Comment évaluer l’effet des politiques publiques
Pour vaincre le chômage, il faut créer des entreprises. Mais lesquelles ?
L’actuel gouvernement veut créer 1 million d’entreprises nouvelles en cinq ans, soit 25 000 de plus par an (niveau actuel 175 000). Le tableau ci-après montre que s’il s’agit seulement d’entreprises familiales ou capitalisées à moins de 500 kF (en gros 100 000 euros) à leur création, il faudra entre 30 et 90 ans pour résorber 2 millions de chômeurs sur les 3 que compte, grosso modo, notre pays.
Clairement, ce sont les entreprises capitalisées à plus de 100 000 euros, les « gazelles », qu’il s’agit de faire surgir et dont il faut tripler le nombre annuel de création pour avoir un effet significatif sur l’emploi. Une étude de l’Onu (Étude GEM – Global Entrepreneurship Monitor – menée dans 29 pays) montre d’ailleurs que, comparativement aux autres pays, la France est dans les premières pour le nombre d’entreprises familiales et dans les dernières pour le nombre de gazelles. Et comme le montre Alain Mathieu, aucune institution n’est capable de financer des entreprises, les montants financiers sont trop faibles pour assurer une rentabilité du capital-risque, des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI), et a fortiori des banques. Les seuls capables d’assurer ce financement de façon efficace sont les business angels.
Ce qui met au centre de toute politique publique et comme un préalable à tous les autres efforts le financement des entreprises en création et donc le développement des business angels dont le nombre devrait passer de quelques milliers actuellement à 100 000 si nous voulons avoir une économie aussi dynamique que l’économie américaine.
Quelles mesures fiscales sont susceptibles de créer des business angels ?
Plusieurs mesures fiscales sont envisagées – ou seront peut-être même votées au moment où ce numéro de La Jaune et la Rouge paraîtra – mais toutes n’ont pas le même poids.
L’auteur de ces lignes en sait quelque chose pour avoir cru que l’article 1244 du Code fiscal américain (possibilité de déduire de son revenu des pertes dans le capital des sociétés nouvelles) était la cause de la réussite américaine et l’avoir suggéré à Alain Madelin, alors ministre de l’Industrie, qui en a fait l’article 163 octodecies.
En fait nous disposons de guides chiffrés, les coûts de chacune de ces mesures fiscales pour le Trésor public, qu’il aurait suffi d’utiliser pour voir que cette déduction des pertes en capital, ou l’avantage Madelin (déduction de 25 % de l’investissement de l’impôt sur le revenu) ou les FCPI ont des effets négligeables sur la création si on les compare avec les effets de la “ S corporation ” sur la création d’entreprises. Les S sont des sociétés à responsabilité limitée, transparentes fiscalement pour l’actionnaire ; lors de la création d’entreprises où les pertes pendant les premières années sont la règle, cela permet de transférer les pertes sur les actionnaires qui les déduisent à leur tour de leurs revenus et l’État contribue à couvrir ainsi, en gros, la moitié des pertes, donc à réduire de moitié le risque de l’investisseur. Ces sociétés (ou leur équivalent, les LLC) constituent plus de la moitié du parc d’entreprises américain et la très grande majorité des créations.
Comme on le voit sur le tableau ci-après, et en tenant compte des échelles des économies américaine et française, les déductions fiscales correspondant à la S représentent 500 fois l’article 163 octodecies ou son équivalent américain, 50 fois l’avantage Madelin et 15 fois les FCPI (dont la quasi-totalité des fonds, d’ailleurs, ne va pas vers la création d’entreprises). C’est donc bien le régime fiscal de la S qui se trouve au sein du moteur à créer des emplois aux USA, pas les autres dispositifs fiscaux. Ajout non négligeable : on constate que si la S est le dispositif qui coûte le plus cher au Trésor, il lui rapporte beaucoup plus qu’il ne lui coûte, environ quatre fois plus.
Introduire la S en France n’est peut-être pas la seule formule efficace d’incitation fiscale à la création d’entreprises. Il est possible d’imaginer que l’ISF, que l’on a pu appeler à juste raison l’Impôt de sortie de France, puisse être une incitation considérable à l’émergence de business angels. Il a été proposé depuis longtemps de permettre la déduction des investissements dans de petites entreprises de l’assiette de l’ISF, pour les mettre à parité avec les investissements dans les oeuvres d’art. Mais cette mesure seule est une mesurette car personne n’investira toute sa fortune dans des entreprises nouvelles, c’est trop risqué, et donc d’une attractivité très limitée.
Permettre de déduire de l’ISF à payer annuellement la moitié ou les trois quarts des investissements dans le capital d’entreprises nouvelles pousserait immédiatement les 120 000 Français qui payent l’ISF à investir dans les entreprises au lieu de le faire dans la pierre ou les DOM-TOM. Et éviterait l’exode des créateurs d’entreprises qui réussissent, voire déclencherait leur retour de Bruxelles, Londres ou Genève où ils se sont réfugiés au grand bénéfice de nos voisins. Il faut simplement le courage politique d’affronter une vraie réforme de l’ISF.