Passe à poissons Gambsheim. © Passage 309

Hydroélectricité et biodiversité

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Cécile BELLOT
Par Guy PUSTELNIK

Les cen­trales hydro­élec­triques ont des impacts sur la bio­di­ver­si­té. C’est pour­quoi on leur applique un cadre nor­ma­tif contrai­gnant afin de pré­ser­ver leur envi­ron­ne­ment et notam­ment les migra­tions de pois­sons tels que le bien connu sau­mon. Mais elles ont aus­si des effets posi­tifs sur la bio­di­ver­si­té, moins connus du public mais appré­ciés des scien­ti­fiques et des défen­seurs de la nature. Éner­gie décar­bo­née et bio­di­ver­si­té : c’est tout bénéfice.

Dans le cadre de leur acti­vi­té, les hydro­élec­tri­ciens sont en per­ma­nence ame­nés à consi­dé­rer la bio­di­ver­si­té dans et autour de leurs ins­tal­la­tions, sous dif­fé­rentes formes. Il peut par exemple s’agir du réta­blis­se­ment de la conti­nui­té éco­lo­gique via l’implantation de dis­po­si­tifs tech­niques ou du res­pect de débits régle­men­taires, dits réser­vés, dans les tron­çons influen­cés. La cen­trale hydro­élec­trique doit ain­si prendre en compte, pour sa créa­tion ou dans sa ges­tion, le contexte envi­ron­ne­men­tal du site. Les docu­ments de cadrage, régle­men­taires ou non, uti­li­sés par l’administration pour ins­truire les demandes sont par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux et précis.

Le cadre normatif

Il s’agit prin­ci­pa­le­ment de la prise en compte de normes euro­péennes, comme la direc­tive-cadre euro­péenne sur l’eau (DCE) dont la tra­duc­tion en droit fran­çais est par­ti­cu­liè­re­ment pous­sée donc contrai­gnante. Par exemple, les cours d’eau clas­sés (liste 1, liste 2 ou réser­voir bio­lo­gique) au titre de l’article L. 214–17 per­mettent la pro­tec­tion des pois­sons migra­teurs. Doit éga­le­ment être prise en compte la pré­sence d’espèces par­ti­cu­lières pro­té­gées ou sui­vies dans le cadre de plans natio­naux d’actions (PNA), telles que le des­man, la mulette per­lière, la loutre, le sau­mon, l’esturgeon, l’apron du Rhône… Enfin, chaque pro­jet doit inté­grer le mieux pos­sible les autres usages (irri­ga­tion, navi­ga­tion…) et les exi­gences socié­tales locales éma­nant des rive­rains, des socié­tés de pêche, de chasse, des pra­ti­quants de loi­sirs nau­tiques ou des asso­cia­tions d’environnement.

Des mesures adaptées

Donc, lorsque les tra­vaux sont auto­ri­sés, de nom­breuses mesures sont mises en place pour conci­lier la pro­duc­tion d’électricité renou­ve­lable et la pré­ser­va­tion des milieux et des espèces pro­té­gées : ces ins­tal­la­tions peuvent ain­si jouer leur rôle dans la pro­tec­tion et l’enrichissement de la bio­di­ver­si­té aqua­tique et ter­restre. Ces dis­po­si­tifs sont adap­tés au cas par cas aux carac­té­ris­tiques des sites amé­na­gés, ce qui requiert sou­vent ima­gi­na­tion et inno­va­tions. Pour illus­trer la rela­tion entre les cen­trales hydro­élec­triques et la bio­di­ver­si­té, il est essen­tiel d’analyser de manière détaillée les méca­nismes éco­lo­giques, les pra­tiques de ges­tion et les types d’habitats affectés.

La restauration des écosystèmes aquatiques

La conti­nui­té éco­lo­gique des rivières est indis­pen­sable pour cer­taines espèces pis­ci­coles migra­trices comme les sau­mons, les anguilles ou les aloses, qui doivent impé­ra­ti­ve­ment pas­ser des rivières à la mer (et inver­se­ment) pour accom­plir leur cycle de vie. Des dis­po­si­tifs envi­ron­ne­men­taux existent pour per­mettre aux pois­sons de remon­ter ou des­cendre les cours d’eau en fran­chis­sant les obs­tacles créés par les bar­rages (on parle de mon­tai­son et dévalaison).


Lire aus­si : Les aspects envi­ron­ne­men­taux des amé­na­ge­ments hydro­élec­triques à l’international


L’implantation et la concep­tion de ces amé­na­ge­ments requièrent des études nom­breuses et com­plexes, qui per­mettent de rete­nir le dis­po­si­tif le mieux adap­té au site et aux espèces de pois­sons concer­nés. Par­fois, il peut ain­si s’agir d’une rivière de contour­ne­ment (un bras secon­daire arti­fi­ciel qui relie le cours d’eau entre l’amont et l’aval du bar­rage) ou d’une rampe à macro­ru­go­si­tés (un plan incli­né amé­na­gé de plots et de rugo­si­té en fond) ou de passe à pois­sons qui per­met de ralen­tir les écou­le­ments d’eau et faci­litent la remon­tée des pois­sons. Il existe éga­le­ment des tur­bines ich­tyo­com­pa­tibles, dans les­quelles les pois­sons peuvent s’introduire en période de fonc­tion­ne­ment sans risque de bles­sure ou de mor­ta­li­té. Il en existe déjà deux types recon­nus en France (VLH, very low head, et vis hydro­dynamique) et d’autres sont en développement.

Passe à poissons Gambsheim. © Passage 309
Passe à pois­sons Gamb­sheim. © Pas­sage 309

Les milieux anthropisés et diversité préservée

Les cen­trales hydro­élec­triques modi­fient les éco­sys­tèmes où elles sont implan­tées, mais elles créent éga­le­ment de nou­veaux habi­tats. Ces milieux, bien qu’anthropisés, accueillent une bio­di­ver­si­té qui peut être dif­fé­rente de celle d’origine, mais tout aus­si riche. Cer­tains scien­ti­fiques (voir Fran­ces­co Dona­ti, Laurent Tou­chart, Pas­cal Bar­tout et Quen­tin Chof­fel, « Carac­té­ri­sa­tion bio­phy­sique des milieux situés à l’amont des seuils en rivière : l’écotone rete­nue de seuil », Ver­ti­gO, la revue élec­tro­nique en sciences de l’environnement [en ligne], volume 22 numé­ro 1 | avril 2022, mis en ligne le 20 avril 2022, consul­té le 29 juin 2022) qua­li­fient ces milieux « d’écotones », c’est-à-dire des espaces qui se forment au niveau de dis­con­ti­nui­tés envi­ron­ne­men­tales et qui béné­fi­cient des carac­té­ris­tiques de dif­fé­rents milieux. Un exemple par­lant d’écotone, ce sont les lisières de forêt, qui béné­fi­cient des apports de la forêt et de la prai­rie qui les borde.

“Les centrales hydro­électriques créent également de nouveaux habitats.”

Les zones humides

Les rete­nues et zones humides, qui se forment par­fois en amont des cen­trales hydro­élec­triques grâce à la régu­la­tion du niveau de l’eau au bar­rage, offrent des habi­tats essen­tiels pour une grande diver­si­té d’espèces : héron, cincle plon­geur, col­vert… Ces zones per­mettent le déve­lop­pe­ment d’une végé­ta­tion aqua­tique et semi-aqua­tique, atti­rant ain­si une varié­té d’espèces fau­nis­tiques, telles que les amphi­biens, les rep­tiles, les oiseaux et cer­tains mam­mi­fères. Des amé­na­ge­ments spé­ci­fiques assurent la pro­tec­tion de ces espèces. Les ter­rains natu­rels situés autour des bâti­ments et le long des canaux, les zones de prai­ries semi-natu­relles, les zones humides… sont autant de zones favo­rables à l’expression de la bio­di­ver­si­té et de sites d’accueil pour la faune et la flore, qui peuvent être valo­ri­sés par des amé­na­ge­ments spé­ci­fiques (plan­ta­tion de varié­tés locales, ges­tion différenciée…).

Les bénéfices concomitants

En plus de tous les amé­na­ge­ments mis en place pour répondre aux demandes régle­men­taires, les hydro­électriciens mènent par­fois des actions volon­taires en faveur de la bio­di­ver­si­té ou des usa­gers du cours d’eau. Cer­taines cen­trales sont inté­grées à des ini­tia­tives locales de conser­va­tion et d’écotourisme, pro­vo­quant ain­si une atten­tion accrue sur la pré­ser­va­tion de la bio­di­ver­si­té. En valo­ri­sant des par­cours natu­rels ou en pro­mou­vant des acti­vi­tés d’éducation envi­ron­ne­men­tale, ces sites peuvent sen­si­bi­li­ser le public à la bio­di­ver­si­té aqua­tique et terrestre.

Les projets de recherche scientifique

Les ins­tal­la­tions hydro­élec­triques peuvent deve­nir des sites pilotes pour des pro­jets de recherche éco­lo­gique sur les­quels les cher­cheurs éva­luent les effets à long terme sur la bio­di­ver­si­té, les dyna­miques de popu­la­tion et la rési­lience des éco­sys­tèmes aqua­tiques. En col­la­bo­ra­tion avec des uni­ver­si­tés ou des ONG environ­nementales, des pro­jets de sui­vi sont mis en place pour sur­veiller les popu­la­tions de pois­sons, d’amphibiens et d’insectes aqua­tiques, ain­si que pour tes­ter de nou­velles solu­tions tech­no­lo­giques afin d’améliorer l’intégration éco­lo­gique des infrastructures.

Il est en effet pos­sible d’installer dans les passes à bas­sins une chambre de vision­nage pour voir les pois­sons emprun­tant la passe. Ces chambres de vision­nage sont l’un des rares moyens actuels per­met­tant de réa­li­ser un sui­vi du nombre de pois­sons amphi­ha­lins effec­tuant leur migra­tion vers l’amont des cours d’eau. Ces popu­la­tions de pois­sons grands migra­teurs étant en dif­fi­cul­té ces der­nières années, ces chambres de vision­nage sont des outils essen­tiels pour les ges­tion­naires du cours d’eau en vue de suivre et d’adapter leurs actions.

En com­plé­ment de l’électricité renou­ve­lable qu’elles pro­duisent, les cen­trales hydro­élec­triques, si elles sont cor­rec­te­ment conçues et gérées, peuvent donc géné­rer des effets posi­tifs signi­fi­ca­tifs sur la bio­di­ver­si­té locale. En met­tant en œuvre des pra­tiques durables, telles que le res­pect des débits éco­lo­giques, l’installation de passes à pois­sons, la créa­tion d’habitats pro­pices à la faune locale, etc., elles offrent une solu­tion éner­gé­tique renou­ve­lable bas car­bone aux impacts envi­ron­ne­men­taux faibles. 

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