L’École polytechnique et l’international
Tout d’abord quelques mots sur la Fondation elle-même. Créée en 1987, appuyée sur un bon nombre d’entreprises (120 environ), françaises pour la plus grande part mais aussi quelques grands groupes étrangers (Siemens, Daimler Benz, Fiat, General Electric…), la Fondation est une sorte de point de rencontre, d’interface, de charnière entre le monde des entreprises et ce haut lieu d’enseignement supérieur et de recherche qu’est en France l’École polytechnique.
Par la souplesse que son autonomie de structure lui donne, la Fondation a pu dès l’origine jouer un rôle de catalyseur et d’incitateur au bénéfice de l’École et de ses élèves, tant en ce qui concerne :
- l’amélioration de l’apprentissage des langues,
- que le développement des stages à l’étranger (60 % des élèves français font maintenant leur stage de fin d’études à l’étranger),
- ou encore la mise sur pied et le soutien de programmes diversifiés mettant en relation étroite des étudiants étrangers avec l’X et la réalité scientifique, culturelle et économique française, comme le programme Jean Monnet (10 à 15 étudiants par an) ou le programme dit européen (20 à 25 étudiants par an).
Depuis trois ans, l’aide de la Fondation s’est concentrée sur deux actions majeures en appui à une politique fondamentale de l’École elle-même :
- contribuer à orienter et à aider le recrutement d’élèves étrangers pour le cursus entier de deux ans à l’X (2e voie du concours),
- inciter et aider les X français à faire leur formation complémentaire diplômante dans des grandes institutions étrangères d’enseignement scientifique et technique.
Pourquoi le faisons-nous ? Parce que c’est explicitement la demande des entreprises qui soutiennent la Fondation dont nous recueillons pour ce faire les priorités de pays cibles.
Ces choses ne se font pas en un jour mais le décollage est déjà perceptible même si s’agissant du recrutement d’élèves étrangers un effort important reste nécessaire pour attirer des étudiants de l’Union européenne et des États-Unis.
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Venons-en, si vous le voulez bien, maintenant au vif de notre sujet d’aujourd’hui.
Avec toute la modestie du béotien que je suis en matière d’épistémologie, je m’associe bien volontiers aux compliments qui ont été exprimés à Madame Anousheh Karvar pour les mérites de sa thèse, encore accrus par la difficulté d’embrasser une population distribuée sur deux siècles et placée dans des contextes politiques et culturels fort divers.
L’éclairage documenté qu’elle nous apporte sur le passé peut sûrement contribuer à mieux faire l’avenir mais, me semble-t-il, à la condition de combiner de façon appropriée la prise en compte de la mémoire longue des cultures et des institutions et l’attention aux changements non négligeables du monde qui nous entoure à ce tournant du deuxième millénaire.
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Parmi ces changements importants, je serais tenté de me limiter à deux d’entre eux qui me semblent avoir une incidence forte sur notre sujet.
1) La place des organismes étatiques dans le développement économique a tendance, un peu partout dans le monde, à décroître. Et ceci vaut pour les réalisations au sein d’un pays donné comme pour les relations économiques et commerciales entre pays.
Déjà pour l’École polytechnique, ce ne sont plus qu’environ 110 élèves qui iront dans un corps de l’État sur un total d’environ 450 soit un quart et il y a de bonnes raisons de penser que ce processus décroissant n’a pas encore atteint sa limite.
Ceci veut dire qu’entre 3⁄4 et 4⁄5 des polytechniciens sont destinés dès la fin de leur cursus à entrer dans le monde de l’entreprise.
Pour être plus exact, il faudrait tenir compte de la cinquantaine qui s’orientent vers la formation par la recherche, et pour lesquels dans l’état actuel une moitié peut-être entreront au CNRS, mais cela ne change pas les ordres de grandeur.
Remise du prix Poincaré aux deux majors de la promotion 97 :
Cédric Bourillet et Tuân Ngô Dac , élève CP2, Vietnamien.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE
2) Le thème rebattu de la mondialisation est une réalité évidente et massive. Toutes les activités à l’exception peut-être des services de proximité sont concernées.
La stratégie et donc les besoins des entreprises en recrutement de cadres à fort potentiel sont nécessairement multinationaux.
L’efficacité du fonctionnement de l’ensemble dans l’entreprise et la capacité de pénétration et de succès dans les grands marchés utilisateurs de ses produits et de ses services imposent de disposer d’un vivier de cadres de formation multiculturelle réelle et, s’agissant de groupes français, d’un vivier de cadres étrangers ayant eu au cours de leur formation une forte exposition à la culture et à l’enseignement français, autant que de cadres français ayant eu une forte exposition à des cultures et à des enseignements étrangers.
Et même si la langue de travail d’un groupe ou la langue des affaires dans le monde est l’anglais, rien ne peut remplacer la compréhension en profondeur des cultures différentes lorsqu’il s’agit de faire réussir ensemble des groupes humains de pays différents (cf. conférence du Dr Knitter, directeur des ressources humaines de DASA).
Des deux considérations précédentes découlent à mes yeux au moins deux conséquences :
- que l’on soit élève français à l’X ou élève étranger, on peut servir son pays aussi bien en contribuant à ce qu’il joue un rôle clé dans la stratégie mondiale d’une entreprise à dimension internationale qu’en étant directement au service de l’État dans son propre pays. Et ceci veut dire que bien au-delà de la seule volonté de l’État, c’est tout l’ensemble de la collectivité nationale qui est activement concerné par l’ouverture internationale des formations supérieures et de l’X en particulier ;
- une grande école de formation supérieure, aussi prestigieuse qu’elle soit dans son propre pays, ne peut éviter de s’étalonner par l’ouverture à d’autres sources de recrutement et à d’autres débouchés pour ses étudiants faute de quoi elle ne peut que régresser dans le rang que lui reconnaissent les » clients » de cette formation, c’est-à-dire les employeurs, eux-mêmes de plus en plus ouverts sur le monde.