Editorial
Littré définit le bois comme » la substance dure, compacte, solide qui constitue les racines, la tige et les branches des arbres et arbrisseaux « . La majorité des arbres naissent par plantation, semis ou régénération naturelle et vivent dans les forêts (les » écosystèmes forestiers » des scientifiques), le bois est ainsi l’un des produits qu’elles ont, de tout temps, fournis à l’homme, en plus de nombreux services environnementaux et sociaux : protection des sols, maintien du débit et de la qualité de l’eau, réservoir de biodiversité, puits de carbone, chasse et récréation, paysages…
Dans une zone et à une période données, l’homme doit gérer la forêt pour obtenir la combinaison de produits et services qu’il en attend. Cette gestion a un coût, et force est de constater que celui-ci est surtout assuré par la production du bois. La majorité des nombreux services rendus par la forêt restent en effet pour l’instant » non marchands « .
Les Français – devenus citadins dans leur grande majorité – aiment généralement » leurs » forêts, sauf lorsqu’elles deviennent trop envahissantes. Ils ont également un faible pour le bois. Des enquêtes d’opinion montrent cependant qu’ils ne font pas bien le lien entre la forêt et le bois, et que, souvent, ils ne réalisent pas que les forêts qu’ils aiment sont celles-là mêmes d’où a été extrait le bois qu’ils apprécient.
Bien que ce numéro soit consacré au bois, et non pas à la forêt, il est donc important en préambule de rappeler la relation qui lie la vie de la seconde et la production du premier, ce que fait plus en détail le premier article en présentant l’ensemble de notre secteur forestier. La forêt française est en Europe la troisième en surface, derrière celles de la Suède et de la Finlande, deux pays où l’économie forestière tient une place éminente dans la vie nationale, et loin devant celle de l’Allemagne. Elle est au premier rang pour ce qui est du volume total de bois sur pied.
La superficie totale de nos forêts ne cesse de croître du fait principalement de la déprise agricole (à un rythme équivalent à la surface moyenne d’un département tous les sept ans), de même que son volume moyen à l’hectare. La croissance annuelle du volume total de bois sur pied est ainsi la plus forte d’Europe, et elle est augmentée par la sous-utilisation forte et chronique de nos forêts, ce qui entraîne leur vieillissement et dépérissement.
En même temps, l’ensemble de la filière bois affiche en permanence un solde négatif, de l’ordre de 3,5 milliards d’euros ces dernières années, soit le deuxième poste déficitaire de notre balance commerciale (oui, vous avez bien lu, le deuxième) derrière celui des produits pétroliers.
Comment en est-on arrivé là, alors que le secteur forestier représente près d’un demi-million d’emplois situés souvent dans des régions où l’on cherche justement à maintenir l’activité économique ? Pourquoi ce secteur industriel n’a t‑il pas fait l’objet d’une politique de développement et de restructuration semblable à celles dont ont bénéficié, dans les années 50 à 70, des pans entiers de l’industrie nationale, alors même que des efforts importants de boisement et de reboisement étaient faits pour reconstituer et accroître la ressource forestière ? Comment expliquer que la plus grande scierie française ne soit que la 27e au niveau européen, et qu’il n’y ait pratiquement plus de fabricants français importants de machines à bois ? Et pourquoi le soutien de l’État au secteur forestier est-il, rapporté à l’hectare de forêt, quatre fois plus faible qu’en Allemagne, et dix fois plus faible qu’en Suisse ? Comment se fait-il, enfin, que l’on trouve si peu d’anciens élèves de l’École polytechnique dans ce secteur industriel (d’après l’Annuaire de l’AX, une quinzaine seulement – hors recherche -, pratiquement tous dans le sous-secteur papetier) ?
De très nombreuses raisons, bien sûr, expliquent ainsi que notre économie forestière, qui était la mieux organisée au temps de Colbert, ne soit plus aujourd’hui dans le peloton de tête européen, malgré une ressource considérable, la qualité de la gestion de celle-ci et celle des recherches sur le bois. Au-delà des facteurs circonstanciels – comme, par exemple, ce qui peut n’apparaître qu’anecdotique bien que dramatique, à savoir la mort en grand nombre de charpentiers chargés d’étayer les tranchées durant la Grande Guerre -, les raisons de fond n’auraient-elles pas toutes un facteur commun culturel ? Hasardons une hypothèse : ne serait-ce pas qu’à l’instar des peuples de la Méditerranée et du Moyen-Orient, et, contrairement à ceux de l’Europe centrale et septentrionale – ceux-là mêmes qui ont peuplé l’Amérique du Nord -, nous n’avons pas, pendant longtemps, accordé au bois la même considération qu’à la pierre pour la construction de nos habitations ? En France, en effet, quand on achète une maison, on » investit dans la pierre « .
Les frémissements d’un essor du secteur français du bois sont cependant perceptibles, et plusieurs articles de ce numéro le montrent. Dans le domaine de la construction, et plus généralement de l’utilisation du bois d’œuvre, ainsi que dans l’ameublement et l’aménagement intérieur, des progrès existent avec notamment l’apparition de nouveaux panneaux et autres produits ; de même, dans l’emballage en bois, où la France fait déjà bonne figure. Dans celui des industries papetières aussi où, cependant, il faut en permanence faire valoir les avantages comparatifs du » site France » pour attirer les grands groupes internationaux qui dominent le secteur.
Sans doute le plus grand atout du bois réside-t-il dans ce qu’il est un matériau particulièrement » écologique » : renouvelable, économe en énergie pour ses multiples transformations, source d’énergie lui-même, fixant le carbone, recyclable… Encore faut-il que tous les professionnels du secteur communiquent efficacement sur les vertus du bois en direction de citoyens et consommateurs de plus en plus soucieux de la protection de leur environnement. Cette information commence » à la source « , avec » l’écocertification « , c’est-à-dire la garantie que le bois utilisé provient de forêts soumises à une » gestion durable « . Un autre atout majeur du bois est qu’il se prête à toutes sortes de traitements (reconstitution, restructuration, combinaison avec d’autres matières…) pour donner des produits toujours plus performants. Ces atouts devraient lui permettre, dans les décennies à venir, de mieux concurrencer les autres matériaux et conquérir de nouveaux marchés ; et de faire en sorte que les ressources forestières considérables de notre pays soient mieux valorisées pour le plus grand bien de notre économie… et de nos forêts.