Les industries de l’Internet
Une révolution des modes de communication
Une révolution des modes de communication
Considérer l’Internet comme révolutionnaire est devenu un lieu commun. Parce qu’on lui a prêté la capacité d’engendrer une nouvelle société dite » de l’information » (voire » digitale » ou pourquoi pas » virtuelle » !), parce que son usage quotidien s’est effectivement imposé en quelques années à des millions d’individus, l’Internet a suscité un intérêt médiatique exceptionnel et est devenu un axe de réflexion stratégique incontournable pour tout acteur économique.
L’Internet s’inscrit pourtant logiquement dans la ligne des progrès spectaculaires et convergents des technologies de l’information et de la communication depuis quarante ans : la rapidité de son déploiement est le fruit enfin mûr d’une masse critique d’infrastructures (réseaux et PC), de la qualité (intelligence, simplicité et capacité d’adaptation) de technologies Internet universellement acceptées et d’une demande impatiente de se manifester (aux USA tout d’abord, pauvres en services » télématiques »).
L’ampleur du phénomène a toutefois surpris, comme une révolution longtemps annoncée qu’on ne voit pas venir. Sa » prise » est ainsi un bel exemple pour l’histoire industrielle de cristallisation massive autour d’un usage après une (relativement) longue maturation où les potentialités offertes par la technologie sont pressenties, sans que les modalités de leur réalisation puissent être définies avec certitude.
Trois facteurs en garantissent la solidité, l’ampleur et la durée, au-delà des incertitudes ou des excès propres à toute révolution : les performances de l’infrastructure, l’universalité du média, l’émergence d’une application déterminante.
Une infrastructure de plus en plus performante
Les investissements dans les réseaux (de la pose de nouvelles » lignes » de télécommunications à hauts débits1 aux équipements de transmission de données) croissent actuellement plus vite que ce qui était généralement escompté il y a quelques années, pour combler un déficit désormais patent de puissance. Associée aux progrès de l’infrastructure » télématique « 2, la facilité d’écriture, d’intégration et des applications logicielles augure bien de la performance des services offerts via l’Internet.
Un médium universel
L’Internet est bien le fédérateur de l’interopérabilité des réseaux de communications » tout média « .
Suscitant à la fois une extension considérable des capacités de communication et une modification qualitative spectaculaire de leurs contenus, l’Internet s’est rapidement imposé comme réseau de convergence pour la circulation de tout type d’informations, comme support privilégié des transactions et des services » immatériels » ; même si de nombreux progrès préparés dans le cadre de la nouvelle génération demeurent indispensables, en matière de sécurité notamment ; même si les prévisions de calendrier avancées pour un déploiement massif des usages grand public sont plus prudentes que pour les relations interorganisations où les flux de communications de données structurées existent déjà depuis longtemps3.
Une immense demande latente
On assiste avec le commerce dit électronique (au sens large le e‑business des Anglo-Saxons qui vise tout échange d’information à vocation transactionnelle – marchande ou non marchande – sur le réseau) à l’émergence d’une application déterminante, préparée certes par des décennies de transactions électroniques, mais dont les potentialités sont soudainement révélées par la puissance des technologies mises en œuvre.
En rendant tangible la capacité à nouer des relations directes, riches d’un contenu informatif de qualité professionnelle, interactives et peu coûteuses, avec une multitude de clients, de citoyens ou tout autre individu (et non seulement un nombre restreint de partenaires ou collaborateurs), l’Internet permet bien la révolution depuis longtemps rêvée des télécommunications, à fort impact sur les modalités de l’échange.
À défaut de bouleverser profondément notre existence quotidienne et de modifier de fond en comble les relations sociales, ce qui est discutable et de plus en plus contesté par les esprits sages, l’Internet révèle progressivement une force de restructuration du système économique bien supérieure à la diffusion du téléphone ou du micro-ordinateur ; et la comparaison depuis longtemps tentée avec l’impact de la diffusion large de sources d’énergies bon marché (et des outils pour en tirer parti) qui a présidé aux premières révolutions industrielles ne manque pas de pertinence.
Il y a donc bien révolution, révolution » industrielle » et économique d’abord, dont l’impact sur la société et les usages sera progressif. Cette révolution industrielle n’en est probablement qu’à son prélude, et la » nouvelle économie » qu’à ses balbutiements. Quelques caractères en sont toutefois désormais mieux cernés, permettant de risquer des investissements de plus en plus lourds sur une nouvelle structuration de l’activité économique et les nouveaux métiers associés.
C’est à cette structuration et ces métiers nouveaux, ainsi qu’à l’évolution des métiers existants profondément bouleversés par l’Internet, ceux de l’intermédiation en particulier, que nous nous intéresserons4.
Les métiers de l’Internet
Une des conséquences majeures et amplement soulignée du rôle déterminant pris par Internet comme médium multimédia de référence est d’abord le découplage permis entre un réseau à vocation générale et les types divers d’usages qu’il supporte. Entre, pour parler métiers, la gestion de la connectivité d’une part, l’offre d’innombrables services spécialisés d’autre part.
Entre les deux, les plus incertains, les plus stratégiques sans doute, l’objet des convoitises en tout cas convergentes des acteurs en place comme des nouveaux venus : les métiers de l’intermédiation (services et systèmes d’information sous-jacents).
Dualité simplificatrice, à laquelle on peut préférer le triptyque : connectivité, intermédiation, usages5 ; triptyque pertinent à la fois pour les services (opération du réseau, services génériques d’intermédiation, services spécialisés) et pour l’infrastructure de support (infrastructure de connectivité, systèmes d’information étendus, terminaux).
Alors que les métiers de la connectivité pure devraient obéir à une logique implacable de globalisation (et de concentration des acteurs), ceux des usages se diversifieront d’autant plus que la puissance interactive du réseau fait de tout » usager » un offreur potentiel de services.
Une infrastructure en chantier
Une boutade d’un industriel américain exprime bien l’enjeu formidable que représente Internet pour des fournisseurs d’infrastructure souvent moins médiatisés que les offreurs de services : » c’est comme la ruée vers l’or en Californie. Très peu de chercheurs d’or ont fait fortune. En revanche, ceux qui ont fourni l’épicerie, les outils et le transport ont amassé de jolis magots « 6.
L’infrastructure de connectivité
En tant que médium unifiant de communication, l’Internet impose un saut quantitatif et qualitatif dans les réseaux et provoque une évolution profonde des industries des télécommunications.
Après une mauvaise anticipation des modalités et du calendrier de la fameuse convergence, et l’échec des tentatives de constitution de groupes mixtes informatique et télécommunications (ATT-NCR par exemple), après une phase de scepticisme parfois (reflétant celui des opérateurs historiques sur l’ampleur des investissements à réaliser7 ou sur leur nature : part d’adaptation des réseaux existants et performance des technologies correspondantes comme l’ADSL), l’Internet redistribue les cartes.
L’accès aux technologies » informatiques » de transmissions de données en particulier est devenu critique (Nortel-Bay networks, puis Lucent-Ascend, pour évoquer les plus grosses opérations par croissance externe dans ce domaine).
Une nouvelle informatique au cœur de l’économie nouvelle
L’Internet, fruit et stimulant de l’informatisation progressive des activités professionnelles et personnelles, ouvre des opportunités exceptionnelles à l’industrie informatique, d’ores et déjà exploitées par les spécialistes d’équipements de réseaux (comme Cisco) ou l’industrie du micro-ordinateur, au cœur industriel de la première vague Internet.
Le déploiement du commerce électronique suscite le développement d’une offre tout à fait stratégique pour la nouvelle économie autour des outils logiciels d’intermédiation et d’administration sécurisée des réseaux, des applications et des données, ainsi que de leur intégration efficace au cœur des systèmes d’information et de communication des organisations à vocation transactionnelle (logiciels de BEA par exemple).
Il suscite en effet un renouvellement profond des systèmes d’information repensés fonctionnellement (à partir du CRM : Customer Relationship Management), du » front office » aux serveurs d’applications et de stockage de données en réseaux.
L’industrie informatique, à laquelle la numérisation généralisée des » informations » ouvre des perspectives quasi illimitées de développement, est bien au cœur de l’économie nouvelle, à la fois fournisseur des spécialistes de la connectivité, des professionnels de l’intermédiation, et des » usagers » (de la grande organisation à l’individu).
Elle est aussi certainement, dans sa courte mais riche histoire, le prototype de la révolution industrielle en cours, avec la spécialisation progressive de ses métiers (de l’offre d’infrastructure à l’opération des fonctions informatisées, en passant par les services d’architecture et d’intégration) et le degré variable de globalisation de ses activités.
Une industrie des terminaux portée par l’explosion des usages
En tant que vecteur de la convergence multimédia, l’Internet offre de vastes perspectives aux industriels de l’électronique grand public pour répondre à la demande de terminaux bien adaptés d’accès au réseau.
Le combat spectaculaire (pré-Internet) entre la télévision interactive et le micro-ordinateur (ou plus récemment entre le » network computer » et le micro-ordinateur) pour prétendre au rôle de terminal unique du futur paraît bien réducteur, alors que la diversité des usages de plus en plus véhiculés par l’Internet (se divertir, échanger des informations, conclure une transaction…) non seulement demeure mais s’accroît.
Cette diversité des usages devrait générer, pour accéder à la vaste palette d’applications correspondantes, des terminaux optimisés pour les mettre en œuvre, même si le micro-ordinateur ou ses successeurs directs demeurent l’outil dominant. L’histoire des techniques enseigne en tout cas la prudence envers les outils à tout faire !
La bataille des services
Les services de connectivité
En tant que réseau de convergence de tout type de communications, canal économique de transfert de données entre organisations aussi bien que service souple d’échanges de messages entre individus, l’Internet s’est installé rapidement au cœur de la stratégie des opérateurs de télécommunications.
Remettant en cause les positions des opérateurs historiques en attaquant au cœur le modèle économique » fermé » qui a fait leur fortune, l’Internet suscite aujourd’hui une vaste palette de stratégies, de la captation maximale du volume de » données » transportées à l’offre de services plus riches, supports de la nouvelle place de marché ou de la nouvelle économie audiovisuelle.
Il constitue d’abord une belle opportunité pour les opérateurs historiques qui investissent massivement pour profiter de la croissance du trafic engendré par la modernisation de leurs réseaux, la constitution de » backbones » et leur connexion intercontinentale. Il constitue aussi une menace en favorisant l’émergence d’opérateurs très agressifs investissant directement dans les nouvelles générations technologiques et focalisant leur stratégie sur l’Internet (Qwest par exemple).
Il provoque logiquement une » convergence » dans la compétition locale des opérateurs du téléphone et des câblo-opérateurs, d’où de spectaculaires opérations de fusions (ATT-TCI).
De ces stratégies tous azimuts et de cette multispécialité pourraient émerger quelques grands opérateurs de la connectivité (gérée globalement) et un ensemble plus vaste d’opérateurs de services d’intermédiation (gérés localement). La nature réelle de cette évolution est un des enjeux majeurs de la nouvelle économie en gestation.
Un enjeu stratégique : les services d’intermédiation
Entre le développement bouillonnant d’une myriade d’offres de biens et services spécialisés plus ou moins directement branchées sur le réseau et la gestion de la connectivité qui les relie, s’interpose en effet un métier au contour encore mouvant mais indispensable : l’opération de services génériques d’intermédiation, supportés par des technologies informatiques de médiation de plus en plus puissantes.
L’intermédiation transactionnelle
Assurant la bonne gestion de la fabuleuse place de marché » électronique » que sous-tend l’Internet, les services d’intermédiation transactionnelle sont au cœur de la nouvelle économie.
Si leur opération va bien au-delà de l’offre d’accès, même assortie de services de base performants, ils provoquent la tentation des opérateurs de la connectivité (cf. ci-dessus) d’investir ces champs à haute valeur ajoutée, où leur contrôle de l’accès à l’utilisateur final couplé avec leur maîtrise d’outils clés du commerce électronique (comme la facturation) constitue un atout important. Ils y rencontrent ceux dont l’intermédiation est le métier : les nouveaux venus, nés avec l’Internet (Amazon par exemple), comme les acteurs établis contraints de revoir non seulement le fonctionnement, mais le positionnement voire la substance même de leurs services.
- Internet autorise (dans une certaine mesure) un effet de miroir où l’offreur et le consommateur non seulement interagissent sur une affaire donnée, mais intervertissent régulièrement leur rôle dominant (professionnel et personnel).
- Les métiers de la connectivité, de l’intermédiation et des usages appartiennent à trois couches fonctionnelles distinctes, celle des intermédiations étant traversée pour la bonne marche du système global par les flux d’information générés par les “ usagers ” et transportés par les spécialistes de la connectivité.
- L’univers des services à vocation transactionnelle et celui des services à vocation informative demeurent largement disjoints.
Pour ces derniers, spécialistes actuels de l’intermédiation à vocation transactionnelle (logistique, commerciale, financière…), » l’Internétisation » est tout à fait stratégique, bien plus que leur informatisation autrefois réussie, elle devrait conforter leur position dans la chaîne de valeur ajoutée, contrairement aux visions simplistes de vente directe généralisée des biens et services sur le réseau.
Les services riches en information
L’offre de services riches en contenu informatif multimédia devrait exploser sur l’Internet, en raison de la qualité de l’outil, de sa vocation à la véritable interactivité et de sa capacité à multiplier les acteurs (services d’enchères de E‑Bay par exemple).
Dans une large mesure, ces services devraient se déployer et s’offrir localement, contrairement à ce que prédisent les chantres de la globalisation sur la mondialisation systématique des prestations.
L’intermédiation informationnelle
Support de services » riches en information « , » agence » globale d’informations, canal de télédistribution des produits audiovisuels…, ce médium universel qu’est l’Internet pose certainement, comme cela a été dit et redit, les fondements d’une nouvelle économie de l’information, de l’éducation, du loisir.
Internet stimule d’abord, même s’il convient de bien distinguer cette autre révolution, la production de » contenus » multimédias. Il renouvelle ensuite profondément les métiers de l’édition d’informations qui constitue une forme d’intermédiation spécialisée (à vocation informative) particulièrement cruciale pour la révolution en cours.
Par sa vocation multimédia comme sa capacité à susciter une croissance extraordinaire du volume des contenus informatifs transmis, il bouleverse les métiers de la communication.
Comme pour l’intermédiation à vocation transactionnelle, il suscite enfin des stratégies spectaculaires de convergence vers les gisements escomptés de valeur ajoutée des acteurs traditionnels et des nouveaux venus (grâce à Internet) dans la captation d’audience (AOL-Time Warner).
Risquons à ce stade un schéma sur les métiers de service au cœur de la nouvelle économie.
La bataille pour le contrôle des positions stratégiques
Longtemps escomptées de la » convergence » des métiers des télécommunications, de l’informatique et de l’audiovisuel, longtemps attendues sur le contrôle de l’ensemble de la chaîne de valeur ajoutée, les plus belles batailles devraient concerner en fait les champs séparés de l’offre de connectivité d’une part (qui demeurera l’offre d’accès primaire), de services d’intermédiation d’autre part (avec les batailles correspondantes pour les infrastructures physico-logiques sous-jacentes). Ceci même si la technologie unifie de plus en plus les processus mis en œuvre et si les liaisons stratégiques entre ces offres font l’objet d’appréciations fluctuantes.
L’opération des services critiques pour le bon fonctionnement de la nouvelle économie ou irriguant son appétit de » contenus » multimédias est particulièrement stratégique, et au confluent de l’appétit de nombreux acteurs
Même si elle suscite une juste vigilance, la crainte de la captation de la valeur ajoutée des transactions économiques ou des œuvres de l’esprit par les opérateurs de ces services semble toutefois largement infondée et rappelle des débats anciens sur la liberté des contenus informatifs menacée par les maîtres des réseaux8.
(Mds $) | Chiffre d’affaires | Multiplicateur |
Capitalisation boursière (au 27.1. 2000) |
Bénéfice/action |
Sun EMC Cisco |
13,1 5,6 13,4 |
9 20 27 |
123 113 367 |
102 112 179 |
Oracle BEA |
9,3 0,4 |
17 35 |
155 4 |
117 175 |
Qwest | 3,6 | 9 | 31 | 409 |
AOL Amazon E‑Bay |
5,7 1,2 0,2 |
24 18 100 |
135 22 20 |
150 NS (résultats négatifs) 7 658 |
Résultats annualisés à fin décembre 1999 |
Des opportunités immenses d’investissement
L’importance des paris industriels
L’importance des paris pris actuellement, en particulier aux USA, sur chaque maillon de la chaîne de valeur dans une économie nouvelle (déploiement de nouvelles lignes de télécommunications à hauts débits et commutateurs de données ; systèmes transactionnels puissants et stockage en réseaux ; logiciels sécurisant communications et transactions et outils » intelligents » d’accès à l’information pertinente ; offre d’accès au réseau et » portails » généralistes ; services d’intermédiation spécialisés…) est bien reflétée dans la valorisation spectaculaire des affaires Internet : valorisations aux multiplicateurs extravagants déclenchant une vague de fusions par échange d’actions qui structure, par des opérations ambitieuses et à haut risque, la révolution industrielle en cours.
Même les acteurs établis (les fournisseurs de l’infrastructure en particulier !) voient leur valorisation s’envoler s’il est crédible qu’ils soient massivement portés par la vague Internet.
La position prise par les acteurs américains dans ce grand jeu capitaliste caractéristique des révolutions industrielles est qu’en effet tout est stratégique dans l’Internet, avec un cœur à ne pas manquer : les technologies Internet de médiation, l’opération des services d’intermédiation, l’édition de contenus multimédias… !
AOL illustre avec brio cette stratégie centrée sur la conquête d’audience sur le réseau.
Compte tenu des imprécisions sur les zones futures de création de valeur, il convient de ne pas se laisser piéger par les anticipations excessives traduisant l’effervescence ambiante, qui peuvent conduire à des corrections boursières brutales. Cette dynamique traduit toutefois bien l’importance réelle des enjeux et les possibilités radicalement nouvelles offertes par l’Internet, même si celles-ci ne se déploient pleinement que sur plusieurs décennies.
Le défi américain
Dans ce grand jeu, les États-Unis garderont probablement longtemps encore une longueur d’avance, tant y sont grands l’appétit de nouveaux usages et la capacité de valorisation (boursière) du risque de l’entrepreneur qui s’efforce d’y répondre.
Caractère essentiel et élément distinctif de cette révolution industrielle, son développement résulte du dynamisme conjoint des membres d’une vaste communauté d’individus, pionniers dans les usages, développeurs de nouveaux outils, investisseurs dans les affaires Internet… ; communauté particulièrement en phase, ceci est justement souligné, avec les valeurs fondatrices de l’Amérique.
Parce que cette dynamique individuelle est servie par une redoutable force de frappe marketing et industrielle, et soutenue par les initiatives dûment budgétées du gouvernement américain en faveur des nouvelles générations de l’Internet, du déploiement de réseaux à très haut débit, de calculateurs à très haute performance… 9, le leadership de la nation américaine est réellement impressionnant10.
C’est, et ce sera la conclusion de ce bref survol, dans les métiers fondamentaux de l’Internet, bien plus que dans la croissance des utilisateurs souvent invoquée, que demeure indispensable un sursaut de la France et de l’Europe. Comme à l’aube des grandes révolutions industrielles précédentes, l’ampleur des perspectives ouvertes dans la durée justifie en effet pleinement les investissements et les paris considérables – privés et publics – nécessaires aujourd’hui pour prendre position11.
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1. Du déploiement massif de réseaux continentaux en fibre optique (aux USA et en Europe particulièrement) et de la pose de câbles transocéaniques (TAT 14 à 640 gigabits/s ; Flag à 1,28 térabits/s) aux projets ambitieux de constellations satellitaires multimédias.
2. Cf. pour le progrès spectaculaire des performances l’article de J.-P. Figer sur l’avènement du multimédia dans le dernier numéro spécial de La Jaune et la Rouge.
3. La mise en avant d’estimations (celles de Forrester Research par exemple souvent citées) sur la part du commerce électronique dans le commerce mondial à tel ou tel horizon est d’ailleurs étonnante ; comme s’il eut fallu pour lancer le téléphone jauger la part des communications téléphoniques dans l’ensemble des modes de communications de l’humanité ; et décider d’y investir sur cette inqualifiable prédiction.
4. En se concentrant sur les services et l’infrastructure qui les met en œuvre (hors composants électroniques, hors contenus informatifs).
5. Cadre d’analyse développé dans le récent rapport sur » l’Internet du futur » (disponible sur le site du RNRT).
6. Michael Ruettgers, patron d’EMC, leader mondial des systèmes de stockage de données.
7. Scepticisme qui s’est traduit par une grande prudence dans l’investissement d’infrastructure (cf. par exemple les réactions mitigées aux propositions du rapport Théry en France) et une focalisation des opérateurs sur les expérimentations d’applications.
8. IBM, acteur puissant et global auquel on prêtait il y a vingt ans l’ambition de tout contrôler, a dû abandonner ses prétentions hégémoniques sous la pression de l’élargissement et de la spécialisation du champ de bataille (plus sans doute qu’en raison des procès antitrusts) et renoncer en particulier, malgré l’ancienneté de son positionnement en la matière, à jouer un rôle déterminant dans le transport de données alors considéré comme stratégique.
9. Sans suggérer d’actions précises, le rapport de J.-F. Abramatic sur le développement technique de l’Internet rappelle les investissements publics massifs consentis par l’administration américaine pour le déploiement du réseau et la recherche en technologies de l’information, et pose la question de l’opportunité de mesures exceptionnelles en Europe, en France en particulier, pour combler le retard. F. Lorentz évoquait de même dans son rapport sur le commerce électronique l’intérêt d’une mobilisation des efforts publics sur un programme fédérateur, » l’Internet du futur « , à fort impact sur l’économie européenne. À ne pas négliger même si l’essentiel se joue ailleurs, dans le cercle vertueux de l’innovation, de l’esprit d’entreprise et de la prise de risque financier.
10. La France même, pourtant précurseur en terme de concept (la télématique du rapport Nora-Minc a plus de vingt ans), d’infrastructure (Transpac) et de téléservices grand public (le Minitel), a été comme fascinée – éblouie et dominée – par cette nouvelle révolution américaine.
11. Un texte de la Commission, parmi d’autres, résume bien un certain défaitisme ambiant sur la capacité de l’Europe à se positionner au cœur industriel de la nouvelle économie : » the European ICT industry is struggling to meet the challenge of the US industry dominance of Internet-Web technology development. The EU ICT industry should focus on developing customer solutions geared to specific market needs with the coopération of users » (DG XIII ACTS).
Quoique stratégiquement distinct, le monde des services profite évidemment des performances de l’infrastructure mise à sa disposition : l’Internet renforçant cette interrelation, on se leurrerait gravement à vouloir abandonner la technologie au prétexte de l’excellence de l’Europe dans le service.