Osons l’essaimage !
L’entreprise peut avoir intérêt à pratiquer l’essaimage et doit favoriser le développement de ses hommes entreprenants. Comment amorcer le cercle vertueux de création d’entreprise par essaimage.
Nous savons par des enquêtes récentes que 48 % des créateurs d’entreprises sont des salariés et que 44 % des salariés du secteur privé aimeraient en faire autant.
Les start-ups rêvent logiquement de devenir de grandes entreprises, à l’image de Cisco ou Gemplus, alors que beaucoup de grandes entreprises rêvent de fonctionner avec souplesse et agilité comme de jeunes entreprises, en s’affranchissant des technostructures qu’elles ont sédimenté dans leur passé.
Les ressources affectées par les entreprises privées françaises à la recherche/innovation marquent le pas (la France, avec d’autres pays de l’Union européenne, veut porter de 2,2 % à 3 % la part du PIB affectée à cet effort avant 2010, avec une contribution relative du secteur privé inférieure à celle de pays comparables). Et on voit de grandes entreprises technologiques (en France : Air Liquide, Cegetel, EDF, France Télécom, Schneider, Valéo…,) créer des fonds d’investissements en « capital-risque » pour faire de la veille concurrentielle puis acheter des start-ups innovantes, plutôt que de gonfler leurs équipes de recherche : peut-on imaginer que de grands acteurs aillent piocher régulièrement dans ce « méta-marché » des technologies innovantes s’ils ne l’alimentent pas à leur tour avec de jeunes entreprises nées par essaimage en leur sein ?
L’organisation moderne des entreprises, avec moins de niveaux hiérarchiques qu’auparavant, rend plus difficile l’élaboration de parcours de carrière attractifs : pour attirer des candidats de valeur, il y a alors intérêt à leur offrir des opportunités de créer leur propre entreprise (essaimage). L’entreprise qui agit ainsi valorise son image et rend possible ce qui est l’obsession des étudiants des campus nord-américains : acquérir d’abord une expérience en grande entreprise et saisir toute opportunité pour créer la sienne.
Mais pourquoi donc les entreprises peuvent avoir intérêt à pratiquer l’essaimage ?
Respirer (inspirer ou recruter, et expirer ou essaimer) est naturel quand on est en bonne santé, et indispensable pour affronter les tempêtes : les entreprises matures ont tout intérêt à développer l’essaimage en régime de croisière, et pas seulement quand le carnet de commandes est brutalement réduit et qu’elles sollicitent les pouvoirs publics pour accompagner des plans sociaux.
Les cadres à haut potentiel d’une entreprise n’ont pas tous un profil de manager ou de chef de projet : ceux ayant le profil d’entrepreneur innovateur seront mieux valorisés dans la création d’une « spin-off » amie et partenaire fidèle de la maison mère (construite sur un savoir-faire ou des actifs de propriété intellectuelle en technologie), que dans la gestion d’une structure stable et sécurisée ou – pire – chez un concurrent qui saura exploiter leur frustration au détriment de l’entreprise imprévoyante.
« Créer de la valeur » est synonyme de « entreprendre » : la création de valeur dans une entreprise adulte est naturellement orientée vers son cœur de métier (innovation sur ses produits actuels, et parfois création de nouveaux produits) ; mais les résultats des recherches des salariés d’une entreprise ne sont jamais complètement exploitables par l’entreprise elle-même : certains d’entre eux peuvent servir d’amorce d’une entreprise nouvelle, plus habile que la maison mère pour tester et pénétrer un nouveau marché.
Dans le cas d’essaimage de technologie, le financement des développements complémentaires nécessaires est pris en charge par d’autres investisseurs qui fertilisent ainsi les premiers résultats de recherche et apportent une plus-value qui peut être très supérieure à celle d’une simple cession de licence. La participation de la maison mère figure alors dans son haut de bilan et sera revalorisée au rythme des augmentations successives de capital de ces jeunes « spin-offs », au lieu d’être ignorée parce que délaissée (brevet dormant) ou générant de modestes recettes noyées dans le compte d’exploitation (licence de brevet).
Dans une compétition économique où les arbitres de la concurrence mondiale surveillent les grandes entreprises, la sélection et le test des bonnes technologies ou des bons produits pour des marchés futurs et incertains sont naturellement plus faciles, s’ils sont faits par des « start-ups » : un méta-marché des technologies innovantes est ainsi appelé à se développer, où de grandes entreprises achètent des « spin-offs » nées dans d’autres entreprises, et génèrent à leur tour des « spin-offs » qui peuvent être convoitées par d’autres entreprises.
Pour une grande entreprise qui évolue dans un marché concurrentiel en forte évolution, créer des « spin-offs » amies (qui gardent une reconnaissance affective pour leur entreprise génitrice) est un moyen de constituer un écosystème protecteur, avec ses vigies avancées et ses chiens de garde, permettant de sécuriser leur cœur de métier.
Comment amorcer le cercle vertueux de création d’entreprises par essaimage ?
(Un petit courant dans la gâchette du transistor, pour libérer un grand courant dans les circuits de l’économie)
Au-delà des déclarations d’intention de quelques grands dirigeants qui reconnaissent la pertinence des arguments précités pour l’essaimage, force est de constater que, dans les faits, les responsables opérationnels de ces entreprises ne font rien pour favoriser les projets de création externes présentés par leurs collaborateurs ; pourquoi le feraient-ils, puisque la sortie de salariés compétents n’attirera pas les compliments et qu’économiquement rien n’incite une entreprise mature à aider un salarié dont le départ semble au premier abord l’appauvrir ?
Ce dernier point pourrait être corrigé par une incitation fiscale de telle sorte que, même à court terme, l’opération soit payante. Les charges sociales des créateurs pendant la gestation de leur projet devraient être provisionnées à titre d’avance à rembourser, quitte à ce que le remboursement se fasse en actions de la nouvelle société et bénéficie des dispositions fiscales attachées à de telles souscriptions (un amendement au projet de loi en cours de débat est prévu à cet effet).
Enfin, il faudrait éviter qu’au terme « d’essaimage » soit associé le souvenir d’essaimages réalisés pour se débarrasser d’une activité sans avenir et ne pas prendre à son compte le licenciement massif qui sera un jour prochain nécessaire. Même l’Association pour le développement de l’entrepreneuriat chez les salariés d’entreprises n’a pas toujours échappé à cette confusion. Peut-être faut-il changer le mot et parler de « libération totale de créativité ».
Conclusion
En conclusion risquons-nous à une analogie botanique : tel le grand chêne qui laisse tomber ses glands sur terre afin qu’ils germent et fassent naître des jeunes pousses, la grande entreprise se doit de favoriser le développement de ses hommes entreprenants tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la clôture.
Elle contribue ainsi à une relance dynamique de la création d’entreprises dans les jeunes générations.