L’entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins
La force océanique stratégique (FOST)
Depuis trente ans, DCN Brest assure l’entretien et le maintien en conditions opérationnelles (MCO) des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) sur les sites de Brest et de l’Ile Longue.
Le Redoutable, lancé en 1969, et effectuant sa première patrouille opérationnelle début 1972, fut le premier élément de la composante océanique de la dissuasion nucléaire.
En 1980, la force océanique stratégique comptait cinq SNLE équipés de missiles M20.
En 1985 était admis au service actif L’Inflexible, construit sur la base de l’architecture générale des SNLE type Le Redoutable, mais équipé de missiles M4 à portée et capacité de pénétration accrues.
De 1987 à 1993 étaient alors réalisées les refontes de quatre des SNLE M20 pour leur donner la capacité M4.
En 1997 était admis au service actif Le Triomphant, premier SNLE de nouvelle génération, aux capacités fortement accrues par rapport aux SNLE précédents. Il a été suivi fin 1999 par Le Téméraire.
Les principales évolutions de ce nouveau type sont les suivantes :
- un domaine immersion-vitesse élargi fortement,
- une diminution très importante du niveau de bruit rayonné par le sous-marin,
- une capacité de détection accrue,
- une plus grande disponibilité du sous-marin en portant l’intervalle entre deux entretiens majeurs de cinq à sept années.
La profonde évolution du contexte international et la réduction des dépenses ont conduit à revoir à la baisse le nombre de SNLE en service, de six à quatre.
Aujourd’hui sont en service deux SNLE M4 (L’Indomptable et L’Inflexible) et deux SNLE NG (Le Triomphant et Le Téméraire).
En 2008, les deux derniers SNLE M4 auront été remplacés par Le Vigilant, et Le Terrible, premier SNLE NG en version M51 (nouveaux missiles).
La maintenance de la FOST
La FOST regroupe les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, les missiles équipés de têtes nucléaires, les moyens de transmissions spécifiques et les moyens terrestres associés (base de l’Ile Longue, centre d’entraînement des équipages). DCN Brest participe à la maintenance de l’ensemble de ces composantes ; nous nous intéresserons plus particulièrement ici à la maintenance des SNLE.
Les SNLE de nouvelle génération ont une durée de vie de trente ans. Entre chaque patrouille (d’une durée supérieure à deux mois) est réalisée une IE (indisponibilité pour entretien) d’une durée de l’ordre d’un mois. Tous les sept ans se déroule un carénage majeur du bâtiment d’une durée d’environ deux ans. Lors de ces grands carénages, il peut être entrepris une refonte du bâtiment. Cela a été le cas pour les quatre SNLE M20 refondus en version M4. Ce le sera aussi pour les trois premiers SNLE NG qui seront refondus à l’occasion de leur premier ou second grand carénage en version M51.
Les spécificités de l’entretien de ce type de sous-marins sont les suivantes :
- présence d’un réacteur nucléaire,
- présence de missiles balistiques équipés de têtes nucléaires,
- exigence d’une très forte disponibilité, notamment accrue par la réduction du nombre de SNLE en service,
- maintien au plus haut niveau de la caractéristique fondamentale de ces navires : l’invulnérabilité reposant essentiellement sur la discrétion acoustique et la capacité de détection sous-marine,
- un très haut niveau d’intégration et de complexité des matériels embarqués.
Les indisponibilités pour entretien
D’une durée moyenne de cinq semaines et se déroulant entre chaque patrouille, les indisponibilités pour entretien (IE) constituent l’activité permanente du site de l’Ile Longue.
Lors de ces IE se déroulent des maintenances correctives et des maintenances préventives dans les proportions respectives suivantes : 20 % et 80 %.
La disponibilité opérationnelle du sous-marin doit rester totale lors de sa patrouille. La très forte proportion de maintenances préventives permet bien entendu de limiter les avaries lors des patrouilles. Malgré ces rares avaries, la disponibilité du sous-marin est assurée par :
- de nombreuses redondances des différentes fonctions (par exemple, présence à bord de deux usines à oxygène identiques, une seule étant en marche),
- la présence à bord de rechanges en nombre cohérent avec le maintien de cette disponibilité,
- une compétence de maintenance détenue par l’équipage.
Définies lors de la conception du sous-marin en fonction des caractéristiques propres à chaque matériel et des études de sûreté, les maintenances préventives permettent d’assurer la disponibilité du navire et le niveau de sûreté exigé, notamment par les installations nucléaires (chaufferie et missiles), et d’assurer un suivi très fin de l’évolution de la discrétion acoustique.
De par leur nature, les maintenances correctives ne sont connues qu’au retour de la patrouille. Elles permettent de redonner au SNLE la pleine disponibilité de ses redondances.
Les IE sont aussi l’occasion de réaliser des modifications de faibles ampleurs et des expertises sur certains matériels ou technologies afin de conforter leur endurance.
Ces opérations représentent plus de 10 000 lignes de travaux (du graissage d’un joint jusqu’au remplacement d’un missile, en passant par l’expertise acoustique d’un moteur ou l’échange d’une pompe).
Ces travaux sont réalisés par 350 techniciens et ouvriers de toutes spécialités (mécaniciens, électriciens, électroniciens, coquiers, chaudronniers) travaillant sur plus de 160 installations différentes.
La coordination de ces 10 000 tâches est primordiale afin d’assurer la sécurité du personnel, le maintien permanent du niveau de sûreté exigé, la compatibilité de tâches entre elles, et notamment celles touchant aux installations nucléaires et à leurs installations de soutien, la fourniture des servitudes aux différents intervenants.
Une parfaite coopération entre les équipes de DCN Brest, celles du Service soutien de la Flotte (notre client) et l’équipage du navire (en charge de la conduite des installations, de la sécurité à bord, et représentant de l’exploitant pour la chaufferie nucléaire) est indispensable.
Les grands carénages
Les grands carénages, ou IPER (indisponibilité programmée pour entretien et réparation), ont lieu tous les sept ans. Ils ont pour objectifs principaux :
- de redonner au sous-marin son potentiel acquis à sa construction,
- de lui permettre d’assurer à nouveau sa totale disponibilité pour les sept années suivantes,
- de réaliser des modifications importantes,
- de procéder éventuellement à une refonte majeure du bâtiment (passage en version M51 par exemple).
La prochaine IPER sera celle du Triomphant à partir de la fin 2001. D’une durée de l’ordre de deux années (essais à la mer inclus), elle se déroulera sur deux sites :
- l’Ile Longue pour le débarquement des seize missiles balistiques et le déchargement du combustible nucléaire dès le début de l’IPER, puis pour le rechargement du cœur du réacteur en fin d’IPER, le site de l’Ile Longue étant le seul habilité pour la manipulation de combustible irradié,
- Brest pour la majeure partie de l’IPER, les bassins de l’Ile Longue étant réservés aux sous-marins opérationnels.
Cette IPER sera la plus grande opération de MCO jamais réalisée par DCN représentant plus de deux millions d’heures (du même ordre de grandeur que la construction d’un bâtiment de surface de tonnage équivalent – par exemple les transports de chalands de débarquement type Foudre) réparties à 50 % pour les travaux en atelier et 50 % pour les travaux à bord.
Une des contraintes majeures dans l’organisation d’un grand carénage provient de la difficulté à planifier et coordonner l’ensemble des travaux à bord : la majorité des 90 000 appareils présents à bord sera visitée en atelier ; tous devront donc être débarqués et réembarqués dans un ordre précis, et ceci à travers seulement trois brèches (ouvertures principales du sous-marin), ces brèches étant de plus » partagées » par plusieurs entreprises sous-traitantes.
En complément des chantiers réalisant les IE et IPER, le MCO de la FOST repose sur :
- des ateliers de réparation,
- un centre d’essai et d’expertise,
- un bureau d’étude,
- un service approvisionnement.
Les ateliers de réparation
Situés intégralement sur le site de Brest ces ateliers assurent l’expertise et la réparation des matériels défaillants.
Le Centre d’essai et d’expertise
Cette entité assure principalement les expertises acoustiques de l’ensemble des auxiliaires et gère l’état acoustique du sous-marin.
Le bureau d’étude
Sa mission est d’assurer la gestion de configuration des SNLE, de proposer et d’étudier des modifications d’installations et de matériels, de proposer au chantier les solutions de réparation, d’exploiter les faits techniques et d’animer le retour d’expérience.
Pour un certain nombre d’installations et de matériels, ces tâches sont confiées à d’autres établissements de DCN (par exemple, DCN Indret est l’établissement spécialiste propulsion).
Perspectives
Malgré la réduction des ressources de la FOST, deux enjeux gardent une place prépondérante :
- la maîtrise de la sécurité s’agissant de bâtiments » doublement » nucléaires (réacteur et missiles), capables de plonger à de fortes immersions,
- le maintien de la posture (assurer en permanence la présence d’un SNLE à la mer).
La maîtrise de la sécurité (et notamment le maintien d’un niveau de sûreté nucléaire satisfaisant) doit rester notre premier objectif, et cela quelles que soient les contraintes opérationnelles ou budgétaires.
La durée actuelle des indisponibilités est fixée par le calendrier opérationnel des patrouilles de SNLE qui répond au besoin de maintenir en permanence à la mer au minimum un SNLE. Assurer la remise en condition des SNLE dans les délais fixés est impératif.
Réussir ces enjeux dans un contexte de fortes réductions budgétaires nous oblige à :
- maintenir en permanence le capital technique (connaissances et moyens) constitué depuis la création des sous-marins nucléaires,
- continuer à faire évoluer l’organisation, les méthodes et les mentalités,
- améliorer la qualité de nos prestations.