Histoire des commissaires contrôleurs des assurances
De 1898 à 1937 : l’unification progressive
De 1898 à 1937 : l’unification progressive
Lorsque aux alentours de 1820, le ministère de l’Intérieur préparait les textes relatifs à l’assurance, le fonctionnaire compétent était le chef de la subdivision du Commerce et des Arts et Manufactures, et plus particulièrement celui du Bureau du commerce, qui dans ses attributions avait l’étude des demandes en autorisation des sociétés anonymes et d’assurances. C’est la partie assurance de ce bureau qui est transférée au ministère chargé du Commerce sous la Restauration ; il s’enrichit en 1842 d’une Commission de surveillance des tontines, qui pratique des contrôles sur place ; par ailleurs, un contrôle sur pièces est organisé pour les comptes envoyés semestriellement par les sociétés d’assurances.
Cet ensemble est rattaché en 1894 à la division de l’assurance et de la prévoyance sociales, comme le sera le service du contrôle des assurances contre les accidents du travail à sa création, en 1899.
Naissance et premiers pas du contrôle moderne
1898 : le contrôle de l’assurance accidents du travail
La loi du 9 avril 1898 crée un régime nouveau pour l’assurance contre les accidents du travail fondé sur la responsabilité objective, sans faute, de l’employeur et l’indemnisation automatique, forfaitaire, de l’ouvrier.
Son article 27 dispose que :
Les compagnies d’assurances mutuelles ou à primes fixes contre les accidents, françaises ou étrangères, sont soumises au contrôle de l’État et astreintes à constituer des réserves ou cautionnements… Les frais de toute nature résultant de la surveillance et du contrôle seront couverts au moyen de contributions proportionnelles au montant des réserves et cautionnements, et fixés annuellement, pour chaque compagnie ou association, par arrêté du ministre du Commerce.
1899 : les commissaires contrôleurs
En application de cet article 27, le décret du 28 février 1899 indique, à l’article 13, qu’elles sont soumises à la surveillance permanente de commissaires contrôleurs, sous l’autorité du ministre du Commerce…
Aux termes de l’article 14 :
Ils prêtent serment de ne pas divulguer les secrets commerciaux dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
Ils sont spécialement accrédités, pour des périodes fixées, auprès des sociétés qu’ils ont mission de surveiller.
Ils vérifient, aux sièges des sociétés, l’état des assurés et des salaires assurés, les contrats intervenus, les écritures et pièces comptables, la caisse, le portefeuille, les calculs des réserves et tous les éléments de contrôle propres soit à établir les opérations dont résultent les obligations pour les sociétés, soit à constater la régulière exécution tant des statuts que des prescriptions contenues dans le décret du 22 janvier 1868, dans le présent décret et dans les arrêtés qu’il prévoit.
Ils se bornent à ces vérifications et constatations, sans pouvoir donner aux sociétés aucune instruction ni apporter à leur fonctionnement aucune entrave.
Ils rendent compte au ministre du Commerce, qui seul prescrit, dans les formes et délais qu’il fixe, les redressements nécessaires.
La plupart de ces dispositions ont subsisté jusqu’à aujourd’hui, l’autorité de rattachement ayant cependant varié.
Peu après sont fixés les conditions de recrutement, le cadre et les conditions d’avancement des commissaires contrôleurs des sociétés d’assurances contre les accidents du travail. Les tournées d’inspection et les séances de service au ministère sont réglées par le ministre.
Un service central du contrôle des sociétés d’assurances contre les accidents du travail est organisé et placé sous l’autorité immédiate du directeur de l’assurance et de la prévoyance sociales. Un commissaire contrôleur de première classe est délégué dans les fonctions de chef du contrôle central.
Le recrutement devait avoir lieu par concours. Cependant, pour ne pas retarder la mise en route de ce service nouveau, les premiers commissaires contrôleurs furent nommés sur titres. Ensuite, quand le programme de l’examen eut été fixé par arrêté, des professeurs de l’Institut des finances et des assurances furent chargés d’organiser une préparation directe et par correspondance aux examens de commissaire contrôleur.
Les visites des commissaires contrôleurs furent d’emblée très nombreuses dans les sociétés.
Georges Paulet, créateur et premier directeur du service du Contrôle, de 1899 à 1911, sut, en tant que directeur de l’assurance et de la prévoyance sociales » avec tact et mesure » (pour reprendre l’expression d’un assureur de l’époque), donner à ce contrôle un maximum d’efficacité. Ainsi, deux assureurs téméraires, l’Éternelle Industrie Française et la Société Générale des Assurances agricoles et industrielles, qui avaient cru pouvoir s’engager à fond et sans précautions spéciales, avec des tarifs trop bas, se virent retirer l’autorisation en 1903, après deux années de fonctionnement.
Qu’il relève de l’Intérieur, du Commerce ou du Travail, le bureau chargé des assurances est resté depuis les années 1820 au 80, rue de Varenne. Mais, à sa création, le service du contrôle n’avait pu s’y installer, faute de place, et dut occuper une boutique de la rue de Bourgogne, puis un appartement, 4, place de Breteuil, où il restera de nombreuses années.
L’extension progressive du contrôle
1905 : l’assurance vie
C’est explicitement pour protéger les assurés que la loi de 1905 réglemente et soumet au contrôle les sociétés d’assurance vie, en fixant des règles d’agrément préalable, de fonds propres minimaux, de spécialisation, de fonctionnement, de gestion, d’information annuelle des assurés, de provisions mathématiques calculées d’après des tables de mortalité et un taux d’actualisation réglementés et de localisation des placements. Un privilège général est institué au profit des souscripteurs et bénéficiaires de contrats, et un privilège spécial sur les valeurs affectées à la couverture des provisions techniques pour les sociétés étrangères et déposées à la Caisse des Dépôts et Consignations.
Immeuble de la Commission centrale des assurances vu de l’extérieur et de l’intérieur. © GILBERT DONATI
Les entreprises sont soumises à la surveillance de commissaires contrôleurs assermentés, cette fois mentionnés dans la loi elle-même, et qui pourront à toute époque vérifier sur place toutes les opérations… Ils constatent les contraventions par procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve contraire…
La commission du Sénat se demanda si, au lieu de créer un corps de fonctionnaires nouveaux, il n’aurait pas été préférable de confier ce contrôle à des inspecteurs de l’enregistrement délégués par le ministre des Finances. Le rapporteur répondit qu’il était indispensable que l’action d’un contrôle aussi difficile fût fortement centralisée et qu’il y eût communication immédiate et constante entre ces agents et l’autorité chargée de statuer.
Les conditions de recrutement, d’avancement et de rémunérations des commissaires contrôleurs des sociétés d’assurance sur la vie étaient très semblables à celles de leurs collègues des accidents du travail.
Les années suivantes virent l’extension du contrôle à des branches annexes de la vie, comme la nuptialité-natalité, et à des activités qui ne sont pas de l’assurance, comme la capitalisation et l’épargne.
En 1906, Clemenceau crée le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale par scission du ministère du Commerce et y intègre la direction de l’assurance et de la prévoyance sociales. C’est ce ministère qui institua en 1911 la procédure du rapport contradictoire : À l’avenir, les commissaires contrôleurs communiqueront leurs observations écrites aux directeurs de compagnies qui auront à y répondre sur le même cahier, dans une colonne placée à côté de celle réservée au commissaire contrôleur.
1911 vit aussi l’entrée en application de la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, ce qui entraîna au ministère la scission de l’assurance et de la prévoyance sociale. C’est pourquoi le Contrôle prit le nom de service du contrôle des assurances privées ; il réunit les deux contrôles centraux vie et accidents du travail et fut placé directement sous l’autorité du ministre.
1917 : le contrôle de la réassurance
Texte de guerre, la loi du 15 février 1917 oblige à assurer les risques français en France et introduit un contrôle partiel de la réassurance, notamment pour éviter qu’elle n’apporte aux nations ennemies des renseignements sur l’état des installations industrielles ou portuaires.
La surveillance des opérations de réassurances et d’assurances directes des risques français en France est confiée au ministre du Travail, qui délègue à cet effet le conseiller juridique du Contrôle des assurances privées. La surveillance s’exerce non sur les entreprises, mais sur les opérations d’assurance et de réassurance auxquelles elles se livrent.
Le décret du 28 septembre organise le service de la surveillance des opérations de réassurances et d’assurances directes, surveillance confiée à un commissaire contrôleur, un vérificateur chef de section et trois aides-vérificateurs. Par mesure » transitoire « , le personnel de ce service est recruté parmi les fonctionnaires du service de contrôle des sociétés d’assurances contre les accidents du travail.
En 1922, le service de contrôle des assurances privées se voit rattacher le service de surveillance des opérations de réassurances et assurances directes. Son chef, M. Sumien, commissaire contrôleur, est élevé au rang de directeur. 1926 voit la fusion des trois cadres : vie, accidents du travail et réassurance.
En 1930, la Direction du contrôle des assurances privées reprend les locaux de la rue du Cherche-Midi libérés par la direction des retraites ouvrières et paysannes. En 1934, elle raccourcit son nom en Direction des assurances privées : elle ne se borne pas, en effet, à contrôler, mais rédige aussi la réglementation et plus généralement exerce la tutelle de l’industrie de l’assurance.
Le renforcement de la réglementation
Toutefois, les textes pris jusqu’alors ne prévoient aucune sanction. Comme le remarque en 1931 le rapporteur du projet de loi relatif aux sociétés d’assurances : Présentement, ces infractions sont déférées au tribunal de simple police et tous les jours, les contrôleurs du ministère voient avec quel dédain on accueille le dérisoire moyen mis à leur disposition pour assurer le respect de la loi. On ne se fait point faute de souligner l’indifférence avec laquelle une puissante compagnie subit une condamnation à 1 franc d’amende.
L’assurance de la responsabilité civile automobile est à son tour soumise au contrôle en 1935. Contrairement à ce qui s’était passé lors de l’institution du contrôle de l’assurance accidents du travail, il est précisé que les sociétés qui recevront l’agrément pour pratiquer l’assurance automobile seront contrôlées pour l’ensemble de leurs opérations, signe précurseur de la généralisation du contrôle.
La loi du 10 février 1931 remédie à ces lacunes en créant des amendes substantielles et des peines d’emprisonnement pour diverses infractions. Elle interdit de se prévaloir du contrôle de l’État. Par la suite, retraits d’agrément et mises en liquidation vont se multiplier.
En revanche, comme les trois cadres existants ont été unifiés, il n’est pas créé de nouveau cadre ni de nouveau service spécialisé de commissaires contrôleurs de l’assurance automobile, comme cela avait été le cas pour l’assurance des accidents du travail, l’assurance vie et la réassurance. Les sociétés sont soumises à la surveillance des commissaires contrôleurs en général. Sont créés à cet effet le premier emploi de commissaire contrôleur principal et cinq postes supplémentaires de commissaires contrôleurs.
De 1937 à 1989 : le contrôle unifié
1937 : la généralisation
L’extension du contrôle au reste de l’assurance finit par s’imposer, ne serait-ce que pour mettre fin à certains abus.
On découvrit à Paris des sociétés d’assurances dont tout le personnel consistait dans la concierge de l’immeuble chargée de décourager les réclamations, tandis qu’au prétendu siège, appartement d’une ou deux pièces, on ne trouvait le plus souvent que la bonne, Monsieur et Madame étant sortis.
Le décret-loi du 25 août 1937 unifie les règles applicables aux différentes branches en matière d’agrément, de vérifications comptables, de retrait d’agrément ; il généralise le contrôle des commissaires contrôleurs à toutes les opérations qui n’étaient pas encore visées par une législation spéciale. Son article 7 étend les dispositions du décret-loi de 1935 relatif au contrôle des placements à l’ensemble des actifs détenus.
Direction des assurances, rue de Châteaudun
En 1940, le contrôle est rattaché au ministère des Finances ; un décret du 30 août place la désormais nommée Direction des assurances sous l’autorité du Secrétaire général pour les questions économiques. La direction quitte le 40, rue du Cherche-Midi pour s’installer rue de l’Université et rue de Montalembert, dans un ancien hôtel particulier où elle demeure jusqu’en 1947.
C’est alors que la direction prend ses quartiers, de 1947 à 1950, et après des travaux importants, dans trois immeubles contigus situés au cœur du quartier des assurances, 65, rue Saint-Lazare et 52 et 54, rue de Châteaudun.
Ces immeubles ont été construits en 1866 par un aristocrate autrichien selon de strictes règles haussmanniennes : usage d’habitation, alignements, nivellements, lignes de façade, étages d’au moins 2,60 m de hauteur, façades en pierre de taille avec balcons, corniches et moulures.
D’abord habités par de grands bourgeois, ils sont repris à partir de 1910 par des banques et des compagnies d’assurances, dont La France, qui les revend en 1945 à la Caisse des Dépôts et Consignations.
Le ministère des Finances les acquiert deux ans plus tard pour y installer la Direction des assurances. La Commission de contrôle des assurances qui lui a succédé et le service du contrôle s’y trouvent encore aujourd’hui.
Les fonctions des commissaires contrôleurs
L’organisation du service s’est adaptée à l’évolution du marché.
En 1964, les commissaires contrôleurs, antérieurement isolés, furent à nouveau dotés d’un chef de service officiel, en même temps chef de corps, et regroupés en brigades, d’abord spécialisées (vie, incendie, accidents, entreprises étrangères, mutuelles…) ; puis l’ensemble des sociétés d’un même groupe fut confié à une même brigade pour permettre d’apprécier leur situation financière globale tout en réduisant le nombre des interlocuteurs des dirigeants des groupes.
Le contrôle des commissaires contrôleurs, même s’il porte principalement encore sur l’activité des entreprises d’assurances, a vu son champ varier et s’étendre encore au cours des cinquante dernières années. Certains contrôles n’ont duré que quelques années, comme celui du crédit différé et de l’épargne-logement, aujourd’hui du ressort de la Commission bancaire. D’autres durent encore, comme le contrôle des mutuelles agricoles (1964), des mutuelles de pêcheurs (1974), des entreprises d’assistance (1978) et des organismes de protection juridique (1987).
De 1938 à 1994, la réassurance n’était plus contrôlée que lorsqu’elle était pratiquée par des entreprises opérant simultanément en assurance directe, le contrôle de solvabilité étant nécessairement global. En revanche les réassureurs spécialisés échappaient au contrôle, l’intérêt des assurés n’étant en jeu que très indirectement. Cependant la loi de 1994 qui a réintroduit le contrôle des réassureurs a une portée limitée puisqu’il n’existe dans ce domaine, du moins pour l’instant, aucune exigence de marge de solvabilité ni d’obligation de représentation des engagements, et qu’en l’absence d’agrément les entreprises n’ont pas à redouter son retrait.
Depuis longtemps, l’autorité de contrôle peut décider d’étendre le contrôle sur place d’une entreprise à toutes ses filiales et partenaires significatifs. Ce dispositif a été renforcé en 1994 avec l’assujettissement des holdings d’assurances, les » sociétés de participations d’assurances « , au contrôle permanent. De surcroît, une directive européenne de 1998 impose aux groupes d’assurances des exigences propres de solvabilité.
Statut, recrutement et formation
Le statut commun des grands corps techniques de l’État a servi de modèle au statut de 1968, tant pour la hiérarchie des grades que pour les règles d’avancement et les indices. Les commissaires contrôleurs constituent un corps de catégorie A, placé sous l’autorité du ministre de l’Économie et des Finances. Ils sont nommés et titularisés par décret du président de la République.
Le recrutement des commissaires contrôleurs a sensiblement évolué au cours du siècle passé. À l’origine, le concours recrutait des fonctionnaires aux compétences diverses, notamment des juristes. Cela a permis au service de préparer les textes qui comme la loi du 13 juillet 1930, le décret-loi du 14 juin 1938 et le décret du 30 décembre 1938 ont constitué les bases de la réglementation actuelle des assurances en matière de droit du contrat et de règles de fonctionnement des entreprises.
On a vu en introduction que la dominante scientifique s’est progressivement imposée, sans toutefois estomper la nécessaire formation économique et juridique. Quelle que soit leur origine, les commissaires contrôleurs élèves doivent suivre des formations complémentaires pendant deux ans à l’Institut d’études politiques de Paris ou à l’ENSAE, le plus souvent. Parallèlement, ils reçoivent au sein du service des cours sur les aspects les plus divers de l’assurance, et tous acquièrent les compétences et très souvent le diplôme d’actuaire. Ces enseignements sont enfin complétés par une année de stages à l’Inspection générale des finances ou dans d’autres administrations financières et dans une entreprise d’assurance.
Depuis 1990 : la Commission de contrôle des assurances
La loi de 1989 et ses textes subséquents ont supprimé la Direction des assurances et réparti ses attributions entre deux organismes : la Direction du Trésor, chargée de la réglementation et des agréments, tandis que la surveillance des entreprises est confiée à une autorité administrative indépendante, la Commission de contrôle des assurances. Le corps des commissaires contrôleurs est mis à sa disposition à cette fin.
Conclusions
Si la nécessité d’une réglementation et d’un contrôle de l’assurance s’est fait sentir dès l’origine, du moins en France, la forme qu’ils devaient prendre a donné lieu aux propositions les plus variées au fil du temps : certaines branches interdites, d’autres obligatoires, nationalisation ou étatisation, surveillance rapprochée ou simple obligation de publicité des comptes…
Les solutions pratiquées actuellement ne se sont dégagées que très progressivement. Le contrôle sur place ne s’est imposé qu’en 1842 pour les tontines, qui du reste ne sont pas de l’assurance, en 1898 pour les accidents du travail, et ne s’est généralisé qu’en 1937. Il a fallu attendre 1938 pour une réglementation unifiée et 1990 pour une autorité administrative indépendante.
Quelles que soient les évolutions encore possibles, le système actuel a, dans l’ensemble, fait la preuve de son efficacité. Il n’y a pas eu de grand portefeuille de contrats en déshérence comme cela s’est produit ailleurs.
Mais il faut en permanence s’adapter aux évolutions de cette industrie et de ce marché : diversification des canaux de distribution, autonomisation de la gestion d’actifs, taille croissante et internationalisation des groupes financiers…