Editorial
Tout le monde s’accorde à considérer l’École polytechnique comme une institution typiquement française et beaucoup pensent que la communauté polytechnicienne est aujourd’hui exclusivement française. Pourtant au cours du XXe siècle l’École s’est interrogée à plusieurs reprises sur l’opportunité de s’ouvrir à des élèves étrangers. Dès les années 1920, par exemple, l’École se dote d’un concours d’entrée pour les élèves étrangers ayant fréquenté des classes préparatoires aux grandes écoles. Le mouvement de mondialisation au cours des dernières décennies a rendu cette interrogation plus insistante.
Pas étonnant que Maurice Bernard, directeur de l’enseignement et de la recherche de 1983 à 1990, ait cherché à cette époque à mieux savoir quels étrangers avaient fréquenté l’École de 1794 à aujourd’hui. Il lui est vite apparu que seule une recherche historique ambitieuse pouvait établir quelques certitudes sur l’ouverture internationale de l’École au cours de deux siècles d’une existence avant tout nationale. C’est ainsi qu’en 1986 le directeur de l’enseignement et de la recherche et Francine Masson, conservateur de la Bibliothèque de l’X, entrent en contact avec Dominique Pestre, historien reconnu, responsable d’un DEA d’histoires des sciences, et s’accordent avec lui pour engager un étudiant de qualité à préparer une thèse à ce sujet.
La formation des élites scientifiques et techniques étrangères à l’École polytechnique aux XiXe et XXe siècles*, tel est le titre de la thèse remarquable que Mademoiselle Anousheh Karvar soutient à l’université de Paris VII-Diderot en décembre 1997 (voir le n° 537 de La Jaune et la Rouge). Ce travail, outre qu’il permet d’avoir désormais une vue précise de la réalité des élèves étrangers de l’École sur près de deux cents ans, inscrit ces faits dans l’histoire de l’institution, de la politique étrangère de notre pays, des échanges scientifiques, techniques et culturels entre la France et l’étranger, etc.
En accord avec la direction de l’École, en liaison avec l’A.X. et avec la Fondation, Maurice Bernard propose que soit organisée, le 22 octobre 1998, une journée d’études au cours de laquelle les principaux résultats de la thèse d’Anousheh Karvar seraient discutés, par des historiens d’abord, par des acteurs confrontés aux problèmes actuels de la mondialisation ensuite.
Les résultats de cette journée se traduisent par deux séries de documents :
- d’une part les exposés et les débats du matin, de nature historique, sont publiés dans le numéro 21 du Bulletin de la SABIX que j’encourage les camarades intéressés à se procurer auprès de la Bibliothèque de l’École,
- d’autre part les exposés et les discussions de l’après-midi où les enseignements du passé sont confrontés aux enjeux et aux difficultés concrètes qu’éprouve l’École à pratiquer cette ouverture internationale. C’est l’objet du présent numéro de La Jaune et la Rouge d’en publier les comptes rendus.
Le gouvernement, sur la proposition du président du Conseil d’administration de l’École polytechnique, a adopté un schéma directeur qui explicite clairement la volonté des pouvoirs publics de faire évoluer l’École et de promouvoir son ouverture internationale. Sa mise en application progressive s’est traduite par la création d’une nouvelle voie d’admission à l’École, différente du concours traditionnel » étranger « , en même temps que se trouve modifiée l’articulation avec la formation complémentaire en école d’application.
En tant que Président de l’A.X., comme à titre personnel, j’attache une importance exceptionnelle à la réussite de cette ouverture. La capacité à exister en dehors de son aire culturelle de naissance est une question de survie, aujourd’hui pour toute entreprise, demain pour tout grand établissement scientifique. Je souhaite que la communauté polytechnicienne, dans son ensemble, se sente concernée par les questions difficiles mais passionnantes soulevées dans les articles de ce numéro spécial. Un des rôles essentiels de l’A.X. est de maintenir un lien fort entre les générations. Ceux de nos camarades, notamment les plus jeunes, ceux qui sont profondément immergés dans la vie internationale, ont à l’évidence beaucoup à dire sur la question. Ils peuvent, ils doivent établir un pont entre leurs expériences et les efforts que doit consentir l’École pour réaliser cette évolution.
Au-delà de son intérêt particulier relatif à une dimension peu connue de l’École polytechnique, ce numéro fait en effet apparaître en filigrane la question permanente de l’évolution de l’École. Bruno Belhoste, historien, le meilleur connaisseur de l’histoire de Polytechnique, s’est clairement exprimé sur ce point au cours de cette journée d’étude : » Si l’ouverture de l’École polytechnique vers les pays et les élèves étrangers, européens et extra-européens, est dès aujourd’hui une préoccupation majeure, si elle doit sans doute devenir une priorité et même une urgence, parce qu’elle conditionne, dans un monde globalisé, le maintien de son statut de grand établissement scientifique et technique, pourra-t-on longtemps faire l’économie d’une véritable refondation ? »
Depuis quelques années l’École s’est engagée avec détermination dans une modernisation en profondeur dont la mise en œuvre nécessitera de la clairvoyance, du courage et du souffle. Je souhaite que les anciens élèves, en lisant les articles qui suivent, soient nombreux à prendre conscience de cet enjeu essentiel et, par leurs avis et leurs réactions, contribuent à promouvoir cette véritable refondation.
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* Cette thèse est consultable à la Bibliothèque centrale de l’X à Palaiseau.