Le bois source d’énergie
Traiter du bois comme source d’énergie n’est pas un sujet anecdotique, même dans un pays développé comme la France. L’importance de cette utilisation du bois s’explique aisément. Le bois est le premier combustible dont l’homme s’est assuré la maîtrise, et corrélativement l’utilisation énergétique a été la première utilisation du bois.
Ainsi, en France le bois fut jusqu’au XVIIIe siècle la principale source d’énergie disponible, ce qui explique que la majorité des forêts était traitée en taillis (ou en taillis sous futaie) à courte rotation (quinze à vingt ans).Les statistiques forestières mondiales de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (OAA)1 montrent clairement que la production d’énergie reste encore la principale utilisation directe des volumes de bois exploités sur la planète puisqu’elle représente en effet 56 % du total de ceux-ci.
Une situation contrastée s’observe selon les continents : près de 80 % de bois de chauffage pour l’Asie et l’Afrique, moins de 20 % pour l’Europe et le continent américain2, indicateur simple du niveau de développement. Pour nombre de pays en développement le bois de feu reste encore la source d’énergie primordiale et, de ce fait, l’utilisation essentielle du bois.
Constitué essentiellement d’hydrates de carbone, le bois est susceptible de trois niveaux de valorisation :
- production d’énergie, à la condition de ne pas avoir un taux d’humidité trop élevé, toute forme de bois peut être bois de feu ;
- source de matière première cellulosique, le bois d’industrie ;
- matériau massif, le bois d’œuvre.
Au cours de sa croissance, l’arbre atteint successivement les niveaux de dimension qui lui permettent de passer de l’usage énergétique, à la production de cellulose, puis au matériau massif. Le choix des cycles de production forestière (taillis ou futaie) dépend donc des priorités des besoins à satisfaire3.
De plus, la transformation d’un bois matériau, en planches par exemple, va dégager des sous-produits susceptibles d’une valorisation en bois d’industrie ou, pour les plus dégradés, d’une valorisation énergétique ; les sous-produits du bois d’industrie sont eux-mêmes susceptibles d’être valorisés à des fins énergétiques. Par exemple dans les processus, dits chimiques, de production de pâte à papier, la dissolution de la lignine donne des » liqueurs noires » pouvant être brûlées, et assurer ainsi l’autonomie énergétique des usines de pâte à papier4.
L’évidence qui découle de ce constat est que tout produit en bois, rondin brut ou fendu en bûches utilisé en l’état, sciage, menuiserie, charpente, meuble, ou papiers et cartons, a vocation à finir en source d’énergie. Cependant, une partie appréciable des produits usagés finit par pourrir ou être brûlée en pure perte.
Aussi la réflexion sur le rôle de la forêt et du bois en tant que » puits de carbone » contribuant à la réduction de l’effet de serre doit-elle intégrer deux évidences parfois oubliées.
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La première est que l’utilisation énergétique du bois, sous quelque forme que ce soit, a au moins le mérite de ne pas libérer de carbone fossile. Elle est en fait neutre ; constituant une phase du cycle d’un produit renouvelable.
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La deuxième est que l’action de l’homme sur les forêts, par le rôle qu’il joue sur l’extension des massifs forestiers et leur gestion, peut contribuer à un stockage transitoire du carbone. Ainsi, pour un pays comme la France, depuis le minimum historique moderne situé au début du XIXe siècle, le doublement des surfaces forestières s’est également accompagné d’un triplement du volume moyen de bois sur pied par la généralisation de cycles de production plus longs, le mode de traitement en futaie se substituant au taillis.
Le volume de bois sur pied en France – estimé par l’Inventaire forestier national (IFN) à un peu plus de 2,2 Mm3 de » bois fort « 5, soit une biomasse réelle voisine de 4 Mm3 – est aujourd’hui environ le sextuple de ce qu’il était il y a deux siècles.
Par ailleurs, un stockage de longue durée est constitué par tout ce que l’homme accumule dans ses constructions, ou encore comme mobilier ou papiers, qui constitue un retrait effectif par rapport au cycle normal du carbone.
Mais évoquer cette question statistique, c’est poser le problème de la mesure de la consommation de bois de feu, laquelle est pour l’essentiel une autoconsommation qui échappe aux circuits commerciaux.
Les différentes utilisations du bois pour l’énergie
La consommation des ménages
Le chauffage des maisons individuelles, soit à titre principal, soit en appoint, reste de très loin la principale utilisation énergétique du bois. Comme il s’agit essentiellement d’une autoconsommation, le moyen le plus simple pour estimer l’ordre de grandeur de cette consommation est d’interroger les ménages. Ce qu’a fait l’INSEE à partir de ses enquêtes logements de 1988, 1992 et 1996, complétées par celles sur la consommation d’énergie effectuées par le CEREN (Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie), ainsi que celle réalisée téléphoniquement par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) à partir d’un questionnaire spécifique portant sur la saison de chauffe 1998–1999.
La consommation des industries de transformation du bois
Chaufferie collective. WWW.ITEBE.ORG
Ces industries consomment pour leurs besoins internes une partie de leurs sous-produits en bois. C’est en particulier le cas pour les séchoirs dont elles sont fréquemment équipées, notamment les scieries qui brûlent une partie des écorces et des sciures produites, et une partie des chutes de sciage (dosses et délignures, dont l’essentiel est cependant valorisé par les industries de la trituration). Il arrive souvent que les scieries, surtout quand elles sont de taille artisanale, alimentent un commerce local de ces sous-produits, pour un usage énergétique domestique.
De même, les sous-produits des industries lourdes (panneaux contreplaqués et autres panneaux) sont le plus souvent utilisés pour couvrir tout ou partie des besoins internes. Dans le cas de la production de pâte à papier, il faut distinguer deux cas. Les pâtes mécaniques utilisent le bois en plein, les déchets susceptibles d’une utilisation énergétique étant essentiellement les écorces et une partie du bois. Par contre la production de pâte chimique ne récupère que la fibre de cellulose, soit environ la moitié du volume du bois ; le surplus est constitué par la lignine, qui est dissoute pour donner ce que l’on appelle les » liqueurs noires « .
La récupération de l’énergie correspondant à ces hydrates de carbone en solution aqueuse est complexe, mais on voit bien qu’elle va au-delà d’un simple objectif de dépollution. Les chaudières de récupération de ces liqueurs noires, qui constituent un investissement très lourd représentant environ le quart du coût total de la construction d’une usine de pâte chimique, permettent en général d’assurer l’autonomie énergétique de ces usines, et le plus souvent de les rendre exportatrices d’énergie.
L’estimation de la consommation de bois pour l’énergie en France
La consommation de bois pour l’énergie se fait donc sous forme d’autoconsommation ou de consommations internes. Son appréhension statistique n’est donc pas aisée, mais elle est nécessaire pour préciser le bilan énergétique national : en effet, si cette source d’énergie qu’est le bois n’était pas mobilisée, l’essentiel des besoins qu’elle satisfait devrait l’être par des énergies plus classiques dont la consommation augmenterait d’autant.
En 1991, une estimation exhaustive permettait d’aboutir à un ordre de grandeur d’environ 36 Mm3 d’équivalent bois rond6.
Ce résultat était l’addition de plusieurs postes :
- l’évaluation des volumes de bois fort par l’IFN. À partir des volumes commercialisés, il est ensuite procédé, aux différents stades de transformation du bois, à une estimation des volumes théoriques de déchets, et de la fraction de ceux-ci qui fait l’objet d’une valorisation énergétique ;
- l’évaluation des volumes issus du surplus de la biomasse qui n’est pas directement mesurée par l’IFN ; cette biomasse totale (petites branches et brindilles) peut être évaluée par corrélation à environ 26 % du volume inventorié ;
- les volumes issus des ressources ligneuses non inventoriées, arbres isolés, boqueteaux, parcs, arbres fruitiers, ceps et sarments de vigne, etc.
Le total de 36 Mm3 d’équivalent bois rond se répartit approximativement comme suit entre ces trois postes :
1) à partir des volumes inventoriés
- bois de chauffage : 7 Mm3,
- déchets valorisés à des fins énergétiques : 11,5 Mm3 ;
2) à partir de la biomasse aérienne non inventoriée des surfaces inventoriées
- bois de chauffage : 7,7 Mm3 ;
3) à partir des formations non inventoriées : environ 10 Mm3 7.
Cette évaluation comportait un travail de recherche de cohérence entre les diverses sources répertoriées, et posait le problème de l’évaluation de l’autoconsommation au regard de l’écart de près de 50 % qui était alors constaté entre l’accroissement global annuel de la forêt française (tel que le mesure l’IFN) et la récolte effective (donc y compris l’autoconsommation). Le volume de bois fort autoconsommé avait été alors évalué à seulement 7 Mm3, ce qui ne remet pas en cause le diagnostic global de sous-exploitation de la forêt française.
Les résultats des dernières enquêtes réalisées directement auprès des ménages marquent une remarquable stabilité par rapport à cette première évaluation. Leur consommation de bois de feu peut être estimée à un ordre de grandeur de 50 millions de stères de bois, soit environ 30 Mm3 (le stère est un volume apparent qui représente un volume réel de 0,55 à 0,66 m3 selon le diamètre moyen des rondins empilés), soit un apport de l’ordre de 7,3 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole), ou encore un peu plus de 3 % du bilan énergétique de la France.
Les perspectives
Un exercice essentiellement de débusquage d’autoconsommation et de consommations internes permet ainsi de montrer qu’aujourd’hui le bois est la plus importante des énergies renouvelables après l’hydroélectricité et très loin devant les autres (éolien, géothermie, solaire).
Cela étant, les perspectives de croissance de cette source d’énergie sont réelles, pour plusieurs raisons complémentaires :
- les sources de produits ligneux actuellement exploitées à des fins énergétiques montrent encore des potentiels de développement réels ;
- la forêt française est sous-exploitée de façon chronique depuis plus d’un quart de siècle, et ce de façon croissante ; l’écart est tel que certains sont d’ores et déjà préoccupés des conséquences à long terme de ce problème sur la pérennité de nos forêts8 ; la valorisation énergétique pourrait assurer un débouché à cette production, tout en permettant le renouvellement et l’entretien de nos ressources forestières ;
- les caractéristiques du bois, matériau renouvelable, ne sont pas seulement un slogan, mais une réalité dont les utilisateurs sont de plus en plus conscients.
Selon le » Plan national de maîtrise de l’énergie « , les perspectives de développement de l’utilisation énergétique du bois à l’horizon de 2010 varient selon les secteurs d’utilisation.
L’énergie domestique devrait rester le secteur le plus important. Cependant, le marché rural traditionnel correspond à des modes de consommation qui connaissent un repli progressif. Ce repli devrait être compensé par une action sur les constructions pavillonnaires neuves, par l’équipement en cheminées munies d’inserts, et par les réseaux de distribution. La croissance de ce débouché devrait finalement atteindre 10 % sur la période, pour aboutir à une consommation de l’ordre de 35 Mm3 ou l’équivalent de 8,5 Mtep.
Compte tenu de la surabondance de la ressource, la limite de son développement est essentiellement liée à la demande. Celle-ci doit être stimulée, pour permettre en particulier une meilleure valorisation de nos ressources forestières, et ainsi réduire l’aggravation de la sous-exploitation et du vieillissement résultant des forêts françaises.
L’utilisation énergétique du bois dans l’industrie devrait croître de 5 % par an, pour atteindre 4 Mm3 par an, soit environ 1 Mtep. S’agissant de la valorisation de déchets, son développement est essentiellement limité par l’existence du gisement de ressource en déchets ligneux inexploités, actuellement estimé à 2 Mm3.
Le chauffage collectif et urbain devrait, avec une croissance annuelle de 20 %, atteindre un niveau de 1 Mm3 (0,25 Mtep) par an d’ici 2010.
Pour ce type d’utilisation, les besoins potentiels sont très supérieurs aux besoins actuels. Les chaufferies collectives disposent maintenant de technologies performantes et maîtrisées, en particulier la cogénération.
Encore faut-il prendre les dispositions nécessaires pour assurer la régularité de leur approvisionnement en combustible. En outre, il s’agit d’une filière créatrice d’emplois, 2 à 3 pour 1 000 Tep. Au regard des besoins, le gisement forestier est d’apparence illimité9, mais les » rémanents » forestiers (bois restant sur le parterre des coupes après exploitation) une fois convertis en plaquettes reviennent environ trois fois plus cher que les déchets des scieries.
Au total, le plan de maîtrise de l’énergie pourrait permettre une économie de l’ordre de 2,2 Mtep d’ici 2010, par substitution de 6,6 Mm3 de produits ligneux.
Les perspectives qui viennent d’être présentées peuvent paraître très prudentes et restent dans des filières d’utilisation où les possibilités de modernisation sont réelles, mais néanmoins très classiques.
La question peut être posée, elle le fut au moment du second choc pétrolier, du développement d’autres filières. Il s’agit en particulier du développement de biocentrales, de la production directe de biocarburants et de la gazéification. Les technologies correspondantes sont pour l’essentiel maîtrisées depuis longtemps dans leur principe, les gazogènes par exemple, mais leur seuil de rentabilité n’est pas atteint dans le contexte économique prévisible des dix prochaines années. Dans l’état actuel de leur maîtrise, il faudrait en effet pour qu’il le soit plus qu’un doublement du prix de l’énergie.
Conclusion
Il apparaît ainsi, d’une part que l’utilisation à des fins énergétiques du bois dans notre pays est finalement plus importante que ce que l’on croit généralement, et, d’autre part, qu’il existe de réelles perspectives de développement qui justifient qu’elle soit encouragée. Il s’agit en effet d’une énergie renouvelable qui ne contribue pas, sous réserve d’une gestion durable des forêts productrices de bois, à l’augmentation du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère, et dont l’incidence est donc neutre sur le cycle du carbone.
Si le bois pour l’énergie est un sous-produit et correspond à une utilisation finale secondaire – le bois d’œuvre et d’industrie restant l’objectif de production premier des forêts -, le développement de cette valorisation du bois pourrait, au moins à titre transitoire, assurer un débouché supplémentaire à la ressource forestière française dont la sous-exploitation devient préoccupante.
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1 — » Situation des forêts du monde « , édition 2001. L’OAA est plus connue sous son sigle anglais FAO.
2 — Au sens des Nations unies, les pays membres de la CEI, issue de l’ancienne URSS, sont décomptés à part. Pour ce qui est du continent américain, le bois de chauffage représente la moitié de la récolte de bois pour le sous-continent de l’Amérique du Sud.
3 — Sauf situation locale de contrainte, la destination énergétique ne saurait être l’objectif premier de la sylviculture. Le rendement énergétique de la photosynthèse est très inférieur à celui d’un panneau solaire.
4 — Ce point est repris plus loin.
5 — Volume sur écorce du bois de diamètre supérieur à 7 cm.
6 — » Le bois de feu en France « , par G.-A. Morin et P. Laufer, in La Revue forestière française, n° 3, 1991.
7 — Chiffre probablement un peu surévalué.
8 — Voir article de Jean Léonard, inspecteur des Eaux et Forêts et docteur en géographie, in La Revue forestière française, n° 2, 2000.
9 — L’écart entre l’accroissement biologique de la forêt française mesuré par l’IFN et les volumes récoltés est de plus de 30 Mm3.