Petite hydro, grands enjeux


La « petite hydro » représente près de 10 % de la production hydroélectrique nationale et couvre des réalités industrielles extrêmement diversifiées. Elle recèle de grandes possibilités de développement et présente l’intérêt de mobiliser les acteurs locaux dans une démarche de coconstruction qui entraîne l’adhésion de la population.
La petite hydro peut être définie à travers un seuil de puissance ou le régime juridique (autorisation versus concession). De façon arbitraire, nous retenons un seuil de 10 MW. Il est important de noter que ce segment recouvre des réalités industrielles très contrastées : de la centrale hydroélectrique de quelques kilowatts installée dans un moulin à la centrale de plusieurs mégawatts adossée à un barrage de plusieurs dizaines de mètres de haut, formant un réservoir de plusieurs millions de mètres cubes.
CARTE D’IDENTITÉ DE LA PETITE HYDRO EN FRANCE
- 2 300 centrales
- 6 TWH/an de production (10 % de la production hydroélectrique)
- 2 460 MW de puissance installée
La petite hydro a tout d’une grande
Ses atouts sont ceux de l’hydroélectricité, de façon plus globale : une énergie décarbonée, des retombées économiques locales dans les vallées et une énergie pilotable lorsque l’aménagement dispose d’une capacité de stockage. C’est une énergie pleinement imbriquée dans les tissus industriels locaux et nationaux : un chantier de petite hydro présente ainsi un contenu local significatif (notamment de par sa composante « génie civil » qui permet de solliciter des entreprises de travaux publics locales), tout en s’appuyant sur une filière industrielle présente au niveau national, particulièrement dans l’arc alpin.
Enfin, ne faudrait-il pas réinterroger le terme de petite hydro ? Au-delà de la connotation qui peut être perçue comme péjorative (à titre de comparaison, on ne parle pas par exemple de « petit nucléaire » mais de SMR, small modular reactor), ce terme crée une séparation artificielle entre « grande » et « petite » hydro qui n’a pas nécessairement de sens, alors même que les enjeux sont souvent proches et qu’il y a urgence à moderniser et développer l’hydroélectricité dans son ensemble, petite ou grande.
Des modes de gouvernance innovants
Dans les zones de montagne, la force des cours d’eau est un gisement local pour produire une énergie renouvelable. Pour les collectivités locales de ces territoires, la petite hydro est une contribution concrète et efficace à la transition énergétique, qui permet la plupart du temps de valoriser les savoir-faire et les compétences locales.
« Les collectivités de ces territoires sont motrices. »
Les collectivités de ces territoires sont ainsi motrices pour identifier et soutenir les projets vertueux comme un des axes de leur politique énergétique. Leur implication peut prendre différentes formes et est un facteur clé de réussite du développement : identification des possibilités (elles établissent notamment des cartes des zones propices) ; implication dans la communication et les concertations sur le développement du projet avec les citoyens, riverains et parties concernées par le développement du projet (elles facilitent ainsi la coconstruction du projet et l’acceptation locale) ; soutien financier et partenariats (elles peuvent investir directement dans les sociétés de projet ou faciliter les partenariats entre acteurs publics et privés). Investir dans la société de projet leur permet de participer à la gouvernance du projet, en phase que ce soit de développement, de construction ou d’exploitation.
Un exemple vertueux
Par exemple, à Bozel en Savoie, la centrale du torrent du Bonrieu illustre l’efficacité de ce modèle. Avec une société associant Gaz Électricité de Grenoble (60 %) et la commune de Bozel (40 %), ce projet produit chaque année l’équivalent de la moitié de la consommation électrique de la commune. Par ce montage, la commune a été associée à toutes les décisions lors des différentes phases de développement du projet : choix de conception de l’installation, instruction administrative, décision de recruter un écologue pour suivre le chantier, consultation des entreprises, financement, exploitation. Cette association dès l’origine a contribué à développer un projet soutenu par les habitants, intégré dans l’environnement et le paysage naturel, avec une écoute et des réponses aux attentes et besoins spécifiques des agriculteurs et des riverains, et une réalisation de la construction par des entreprises pour la plupart locales.

Quelles perspectives pour la petite hydro ?
Le développement de la petite hydro repose tant sur l’amélioration et l’optimisation des aménagements existants que sur de nouveaux aménagements. Des optimisations sur les aménagements existants peuvent permettre d’augmenter les puissances ou les productibles. La réhabilitation complète de la centrale hydroélectrique EDSB de Roche-Percée à Briançon dans les Hautes-Alpes (photo ci-dessus) en est une belle illustration : le patrimoine industriel de cette usine centenaire a été complètement remis à neuf et la production a augmenté de 10 %.
De plus, la turbine hydroélectrique unique préexistante a été remplacée par deux turbines de puissances différentes, ce qui permet d’améliorer le rendement de l’installation en période de bas débit, manière de s’adapter aux effets du changement climatique, avec des étiages estivaux qui s’allongent. Ensuite, il existe encore un espace pour de nouveaux aménagements. Cela recouvre des réalités industrielles diversifiées, depuis le turbinage de l’eau des réseaux anthropisés (neige de culture, eau potable, irrigation), en passant par la construction de nouveaux aménagements sur des seuils existants ou des sites dits vierges, jusqu’aux micro-STEP.
L’ambition globale pour la filière hydroélectrique inscrite dans la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie est de 1,1 GW d’ici 2035 (hors STEP), dont environ 500 MW pour les installations autorisées < 4,5 MW. Les freins sont toutefois nombreux et de nature multiple (administratif, juridique, acceptabilité, etc.).
Des signaux encourageants
La petite hydro a ainsi toute sa part dans la transition énergétique en cours. Chaque projet est « cousu main », afin de trouver à l’échelle des territoires les compromis les plus pertinents entre les enjeux énergétiques ou environnementaux et les usages autres de la ressource en eau (irrigation, tourisme, etc.). Chaque nouveau projet, neuf ou rénové, marie optimisation énergétique du site et contraintes environnementales, en concertation avec les autorités administratives, les élus, les riverains, les usagers de l’eau et les associations.
Dans les territoires de montagne, c’est une réponse déterminante à l’urgence climatique : au niveau national, ce sont près de 2 000 « zones propices à l’implantation d’installations hydroélectriques » qui ont été identifiées par les communes – tout particulièrement en zone de montagne – à la suite du travail cartographique réalisé dans le cadre de la mise en œuvre de la loi d’accélération de la production des énergies renouvelables, dite APER. Certes, ne se feront que les projets viables économiquement, respectant les équilibres écologiques et répondant aux attentes territoriales, mais c’est un signal extrêmement encourageant qui illustre parfaitement l’envie de développement hydroélectrique des territoires.