Prise d’eau de la centrale hydroélectrique de Bozel (Savoie). © Bruno Lavit

Petite hydro, grands enjeux

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Christine GOCHARD (X91)
Par Timothée OLLIVIER

La « petite hydro » repré­sente près de 10 % de la pro­duc­tion hydro­élec­trique natio­nale et couvre des réa­li­tés indus­trielles extrê­me­ment diver­si­fiées. Elle recèle de grandes pos­si­bi­li­tés de déve­lop­pe­ment et pré­sente l’intérêt de mobi­li­ser les acteurs locaux dans une démarche de cocons­truc­tion qui entraîne l’adhésion de la population.

La petite hydro peut être défi­nie à tra­vers un seuil de puis­sance ou le régime juri­dique (auto­ri­sa­tion ver­sus conces­sion). De façon arbi­traire, nous rete­nons un seuil de 10 MW. Il est impor­tant de noter que ce seg­ment recouvre des réa­li­tés indus­trielles très contras­tées : de la cen­trale hydro­élec­trique de quelques kilo­watts ins­tal­lée dans un mou­lin à la cen­trale de plu­sieurs méga­watts ados­sée à un bar­rage de plu­sieurs dizaines de mètres de haut, for­mant un réser­voir de plu­sieurs mil­lions de mètres cubes.


CARTE D’IDENTITÉ DE LA PETITE HYDRO EN FRANCE

  • 2 300 centrales 
  • 6 TWH/an de pro­duc­tion (10 % de la pro­duc­tion hydroélectrique)
  • 2 460 MW de puis­sance installée

La petite hydro a tout d’une grande

Ses atouts sont ceux de l’hydroélectricité, de façon plus glo­bale : une éner­gie décar­bo­née, des retom­bées éco­no­miques locales dans les val­lées et une éner­gie pilo­table lorsque l’aménagement dis­pose d’une capa­ci­té de sto­ckage. C’est une éner­gie plei­ne­ment imbri­quée dans les tis­sus indus­triels locaux et natio­naux : un chan­tier de petite hydro pré­sente ain­si un conte­nu local signi­fi­ca­tif (notam­ment de par sa com­po­sante « génie civil » qui per­met de sol­li­ci­ter des entre­prises de tra­vaux publics locales), tout en s’appuyant sur une filière indus­trielle pré­sente au niveau natio­nal, par­ti­cu­liè­re­ment dans l’arc alpin.

Enfin, ne fau­drait-il pas réin­ter­ro­ger le terme de petite hydro ? Au-delà de la conno­ta­tion qui peut être per­çue comme péjo­ra­tive (à titre de com­pa­rai­son, on ne parle pas par exemple de « petit nucléaire » mais de SMR, small modu­lar reac­tor), ce terme crée une sépa­ra­tion arti­fi­cielle entre « grande » et « petite » hydro qui n’a pas néces­sai­re­ment de sens, alors même que les enjeux sont sou­vent proches et qu’il y a urgence à moder­ni­ser et déve­lop­per l’hydroélectricité dans son ensemble, petite ou grande.

Des modes de gouvernance innovants

Dans les zones de mon­tagne, la force des cours d’eau est un gise­ment local pour pro­duire une éner­gie renou­ve­lable. Pour les col­lec­ti­vi­tés locales de ces ter­ri­toires, la petite hydro est une contri­bu­tion concrète et effi­cace à la tran­si­tion éner­gé­tique, qui per­met la plu­part du temps de valo­ri­ser les savoir-faire et les com­pé­tences locales.

« Les collectivités de ces territoires sont motrices. »

Les col­lec­ti­vi­tés de ces ter­ri­toires sont ain­si motrices pour iden­ti­fier et sou­te­nir les pro­jets ver­tueux comme un des axes de leur poli­tique éner­gé­tique. Leur impli­ca­tion peut prendre dif­fé­rentes formes et est un fac­teur clé de réus­site du déve­lop­pe­ment : iden­ti­fi­ca­tion des pos­si­bi­li­tés (elles éta­blissent notam­ment des cartes des zones pro­pices) ; impli­ca­tion dans la com­mu­ni­ca­tion et les concer­ta­tions sur le déve­lop­pe­ment du pro­jet avec les citoyens, rive­rains et par­ties concer­nées par le déve­lop­pe­ment du pro­jet (elles faci­litent ain­si la cocons­truc­tion du pro­jet et l’acceptation locale) ; sou­tien finan­cier et par­te­na­riats (elles peuvent inves­tir direc­te­ment dans les socié­tés de pro­jet ou faci­li­ter les par­te­na­riats entre acteurs publics et pri­vés). Inves­tir dans la socié­té de pro­jet leur per­met de par­ti­ci­per à la gou­ver­nance du pro­jet, en phase que ce soit de déve­lop­pe­ment, de construc­tion ou d’exploitation.

Un exemple vertueux

Par exemple, à Bozel en Savoie, la cen­trale du tor­rent du Bon­rieu illustre l’efficacité de ce modèle. Avec une socié­té asso­ciant Gaz Élec­tri­ci­té de Gre­noble (60 %) et la com­mune de Bozel (40 %), ce pro­jet pro­duit chaque année l’équivalent de la moi­tié de la consom­ma­tion élec­trique de la com­mune. Par ce mon­tage, la com­mune a été asso­ciée à toutes les déci­sions lors des dif­fé­rentes phases de déve­lop­pe­ment du pro­jet : choix de concep­tion de l’installation, ins­truc­tion admi­nis­tra­tive, déci­sion de recru­ter un éco­logue pour suivre le chan­tier, consul­ta­tion des entre­prises, finan­ce­ment, exploi­ta­tion. Cette asso­cia­tion dès l’origine a contri­bué à déve­lop­per un pro­jet sou­te­nu par les habi­tants, inté­gré dans l’environnement et le pay­sage natu­rel, avec une écoute et des réponses aux attentes et besoins spé­ci­fiques des agri­cul­teurs et des rive­rains, et une réa­li­sa­tion de la construc­tion par des entre­prises pour la plu­part locales.

Centrale hydro-électrique de Roche-Percée (Hautes-Alpes) rénovée avec les nouveaux et les anciens groupes de production. © EDSB
Cen­trale hydro-élec­trique de Roche-Per­cée (Hautes-Alpes) réno­vée avec les nou­veaux et les anciens groupes de pro­duc­tion. © EDSB

Quelles perspectives pour la petite hydro ?

Le déve­lop­pe­ment de la petite hydro repose tant sur l’amélioration et l’optimisation des amé­na­ge­ments exis­tants que sur de nou­veaux amé­na­ge­ments. Des opti­mi­sa­tions sur les amé­na­ge­ments exis­tants peuvent per­mettre d’augmenter les puis­sances ou les pro­duc­tibles. La réha­bi­li­ta­tion com­plète de la cen­trale hydro­élec­trique EDSB de Roche-Per­cée à Brian­çon dans les Hautes-Alpes (pho­to ci-des­sus) en est une belle illus­tra­tion : le patri­moine indus­triel de cette usine cen­te­naire a été com­plè­te­ment remis à neuf et la pro­duc­tion a aug­men­té de 10 %.

De plus, la tur­bine hydro­élec­trique unique pré­exis­tante a été rem­pla­cée par deux tur­bines de puis­sances dif­fé­rentes, ce qui per­met d’améliorer le ren­de­ment de l’installation en période de bas débit, manière de s’adapter aux effets du chan­ge­ment cli­ma­tique, avec des étiages esti­vaux qui s’allongent. Ensuite, il existe encore un espace pour de nou­veaux amé­na­ge­ments. Cela recouvre des réa­li­tés indus­trielles diver­si­fiées, depuis le tur­bi­nage de l’eau des réseaux anthro­pi­sés (neige de culture, eau potable, irri­ga­tion), en pas­sant par la construc­tion de nou­veaux amé­na­ge­ments sur des seuils exis­tants ou des sites dits vierges, jusqu’aux micro-STEP.

L’ambition glo­bale pour la filière hydro­élec­trique ins­crite dans la der­nière pro­gram­ma­tion plu­ri­an­nuelle de l’énergie est de 1,1 GW d’ici 2035 (hors STEP), dont envi­ron 500 MW pour les ins­tal­la­tions auto­ri­sées < 4,5 MW. Les freins sont tou­te­fois nom­breux et de nature mul­tiple (admi­nis­tra­tif, juri­dique, accep­ta­bi­li­té, etc.).

Des signaux encourageants

La petite hydro a ain­si toute sa part dans la tran­si­tion éner­gé­tique en cours. Chaque pro­jet est « cou­su main », afin de trou­ver à l’échelle des ter­ri­toires les com­pro­mis les plus per­ti­nents entre les enjeux éner­gé­tiques ou envi­ron­ne­men­taux et les usages autres de la res­source en eau (irri­ga­tion, tou­risme, etc.). Chaque nou­veau pro­jet, neuf ou réno­vé, marie opti­mi­sa­tion éner­gé­tique du site et contraintes envi­ron­ne­men­tales, en concer­ta­tion avec les auto­ri­tés admi­nis­tra­tives, les élus, les rive­rains, les usa­gers de l’eau et les associations.

Dans les ter­ri­toires de mon­tagne, c’est une réponse déter­mi­nante à l’urgence cli­ma­tique : au niveau natio­nal, ce sont près de 2 000 « zones pro­pices à l’implantation d’installations hydro­élec­triques » qui ont été iden­ti­fiées par les com­munes – tout par­ti­cu­liè­re­ment en zone de mon­tagne – à la suite du tra­vail car­to­gra­phique réa­li­sé dans le cadre de la mise en œuvre de la loi d’accélération de la pro­duc­tion des éner­gies renou­ve­lables, dite APER. Certes, ne se feront que les pro­jets viables éco­nomiquement, res­pec­tant les équi­libres éco­lo­giques et répon­dant aux attentes ter­ri­to­riales, mais c’est un signal extrê­me­ment encou­ra­geant qui illustre par­fai­te­ment l’envie de déve­lop­pe­ment hydro­élec­trique des territoires.

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