Verts qui rient, écolos qui pleurent
Les effets d’annonce concernant le recours à des énergies renouvelables ou à des économies d’énergie jouent, en fait, le rôle de masque. Si les Allemands avaient cru sérieusement à la possibilité de se passer du nucléaire sans recourir aux énergies fossiles, il leur aurait été possible de s’engager à ne remplacer en aucun cas les centrales nucléaires par des centrales à combustible fossile. Alors, oui, on aurait pu se réjouir sans arrière-pensée.
La décision allemande, en réalité, consiste à faire le choix des combustibles fossiles de préférence au nucléaire1.
Ce choix est-il de nature à réjouir ceux qui ont pour souci l’avenir de notre planète ?
Il faut donc comparer les inconvénients du nucléaire et ceux des combustibles fossiles producteurs de gaz à effet de serre.
Les dangers du nucléaire
Ceux du nucléaire sont bien connus : risques d’accident grave, irradiation diffuse, risques liés à la gestion des déchets, risques de prolifération. Si ces risques existent bien, ils sont, en général, largement grossis par les opposants systématiques au nucléaire et suscitent des réactions de peur tout à fait disproportionnées dans une large part de la population, cette peur étant, d’ailleurs, utilisée sans vergogne par les antinucléaires professionnels. Il est, bien sûr, hors de question d’étudier ces risques en détail ici, mais quelques réflexions permettant de les remettre à leur vraie place me semblent utiles.
Rappelons, tout d’abord, que nous baignons tous dans une radioactivité naturelle dont l’intensité varie de plus d’un facteur 5 d’un endroit de la planète à un autre. Aucun effet nocif de la radioactivité naturelle n’a jamais pu être démontré.
C’est grâce à l’existence de cette radioactivité naturelle (qui a les mêmes caractéristiques que la radioactivité artificielle), que l’industrie nucléaire a été une des premières à pouvoir mettre en œuvre le principe de précaution : en limitant le surcroît d’irradiation dû aux activités humaines à une fraction de la radioactivité naturelle, on peut être sûr que l’effet sur la santé du public sera négligeable. Ceux qui affirment que toute dose de radiation, aussi faible soit-elle, est dangereuse pour la santé sont soit menteurs, soit ignorants, et, par là même, facilement manipulés.
Pour fixer les idées sur la dangerosité des radiations et sur la signification des normes d’exposition considérées comme acceptables, les tableaux suivants comparent les risques dus à l’irradiation à ceux entraînés par la consommation de tabac.
Rappelons que le tabac cause environ 60 000 décès chaque année en France et que les Français fument environ 5 milliards de paquets de cigarettes annuellement. On peut donc estimer que la probabilité d’un décès prématuré, essentiellement par cancer, due à la consommation de tabac est de l’ordre de 10-5 par paquet de cigarettes.
En ce qui concerne les effets des radiations la Commission internationale de protection contre les radiations retient un taux de 4.10-2 par sievert pour la probabilité d’induction d’un cancer mortel.
La comparaison entre radiations et fumée de cigarettes est pertinente puisque, dans les deux cas, l’effet principal sur la santé est un accroissement de l’incidence des cancers2.
Cette comparaison est faite dans les tableaux I et II, de telle manière que dose de radiation et nombre de paquets de cigarettes consommés conduisent au même taux de décès prématurés.
L’équivalence présentée dans les tableaux I et II permet de souligner, une fois encore, le fait que l’application sans précaution de la relation linéaire entre doses et effets à des évaluations de nombre de décès dus aux radiations à faibles doses heurte le bon sens : on considérerait, en effet, qu’il serait équivalent qu’un seul individu fume dix mille paquets de cigarettes ou que dix mille individus fument chacun un paquet !
Muni de cette équivalence, il est possible de mieux apprécier la nature des problèmes posés par l’énergie nucléaire.
Les risques d’accident grave
Deux accidents graves servent, actuellement, de référence : Three Mile Island (TMI) et, surtout, Tchernobyl.
Dans le premier cas on n’a à déplorer aucun décès. Deux opérateurs ont été significativement irradiés. Aucune irradiation du public n’a eu lieu. Malgré cela, l’accident de TMI a créé une véritable panique aux USA, entraînant, entre autres conséquences, la perte de confiance vis-à-vis des experts nucléaires. L’absence de victimes n’a eu, à cet égard, aucune conséquence. D’une certaine façon on peut dire qu’après TMI l’approche du nucléaire est devenue complètement irrationnelle, la peur du nucléaire (paradoxalement c’est uniquement le nucléaire civil qui semble faire peur) prenant la place de l’ancestrale peur du loup.
La catastrophe de Tchernobyl a eu, bien sûr, une tout autre ampleur que TMI.
Le bilan sanitaire reconnu, quinze ans après la catastrophe, s’établissait à 35 morts parmi les « liquidateurs » au moment ou peu de temps après l’accident et à 1 500 cancers de la thyroïde, essentiellement parmi les enfants. Parmi ces cancers trois s’étaient avérés mortels. Les cancers de la thyroïde ont été facilement attribués à l’irradiation par l’iode 131 qui se fixe préférentiellement sur cet organe et a une durée de vie de huit jours, car les cancers de la thyroïde sont normalement très rares chez les enfants.
Les autres types de cancers sont beaucoup plus difficiles à attribuer spécifiquement à Tchernobyl car ils ne peuvent apparaître que comme une faible augmentation comprise entre 0 et 3 % du nombre total de cancers qui seraient apparu de toute façon, même si la catastrophe n’avait pas eu lieu.
Environ 5 millions de personnes en Ukraine et Biélorussie vivent dans un fond de radiation plusieurs fois plus élevé que ne l’était celui dû à la radioactivité naturelle avant la catastrophe. Cette radioactivité supplémentaire est due au césium 137 dont la durée de vie est de trente ans.
Sur une telle population le nombre attendu de cancers mortels se déclarant chaque année, en l’absence de l’irradiation supplémentaire due à l’accident, est de l’ordre de 20 000, alors que le surcroît dû à Tchernobyl serait, au maximum, en utilisant la relation linéaire entre dose et effet, de l’ordre de 500 par an. Pour l’instant aucune augmentation statistiquement significative n’a été observée.
Bien qu’étant lourd ce bilan est très inférieur aux 200 000 à 500 000 morts que certains prophètes de malheur s’étaient plu à prophétiser.
Ces mêmes prophètes ou leurs émules ont, récemment, fait valoir que 15 000 morts auraient été décomptés parmi les « liquidateurs », recevant, en l’occurrence, une confirmation de la bouche du Ministre russe des catastrophes.
Il se trouve que les tables de mortalité utilisées par les actuaires prévoient que 15 000 décès devraient être observés en quinze ans dans une population de 250 000 personnes âgées de 20 à 30 ans, représentative de celle des « liquidateurs ». Le nombre total de liquidateurs ayant été de 600 000, on voit que l’annonce de 15 000 décès parmi eux depuis quinze ans n’a pas grande signification, en l’absence de données plus précises sur la population concernée et les causes des décès.
En toute hypothèse les conséquences de Tchernobyl pour les Ukrainiens et les Biélorusses seront bien inférieures à celles dues à la tabagie et à l’alcoolisme. La catastrophe de Tchernobyl est considérée comme l’archétype de la plus grave catastrophe du nucléaire civil envisageable. Les experts de la sûreté nucléaire considèrent que la probabilité pour qu’une catastrophe de cette ampleur puisse se produire avec les réacteurs de type occidental est de l’ordre de un millionième par réacteur et par année de fonctionnement.
Pour la France, cela signifierait qu’un tel événement pourrait se produire tous les 20 000 ans. D’autres types d’accidents susceptibles de provoquer davantage de victimes (rupture de barrage, explosion d’un méthanier, incendie ou explosion chimique, chute de météorite, tempête tropicale, chute d’avion gros porteur, etc.) ont une bien plus grande probabilité de se produire. De même qu’une catastrophe nucléaire, tous ces accidents auraient des conséquences locales et (ou) régionales, mais, en aucun cas (à l’exception de la chute d’un très gros météorite), globale. En aucun cas la biosphère ne serait menacée, ni même aucune espèce particulière.
Les déchets nucléaires
Il est coutumier de faire de la question des déchets nucléaires la raison majeure militant en faveur de l’abandon du nucléaire civil. On insiste sur la longue durée de vie de ces déchets en oubliant de dire que, contrairement aux déchets chimiques, la dangerosité des déchets nucléaires est inversement proportionnelle à leur durée de vie : plus un noyau a une grande durée de vie, moins nombreuses sont ses désintégrations par unité de temps.
Un exemple très éclairant est donné par la comparaison entre deux types d’iode radioactive : l’iode 131 (responsable des cancers de la thyroïde de Tchernobyl) dont la durée de vie est de huit jours environ, et l’iode 129 dont la durée de vie est d’environ quinze millions d’années. Cette grande différence de durée de vie fait que l’iode 129 est près d’un milliard de fois moins dangereux que l’iode 131.
L’iode 129 est le déchet nucléaire dont la durée de vie est la plus longue. Il est produit par la fission de l’uranium 235 qui a, lui, une durée de vie de sept cents millions d’années. Pour 1 000 noyaux de ce dernier qui fissionnent, seulement trois noyaux d’iodes sont produits.
La « dangerosité » de l’iode 129 est donc du même ordre que celle du noyau d’uranium 235 dont il est issu. D’une façon générale la fission réduit le nombre de noyaux radioactifs de grande durée de vie.
Il est vrai que, dans les premiers milliers d’année, la « dangerosité » des déchets nucléaires est plus grande que celle des noyaux qui ont fissionné. Jusqu’à quel point la radioactivité générée par ces déchets présente-t-elle un risque pour la biosphère ?
À court terme la radioactivité des déchets nucléaires est bien confinée et sous contrôle, au point que les conséquences pour la santé des déchets stockés est extrêmement faible sinon nulle. La sûreté des stockages profonds ne pourrait, à l’évidence, qu’être bien meilleure encore que celle des stockages en surface ou sub-surface. On s’accorde, généralement, pour considérer que la radioactivité resterait confinée pendant au moins mille ans dans ces stockages profonds. Ceux-ci étant situés à des profondeurs de 500 à 1 000 mètres, on peut comparer la radioactivité susceptible d’être déconfinée au bout de mille ans à celle des premiers mille mètres de la croûte terrestre.
On trouve, ainsi (en l’absence de retraitement et d’incinération des déchets qui pourraient réduire leur dangerosité par un facteur 100), dans le cas de la France, que la radioactivité correspondant à cent ans de production par 100 réacteurs (actuellement il y en a 57 en service en France) serait inférieure à un pour cent de la radioactivité naturelle de la croûte.
On voit donc que le stockage profond ne présente aucun danger dans le court et moyen terme (sauf accident de transport éventuel) pour les riverains, et que sur le long terme il ne constitue pas de risque au niveau global de la biosphère. Des risques locaux pourraient exister en admettant une intrusion fortuite dans un site particulier, par un forage, par exemple. Il faut remarquer que la grande durée de vie des déchets subsistant à l’horizon du millénaire fait que, dans le cas d’un déconfinement, ils se disperseront dans la biosphère avant de se désintégrer, ce qui devrait limiter les risques locaux. En conclusion on retrouve, en moins grave toutefois, les caractéristiques des accidents nucléaires en ce qui concerne le caractère local et, à la limite régional, des risques encourus et l’absence de conséquences au niveau global.
La différence réside dans l’échelle de temps, et, là encore, un grain de bon sens tendrait à faire croire que, toutes choses étant égales par ailleurs, un danger se concrétisant éventuellement dans mille ou dix mille ans est préférable à un danger qui menace dès aujourd’hui ou dans le prochain siècle.
La question du traitement des déchets nucléaires illustre les incohérences et (ou) la mauvaise foi de la majorité des opposants au nucléaire. Tout d’abord il faut rappeler que, quoi qu’il arrive, il faudra bien trouver une solution raisonnable à la gestion des 200 000 tonnes de combustibles irradiés qui auront été produits d’ici 2010, et ceci même en cas de sortie généralisée du nucléaire.
Quelle est donc la solution à ce problème proposée par les partisans de la sortie du nucléaire ?
Il est reconnu que les seules solutions possibles sont la transmutation des déchets dans des réacteurs nucléaires, éventuellement d’un type nouveau et (ou) l’enfouissement en site profond. Le stockage en surface ou sub-surface ne peut qu’être une solution d’attente. La transmutation exige le retraitement et l’irradiation en réacteur.
Les opposants au nucléaire refusent la mise en œuvre de ces procédés en exigeant l’arrêt des usines de retraitement et celui des réacteurs. Exit donc, selon eux, la possibilité de la transmutation. Il est d’ailleurs piquant de constater que les mêmes réclament, à juste titre, le tri sélectif de tous les déchets autres que nucléaires. Où est la logique ici ?
La seule solution reste donc l’enfouissement en profondeur. Mais, nos opposants refusent, également et bruyamment, la réalisation des laboratoires souterrains qui devraient permettre la définition des meilleurs sites. Que faire alors, si ce n’est attendre un miracle ? Ou bien serait-ce que le sort des déchets n’intéresse les opposants au nucléaire que dans la mesure où il permet d’affoler les populations ?
Les dangers de prolifération
Les matériaux de base utilisés pour la fabrication de l’explosif nucléaire sont l’uranium 235 et le plutonium 239. L’uranium 235 est présent dans l’uranium naturel dans la proportion de 0,7 %, alors qu’une concentration en cet isotope de plus de 90 % est nécessaire pour la fabrication d’une bombe. Il s’ensuit qu’il est nécessaire de procéder à une opération d’enrichissement isotopique.
Jusque dans les années soixante-dix deux techniques lourdes, onéreuses et grandes consommatrices de courant étaient utilisées : la séparation électromagnétique et la séparation par diffusion gazeuse.
Désormais deux nouvelles techniques plus légères et plus discrètes sont devenues accessibles : la séparation par centrifugation gazeuse et la séparation par laser.
En utilisant ces différentes méthodes, tout pays disposant des compétences humaines et d’un minimum de moyens est en mesure de produire suffisamment d’uranium 235 hautement enrichi pour fabriquer plusieurs bombes. C’est ce qu’a fait le Pakistan récemment et ce que l’Irak était en train de faire. L’Irak ne possédait pas de réacteur. Le Pakistan possédait un réacteur de puissance de type canadien, mais n’utilisa pas ce réacteur pour produire la matière fissile nécessaire à ses premières bombes.
L’autre matériau fissile, le plutonium 239, est produit dans des réacteurs. Tous les réacteurs fonctionnant avec de l’uranium, naturel ou faiblement enrichi, produisent donc du plutonium qu’il est relativement aisé d’extraire par des méthodes chimiques. En réalité, aucune des puissances nucléaires militaires ne l’est devenue en utilisant des réacteurs construits pour la production d’électricité.
La démarche nucléaire civil vers nucléaire militaire ne s’est, donc, pas, à ma connaissance, produite. Au contraire, la démarche inverse du militaire vers le civil a été fréquente et explique certaines caractéristiques de l’industrie nucléaire civile qui ne se seraient peut-être pas imposées sans cela : par exemple l’utilisation de l’uranium enrichi dans les réacteurs à eau.
Il est vrai, aussi, que des puissances nucléaires militaires ou ayant la volonté de le devenir ont géré des réacteurs de puissance pour en extraire du plutonium de bonne qualité militaire. Ce fut le cas de la France avec les réacteurs graphite-gaz, et de l’Union soviétique avec les réacteurs RMBK (type de Tchernobyl).
En réalité il apparaît que les États désirant s’équiper de réacteurs de puissance commerciaux sont amenés à signer le traité de non-prolifération, et par là renoncent à la réalisation d’un armement nucléaire.
On voit donc qu’en ce qui concerne les États les craintes de voir des centrales nucléaires civiles détournées à des fins militaires se sont avérées vaines jusqu’à présent. Les États ayant décidé d’acquérir un armement nucléaire ont pu le faire s’ils possédaient les compétences humaines (physiciens, ingénieurs) et les moyens matériels pour le faire. En ce qui concerne des groupes terroristes qui voudraient pratiquer le chantage nucléaire, il est à craindre que l’effondrement de l’Union soviétique leur ait déjà, malheureusement, donné les moyens de s’équiper.
En réalité, si l’on veut sérieusement éviter une conflagration nucléaire dont les conséquences éventuelles seraient sans commune mesure avec Tchernobyl, il faut s’attaquer fermement et fortement à l’armement nucléaire et l’on aimerait voir les antinucléaires montrer ne serait-ce qu’autant d’ardeur dans un combat contre les armements nucléaires des grandes puissances que contre l’industrie nucléaire civile !
Il est vrai que s’attaquer au lobby militaro-industriel est autrement difficile que de s’attaquer à un lobby nucléaire civil dont on aimerait savoir de qui et de quoi il se compose. D’ailleurs, comme nous allons le voir maintenant les » Verts » sont étrangement discrets à l’égard des vrais lobbys puissants comme celui des pétroliers.
Les dangers des combustibles fossiles
Nous n’insisterons pas, ici, sur les dangers bien connus liés à la production, au transport et à l’utilisation des combustibles fossiles : accidents dans les mines de charbon, incendies de pipe-lines (5 000 morts au Nigeria il y a quelques années), explosion de gazoducs (Sibérie, Mexico), et, bien entendu, en ce qui concerne le gaz, explosions domestiques (près de 100 morts par an en France).
Nous n’insisterons pas non plus sur les marées noires, l’impact environnemental de l’exploitation du Grand Nord, les guerres causées par la volonté de contrôler les ressources ou les pipelines (Biafra, Koweit, Tchétchénie, Angola, etc.).
Tous ces dangers, toutes ces guerres liées à l’utilisation des combustibles fossiles, pour dramatiques et meurtriers (beaucoup plus que Tchernobyl !) qu’ils soient restent des dangers circonscrits au niveau local et régional, et ne mettent pas en cause la biosphère elle-même, sauf si les conflits régionaux dégénéraient un jour en conflit mondial.
Nous porterons notre argumentation sur l’émission de gaz à effet de serre.
L’utilisation des combustibles fossiles conduit à la production de gaz à effet de serre : gaz carbonique, dans tous les cas, en quantité plus ou moins grande (deux fois moins, à technologie égale, pour le gaz que pour le charbon) et méthane, dans le cas du gaz naturel du fait des fuites.
Ces fuites sont estimées à 5 % environ dans le cas du pétrole sibérien qui sera, sans doute, largement mis à contribution par l’Allemagne pour remplacer les centrales nucléaires.
Or le méthane est vingt fois plus efficace que le gaz carbonique, si bien que l’utilisation du gaz sibérien est équivalente à celle du charbon, en ce qui concerne l’effet de serre, et tant que l’état des gazoducs et des méthodes de production ne sera pas amélioré et contrôlé en Russie. Il faut, toutefois, remarquer que la durée de vie du gaz carbonique dans l’atmosphère, de l’ordre de deux cents ans, est dix fois plus grande que celle du méthane, si bien que des mesures correctives concernant ce dernier auraient des effets relativement rapides.
L’émission des gaz à effet de serre provoque une augmentation de température. Les modèles de prévision climatique manquent encore de précision quant à l’amplitude de cette augmentation qui se situerait entre 0,5 et 4 degrés au cours du xxie siècle, avec une valeur probable de 2 degrés. Les effets locaux et régionaux de cette augmentation sont encore plus difficiles à prévoir.
Nombreux sont les climatologues qui estiment que, dès maintenant, l’augmentation de la température moyenne du globe de 0,5 degré depuis 1900, et qui semble s’accélérer est due aux émissions anthropiques.
Nombreux aussi sont ceux qui estiment, sans pouvoir l’affirmer avec certitude, que l’augmentation de la violence des cyclones et tempêtes est due à cette croissance rapide de la température.
Certains prennent argument des incertitudes des prévisions pour considérer qu’une action déterminée de réduction des émissions de gaz à effet de serre est prématurée.
Une telle attitude est complètement contraire à l’application du principe de précaution qui veut, au contraire, que l’on prenne en considération l’évolution la plus défavorable envisageable raisonnablement. Celle-ci prévoit donc une augmentation de 4 degrés au cours du siècle prochain.
Bien pire, la très longue durée de vie du gaz carbonique dans l’atmosphère se traduira par une augmentation de la température moyenne du globe d’au moins deux degrés, même si les émissions sont réduites d’un facteur trois dès 2050. Dans le cas où nous ne prendrions pas de mesures énergiques, certains scénarios prévoient une augmentation de température atteignant 7 degrés au xxiie siècle.
Alors que l’on peut espérer qu’une augmentation de deux degrés reste acceptable globalement, même si elle peut conduire à des catastrophes locales et régionales, je ne pense pas qu’on sache véritablement à quoi pourrait conduire une augmentation de 7 degrés. Rappelons que la température moyenne de la Terre n’était que de 4 degrés inférieure à la température actuelle lors des dernières glaciations. L’océan qui absorbe, actuellement, environ la moitié du gaz carbonique anthropique continuera-t-il à jouer ce rôle modérateur, ou, au contraire, se mettra-t-il à devenir une source additionnelle de gaz carbonique ?
La biomasse continuera-t-elle à augmenter grâce à des conditions climatiques plus favorables aux hautes latitudes, en particulier, ou, au contraire, la disparition de nombreuses espèces due à des conditions climatiques extrêmes conduira-t-elle à sa diminution ?
Au cas où l’océan et la biosphère terrestre deviendraient des sources de gaz carbonique à leur tour, la Terre pourrait rentrer dans un régime instable, l’augmentation de température faisant en quelque sorte boule de neige. La concentration en gaz carbonique croîtrait tandis que celle en oxygène se mettrait à décroître. On pourrait alors envisager que la Terre devienne un monde aussi étouffant et stérile que Vénus.
Qui peut, actuellement, affirmer qu’un tel scénario est totalement impossible ? Le principe de précaution exige que toutes les mesures possibles soient prises pour éviter une telle évolution catastrophique. Les réunions de Rio et Kyoto ont marqué une prise de conscience du danger mais l’objectif de stabilisation des émissions fixé par Kyoto n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Une simple stabilisation des émissions, qui ne prend d’ailleurs même pas le chemin d’être réalisée, est totalement insuffisante pour empêcher la croissance de la température. Tout au plus en ralentira-t-elle le rythme. Pour obtenir une stabilisation de la température à une valeur de deux degrés supérieure à l’actuelle il faudrait, comme indiqué plus haut, diviser par trois les rejets.
La timidité de Kyoto est d’autant plus regrettable qu’il serait possible dans les dix ans de réduire de trente pour cent les rejets sans, pour autant, que l’économie en souffre sérieusement.
Les priorités
De ce qui précède on voit que le danger potentiel des émissions de gaz à effet de serre est sans commune mesure avec celui présenté par le nucléaire ou d’autres méthodes de production d’énergie. Il faut donc, en toute priorité, s’engager dans la voie de la « sortie des combustibles fossiles ». Ce n’est qu’en seconde priorité qu’on pourrait envisager la « sortie du nucléaire » si l’on peut démontrer que des méthodes de production d’énergie plus sûres, moins polluantes, et raisonnablement compétitives sont, effectivement, possibles à l’échelle nécessaire.
Les solutions
La France et la Suède, en particulier, ont montré qu’il était possible de produire l’électricité en ne recourant pas du tout aux combustibles fossiles. Elles l’ont fait en recourant au nucléaire et à l’hydroélectricité. Certains affirment que, par le recours à des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire, des résultats analogues pourraient être obtenus.
Il est donc possible que les pays industrialisés s’engagent à ne plus construire de centrales de production d’électricité utilisant des combustibles fossiles, que ce soit au charbon, au gaz ou au pétrole. Le fait que cette hypothèse ne soit même pas évoquée dans les scénarios du Conseil mondial de l’énergie montre quel est le poids du lobby des industries pétrolières et gazières, et, aussi, à quel point la peur du « Vert » peut conduire à des conduites aberrantes sur le plan de l’environnement.
Rappelons que la France a construit son parc de réacteurs en une dizaine d’années. Il devrait être possible aux USA, à l’Allemagne, au Royaume-Uni, etc., de faire aussi bien ; qu’il s’agisse de réacteurs nucléaires ou d’autres méthodes de production d’énergie, puisqu’on nous affirme que de telles méthodes sont envisageables.
Pour sortir de l’hypocrisie qu’attendent les Grünen pour exiger qu’en aucun cas l’énergie produite par les réacteurs nucléaires ne soit produite par des centrales au charbon ou à gaz, ou importée de pays tiers utilisant de telles techniques ?
Le simple recours aux énergies renouvelables ou nucléaires pour la production d’électricité devrait permettre une réduction de l’ordre de 20 % au moins des émissions de gaz à effet de serre. Une diminution du même ordre pourrait être obtenue en interdisant l’utilisation des combustibles fossiles pour le chauffage des immeubles collectifs, puis individuels. L’utilisation de la biomasse pourrait être encouragée à condition qu’elle ne se traduise pas par une déforestation, comme c’est le cas, actuellement, dans de nombreux pays en voie de développement, et qu’elle n’aboutisse pas à un trop grand appauvrissement de la flore.
En ce qui concerne les pays en voie de développement, il serait nécessaire, dans une première étape, de les encourager à renoncer, en priorité, à l’utilisation du charbon, leur réservant une option prioritaire sur l’utilisation du gaz. Il est d’ailleurs probable que des grands pays comme la Chine et l’Inde développeront rapidement le recours aux énergies renouvelables, y compris l’hydraulique, et au nucléaire.
La question est plus difficile en ce qui concerne les transports. Assez rapidement il devrait être possible de réserver la circulation intra-urbaine à des transports propres, électriques ou à air comprimé. De même le transport à longue distance par rail devrait être encouragé autant que possible.
Sur le long terme il faut envisager l’utilisation de l’hydrogène obtenu par décomposition de l’eau, grâce à de l’énergie électrique (encore). L’association des énergies renouvelables intermittentes à la production d’hydrogène pourrait être le signal de l’avènement de ces énergies à une grande échelle, et peut-être, d’une sortie du nucléaire qui ne soit pas une catastrophe écologique.
La séquestration du gaz carbonique par la reforestation des zones désertifiées et, éventuellement, par des méthodes chimiques pourrait être encouragée par des subventions financées par une taxe sur les rejets de gaz à effet de serre.
Le système des permis d’émission pourrait trouver là une application à condition qu’il ne permette pas de détourner l’interdiction d’utiliser les combustibles fossiles pour la production d’électricité et de chaleur à basse température (chauffage des locaux).
Les enjeux économico-politiques
La sortie du fossile se heurtera, bien entendu, à des intérêts beaucoup plus puissants que celle du nucléaire. Intérêts des industries charbonnières, pétrolières et gazières au premier chef. Ces industries sont, par excellence, en particulier les deux dernières mentionnées, représentantes du processus de mondialisation.
La loi du marché qui privilégie les investissements rentables à court terme favorise, actuellement, la production d’électricité par le gaz, les investissements étant, pour une centrale à gaz, trois fois moins importants que pour une centrale nucléaire, et six fois moins que pour une ferme d’éoliennes.
La France n’a pas à rougir du choix du nucléaire qu’elle a fait dans les années soixante-dix. Grâce à ce choix, elle est, avec la Suède, un des États industrialisés qui émettent le moins de gaz à effet de serre, deux fois moins par unité d’énergie consommée que le Danemark, si souvent donné en exemple.
La problématique des énergies renouvelables et celle de l’énergie nucléaire ont, à cet égard, beaucoup de points communs : toutes deux sont exigeantes en matière d’investissement, toutes deux se caractérisent par de faibles frais de fonctionnement, en particulier en ce qui concerne le combustible, toutes deux assurent une indépendance énergétique aux pays qui s’y engagent, toutes deux s’opposent ainsi à la logique de la mondialisation et rendent un pouvoir aux citoyens.
À cet égard on aimerait que l’exigence légitime de transparence dont on fait preuve à l’égard du nucléaire soit, également, appliquée aux énergies fossiles, au plan national aussi bien qu’international.
Le lobby des industries pétrolières et gazières est un des plus puissants de la planète, tout le monde le sait, mais il est rarement mis en cause par les organisations écologistes qui préfèrent dénoncer un soi-disant lobby nucléaire qui fut, en son temps, tout au plus, une technocratie d’État, soucieuse de ce qu’elle estimait, à tort ou à raison, être l’intérêt général, mais certainement pas de quelconques intérêts privés.
La ridicule guérilla contre la Cogema a, dans ce contexte, une bien triste allure, puisqu’elle sert d’alibi à un silence assourdissant concernant les intérêts des gaziers et autres pétroliers, sauf lorsque, comme dans le cas de l’Erika, ce silence deviendrait carrément suspect.
Sortir de la langue de bois et des faux-semblants
La France doit retrouver la parole en ce qui concerne les questions énergétiques sans accepter de se voir donner des leçons par les plus grands pollueurs européens que sont l’Allemagne et le Danemark.
Que les écologistes sincères acceptent de reconsidérer leurs priorités et leur combat. Ils verront alors que le danger numéro un est bien le risque d’une catastrophe climatique, et que tous les efforts doivent être consacrés, en priorité, à en écarter la perspective. Ceci ne saurait empêcher, bien entendu, de rester vigilant à l’égard du nucléaire, et aussi vis-à-vis d’autres méthodes de production d’électricité comme l’hydraulique et la biomasse, la meilleure énergie restant celle qu’on ne consomme pas.
Elle doit se faire l’avocate d’une sortie aussi rapide que possible des combustibles fossiles.
Dans un premier temps il y a lieu d’exiger que les nouvelles installations de production d’électricité et de chauffage ne puissent, en aucun cas, recourir à des combustibles fossiles. Il faut, aussi, s’interdire l’importation d’électricité produite à l’aide de ces combustibles.
Si certains États pensent pouvoir associer cet engagement à une sortie du nucléaire, ils feront ainsi la preuve de leur sincérité écologique et pourront alors, mais alors seulement, être pris au sérieux dans leur souci de préserver l’environnement.
Que les hommes politiques soucieux de l’avenir de la planète ne laissent pas l’exclusivité des prises de position publiques sur les sujets environnementaux à ceux que les a priori aveuglent.
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1. Il est aussi possible que les Allemands envisagent d’importer leur électricité sans porter grande attention à l’origine de celle-ci, nucléaire ou fossile.
2. Voir une comparaison plus complète des effets du tabac et de la radioactivité sur le site de la Société Française de Physique : http://sfp.in2p3.fr/