Étymologie :
À propos de l’hydroélectricité

Dans ses Harmonies de la Nature (1815), Bernardin de Saint-Pierre qualifie d’hydro-électrique le sommet des montagnes « parce qu’ils attirent à la fois le feu et l’eau », c’est-à-dire la foudre et la pluie. D’autre part, on qualifiait d’hydro-électrique la pile inventée en 1800 par Alessandro Volta, constituée effectivement d’un empilement de rondelles de métaux séparées par des chiffons imprégnés d’une solution aqueuse. À l’opposé des générateurs électrostatiques existants, cette pile électrique nécessitait de l’eau, d’où le qualificatif hydro-électrique, encore employé par Henri Poincaré en 1892.
Cependant, ce qui précède n’a rien à voir avec l’hydroélectricité objet du présent dossier, apparue avec les premières centrales hydroélectriques dans les années 1880 en Europe, en Amérique du Nord, en Inde… et l’anglais hydro-electricity est attesté dans ce contexte en 1904. Le préfixe hydro- est d’origine grecque (cf. ÉtymologiX d’octobre 2024 à propos de l’eau) et le mot électricité également, comme on va le voir.
Le brillant du soleil, de l’ambre jaune et de l’électrum
Le point de départ est l’adjectif grec êlektôr « brillant », qui qualifiait le feu en tant qu’élément et surtout le soleil lumineux. D’êlektôr dérive le grec êlektron, désignant l’ambre jaune. Selon la légende, les filles du Soleil, les Héliades, pleuraient la mort de leur frère et leurs larmes sont devenues des perles d’ambre jaune. Le grec êlectron désignait aussi par analogie un alliage d’or et d’argent, d’un même jaune brillant que l’ambre jaune. Selon Pline, « Lorsque la proportion d’argent est d’un cinquième, le métal s’appelle electrum », d’où électrum, le nom de l’alliage d’or et d’argent utilisé dans l’Antiquité pour les pièces de monnaie, les bijoux ou les pyramidions des obélisques en Égypte.
De l’ambre gris à l’ambre jaune et à l’électricité
Le mot ambre lui-même, venant de l’arabe ‘anbar, désigne dès le XIIe siècle la substance musquée rejetée à la mer par les cétacés, c’est-à-dire l’ambre gris. À partir du XVIIe siècle, ce mot s’est appliqué aussi à l’ambre jaune, par analogie entre les deux substances récoltées à la surface de la mer ou sur les plages, notamment sur et autour de la Baltique.
Ainsi, le latin electrum (ou ses dérivés en bas latin et ancien français) ne désigne plus l’ambre jaune depuis longtemps, et pourtant c’est dans ce sens ancien qu’il a un prolongement vers les mots de l’électricité. En effet, les humains ont remarqué depuis toujours les manifestations de l’électricité statique. Pline écrit dans le Livre XXXVII, le dernier de son Histoire naturelle : « Quand [l’ambre jaune] reçoit des doigts qui le frottent une bouffée de chaleur, il attire à lui les pailles, les feuilles sèches et les écorces, comme la pierre magnétique attire le fer. » Ce parallèle entre l’électrostatique et le magnétisme semble annoncer l’électromagnétisme !
Beaucoup plus tard, le physicien anglais William Gilbert a eu l’idée en 1600 de s’inspirer du nom gréco-latin de l’ambre jaune pour créer l’adjectif electricus, qualifiant ce pouvoir d’attraction non magnétique. De là viennent en anglais electric (1626), electricity (1646), mots empruntés par la plupart des autres langues.
Épilogue
La structure de l’atome n’a été comprise qu’à la toute fin du XVIIIe siècle : un noyau positif entouré de particules négatives, auxquelles le physicien anglais J. J. Thomson a donné en 1897 le nom electron, presque universel. Du grec êlektron, nom de l’ambre jaune à l’électron de l’électronique, la boucle était bouclée.
En illustration : L’image, adaptée d’un document d’Hydro-Québec, illustre le cycle de l’eau et les échanges entre les différentes énergies, qui reviennent finalement à convertir l’énergie solaire en production hydroélectrique. L’image illustre aussi la vision poético-mystique de Bernardin de Saint Pierre, qui qualifiait les montagnes de sources hydro-électriques des rivières.