Fiche matricule d’élève de l’École polytechnique d’Henri Dagallier (X1912).

Henri Dagallier (X1912) et l’essor de l’hydraulique grenobloise

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°803 Mars 2025
Par Pierre LASZLO

Le début de cette his­toire est un conte. La fin est triste. Mais entre­temps quelle belle aven­ture ! Hom­mage à Hen­ri Dagal­lier (X1912), un patron qui avait de vraies valeurs.

Sorti cin­quième de l’X, cet X Mines, sor­ti qua­trième dans le corps, pro­mis à la direc­tion d’un groupe majeur de notre pays, s’éprit d’une jeune fille dans une petite ville d’une pro­vince recu­lée. Ils s’épousèrent et eurent de nom­breux enfants. 

À Gre­noble, début avril 1920, Hen­ri Dagal­lier (1893−1979) donc épou­sa Anne Bey­lier, plus jeune que lui de quatre ans. Ils eurent deux enfants, Ber­nard né en 1921 – l’année de l’affectation à Gre­noble de son père, comme X Mines ; l’année aus­si de la mort du grand-père, Gas­ton – et Anne-Marie, née début juillet 1922 ; cinq jours plus tard, le 11 juillet 1922, Anne mou­rait des suites de cet accou­che­ment ; elle avait 24 ans seule­ment. Marthe Bey­lier, sœur d’Anne et donc belle-sœur d’Henri, se pré­ci­pi­ta pour lui por­ter secours et l’aider à éle­ver ses tout jeunes enfants. 

Marthe avait alors 24 ans. Hen­ri l’épousa le 23 février 1924 ; ils eurent ensemble 12 (douze !) enfants – par consé­quent un total de 14 (9 gar­çons et 5 filles) pour Hen­ri. Ils vécurent au 2 de la place de l’Étoile, à Gre­noble, une grande belle demeure bour­geoise, proche du centre-ville. Gre­noble comp­tait alors seule­ment envi­ron 80 000 habitants.

Un patronat catholique

Hen­ri Dagal­lier avait fait de brillantes études – plus de 17 de moyenne aux exa­mens des Mines tant en seconde qu’en troi­sième année. Ses deux frères, son aîné Jean (X1909, ingé­nieur hydro­graphe) et son cadet Fran­çois (X1923, né en 1903 à Gre­noble, il eut 10 enfants) furent aus­si poly­tech­ni­ciens ; tout comme leur père Gas­ton (X1884), issu d’une famille de magis­trats. Dagal­lier com­men­ça l’année 1924 comme adjoint de Mau­rice Gariel (1884−1960) à la tête de Ney­ret-Bey­lier-Pic­card-Pic­tet, l’entreprise d’hydraulique que son beau-père avait contri­bué à créer, renom­mée Neyr­pic peu après.

“La direction était surnommée la Sainte Trinité par le personnel.”

Ils se don­nèrent en 1928 une autre recrue, d’une excep­tion­nelle créa­ti­vi­té, Pierre Danel (1902−1966), un cen­tra­lien, pour recru­ter et diri­ger le groupe des ingé­nieurs. Tous trois étaient des catho­liques fer­vents et convain­cus : la direc­tion était sur­nom­mée la Sainte Tri­ni­té par le per­son­nel ; cette équipe occu­pa la tête de l’entreprise 40 ans durant ; ce n’était pas l’éternité, mais ça y ressemblait.

Turbine Neyrpic de 1953.
Tur­bine Neyr­pic de 1953. © Xar­boule / CC BY-SA 4.0

Un patronat humaniste

Entre­temps, sous l’impulsion de son maire urba­niste et bâtis­seur Paul Mis­tral (1872−1932), Gre­noble fêta en 1925 l’hydroélectricité, la « houille blanche », par une expo­si­tion gran­diose que célèbre encore aujourd’hui une tour en béton de 80 m de haut, édi­fiée par Auguste Per­ret, grand archi­tecte s’il en fut. En 1939, Neyr­pic comp­tait 650 ouvriers et 225 employés. Au milieu du XXe siècle, s’inspirant du catho­li­cisme social, Mau­rice Gariel et Hen­ri Dagal­lier s’efforçaient de conci­lier gains de pro­duc­ti­vi­té et fabri­ca­tions for­cé­ment peu stan­dar­di­sées (tur­bines), de gérer plu­sieurs mil­liers de per­sonnes, d’impliquer le per­son­nel dans la réus­site de l’entreprise, peut-être sur­tout d’offrir à cha­cun une pos­si­bi­li­té d’évolution pro­fes­sion­nelle et sociale : pro­gramme ambi­tieux. Il buta en effet sur des dif­fi­cul­tés majeures : sin­gu­la­ri­té de cha­cun des équi­pe­ments hydrau­liques ; finan­ce­ment, dont les salaires des ingé­nieurs, d’une inno­va­tion tech­no­lo­gique conti­nue ; grande crise éco­no­mique de 1929–1930 ; Seconde Guerre mon­diale ; dif­fi­cile per­cée à l’inter­national.

Sortie de l’usine Neyrpic dans les années 1960.
Sor­tie de l’usine Neyr­pic dans les années 1960. © Gene­ral Elec­tric Grenoble

Hélas un échec final

La fin de cette his­toire fut immo­rale et bru­tale. En 1962, pour mettre fin à une grève, Hen­ri Dagal­lier, chré­tien et huma­niste, offrit aux syn­di­cats un contrat géné­reux et ima­gi­na­tif, qui aurait pu faire tache d’huile dans tout le pays. Le patro­nat fran­çais prit peur. Georges Glas­ser (X1926, corps des Ponts et grand ten­nis­man), PDG d’Alsthom comme cela s’écrivait alors, fut choi­si pour y mettre fin. Les banques cou­pèrent net leurs prêts, Dagal­lier fut contraint de se reti­rer et Glas­ser lui suc­cé­da. Au bout de quelques années, cette branche hydrau­lique d’Alsthom fut rache­tée par Gene­ral Elec­tric et ce fut la fin de Neyr­pic à Gre­noble-Beau­vert. Hen­ri Dagal­lier vécut jusqu’en 1979. Hen­ri Dagal­lier fut un PDG d’une ample et géné­reuse vision. 

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