Henri Dagallier (X1912) et l’essor de l’hydraulique grenobloise

Le début de cette histoire est un conte. La fin est triste. Mais entretemps quelle belle aventure ! Hommage à Henri Dagallier (X1912), un patron qui avait de vraies valeurs.
Sorti cinquième de l’X, cet X Mines, sorti quatrième dans le corps, promis à la direction d’un groupe majeur de notre pays, s’éprit d’une jeune fille dans une petite ville d’une province reculée. Ils s’épousèrent et eurent de nombreux enfants.
À Grenoble, début avril 1920, Henri Dagallier (1893−1979) donc épousa Anne Beylier, plus jeune que lui de quatre ans. Ils eurent deux enfants, Bernard né en 1921 – l’année de l’affectation à Grenoble de son père, comme X Mines ; l’année aussi de la mort du grand-père, Gaston – et Anne-Marie, née début juillet 1922 ; cinq jours plus tard, le 11 juillet 1922, Anne mourait des suites de cet accouchement ; elle avait 24 ans seulement. Marthe Beylier, sœur d’Anne et donc belle-sœur d’Henri, se précipita pour lui porter secours et l’aider à élever ses tout jeunes enfants.
Marthe avait alors 24 ans. Henri l’épousa le 23 février 1924 ; ils eurent ensemble 12 (douze !) enfants – par conséquent un total de 14 (9 garçons et 5 filles) pour Henri. Ils vécurent au 2 de la place de l’Étoile, à Grenoble, une grande belle demeure bourgeoise, proche du centre-ville. Grenoble comptait alors seulement environ 80 000 habitants.
Un patronat catholique
Henri Dagallier avait fait de brillantes études – plus de 17 de moyenne aux examens des Mines tant en seconde qu’en troisième année. Ses deux frères, son aîné Jean (X1909, ingénieur hydrographe) et son cadet François (X1923, né en 1903 à Grenoble, il eut 10 enfants) furent aussi polytechniciens ; tout comme leur père Gaston (X1884), issu d’une famille de magistrats. Dagallier commença l’année 1924 comme adjoint de Maurice Gariel (1884−1960) à la tête de Neyret-Beylier-Piccard-Pictet, l’entreprise d’hydraulique que son beau-père avait contribué à créer, renommée Neyrpic peu après.
“La direction était surnommée la Sainte Trinité par le personnel.”
Ils se donnèrent en 1928 une autre recrue, d’une exceptionnelle créativité, Pierre Danel (1902−1966), un centralien, pour recruter et diriger le groupe des ingénieurs. Tous trois étaient des catholiques fervents et convaincus : la direction était surnommée la Sainte Trinité par le personnel ; cette équipe occupa la tête de l’entreprise 40 ans durant ; ce n’était pas l’éternité, mais ça y ressemblait.

Un patronat humaniste
Entretemps, sous l’impulsion de son maire urbaniste et bâtisseur Paul Mistral (1872−1932), Grenoble fêta en 1925 l’hydroélectricité, la « houille blanche », par une exposition grandiose que célèbre encore aujourd’hui une tour en béton de 80 m de haut, édifiée par Auguste Perret, grand architecte s’il en fut. En 1939, Neyrpic comptait 650 ouvriers et 225 employés. Au milieu du XXe siècle, s’inspirant du catholicisme social, Maurice Gariel et Henri Dagallier s’efforçaient de concilier gains de productivité et fabrications forcément peu standardisées (turbines), de gérer plusieurs milliers de personnes, d’impliquer le personnel dans la réussite de l’entreprise, peut-être surtout d’offrir à chacun une possibilité d’évolution professionnelle et sociale : programme ambitieux. Il buta en effet sur des difficultés majeures : singularité de chacun des équipements hydrauliques ; financement, dont les salaires des ingénieurs, d’une innovation technologique continue ; grande crise économique de 1929–1930 ; Seconde Guerre mondiale ; difficile percée à l’international.

Hélas un échec final
La fin de cette histoire fut immorale et brutale. En 1962, pour mettre fin à une grève, Henri Dagallier, chrétien et humaniste, offrit aux syndicats un contrat généreux et imaginatif, qui aurait pu faire tache d’huile dans tout le pays. Le patronat français prit peur. Georges Glasser (X1926, corps des Ponts et grand tennisman), PDG d’Alsthom comme cela s’écrivait alors, fut choisi pour y mettre fin. Les banques coupèrent net leurs prêts, Dagallier fut contraint de se retirer et Glasser lui succéda. Au bout de quelques années, cette branche hydraulique d’Alsthom fut rachetée par General Electric et ce fut la fin de Neyrpic à Grenoble-Beauvert. Henri Dagallier vécut jusqu’en 1979. Henri Dagallier fut un PDG d’une ample et généreuse vision.