Roger Coquand (25) 1906–2001
Avec la mort de Roger Coquand, c’est une partie de l’histoire du Corps des Ponts, et de l’histoire de la route en France, qui disparaît. Tous ceux qui ont eu le privilège de l’approcher, comme professeur, comme directeur des routes et de la circulation routière, comme président de section, puis vice-président du Conseil des Ponts, comme vice-président de la SNCF, ont été durablement marqués par cet homme exceptionnel. Il a su, avant d’autres, mieux que d’autres, pressentir, accompagner, provoquer les évolutions, voire les révolutions qui ont marqué le domaine routier et autoroutier à la fin des années 50 et au début des années 60.
Il avait, en particulier, pressenti l’explosion de la circulation routière qui allait accompagner les » trente glorieuses » et il en avait, avant d’autres, mesuré les conséquences, et fait ce qu’il fallait pour obtenir les moyens permettant d’y faire face. En dépit des déceptions qui ont suivi la création du Fonds spécial d’investissements routier, il avait compris que sa création si elle n’était pas, en fait, un engagement inconditionnel d’affecter à la route des crédits proportionnels aux taxes pétrolières, n’en représentait pas moins un engagement de la classe politique de lancer de grands travaux routiers et autoroutiers pour accompagner, et même précéder la reconstruction du pays après les années dramatiques de la guerre, et il n’avait cessé de se battre pour que l’entretien des routes nationales, leur développement en rase campagne mais également, au même rythme, leur développement en zone urbaine permettent de faire face à l’explosion du nombre de déplacements.
Pour la rase campagne, il avait lancé les campagnes de revêtements en enrobés, les renforcements coordonnés et les mises hors gel. Pour les autoroutes, il avait été l’avocat du péage : » plutôt des autoroutes à péage que pas d’autoroutes » ; il avait soutenu la création des sociétés d’économie mixte, fait adopter un premier programme, ambitieux pour l’époque, de 2 000 km d’autoroutes, et doté simultanément le service spécial des autoroutes des moyens humains et matériels permettant de faire face au changement du rythme des constructions.
L’environnement n’était pourtant pas très favorable : il citait volontiers, sous le nom » d’enchantement du Vendredi saint « , la décision d’un célèbre ministre des Finances qui, après avoir parcouru pendant le week-end de Pâques, entre Vienne et Valence, une RN 7 quasi déserte, avait donné l’ordre de revendre les terrains acquis pour construire l’autoroute… qui accueille aujourd’hui plus de soixante mille véhicules par jour.
Ce technicien de la route, qui respectait profondément les décisions politiques, tout en se donnant les moyens de les influencer, ou en tout cas de leur faire prendre en compte les contraintes techniques, avec un mélange de courtoisie respectueuse et de tranquille obstination, avait un humour aigu et corrosif, admirablement illustré par cette fameuse » autoroute circulaire du général Durant « , dont l’objet était de mettre à mal quelques idées reçues sur le schéma autoroutier et sur l’usage du péage.
Ce grand ingénieur était avant tout un homme d’ouverture : c’est la commission qu’il a présidée qui a, après de longs mois d’études, donné un avis favorable à la construction du TGV entre Paris et Lyon.
Son esprit d’ouverture s’était étendu à la sphère internationale : dans le cadre de l’Association internationale permanente des congrès de la route, (AIPCR), dont il avait été président de 1969 à 1976, il avait été à la fois un ardent défenseur de la pensée technique et la langue technique françaises, tout en œuvrant pour ouvrir la présidence de l’association à l’international, après une succession ininterrompue de présidents français depuis 1908, ce qui a permis de donner une dimension réellement mondiale à cet organisme.
Sa compétence, sa curiosité d’esprit, son humour, son étonnante mémoire, mais également sa force de caractère, sa détermination et sa modestie s’accompagnaient d’une extraordinaire bienveillance à l’égard de ses collaborateurs auxquels il déléguait largement, qu’il guidait, encourageait, écoutait souvent, convaincu qu’il était de ce que de la confrontation des idées, et surtout des idées neuves, pouvait toujours jaillir une lumière accrue.
Nombreux sont ses amis, ses disciples, ses partenaires, ses anciens collaborateurs, qui conserveront à sa mémoire leurs souvenirs reconnaissants, admiratifs, respectueux, mais aussi et peut-être surtout, affectueux.