La gestion des fins de carrière
Voici plusieurs années que je m’efforce de mon mieux d’aider ceux de nos camarades que les hasards de la vie amènent à réfléchir à une réorientation professionnelle et j’ai été plusieurs fois frappé par le problème spécifique que pose la gestion des fins de carrière. Ceci est d’autant plus vrai que les postes occupés ont été prestigieux. Tout se passe comme si, en quittant une présidence ou une direction générale, la difficulté de la réorientation, déjà compliquée par le problème de l’âge, se doublait d’une difficulté psychologique, celle d’avoir à » descendre » dans l’idée que la personne se fait de l’échelle des affectations.
Il y a là un problème important qu’il importe de démystifier. Il est relativement rare que quelqu’un qui a atteint jeune une position de premier plan se trouve dans la même position dix ans plus tard. L’accélération générale des processus industriels et financiers, les restructurations fréquentes ont bien souvent raison des soi-disant positions acquises. Il est donc important de se tenir prêt au changement, s’il doit survenir, ce qui signifie intégrer l’idée que la gestion d’un cursus professionnel peut parfaitement se traduire par la perte d’une situation en vue sans que l’intéressé doive pour autant se considérer comme un » homme fini » ou refuser telle ou telle proposition sous prétexte qu’elle est » inférieure » à celle qu’il occupait précédemment.
Il est utile à ce stade de jeter un coup d’œil sur la situation dans le pays phare du monde d’aujourd’hui, en l’espèce les États-Unis. Non seulement il est très courant dans ce pays de voir des » grands patrons » abandonner un poste prestigieux pour prendre la direction d’une modeste start-up, mais il est tout aussi courant de voir les mêmes hommes accepter volontiers un poste de conseiller du président ou d’administrateur chargé de mission, lors d’un changement les amenant à quitter leurs fonctions. Ceci n’est nullement considéré comme déshonorant, il s’agit tout au contraire d’une façon reconnue d’utiliser l’expérience et le talent d’une personnalité.
Je crois qu’il faut voir là la caractéristique d’une société beaucoup plus perméable que la nôtre, où la dureté générale des affaires est compensée par une vision beaucoup plus souple de la réalité et il me semble que nous serions bien inspirés d’intégrer cette vue moins linéaire et plus ouverte de la gestion des carrières. Au cours de ces années, j’ai vu de nombreux cas où de mauvaises décisions stratégiques avaient été prises par les intéressés parce qu’ils avaient raisonné en termes de » puissance » et non d’intérêt du poste. Il me semble qu’une proposition non hiérarchique ne devrait jamais être écartée par principe, même si elle se situe dans l’environnement immédiat du groupe dans lequel ont été exercées les responsabilités précédentes. Après l’inévitable réadaptation initiale, une telle position peut conduire à un épanouissement personnel d’une autre nature, mais tout aussi réel.
Le problème est bien sûr aggravé par le fait que pour se hisser vers les sommets, il est connu qu’une (petite ?) dose de mégalomanie est nécessaire et que ce type de personnalités a peut-être plus de mal que d’autres à se voir » ramené à l’état laïc « … Raison de plus pour prévenir à l’avance ceux qui se trouvent dans ce cas qu’ils doivent se rappeler que la gestion d’une vie, et de façon générale la gestion des hommes, passe par une compréhension plus large que la simple vision hiérarchique. Certaines difficultés personnelles auxquelles j’ai été confronté auraient pu être évitées par cette démarche qui relève du bon sens autant que de l’humilité.