Les entreprises de mécanique et l’environnement
S’il a jamais existé, l’atelier de mécanique des années cinquante, gros producteur de copeaux par tournage ou fraisage – arrosés d’huile de coupe récupérée mais pas recyclée – rempli de bruits et de poussières de forge, ou utilisant des bains de traitement de surface incontrôlés dans leur toxicité, est une caricature ou un lointain souvenir. La volonté des industriels et l’évolution des technologies aidant, cette image négative a disparu même de la mémoire des acteurs de la vie économique, tout au moins pour ceux qui veulent bien être au fait des réalités mécaniques du XXIe siècle. En effet, la mécanique pollue peu, pollue de moins en moins et contribue, grâce à ses équipements de technologies propres, à la dépollution, aussi bien dans ses usines que dans celles d’autres professions.
Comment transformer les nouvelles contraintes et leurs sanctions en une démarche volontaire de progrès ?
En France, le droit de l’environnement industriel a la particularité d’être à la fois rigoureux dans l’abondance de textes détaillés d’ordre national, communautaire et international, et négocié dans son application fondée sur des contrôles locaux (départementaux) pour des raisons évidentes de survie des sites industriels.
À ce double point de vue, la mécanique n’est pas particulièrement visée ni mal placée, car ses installations, sauf rares exceptions, ne présentent pas les risques majeurs d’autres secteurs. Elle est par contre, souvent, plus sensible à la politique des grands donneurs d’ordres eux-mêmes soumis aux groupes de pression (charte éthique, analyses du cycle de vie des produits, orientations imposées, mise en concurrence), ce qui peut avoir des conséquences lourdes dans ce domaine, pour les sous-traitants. Ces exigences des clients entraînent nécessairement une réflexion initialement coûteuse mais finalement formatrice.
© CETIM
La notion de base est celle des installations classées pour la protection de l’environnement ICPE, qui, par définition, sont celles pouvant présenter des dangers ou inconvénients pour le voisinage, la santé, la sécurité, la salubrité publique, l’agriculture, la protection de la nature et de l’environnement (loi du 19 juillet 1976). Son pendant en droit communautaire est la directive IPPC (Integrated pollution prevention and control) du 24 septembre 1996, qui s’inspire de la réglementation française et prévoit le contrôle des émissions polluantes dans l’eau, l’air et le sol par une procédure d’autorisation unique, et la directive » Seveso II » (9 décembre 1996) concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, qui est d’application rarissime en mécanique où les établissements relèvent des régimes de la déclaration ou de la simple autorisation non assortie de servitudes d’utilité publique.
Sept rubriques de la nomenclature visent le secteur : travail mécanique/ trempe, recuit, revenu des métaux et alliages/bains de sels fondus/traitement des métaux et matières plastiques/décapage ou nettoyage/galvanisation, étamage/vernis, peinture, apprêt, colle, enduit. Le ministère de l’Environnement (actuellement MATE) est particulièrement attentif aux ateliers de traitement de surface : contrôles, prélèvements, consommation d’eau, émissions de toute nature.
La transposition de la directive visant à réduire la production des précurseurs d’ozone a conduit à fixer des plafonds d’émission et, pour la mécanique, l’utilisation des composés organiques volatils (COV) est réglementée.
Enfin, l’application de la directive IPPC conduit à la rédaction de guides sur les meilleures techniques disponibles MTD (en anglais : best available technologies BAT) appelées BREF pour BAT References. Trois groupes de travail concernent la mécanique : Smitheries and foundries, Surface treatment et Solvent bases coating.
La contrepartie financière de cet encadrement est la taxe générale sur les activités polluantes TGAP qui s’applique : à l’air, aux déchets (DIB, déchets industriels banals, et DIS, industriels spéciaux), aux lubrifiants et huiles usagés, aux installations classées. L’énergie a été épargnée jusqu’à présent, la loi créant » l’écotaxe » ayant été jugée non conforme à la Constitution.
Parallèlement aux réflexions sur les procédés, se développent celles sur les produits, biens et services. La stratégie de la Commission sur la politique intégrée des produits, en anglais IPP, élément important du sixième programme d’action pour l’environnement 2001–2010, a été adoptée sous la forme d’un Livre vert en février 2001. Celui-ci exprime une volonté d’agir sur l’offre et la demande de produits plus écologiques pour qu’à l’avenir les 378 millions de consommateurs dans l’Union européenne s’orientent vers les produits conçus pour utiliser moins de ressources naturelles et exercer un impact moindre sur l’environnement, d’où trois axes d’études :
- stimuler la demande : étiquetage des produits, écolabels, marchés publics verts ;
- inciter les entreprises : inventaire et analyses de cycle de vie (ACV), normalisation ;
- utiliser la taxation différenciée : TVA réduite, aides d’État.
Bien qu’antérieure, la directive sur les emballages et déchets d’emballage du 20 décembre 1994, en phase de remise à jour, est un bon exemple de cette » nouvelle approche » fondée sur des » exigences essentielles » au nom de la trilogie : réduction à la source, réutilisation, recyclage. La mécanique qui fabrique (SNFBM : boîtes métalliques en acier ou alu) et qui utilise des emballages de consommation a contribué à la mise en place et finance Éco-Emballages, » le point vert « , qui promeut la collecte sélective et le recyclage de ces emballages.
En France, sur le même sujet, quatre groupes de travail ont été mis en place fin 2001, pour examiner :
- les démarches volontaires, méthodes d’évaluation, outils pour l’écoconception, normalisation ;
- l’internalisation des coûts environnementaux, concurrence, passage des biens aux services ;
- les systèmes de management environnemental orientés produits (en anglais POEMS) ;
- les achats verts, la communication environnementale : qui ? comment ? vers qui ?
Les outils collectifs de la profession au service d’une action efficace
L’industrie mécanique en France, a, rappelons-le, deux caractéristiques principales :
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la diversité des activités
L’éventail des produits livrés soit directement, soit en sous-traitance, peut en donner une idée : machines-outils, équipements pour les BTP et les industries agroalimentaires, systèmes de manutention, outillage, composants, sous-ensembles, optique, instruments de précision et de mesure, équipements des ménages et de la santé ;
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la diversité des tailles
80 % des entreprises sont des PMI de moins de 50 salariés, peu d’entreprises moyennes, souvent anciennes, 50 % ont plus de dix ans, souvent sous-traitantes de l’automobile, mais il existe aussi de grandes multinationales au total 6 600 entreprises de 20 salariés et plus, 12 % de la production industrielle française.
On comprend, dans ces conditions, que, comme leurs homologues d’Allemagne par exemple (Mittelstand désigne l’ensemble de ce tissu de PMI outre-Rhin), ces entreprises fassent appel au-delà de leurs initiatives individuelles à des instances professionnelles, FIM et ses syndicats en France, VDMA (Verband Deutscher Maschinen-und Anlagenbau) et ses associations spécialisées en Allemagne.
Il en est ainsi notamment en matière d’environnement : s’unir face aux risques, trouver ensemble les remèdes.
Quelques exemples le montrent où intervient souvent le CETIM, Centre technique des industries mécaniques, avec ses trois sites Senlis, Saint-Étienne, Nantes, et qui est, comme son nom l’indique, le bras armé de la profession dans le domaine des nouvelles technologies et du management environnemental :
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pour inciter les entreprises à appréhender et maîtriser leur situation environnementale de façon globale, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) avait mis au point une méthode opérationnelle, le Plan environnement entreprise PEE 2000 en 4 parties : état des lieux et premier programme, amélioration des performances par domaine, éco-audit, ISO 14001. Le CETIM a publié un guide d’application du PEE 2000 au secteur mécanique, qui explique et conduit pas à pas les responsables dans leur progression technique et administrative, air, sols, eau, déchets, bruit sont passés en revue par nature d’atelier ;
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pour les exploitants, des notices spécifiques existent, élimination des boues d’hydroxydes métalliques dans les traitements de surface, guide de choix et d’utilisation des solvants et dégraissants industriels, stabilisation des boues de rectification, guide de réduction et de traitement des déchets dans l’application des peintures industrielles ;
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pour les clients, des guides pratiques ont été préparés par des syndicats, ainsi UNICLIMA (constructeurs de matériel aéraulique, thermique, thermodynamique et frigorifique) décrit le traitement de l’air en milieu hospitalier, la réception d’une installation de ventilation mécanique contrôlée, la qualité de l’air des ateliers, les méthodes et techniques pour l’assainissement des atmosphères de travail… ;
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pour les utilisateurs, des » guides de bonnes pratiques « , exemple avec les trois ministères concernés emploi, industrie, environnement : la bactérie Legionella et les tours aéroréfrigérantes ;
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six syndicats : AFPR (pompes et robinetteries), FABRILABO (appareils de laboratoire et de mesure), SATS et SITS (applicateurs et matériels de traitement de surface), SIMMA (manutention), UCIP (procédés chimiques et alimentaires) ont formé ECOMECA qui agit en leur nom et coordonne la présence aux salons et expositions, les normes, la définition des MTD (meilleures techniques disponibles), bref, la promotion des éco-industries de la mécanique ;
- enfin, une publication trimestrielle de plus en plus copieuse et rédigée en commun par l’UIMM, la FIM et la FIEEC avertit tous leurs adhérents des actualités les plus importantes en la matière.
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Code du travail, Code des douanes, Code de l’environnement, » ce dernier né en 2000, rassemblant 39 lois en un millier d’articles, mais toujours incomplet et déjà obsolète, les textes législatifs et réglementaires relatifs à l’environnement ne manquent pas, sans compter les 200 directives de Bruxelles, à quoi s’ajoutent près de 250 conventions internationales » (Les Échos du 9 juillet 2001).
Dans un climat très émotif, tout se passe comme si à chaque nouveau sinistre accidentel ou catastrophe naturelle, les exécutifs français et européen faisaient assaut de complexité en rajoutant des circulaires, comblant des lacunes, ajoutant des seuils, des échéances, des pénalités, dans une émulation digne d’un meilleur sort.
Dernières trouvailles : les risques et les dommages. D’un côté, un avant-projet français de loi sur la maîtrise des risques technologiques, résultat d’un débat national de 26 tables rondes régionales, de l’autre, un avant-projet européen de directive sur la responsabilité environnementale fondée sur le principe bien connu pollueur payeur, fruit de dix ans de tergiversations.
On peut admettre que ces couches successives de textes depuis trente ans, certes à la mesure de questions planétaires mais à la limite du déraisonnable, aient surpris les décideurs de la mécanique. Mais, comme le dit Franck Gambelli, directeur à la FIM :
» Si dans un premier temps, les entreprises se sont senties agressées et ont fait bloc, par réflexe de corps, en critiquant les acteurs sociaux : écologistes, médias, scientifiques, un discours plus positif a progressivement vu le jour… Des spécialistes sont recrutés, des indicateurs sont mis en place, les organigrammes sont modifiés, on investit dans la maîtrise des pollutions… S’il faut avoir la lucidité et le courage de reconnaître les difficultés des entreprises dans cette marche, il est de notre devoir d’affirmer la réalité des progrès. »
En effet, les moyens mis en œuvre ont permis jusqu’à présent d’anticiper le respect des normes françaises de plus en plus serrées et souvent en avance sur les européennes.