L’opinion des polytechniciens sur le problème de l’emploi. Compte rendu d’une enquête
En réponse à l’invitation qui leur était faite, 300 camarades ont répondu au cours de l’année 1994. Depuis lors certains d’entre eux ont écrit des articles dans La Jaune et la Rouge, qui a consacré en particulier aux problèmes de l’emploi et du chômage plusieurs numéros spéciaux. Mais il est apparu également intéressant que soit publié un article de synthèse mettant en lumière les résultats d’ensemble de l’enquête.
Dans un premier temps, on a songé à faire un compte rendu rassemblant des extraits de chacune des réponses reçues, ou tout au moins des plus remarquables parmi elles, en en mentionnant les auteurs. Un essai a été tenté dans ce sens. Mais l’ensemble des réponses constituait un texte de 3 000 pages. Certes la moitié d’entre elles n’en comprenaient que trois, quatre ou cinq, conformément au souhait des organisateurs. Mais 10 % s’étendaient sur plus de quinze pages, souvent d’un grand intérêt, un nombre non négligeable dépassant largement cette longueur déjà respectable.
Aussi est-il vite apparu que le compte rendu envisagé s’apparenterait par sa dimension à une véritable thèse universitaire et exigerait de son auteur de longs mois de travail. On a donc visé plus modestement à donner une simple description statistique des opinions et suggestions des camarades ayant répondu à l’enquête. Les matériaux en ont été préparés par une équipe de dépouillement animée par Jacques Méraud (46) et comprenant douze camarades : Jacques Antoine (48), Michel Bétous (55), Pierre Bon (46)1, Bernard Charpentier (46), Pierre-Henri Chevalier (46), Bernard Gosset (46)1, Érik Guignard (60), Michel Guillaume (45), Pierre Jars (46), Maurice Mermet (45), Pierre Vacher (46) et Jean Servant (46), avec la collaboration de Michel Berry (63), la logistique étant assurée par Philippe Gillieron (51). C’est à partir de ces matériaux qu’a été rédigé le présent document.
Qui a répondu à l’enquête ?
D’abord, qui a répondu à l’enquête ? Pour répondre à cette question, on a comparé la composition du groupe constitué par les 300 » répondants » et la composition de l’ensemble des anciens polytechniciens vivants en 1994, non compris les anciens élèves étrangers. Les tableaux comparant ces deux ensembles figurent en annexe. On ne donnera ci-dessous que les conclusions qui s’en dégagent.
TABLEAU I – Idées ou suggestions pour améliorer l’emploi ayant une finalité spécifique, classées sous 42 rubriques détaillées, selon le nombre de réponses les mentionnant dans l’enquête. | |
Citations
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56 fois 43 fois 33 fois 31 fois 28 fois 27 fois 27 fois 26 fois 25 fois 25 fois 25 fois 25 fois 24 fois 23 fois 23 fois 23 fois 22 fois 22 fois 22 fois 21 fois 20 fois 19 fois 18 fois 18 fois 17 fois 17 fois 16 fois 16 fois 16 fois 16 fois 15 fois 15 fois 14 fois 14 fois 13 fois 13 fois 13 fois 12 fois 11 fois 10 fois 10 fois 10 fois 874 |
Parmi les réponses reçues, 6 émanaient de camarades appartenant aux promotions comprises entre la 20 spéciale et la 27 et une d’un camarade de la promotion 90. Toutes les autres s’échelonnaient entre la promo 30 et la promo 87. La propension à répondre à l’enquête a été d’autant plus forte que la promotion était plus ancienne. Ainsi les promotions 30 à 43, qui comprennent 16 % des X vivants, ont fourni 25 % des réponses, tandis que les promos 72 à 87, comprenant 33 % des X vivants, en ont fourni 19 % (cf. annexe I).
Parmi les camarades appartenant à ce dernier groupe de promotions, la proportion des réponses provenant » d’Xettes » ne diffère pas de manière significative de celle des camarades masculins. Mais leur nombre absolu n’est que de quelques unités, car dans les premières années où des jeunes filles entraient à l’École, il n’en est entré en moyenne qu’une pour 15 garçons, contre 2 pour 15 dans les années récentes.
Quant aux fonctions professionnelles exercées aujourd’hui ou naguère par les répondants, il n’était guère possible d’en décrire le contenu sous une forme simple et de les comparer aux fonctions assumées aujourd’hui par l’ensemble des X en activité, ou naguère par l’ensemble des X en retraite. Des informations indirectes ont pu cependant être obtenues sur les unes et les autres en se référant à la » situation administrative » des camarades à la sortie de l’École, telle que l’indique la liste alphabétique figurant à la fin de chaque annuaire des anciens élèves.
Il apparaît ainsi que la proportion des X ayant démissionné à la fin de leur séjour à l’École est un peu supérieure parmi les répondants à l’enquête (39,5 %) à la proportion correspondante mesurée parmi les X actuellement vivants ayant appartenu aux mêmes promos (35,5 %).
Cette conclusion vaut pour toutes les tranches d’âge, mais l’écart entre les deux pourcentages en question varie considérablement d’une tranche d’âge à l’autre : il est très élevé chez les promotions immédiatement postérieures à la Seconde Guerre mondiale (promos 44 à 53) et chez les plus jeunes (promos 72 à 87) ; il est très faible, voire pratiquement nul chez les promotions antérieures à la 44 et chez celles comprises entre la 54 et la 71 (cf. annexe II).
Les informations fournies par l’annuaire de l’École permettent également de savoir dans quels services de l’État les anciens élèves n’ayant pas démissionné dès leur sortie de l’X ont commencé leur carrière. On a pu dans leur cas observer que les camarades sortis de l’École comme officiers d’active ont répondu à l’enquête plus fréquemment que ne l’impliquerait leur proportion parmi les X vivants ; ce phénomène est en relation avec le fait que les trois quarts d’entre eux appartiennent à des promos antérieures à la 40.
Les réponses des ingénieurs militaires, sauf de ceux sortis dans le Génie maritime, sont au contraire sensiblement moins nombreuses que ne le voudrait leur proportion parmi les X vivants ; ce phénomène n’est pas sans lien cette fois avec leur appartenance dominante à des promos relativement récentes.
Il en va de même en ce qui concerne les ingénieurs des Télécom et de ceux qui ont choisi la Recherche. Pour les autres corps de l’État en revanche (Ponts et Chaussées, GM, Mines, Statistique, Génie rural et Eaux et Forêts, etc.), la correspondance est très remarquable entre la proportion des répondants à l’enquête et l’importance relative de leur catégorie professionnelle (toujours repérée par leur situation administrative à la sortie de l’École) parmi les X vivants (cf. annexe III).
Pourquoi telle catégorie de polytechniciens a‑t-elle jugé bon et possible de répondre à cette enquête davantage que telle autre catégorie ?
Chaque camarade était bien entendu entièrement libre de répondre ou de s’abstenir2. Sans doute le choix de chacun a‑t-il tenu à des causes multiples : le temps dont il pouvait disposer, la durée de l’expérience acquise par lui, la nature et le poids de ses responsabilités professionnelles directes, leur proximité plus ou moins grande avec les problèmes économiques, financiers et sociaux nationaux et internationaux influant sur l’emploi dans notre pays, l’ampleur des engagements » paraprofessionnels » ou associatifs que ses convictions sociales et politiques l’avaient amené à prendre au cours de sa carrière ou après sa retraite, etc.
Il n’est pas étonnant que la composition du groupe des répondants ait différé quelque peu de celle qui aurait résulté d’un tirage au sort. Mais on ne cherchait pas a priori une représentativité absolument parfaite. Et le » profil » des répondants est en définitive suffisamment proche de celui de la population des X tout entière pour que les réponses obtenues présentent l’intérêt qu’on en attendait.
Domaine de l’enquête et modalités de dépouillement
Examinons maintenant le contenu des réponses à l’enquête. Rappelons d’abord que la lettre invitant la communauté polytechnicienne à y participer distinguait a priori deux types de réponses possibles, les unes faisant part des idées de leur auteur, les autres relatant une expérience ou des expériences qu’il avait faites. Il était également demandé aux répondants de préciser le champ géographique concerné par leur réponse : » le monde, l’Europe, la France, une région ou une ville particulière « .
La séparation entre » idées » et » expériences » pouvait apparaître un peu artificielle, car les idées naissent toujours plus ou moins des expériences faites par leur auteur. Néanmoins les répondants sont entrés dans le jeu qui leur était proposé, facilitant ainsi le dépouillement de l’enquête. Sur les 300 réponses reçues, 262 contenaient essentiellement des idées (observations, réflexions, suggestions), 30 décrivaient des expériences vécues, 8 enfin accompagnaient l’exposé des idées de leur auteur du récit détaillé d’une ou plusieurs expériences concrètes.
TABLEAU II – Regroupement en 23 rubriques des idées ou suggestions du tableau précédent et classement de ces rubriques selon le nombre des réponses les ayant citées ou leur ayant été rattachées comme étant d’inspiration voisine. | |
Citations
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Citées
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Quant à la délimitation du champ géographique couvert, elle aussi était inévitablement – sauf cas particulier d’une réflexion et d’une action concernant une ville, un » bassin d’emploi » ou une région – un peu artificielle. De fait, la très grande majorité des réponses reçues se sont déclarées comme visant essentiellement le problème de l’emploi en France, même lorsque les analyses et les propositions tenaient implicitement compte de l’environnement européen et de la mondialisation des échanges.
L’examen approfondi des 38 expériences par l’équipe de dépouillement de l’enquête a conclu dans la plupart des cas à l’intérêt de celles-ci. 22 d’entre elles ont même été jugées » d’un très grand intérêt « . Leur caractère monographique empêche cependant qu’il en soit davantage rendu compte dans le présent document, nécessairement bref et au contenu statistique. Plusieurs ont déjà donné matière à des articles dans La Jaune et la Rouge. D’autres pourraient y trouver place.
Quant aux 270 réponses exposant les idées de leurs auteurs – que celles-ci soient assorties ou non d’expériences -, elles ont donné lieu à l’établissement de 270 fiches, sur lesquelles les idées en question ont été classées, à l’aide d’une » grille de dépouillement « , en deux catégories : les idées à caractère » général » et les idées à caractère » spécifique « .
À titre d’exemples d’idées à caractère général, ou – si l’on préfère – de suggestions à finalité large, on peut citer : la formation est la clé de l’emploi, ou bien c’est d’abord par une nouvelle politique interne à l’entreprise que l’on gagnera la bataille de l’emploi, ou encore ce dont souffre notre pays, c’est d’un excès de rigidités. À titre d’exemples d’idées à caractère spécifique, ou de suggestions d’actions à finalité précise, on peut mentionner : il faut le plus tôt possible réduire la durée du travail à 32 heures, ou bien il faut diminuer l’impôt sur le revenu, ou encore il faut mettre en œuvre une politique plus active d’investissements publics.
La grille de dépouillement a été construite empiriquement à partir de l’analyse approfondie du contenu de 50 réponses préalablement tirées au sort. Elle comprenait 10 postes à caractère général et 78 postes à caractère spécifique. Chacun de ceux-ci était rattaché à l’un des dix postes à caractère général, dont il était en quelque sorte une modalité particulière de réalisation. Sur les 270 fiches recensant les idées des 270 répondants ont été inscrites au total 1 342 références à des postes de la grille de dépouillement, dont 287 références à l’un des 10 postes à caractère général et 1 055 références à l’un des 78 postes à caractère spécifique.
Les idées ou suggestions présentées sous leur forme spécifique la plus détaillée
Le poste à caractère spécifique auquel il a été fait le plus souvent référence, c’est-à-dire l’idée ou la suggestion pour améliorer l’emploi la plus fréquemment exprimée par les 270 répondants a été la baisse des charges sociales ; elle a été citée par 56 d’entre eux. L’idée ou suggestion la moins citée parmi celles qui figuraient dans la grille de dépouillement a été citée une fois seulement. On a classé dans le tableau I ci-après, selon le nombre des citations dont elles ont fait l’objet, les 42 idées ou suggestions » spécifiques » ayant été mentionnées par au moins dix répondants à l’enquête. Au total, ces 42 suggestions ont recueilli 874 citations. Les 36 autres idées ou suggestions spécifiques figurant dans la grille de dépouillement n’ont pas été retenues dans le tableau : elles ont recueilli entre 1 et 9 citations seulement, soit au total 181 citations.
Cette liste présente l’intérêt d’être très concrète. Mais le lecteur éprouve le besoin d’une synthèse. Celle-ci a été faite en deux étapes. Dans un premier temps, les 42 rubriques ont été regroupées en 22 rubriques, tandis que chacune des 36 idées ou suggestions laissées de côté jusqu’ici parce que n’ayant recueilli qu’un nombre de citations compris entre 1 et 9 a été rattachée à celle de ces 22 rubriques à laquelle elle s’apparentait le mieux. Seule une suggestion a paru présenter une spécificité qui la rendait difficilement raccordable à l’une quelconque des 22 rubriques retenues : il s’agit de la réduction de l’immigration ; elle a fait ainsi l’objet d’une 23e rubrique.
Regroupement des idées ou suggestions précédentes selon l’analyse économique qui les inspire
Dans une nouvelle et dernière étape, les 23 rubriques du tableau II peuvent être réparties entre quelques grands groupes, à l’intérieur de chacun desquels seront rassemblées les idées ou suggestions présentant une certaine parenté par la philosophie économico-sociale qui les inspire. Nous avons constitué cinq groupes de ce type, sachant que les modalités des regroupements ainsi effectués peuvent être discutées. Ces cinq groupes sont présentés ci-après.
1) Actions des pouvoirs publics pour faciliter la gestion des entreprises et alléger leurs coûts
Peuvent être rattachées à ce groupe les rubriques du tableau II numérotées 2, 4, 5, 9, 18 et 20. Correspondent à ces rubriques 315 idées ou suggestions émises dans l’enquête, un même répondant pouvant avoir cité plusieurs d’entre elles. Leur contenu est le suivant : » Assouplir les réglementations, changer la mentalité des administrations, simplifier les formalités, le droit social, notamment pour les PME, améliorer le statut des travailleurs indépendants, développer la mutualisation des risques (prévention des faillites, etc.), accroître l’aide des banques aux entreprises, surtout aux PME, aménager le plan comptable, faciliter le financement de l’innovation, accroître la liaison entre les entreprises et la recherche, diminuer les charges sociales des entreprises ou changer leur » assiette « , accroître la taxe professionnelle frappant les équipements en allégeant celle basée sur les salaires, diminuer la protection sociale ou accroître la TVA pour la financer, alléger la fiscalité des entreprises en la transférant aux ménages, aider financièrement les entreprises créatrices d’emplois, transférer (partiellement ou totalement) les indemnités des chômeurs aux entreprises qui les embauchent, diminuer les salaires, le SMIC, supprimer la 5e semaine de congés payés, faciliter la flexibilité des horaires de travail, les contrats à durée déterminée, le travail temporaire, revenir sur la possibilité de prendre sa retraite à 60 ans. »
Ces suggestions laissent penser que pour leurs auteurs les raisons principales du chômage et de la crise de l’emploi sont les difficultés rencontrées par les entreprises et leurs dirigeants pour produire non seulement ce qu’ils veulent et que leur indique le marché, mais comme ils veulent (réglementations excessives, droit social paralysant) ; ils sont d’autre part insuffisamment aidés, et au contraire leurs coûts sont exagérément alourdis (salaires trop élevés, surtout pour les travailleurs les moins qualifiés, charges sociales affectant par trop le coût du travail, fiscalité excessive), ce qui nuit à leur compétitivité.
2) Aide aux chômeurs, aux candidats à un emploi ou aux salariés occupés, pour faciliter leur formation, leur recherche d’emploi ou leur maintien en activité
Peuvent être rattachées à ce groupe les rubriques du tableau II présenté ci-après numérotées 1, 7, 10, 13 et 15. Correspondent à ces rubriques 294 idées ou suggestions des répondants à l’enquête. Le contenu en est le suivant :
» Repérer les emplois de proximité, les emplois familiaux, ceux de sécurité ou de gardiennage, les emplois dans les nouvelles technologies de communication, recenser les besoins mal satisfaits en biens et services et prévoir les emplois correspondants, accroître l’efficacité de l’ANPE, faciliter la mobilité géographique et professionnelle, améliorer le fonctionnement de l’appareil éducatif initial, former les jeunes à l’adaptabilité, à la prise de risque, développer la formation et la reconversion interne aux entreprises, la gestion prévisionnelle des ressources humaines, instaurer un crédit-formation, privilégier les choix technologiques à forte main-d’œuvre, limiter le droit à licenciement, proposer aux chômeurs des travaux d’intérêt général, inviter les collectivités locales et les associations à en créer, créer un service civil national, » imiter les chantiers de jeunesse « , aider les chômeurs à se grouper, développer les réseaux de solidarité, inciter les syndicats à se soucier davantage des chômeurs. »
Ces suggestions émanent plutôt de camarades qui voient l’origine du chômage dans le mauvais ajustement entre les besoins des entreprises d’une part et la formation et l’adaptabilité des candidats à un emploi d’autre part.
Ils mettent l’accent sur le rôle nécessaire des pouvoirs publics (État et collectivités locales), des entreprises et de la société civile (associations, syndicats) en vue de faciliter l’offre d’emplois et l’adaptation des demandeurs : meilleure formation scolaire, rôle accru des entreprises dans la formation » sur le tas » et l’aide aux nécessaires reconversions (flexibilité interne plutôt qu’externe), création d’emplois d’intérêt général, solidarité avec les chômeurs de la part des acteurs de la société civile avec, le cas échéant, pressions en leur faveur sur les pouvoirs publics et les entreprises, etc.
3) Actions publiques relevant de la politique macroéconomique, financière, monétaire, sur l’environnement national, européen et mondial
Peuvent être rattachées à ce groupe les rubriques du tableau déjà cité numérotées 6, 12, 14, 19, 22 et 23. Correspondent à ces rubriques 185 idées ou suggestions, dont le contenu est le suivant :
» Instaurer ou rétablir plus de protectionnisme (au niveau national pour les uns, européen pour les autres) sous des formes diverses, négocier avec les pays en développement, agir au plan international pour mieux solvabiliser certains pays ou continents pauvres, installer davantage de présence commerciale à l’étranger, réduire l’immigration, au plan national décentraliser davantage, renforcer l’effort d’aménagement du territoire, mener une politique industrielle plus interventionniste (certains mentionnent aussi la politique agricole ou forestière), renouer avec la planification pour promouvoir une croissance plus forte, facilitée par une politique monétaire plus souple et une création monétaire plus abondante, mettre en œuvre une réforme fiscale de portée générale, toujours en vue de la croissance nationale et européenne, certains y ajoutant que les usagers devraient payer davantage les services publics, d’autres que l’État devrait lutter davantage contre la délinquance économique, la fraude fiscale. »
Ces suggestions s’inspirent plutôt d’une philosophie économique interventionniste, que certains proposent à la France, d’autres à l’Union européenne.
La cause principale de l’insuffisance des créations d’emplois est en effet, selon eux, l’insuffisance de la croissance nationale et européenne, freinée à la fois par une concurrence inégale avec les pays en développement et par des politiques monétaires et parfois budgétaires trop restrictives, inspirées par une peur de l’inflation qui n’est plus justifiée, compte tenu de l’évolution des coûts de production, notamment salariaux.
4) Actions incitatives ou dissuasives sur les entreprises, les demandeurs d’emploi ou les salariés en activité, pour partager le travail, accepter un travail moins qualifié ou même ne plus travailler
Peuvent être rattachées à ce groupe les rubriques du tableau précité numérotées 3, 8 et 11. Correspondent à ces rubriques 181 idées ou suggestions dont ci-dessous le contenu :
» Réduire la durée du travail, faciliter le travail à temps partiel ou à temps » partagé « , interdire ou diminuer les heures supplémentaires, développer le télétravail, accroître le dialogue social, modifier l’indemnisation des chômeurs pour leur faire accepter un travail moins payé, réhabiliter le travail manuel, assouplir les statuts, diminuer la scolarité obligatoire, réhabiliter le » non-travail « , les loisirs, le temps partiel choisi, inciter les femmes à ne pas travailler professionnellement, revaloriser le travail domestique, faciliter les départs en retraite et les retraites progressives. »
Notons que ces suggestions ont été faites en 1994, à une époque où l’idée d’une forte baisse générale de la durée de la semaine de travail était depuis longtemps débattue, mais trois ans avant que ne se profile à l’horizon le projet de loi gouvernemental sur les 35 heures.
En fait, tout en mettant en question la répartition du travail salarié entre ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas, les suggestions de nos camarades se réfèrent implicitement à des philosophies diverses, sinon opposées.
Certains semblent considérer que la croissance de la production est désormais inévitablement limitée et la productivité trop forte, et que, dans ces conditions, la pénurie d’emplois n’a guère de chances de se réduire, sauf par un partage délibéré du travail, selon différentes modalités : celles-ci, dans le cas de l’enquête » X‑Emploi « , prennent plus souvent la forme du travail à temps partiel ou » partagé « , ou de la baisse de la durée annuelle, ou encore du départ en retraite progressif, que celle d’une réduction générale des horaires hebdomadaires ; ces suggestions s’accompagnent assez souvent d’une exaltation de l’attrait des loisirs ou de la valeur du travail domestique ; quelques-unes y ajoutent une invitation à un certain partage des revenus.
D’autres camarades, qui semblent s’inspirer plutôt de ce qui est parfois appelé le » modèle américain « , proposent au contraire non pas de partager le travail de tout le monde, mais d’inciter les chômeurs – surtout les moins qualifiés -, par des allégements de leur protection sociale, à accepter plus facilement qu’aujourd’hui des travaux relativement peu rémunérés.
5) Actions stimulantes sur la demande privée ou publique (aide aux ménages, investissements publics ou locatifs)
Peuvent être enfin rattachées à ce groupe les rubriques du tableau détaillé numérotées 16, 17 et 21. Correspondent à ces rubriques 80 idées ou suggestions des répondants à l’enquête :
» Augmenter les investissements publics, lancer de grands travaux ou des programmes de logements sociaux, mener une politique familiale plus active, de même pour la politique de logement (prêts bonifiés aux ménages), créer un Revenu Minimum d’Existence pour tout le monde, solvabiliser mieux certaines catégories sociales peu solvables, réduire l’impôt sur le revenu, rémunérer certains bénévoles, » découpler » plus le travail et le revenu et en diversifier les sources… »
Ces suggestions ont une inspiration assez proche de celle des interventions économiques proposées au paragraphe 3 ci-dessus. Pour leurs auteurs, la cause essentielle de l’insuffisance des créations d’emplois est l’insuffisance de la croissance de la production. Mais ils proposent, pour réactiver ladite croissance, non plus un ensemble d’actions politiques de nature macroéconomique, tant au plan européen qu’au plan mondial, mais une relance directe de la demande intérieure des ménages et des administrations publiques nationales et locales, d’inspiration que d’aucuns qualifieront volontiers de » keynésienne « , avec un accent particulier mis sur l’aide aux ménages.
Comparaison des idées ou suggestions exprimées sous forme générale avec celles à contenu plus spécifique
On a signalé plus haut qu’outre les idées ou suggestions que nous venons de recenser, qualifiées de » spécifiques » parce qu’invitant à des actions à finalité particulière, de nombreux répondants à l’enquête ont présenté certaines idées ou suggestions sous une forme plus générale.
TABLEAU III – Compraison des idées ou suggestions ayant une finalité spécifique et de celles ayant une inspiration voisine, mais une finalité plus générale. | |||
Postes à contenu général de la grille de dépouillement | Idées ou suggestions | ||
À caractère général | À finalité spécifique | Ensemble des idées ou suggestions | |
Aidespubliques aux entreprises facilitant la création d’emplois | 11,8% | 24,1% | 21,5% |
Politiques publiques de nature macroéconomique | 16,4% | 19,0% | 18,4% |
Actions stimulantes ou dissuasives sur les candidats à un emploi | 4,5% | 12,4% | 10,7% |
Evolution nécessaire des mentalités, changements de société | 20,2% | 7,7% | 10,4% |
Actions en vue de la formation | 15,3% | 7,6% | 9,2% |
Repérage des gisements d’emplois | 11,1% | 8,2% | 8,8% |
Action sur la durée du travail | 6,3% | 7,6% | 7,3% |
Amélioration de la gestion des entreprises dans un sens favorable à l’emploi | 7,3% | 5,0% | 5,5% |
Réduction des rigidités | 4,2% | 4,3% | 4,2% |
Aide aux ménages | 2,8% | 4,3% | 3,9% |
Citations |
100% 287 |
100% 1 055 |
100% 1 342 |
L’équipe chargée du dépouillement de l’enquête en a rencontré 287 de ce genre. Dix postes de la grille de dépouillement ont été consacrés à leur classement, présenté dans la colonne de gauche du tableau III ci-après.
Pour voir alors si les deux types d’idées ou suggestions (« générales » et » spécifiques ») reflétaient des philosophies économico-sociales voisines ou différentes, on a affecté chacune des 1 055 citations spécifiques à l’un des dix postes à contenu général de la grille de dépouillement, celui bien entendu le plus apparenté à sa finalité particulière. La répartition de l’ensemble des citations spécifiques entre ces dix postes figure dans la colonne centrale du tableau III.
Quelques différences notables apparaissent entre les deux types d’idées ou suggestions. Celles à caractère général expriment principalement des souhaits de changement des structures, des institutions, des comportements sans en décrire de façon précise les modalités : cela apparaît principalement à travers la place donnée aux deux postes » évolution des mentalités » et » formation « , qui représentent à eux deux 35,5 % du total des citations » générales » et 15,3 % seulement du total des citations » spécifiques » correspondantes.
Les idées ou suggestions à finalité spécifique sont davantage relatives aux moyens concrets à prendre ; elles préconisent explicitement des interventions correctrices et invitent les acteurs économiques et sociaux à les mettre eux-mêmes en œuvre : cela se manifeste notamment à travers la place donnée aux deux postes » aides publiques aux entreprises » et » actions sur les candidats à un emploi « , qui à eux deux font 16,3 % du total des citations générales contre 36,5 % du total des citations spécifiques correspondantes.
Pour aboutir à un classement prenant en compte l’ensemble des idées et suggestions recueillies, qu’elles soient spécifiques ou générales, on a présenté dans la colonne de droite du tableau III la synthèse des deux colonnes précédentes.
Les suites qui pourraient être données à l’enquête
ANNEXE I – Répartition en % du Total | ||
des réponses à l’enquête | des X vivants en 1994 | |
Promos 30 à 43 Promos 44 à 53 Promos 54 à 71 Promos 72 à 87 |
25 20 36 19 |
18 15 34 33 |
Total | 100 | 100 |
ANNEXE II – Proportion de démissionnaires à la sortie de l’École | ||
parmi les camarades ayant répondu à l’enquête X‑Emploi | parmi les X vivants appartenant aux groupes de promos considérés | |
Promos 20 à 43 Promos 44 à 53 Promos 54 à 71 Promos 72 à 87 |
18,6% 47,2% 36,7% 66,0% |
16,7% 27% 36% 50% |
Toutes les promos | 39,5% | 35,5% |
ANNEXE III – Répartition entre les diverses orientations professionnelles à leiur sortie de l’X | ||
Situation administrative de sortie | des camarades ayant répondu à l“enquête X‑Emploi | des X vivants appartenant aux promos 20 à 87 |
Démissionnaires Officiers (ttes armes) Ingénieurs militaires (tous corps sauf GM) Ponts et Chaussées GM Mines Statistique Télécom Génie REF ME, ENA, CAP Autres Corps recherche |
39,5% 13,5 7,6 12,5 6,1 5,3 4,2 1,5 2,3 3,8 2,6 1,1 |
35,5% 9,2 13,1 12,5 |
Ensemble | 100 | 100 |
En conclusion, observons d’abord qu’il faut éviter toute ambiguïté sur la signification de cet article. Il ne vise évidemment pas à présenter une » thèse polytechnicienne » à propos de l’origine du chômage et des moyens d’améliorer l’emploi. Il en a d’ailleurs successivement exposé plusieurs…
C’est qu’il n’a voulu être plus modestement qu’un recensement des opinions et propositions des polytechniciens en la matière et un témoignage de la diversité et de la richesse de celles-ci3.
Quels prolongements leur donner ? Compte tenu du volume des matériaux recueillis, il paraît difficile de prendre en considération toutes les réponses. L’équipe chargée du dépouillement a donc effectué une sélection parmi les 300 réponses et en a retenu en priorité 43. Leurs auteurs pourraient soit être invités à faire part de leurs idées dans La Jaune et la Rouge – quelques-uns l’ont déjà fait -, soit se voir proposer de participer à un colloque sur un sujet sur lequel ils auraient émis des suggestions particulièrement intéressantes.
Du fait de l’importance que l’actualité lui a donnée depuis plus de deux ans, un problème abordé par de nombreux camarades, avec d’ailleurs des opinions fort diverses, celui de la réduction des horaires de travail, a déjà fait l’objet en décembre 1998 d’un colloque organisé à la Maison des X à l’initiative du Groupe X‑Action, présidé par Jacques Bouttes (52), président d’Honneur de l’A.X. et président en 1994 du Grand Colloque du Bicentenaire. D’autres colloques pourraient suivre, qui, à la lumière des résultats de l’enquête, pourraient par exemple aborder les problèmes suivants :
- la réduction des charges sociales et les effets à en attendre dans le cadre européen et mondial,
- la politique de formation à l’école et dans les entreprises,
- une politique industrielle est-elle aujourd’hui possible en Europe ?
- la politique monétaire et la croissance,
- mondialisation des échanges et solidarité européenne,
- l’évolution de la politique de protection sociale,
- investissements publics, politique budgétaire et croissance,
- l’indemnisation du chômage, ses modalités et ses effets,
- un Revenu Minimum d’Existence pour tous est-il une perspective réaliste ?
- les grands groupes peuvent-ils aider les PME ? etc.
Ce ne sont là que quelques idées. D’autres thèmes peuvent être envisagés, que les autres suggestions figurant parmi les réponses à l’enquête peuvent inviter à retenir. Ce serait là un utile prolongement de l’enquête X‑Emploi.
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1. Malheureusement décédé depuis lors. La forte proportion de camarades de la 46 dans l’équipe n’est pas sans relation avec la promotion de l’animateur.
2. Lors du lancement de l’enquête, de nombreux camarades n’en ont été informés que tardivement compte tenu du délai de réponse accordé. Mais de ce fait, le délai de réponse a été fortement prolongé. Si de tels aléas ont pu réduire légèrement le taux de réponse, il n’y a pas de raison pour qu’ils aient influé notablement sur la composition du groupe des répondants.
3. L’auteur se permet d’ajouter que, tout en ayant des idées sur la question, il s’est efforcé de rester aussi objectif que possible dans sa présentation des résultats de l’enquête.