La STEP de Gilboa en Israël.

La juste rémunération des services rendus par l’hydroélectricité

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Ghislain WEISROCK (X70)

Les besoins de flexi­bi­li­té pour équi­li­brer les sources d’énergie renou­ve­lables variables exigent des inves­tis­se­ments très impor­tants. La rému­né­ra­tion des ser­vices ren­dus par l’hydroélectricité doit donc en tenir compte et le mar­ché être adap­té à ces nou­velles condi­tions. Exer­cice dif­fi­cile en rai­son des incer­ti­tudes quant à l’avenir et de la lon­gueur des périodes d’amortissement.

La décar­bo­na­tion du sys­tème élec­trique euro­péen va repo­ser prin­ci­pa­le­ment sur le déve­lop­pe­ment de l’éolien et du pho­to­vol­taïque (EnR : éner­gie nou­velle renou­ve­lable) tout en conser­vant une base de pro­duc­tion nucléaire. Si l’hydro­électricité garde une part majeure dans la pro­duc­tion en éner­gie renou­ve­lable, c’est son rôle his­to­rique d’équilibrage du sys­tème élec­trique qui va deve­nir prin­ci­pal. La varia­bi­li­té des EnR à toutes les échelles de temps, de la sai­son à la seconde, pose un défi majeur en besoins de flexi­bi­li­té pour équi­li­brer la pro­duc­tion et la consom­ma­tion, et contrô­ler la fré­quence. Une étude de Com­pass Lexe­con pour France Hydro Élec­tri­ci­té révèle, pour la seule France, un besoin d’investissement en sources de flexi­bi­li­té entre 3 et 4 G€/an de 2030 à 2050. Mais sur­tout l’étude met en évi­dence un manque à gagner de 1 à 2 G€/an, par défaut d’un modèle éco­no­mique apte à déli­vrer un signal per­ti­nent à l’investissement.

Le besoin de moyens de flexibilité même si non rentables

Ces chiffres, résul­tats d’un modèle offre-demande, ne révèlent que la par­tie émer­gée de l’iceberg. Au-delà des échanges aux inter­con­nexions, de la modu­la­tion du nucléaire et d’un pilo­tage cré­dible de la consom­ma­tion par le big data, ce modèle porte sur le déve­lop­pe­ment de sources de modu­la­tion, hydro de lac, tur­bine à gaz bio­gène, et sur le déve­lop­pe­ment de sto­ckage, à savoir prin­ci­pa­le­ment en bat­te­ries, en sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page (STEP) et en hydro­gène (power to gas to power). L’optimisation éco­no­mique va d’abord déve­lop­per les moyens les plus pro­fi­tables (par exemple le sur­équi­pe­ment des cen­trales hydro­élec­triques de lac), mais il sera néces­saire de déve­lop­per éga­le­ment des moyens mal­gré un manque à gagner (mis­sing money) lorsque les reve­nus du mar­ché de l’énergie ne couvrent pas les coûts, du fait de l’objectif de sécu­ri­té d’appro­visionnement à res­pec­ter. À noter que, selon leur coût d’investissement, les STEP res­tent le moyen le plus compétitif.

De la flexibilité à toutes les échelles de temps

L’étude met en avant l’autre par­tie de l’iceberg, que le modèle d’équilibre offre-demande à chaque pas horaire ne peut pas révé­ler. Rien n’y dif­fé­ren­cie un moyen de pro­duc­tion flexible à dyna­mique rapide, à l’échelle de la minute, d’un autre. Il est fort à parier que le sys­tème élec­trique euro­péen, sans la dyna­mique rapide de l’hydro, serait dif­fi­cile à garan­tir dans son équi­libre. Les habi­tudes des ges­tion­naires de réseau comme des tra­ders tiennent pour acquis cette source de flexi­bi­li­té. C’est le cas de l’hydro de lac mais sur­tout des STEP, car leur flexi­bi­li­té dans les deux sens double cette capa­ci­té, en tur­bi­nage et en pom­page, donc en injec­tion et en sou­ti­rage. Point qui devient de plus en plus impor­tant lors des heures en pro­duc­tion mar­gi­nale sur EnR.

Ain­si, le ges­tion­naire de réseau a for­te­ment valo­ri­sé chaque minute gagnée sur les temps de chan­ge­ment d’état (arrêt, tur­bine, pompe) de la récente STEP de Gil­boa en Israël (1 M€/mn.MW de péna­li­té et bonus pour le chan­ge­ment d’état de pompe à tur­bine). Par­tout, les hydrau­li­ciens accroissent la flexi­bi­li­té de leurs cen­trales (pro­gramme euro­péen XFLEX : vitesse variable, court-cir­cuit hydrau­lique, hybri­da­tion avec bat­te­rie, super­vi­seur d’optimisation) pour gagner en dyna­mique, afin de sai­sir les oppor­tu­ni­tés de mar­ché sur des pas d’échanges courts (15 mn) et valo­ri­ser la ges­tion de leur por­te­feuille, en mini­mi­sant la sol­li­ci­ta­tion des cen­trales à gaz et nucléaires et en com­pen­sant la varia­bi­li­té rapide des EnR.

Tous les autres services rendus

À l’échelle de la seconde, le modèle éco­no­mique des ser­vices sys­tème de contrôle de la fré­quence est héri­té du pas­sé, lorsqu’ils étaient un besoin à la marge. Leur rému­né­ra­tion sur le prin­cipe de la perte d’opportunité de vente de la pro­duc­tion sur le mar­ché, afin de contri­buer à l’équilibrage du sys­tème, ne prend pas en compte les coûts du capi­tal mobi­li­sé pour rendre le ser­vice. L’hydro y joue un rôle impor­tant, les bat­te­ries sont sur un seg­ment complémentaire.

De plus, les cen­trales hydro exis­tantes contri­buent aux marges néces­saires à l’équilibre du sys­tème sans rému­né­ra­tion de leur valeur assu­ran­tielle, valeur atta­chée à leur seule exis­tence, même à l’arrêt et hors mar­ché. Tout cela sans par­ler des autres ser­vices de l’hydro tels que le réglage de ten­sion et l’inertie des masses tour­nantes syn­chro­ni­sées, qui va deve­nir un bien pré­cieux pour contrô­ler la fré­quence alors que les EnR sont sous élec­tro­nique de puis­sance, donc non synchrones.

Revoir la conception du marché

La part pré­pon­dé­rante des sources à coût de com­bus­tible nul (EnR) ou faible (nucléaire) per­turbe le modèle his­to­rique d’empilement par coûts crois­sants des moyens de pro­duc­tion pour équi­li­brer la demande, visant à fixer le prix du mar­ché sur la der­nière cen­trale appe­lée au com­bus­tible le plus cher, cela pour ren­ta­bi­li­ser les inves­tis­se­ments dans un parc « équi­li­bré » (théo­rie du coût mar­gi­nal de déve­lop­pe­ment). Le poids des Capex (charges de capi­tal) des futurs inves­tis­se­ments en moyens de pro­duc­tion et de flexi­bi­li­té devient seul déterminant.

“L’Allemagne est déjà confrontée à la problématique de la flexibilité.”

La concep­tion du mar­ché de l’électricité (mar­ket desi­gn) est à revoir. Sa récente adap­ta­tion, à la suite de la guerre en Ukraine, dis­tingue d’une part l’hydro au fil de l’eau pour la sou­te­nir par des contrats pour dif­fé­rence (CFD) garan­tis­sant sa pro­fi­ta­bi­li­té par rap­port à un prix (coût) de réfé­rence et, d’autre part, l’hydro « flexible » (lac, STEP) pour la sou­te­nir par un méca­nisme de flexi­bi­li­té qui reste à conce­voir sur une base de rému­né­ra­tion à la capa­ci­té flexible dis­po­nible, tout en la com­bi­nant avec une inci­ta­tion d’exploitation sur le signal du mar­ché. On a fini par oublier que toute l’hydraulique, y com­pris l’hydroélectricité au fil de l’eau (ex. : Rhône, Danube) module de fait sa puis­sance pour répondre aux mar­chés infra­jour­na­liers et au méca­nisme d’ajustement (mobi­li­sa­tion des réserves pour contrô­ler la fréquence).

L’Allemagne est déjà confron­tée à la pro­blé­ma­tique de la flexi­bi­li­té et a révé­lé le poten­tiel de flexi­bi­li­té de la petite hydro­élec­tri­ci­té (Bavière, 2 900 MW ins­tal­lés, 1 000 MW de modu­la­tion) : des mil­liers de batteries.

Lac de Höllenstein, 
en Bavière, 
et sa centrale.
Lac de Höl­len­stein, en Bavière, et sa cen­trale. © familie-eisenlohr.de / Adobe Stock

Investir dans l’hydro

La future concep­tion du mar­ché du sys­tème élec­trique décar­bo­né devra non seule­ment abor­der les nou­veaux inves­tis­se­ments de l’hydro à la fois dans la flexi­bi­li­té et dans la pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable, mais aus­si s’intéresser à la pro­fi­ta­bi­li­té de la réno­va­tion du parc hydro exis­tant. Ce der­nier point a une impor­tance d’autant plus cri­tique que son volume signi­fi­ca­tif est indis­pen­sable à l’atteinte des objec­tifs ambi­tieux de décar­bo­na­tion dans une éco­no­mie de rare­té où les sources d’énergie renou­ve­lables sont pré­cieuses, du fait de la faible accep­ta­tion du public pour les nou­veaux pro­jets d’EnR et de leurs dif­fi­cul­tés de rac­cor­de­ment au réseau. Il ne s’agit pas d’abandonner des sources existantes.

Des prévisions de marché aléatoires

La concep­tion du mar­ché et la rému­né­ra­tion des ser­vices sys­tème sont à réin­ven­ter pour valo­ri­ser la flexi­bi­li­té telle que celle de l’hydro. Exer­cice déli­cat dans un ave­nir hau­te­ment incer­tain quant à la mise en œuvre effec­tive de la trans­for­ma­tion du sys­tème élec­trique, de l’abandon des cen­trales conven­tion­nelles vers le déve­lop­pe­ment des EnR, où les pré­vi­sions de prix, voire de struc­ture de prix, relèvent du pari alors que les temps d’amortissement sont longs. Exer­cice à peine com­men­cé pour valo­ri­ser la flexi­bi­li­té de l’hydro répar­tie comme la petite hydro, en réponse au chan­ge­ment de para­digme des réseaux de dis­tri­bu­tion qui sont deve­nus col­lec­teurs d’EnR variables et qui feront face aux rampes sou­daines de consom­ma­tion des charges rapides de véhi­cules électriques.

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