilan carbone

De plus, selon le dépar­te­ment de l’énergie amé­ri­cain, le bilan car­bone des STEP est deux fois meilleur que celui des bat­te­ries. Les bat­te­ries sont confron­tées de sur­croît à des risques d’incendies dif­fi­ciles à maî­tri­ser, ce qui n’est pas le cas des STEP. Cela rend le trans­port des bat­te­ries et par­ti­cu­liè­re­ment des bat­te­ries usa­gées très com­pli­qué, spé­cia­le­ment en bateau. Le rapa­trie­ment de bat­te­ries usa­gées est par exemple actuel­le­ment im­possible de l’île de la Réunion, car aucun trans­por­teur n’accepte de les prendre en charge à la suite du nau­frage du car­go Feli­ci­ty Ace en février 2022, qui trans­por­tait 4 000 véhi­cules électriques.

Les STEP offrent des ser­vices que n’offrent pas les bat­te­ries, comme l’inertie qui devient indis­pen­sable pour main­te­nir la fré­quence à niveau, alors que les éner­gies renou­ve­lables rem­placent des sources d’énergie car­bo­nées repo­sant sur des machines tour­nantes qui, elles, four­nis­saient de l’inertie. Or ni le pho­to­vol­taïque ni l’éolien n’apporte d’inertie aux réseaux et « l’inertie syn­thé­tique » pro­mise par les bat­te­ries n’est sou­vent pas consi­dé­rée comme suffisante.

Un avantage coût

Sur des durées de fonc­tion­ne­ments longs qui sont de plus en plus deman­dés, de 8 à 12 heures, les STEP ont aus­si un avan­tage coût très signi­fi­ca­tif. Dou­bler la durée de fonc­tion­ne­ment d’une bat­te­rie néces­site de dou­bler la capa­ci­té et donc les inves­tis­se­ments, alors que dou­bler le fonc­tion­ne­ment d’une STEP ne néces­site qu’un dou­ble­ment de la taille des bas­sins, une frac­tion seule­ment des inves­tis­se­ments. Enfin, nous avons le savoir-faire des STEP en Europe, et en France en par­ti­cu­lier, où tous les savoir-faire sont encore pré­sents alors que le savoir-faire dans la fabri­ca­tion des bat­te­ries, et donc les emplois et la sou­ve­rai­ne­té asso­ciés, n’existent pas encore. La faillite du sué­dois Nor­th­volt, l’espoir euro­péen de la bat­te­rie, montre qu’il sera com­pli­qué de rapa­trier ces savoir-faire chez nous.

Un phénomène mondial

Pour toutes ces rai­sons, les pro­jets de STEP se mul­ti­plient dans le monde : en Aus­tra­lie, en Inde, en Asie du Sud-Est, aux États-Unis et même en Chine où les déploie­ments les plus signi­fi­ca­tifs ont lieu actuel­le­ment avec 89 GW en construc­tion selon l’AIE, ce qui montre bien la com­plé­men­ta­ri­té avec les bat­te­ries puisque la Chine est par ailleurs le lea­der de très loin du mar­ché mon­dial des bat­te­ries lithium-ion. Ces pays ont de vastes éten­dues rela­ti­ve­ment vierges et par­fois aus­si un sou­ci limi­té de la pro­tec­tion de l’environnement.

“Les projets de STEP se multiplient dans le monde.”

Alors, com­ment faire pour déployer des STEP chez nous avec des den­si­tés de popu­la­tions éle­vées et une forte sen­si­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale ? Il est impen­sable de déployer à nou­veau un pro­jet comme la cen­trale de Grand’Maison avec son bar­rage de 550 mètres de long, de 140 mètres de haut et sa capa­ci­té de 137 mil­lions de mètres cubes d’eau. Une méga­bas­sine de 500 000 mètres cubes va géné­rer chez nous des mou­ve­ments de pro­tes­ta­tion par­fois vio­lents. Heu­reu­se­ment, plu­sieurs grands bar­rages exis­tants peuvent être conver­tis en STEP, mais les besoins de sto­ckage sont immenses et peuvent aller jusqu’à 30 GW d’ici 2030 selon RTE.

Vue générale de la micro-STEP de Saint-Pierre en Martinique.
Vue géné­rale de la micro-STEP de Saint-Pierre en Martinique.

La solution des micro-STEP

La réponse, ce sont les micro-STEP, des uni­tés de 7 à 20 MW avec un déni­ve­lé impor­tant de 350 à 900 mètres pour maxi­mi­ser l’efficacité et mini­mi­ser la taille des rete­nues et ne pas excé­der 50 000 m3. L’ensemble des com­po­sants et des savoir-faire repo­se­ra sur un exis­tant stan­dard per­met­tant de limi­ter les coûts. L’eau sera sto­ckée dans des rete­nues col­li­naires stan­dards de type irri­ga­tion ou fabri­ca­tion de neige de culture. Les conduites for­cées seront des conduites de VRD (voi­rie et réseaux divers) stan­dards, les pompes seront des pompes d’irrigation amor­ties sur des mil­liers d’exemplaires et les tur­bines de type Pel­ton très standard.

Un pre­mier pro­jet de ce type est sur le point d’aboutir en Mar­ti­nique, avec une puis­sance de 7 MW sur 4 heures avec un déni­ve­lé de 350 mètres. Après huit ans de ges­ta­tion et de tra­vaux de recherche et déve­lop­pe­ment, il est en train de pas­ser les étapes finales de vali­da­tion par les auto­ri­tés admi­nis­tra­tives et éner­gé­tiques du pays. D’autres sont à l’étude en Gua­de­loupe ou à la Réunion, ain­si que dans des sta­tions de sport d’hiver sou­vent en co-usage avec des sys­tèmes de fabri­ca­tion de neige de culture. Il est indis­pen­sable que la France se dote rapi­de­ment d’un cadre régle­men­taire pour les outils de sto­ckage en géné­ral et les STEP en par­ti­cu­lier, car les adver­saires d’une tran­si­tion éner­gé­tique repo­sant en par­tie sur des EnR inter­mit­tents dénoncent l’absence de solu­tion pour gérer cette intermittence.

Commentaire

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de Brou­ckerrépondre
10 mars 2025 à 16 h 07 min

N’hé­si­tez pas à vous réfé­rer au State of the Art (SOTA) Report que j’ai rédi­gé en 2022 dans le cadre de l’Exe­cu­tive Mas­ter de l’X. Il offre un pano­ra­ma à date des avan­cées tech­no­lo­giques dans le domaine des micro STEPs.

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