Les compagnons d’Emmaüs : de l’exclusion à l’estime
Dans le cadre d’une recherche sur la gestion de l’exclusion, deux étudiants de l’École des mines se sont intéressés aux associations qui se consacrent à la réinsertion des plus défavorisés, essentiellement des personnes seules.
Les unes ne font que gérer des lieux de passage, les autres les accueillent pour des formations longues qui doivent leur permettre de réintégrer le marché de l’emploi. L’ensemble fonctionne plus ou moins bien, car il n’existe, à l’heure actuelle, aucun dispatching qui permettrait de répartir cet éventail de prestations en fonction des besoins de chaque individu, et nos deux chercheurs ont observé un certain nombre d’ajustements aux conséquences négatives, quand un exclu est pris en charge par une association qui traite un autre problème que le sien.
Aussi ces étudiants se sont-ils efforcés de reconnaître la spécificité des associations qu’ils ont visitées. À Emmaüs, ils ont trouvé des compagnons qui séjournent et travaillent dans leurs communautés. On ne leur impose aucune limitation de durée, ni aucune formation en vue d’une réinsertion dans un monde qui serait en dehors d’Emmaüs. Emmaüs est leur lieu de vie.
Les Communautés Emmaüs ont été créées en 1954 par l’Abbé Pierre, qui définissait leurs missions autour des thèmes » accueil, travail et service « . Elles pratiquent une sorte de révision, de renversement des données du problème de l’exclusion.
Celui qui arrive était réputé incapable de travail, prestataire obligé de l’impératif de solidarité sociale, récepteur passif de l’assistance, et il avait fini par intérioriser cette image d’individu irresponsable et sans valeur.
Mais voilà qu’une communauté l’accueille, le loge, le nourrit, le soigne, lui donne des droits sociaux, y compris ceux de la retraite. Il est en somme rebranché sur ce qui constitue la normalité dans notre société et cela se fait sans limite de durée, mais à la seule condition de suivre les règles qu’impose la vie commune. Il peut assumer des responsabilités. Un travail lui est donné, un vrai travail rémunéré pour lequel il touche un pécule, et qui permet à la communauté de fonctionner sans subvention, ni allocation RMI. Enfin il met en œuvre le troisième volet du triptyque de l’Abbé Pierre, celui du service. La communauté soutient des plus pauvres, localement ou même loin, en Afrique ou en Amérique latine.
Les compagnons, qui étaient réputés être devenus de simples sujets de solidarité, se retrouvent en être des acteurs. Pour Emmaüs, qui accueille principalement des personnes vivant seules, le problème ne se pose pas en termes de réinsertion dans le monde, comme il se pose dans les autres associations : Emmaüs est leur lieu de vie et ce lieu est dans le monde.
Un ancien compagnon, devenu délégué d’une fédération de communautés le disait en ces termes : L’arrivée dans une communauté Emmaüs permet de poser son sac en toute sécurité. On est accueilli, non par référence à un passé mais dans le temps présent. La première parole est : » Je te fais confiance. » Alors toi, l’ex-chômeur, l’ex-licencié, l’ex-exclu, tu réapprends à être à l’heure, à découvrir tes capacités personnelles et tu commences à te sentir utile.
C’est ainsi que, depuis cinquante ans, quelques milliers de compagnons vivent, sans aucun subside externe, de la collecte, de la réparation et de la vente d’objets réputés sans valeur. Ces hommes, qui étaient réputés sans valeur et qui se percevaient eux-mêmes comme tels, font ces récupérations et se récupèrent eux-mêmes par leur travail et par la vie dans leur communauté.
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« Mais voilà qu’une communauté
« Mais voilà qu’une communauté l’accueille, le loge, le nourrit, le soigne, lui donne des droits sociaux, y compris ceux de la retraite » Comme tout cela est bien dit… On l’accueille oui, si il y a de la place et si il est plutôt chauffeur ou cuistot… On le loge, oui, mais c’est à titre ultra précaire car il n’a aucun contrat d’aucune sorte…on le soigne, oui, mais vaut mieux qu’il soit pas trop malade car sinon… On lui donne des droits sociaux, oui, mais beaucoup moins que si il était un citoyen ordinaire,
il n’a pas doit aux allocations chômage si il perd son travail et les bases sur lesquelles cotise Emmaüs sont si ridicules (40% du SMIG) que l’on ne devrait pas parler de retraite pour la misérable aumône qu’il touchera au bout de plus de 50 années de cotisation (heureusement que le minimum vieillesse existe)…
Et puis aussi on peut l’exclure à tout moment sans préavis et sans possibilité de recours car il n’a aucun contrat de travail d’aucune sorte et il perd alors et le travail et le logement. C’est une espèce de rituel barbare pratiqué par toutes les communautés que l’on nomme « faire le sac » ou PSG (pécule ‑sac-gare)…