La formation “ défense ” des polytechniciens
Quelle influence la fin de la conscription a‑t-elle sur la formation des polytechniciens et à partir de quelle promotion la situation a‑t-elle évolué ?
Quelle influence la fin de la conscription a‑t-elle sur la formation des polytechniciens et à partir de quelle promotion la situation a‑t-elle évolué ?
C’est la promotion X 2000 qui a inauguré la nouvelle formule. Les X 99, eux, ont suivi une première année de cursus qui correspondait encore à un service national. Les X 2000, par contre, ont fait un stage de formation humaine et militaire, et il en sera de même pour les promotions suivantes. La nuance est plus importante qu’elle n’en a l’air. On ne raisonne plus en termes de service à rendre à la nation.
Il s’agit désormais pour les élèves de recevoir une formation qui les sensibilise aux problèmes de défense. Dans la période actuelle de suspension de la conscription en France, il est apparu important de consolider les liens entre l’armée et la société civile. Les polytechniciens ont vocation à participer activement à cette mission durant toute leur carrière professionnelle. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les propos du ministre de la Défense le 21 octobre dernier : » Le maintien du statut militaire pour les élèves français de l’École polytechnique dans le contexte de la suppression du service national contribuera à renforcer le lien entre la nation et les armées. »
Justement, quel statut militaire ont les polytechniciens des nouvelles promotions ?
Désormais, les élèves admis à l’X signent un contrat d’engagement » en qualité d’élève officier de l’École polytechnique « . Ce contrat couvre la totalité du temps de scolarité soit quatre années à partir de la promo 99 (exception faite des élèves choisissant de servir dans un corps de l’État, qui changent de statut en fin de troisième année). Les polytechniciens accèdent au grade d’aspirant » le premier jour de la deuxième année suivant leur incorporation » et sont nommés sous-lieutenants de réserve à leur sortie de l’École. Ils perçoivent une solde identique, d’environ 3 000 francs, tout au long de leur scolarité. Une indemnité permettant de couvrir leurs frais d’entretien leur est versée à partir de la seconde année.
Que se passe-t-il pendant le stage de formation humaine et militaire, qui occupe une grande partie de la première année du cursus à la place du service national ?
L’année commence par un mois de stage au centre d’instruction de Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Provence. C’est un cadre absolument superbe, qui permet à la plupart des élèves une transition idéale entre les classes préparatoires et une affectation dans les forces armées. Les élèves quittent ensuite Barcelonnette pour rejoindre l’école d’application de l’armée qu’ils ont choisie : l’École navale pour la marine, Coëtquidan pour l’armée de terre, l’École de l’Air pour l’armée de l’air et Melun pour la gendarmerie et pour les élèves qui ont choisi d’être affectés ensuite dans des organismes civils. Cette période en école d’application dure un à deux mois. Enfin arrive la période d’affectation en unités militaires pour les trois quarts des élèves, dans des organismes civils pour le quart restant (association à caractère humanitaire, maison d’arrêt, établissement scolaire en zone d’éducation prioritaire, commissariat de police…).
La formation militaire initiale des X à Barcelonette.
© THOMAS ARRIVÉ–ÉCOLE POLYTECHNIQUE
L’objectif de toute cette période, qui se termine le 1er mai de la 1re année, est avant tout de sensibiliser les élèves aux difficultés des autres, de les initier aux responsabilités, et de leur donner une formation d’officier de réserve.
Que se passe-t-il, sur le plan de la formation militaire, durant les autres années du cursus ?
Les élèves, comme auparavant, participent à de nombreuses cérémonies : celles du 11 novembre et du 8 mai, celles de la présentation au drapeau et de la passation du drapeau, et bien sûr celle du 14 juillet (pour l’anecdote, la reine d’Espagne, qui assistait au défilé du 14 juillet dernier, m’a fait dire par Madame Chirac qu’elle avait particulièrement apprécié la prestation des X 99).
Général de Nomazy.
Les élèves suivent également, durant leur formation à Palaiseau, un cycle de conférences sur le thème » défense et affaires étrangères « 1. Par ailleurs, plusieurs cérémonies des couleurs ont lieu à l’École pendant l’année. De plus, depuis quelques mois, pour honorer nos élèves étrangers, nous avons instauré une cérémonie (couleurs suivies d’un petit-déjeuner) le jour de chaque fête nationale des pays représentés par nos élèves.
Mais cette formation ne serait pas complète si elle se résumait en 2e et 3e années à ces quelques manifestations. Je crois qu’il est nécessaire en fin de 3e année, au moment où l’élève a les acquis pour quitter le plateau de Palaiseau, de clore cette formation par un stage de quelques jours dans l’armée dans laquelle il a effectué son stage initial. Au cours de ce stage, il pourrait recevoir divers enseignements sur la défense, assister à des démonstrations de matériel et être informé sur le cursus dans la réserve.
Ce cursus devrait, à mes yeux, être attrayant, s’étaler sur toute une carrière professionnelle et être spécifique aux polytechniciens. C’est à mon avis une opportunité exceptionnelle à saisir pour les armées. C’est le moyen pour elles de disposer à moyen terme d’un relais d’opinion particulièrement efficace et compétent. C’est pourquoi nous allons mettre en vigueur ce stage dès cette année.
Outre la volonté de conserver le lien armée-nation, quels sont les principaux intérêts que vous voyez dans le maintien du statut militaire des élèves ?
Une formation militaire est porteuse d’un certain nombre de valeurs : sens du devoir, responsabilité, solidarité… Ces valeurs seront utiles aux élèves même en dehors du contexte militaire. Je me permets de citer à nouveau le discours prononcé par le ministre de la Défense en octobre 2000 : » Le statut militaire que l’École a hérité de l’Histoire est un puissant atout pour l’avenir. Il est en effet essentiel que les polytechniciens, appelés à exercer d’importantes responsabilités, acquièrent les qualités humaines qui en sont le support, ainsi que le sens des responsabilités civiques et sociales. Ce sont ces qualités qui leur permettront d’exercer leurs fonctions avec le sens de l’intérêt collectif et la reconnaissance de leurs partenaires. »
La passation du drapeau. © THOMAS ARRIVÉ–ÉCOLE POLYTECHNIQUE
D’autres raisons, peut-être moins importantes, justifient la tutelle de la Défense sur Polytechnique. D’abord, l’X est la plus grande école d’ingénieur du pays : le prestige qui l’entoure retombe forcément sur la Défense. Ensuite, même si peu d’X choisissent de faire une carrière militaire, ceux qui font ce choix permettent de diversifier les élites des armées. Enfin, l’X est un vivier essentiel de recrutement d’ingénieurs de l’armement.
Mais je voudrais insister sur une autre raison. Les enseignants et les chercheurs de l’X, qui sont pour la plupart de très haut niveau (une vingtaine d’entre eux sont membres de l’Académie des sciences) et qui habituellement travaillent loin du monde militaire, peuvent ici, à Palaiseau, établir des contacts approfondis avec des militaires et être tenus informés des besoins des armées. La Défense a tout à gagner dans cette proximité.
De plus, le centre de recherche de l’X (qui comprend près de la moitié de l’effectif présent sur le site) a des activités qui intéressent directement les armées, qu’il s’agisse de travaux sur les lasers, les réacteurs à plasma, la cryptologie informatique, la propagation des ondes, le traitement du signal… Je remarque d’ailleurs qu’aux États-Unis les centres de recherche des grandes universités sont très largement irrigués par les subventions du ministère de la Défense.
Vous êtes directeur général de l’École depuis un an : comment percevez-vous les élèves et quel est d’après vous leur sentiment à l’égard des armées ?
Dans des promotions de près de 500 élèves, il y a un peu tous les styles. Ce grand nombre m’interdit d’ailleurs de tous les connaître et donc d’avoir un avis global sur eux. Cependant, certains traits reviennent régulièrement. Je remarque que les élèves ont une puissance de travail impressionnante, une compréhension rapide des problèmes, une volonté manifeste d’ouverture et un solide sens de l’humour.
Sur le plan militaire, on met souvent en avant le fait qu’il n’y ait que peu d’X qui, chaque année, rentrent dans les armées. C’est un fait, mais à mon avis cela ne veut absolument pas dire que les X n’ont pas la » fibre défense « . Leur attitude démontre d’ailleurs l’inverse. Il y a toujours plus de candidats que de places disponibles pour participer au défilé du 14 juillet. L’année de service militaire était de plus en plus appréciée : elle est passée de 51 % d’élèves satisfaits en 1994 à 85 % cette année. Je ne doute pas que le stage de formation humaine et militaire qui l’a remplacée connaisse un succès au moins égal.
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1. Cette année vont intervenir le général Bentegeat (chef de l’état-major particulier du Président de la République), M. de Montbrial (directeur de l’IFRI), M. Bujon de l’Estang (ambassadeur de France aux États-Unis), M. de Villepin (président de la Commission des affaires étrangères et de défense du Sénat), M. Glucksmann (écrivain et philosophe).