Éditorial
La Jaune et la Rouge avait décidé, il y a un an environ, de consacrer à l’Europe son numéro de juin 2003. La rédaction de la revue s’était à l’époque tournée vers X‑Europe pour lui demander de préparer cette livraison. En tant que Président de cette association, je lui en fus, et lui en reste, vivement reconnaissant.
Le mois de juin 2003 nous paraissait très opportun car nous avions présents à l’esprit les travaux de la Convention que le président Giscard d’Estaing a la prestigieuse mais lourde charge de mener à bonne fin précisément pour cette date. Nous évoquions aussi entre nous les questions de long terme, qu’elles soient politiques, économiques ou de défense, particulièrement dans les domaines où les polytechniciens sont fortement représentés et chargés de responsabilités : industrie, armement, finances, transports, logistique, etc., car à l’aval des travaux de la Convention, les questions de définition précise des compétences européennes nous semblaient devoir rapidement se poser1.
Mais la guerre en Irak et ses conséquences sur les relations internationales n’étaient pas encore intervenues. Devant les incertitudes engendrées par ces événements, courant février et mars, quelle attitude fallait-il tenir ?
À propos des questions institutionnelles, nous sommes partis de l’idée que « les Constitutions sont faites pour s’entendre quand on ne s’entend pas toujours sur tout », au nom de laquelle nous pensons, contrairement à l’ambiance défaitiste qui submerge les Européens face au dur constat de leurs divergences, que la meilleure façon de faire l’Europe aujourd’hui est, plus que jamais, de lui permettre d’accoucher d’une Constitution.
Ensuite, sur les questions de compétences européennes, résolument optimistes quant à l’avenir de l’Europe, par raison, sans sauter comme des cabris à sa seule évocation, nous avons maintenu notre cap initial : insister sur « l’approfondissement », plus que sur « l’élargissement » car le premier se révèle, à l’usage, plus difficile à mettre en œuvre. D’autre part, s’il prenait trop de retard, la construction européenne serait menacée comme un édifice auquel on ajoute des étages sans avoir renforcé les fondations. Enfin, last but not least, en tant qu’ingénieurs nous pensons avoir été formés pour nous attaquer aux problèmes difficiles.
Vous trouverez dans ce numéro d’abord une analyse sur les questions actuelles par Madame Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux Affaires européennes, que je remercie tout particulièrement, puis deux articles présentant, dans une perspective historique, d’une part les travaux de la Convention pour l’avenir de l’Europe, par Dickran Indjoudjian, d’autre part la question de la politique étrangère et de défense, par le général François Bresson, président du groupe X‑Défense.
Vous trouverez par ailleurs des prises de position et des analyses extrêmement pertinentes de camarades chefs de grandes entreprises comme Bertrand Collomb, Gérard Mestrallet et Michel Pébereau, traitant soit globalement de l’insertion de l’industrie dans l’avenir européen, soit plus spécialement de l’électricité ou de l’adaptation des marchés financiers et des réglementations économiques de l’Union européenne.
Il nous a semblé aussi intéressant d’examiner quelques sujets plus précis. C’est ainsi que Jean Blondeau nous présente Euronext, fusion de Bourses européennes, Michel Gérard, Jean-Didier Blanchet et Christian Brossier, la question des transports de marchandises à travers les Alpes et Michel Walrave, une réflexion sur les transports en Europe.
Enfin deux articles manifestent concrètement la vitalité de notre association. Le premier émane du premier président d’X-Europe, Georges-Yves Kervern, créateur de l’association sur la sollicitation de Louis Leprince-Ringuet qui s’étonnait de ne voir que si peu d’ingénieurs impliqués dans les questions européennes, alors qu’ils ont des moyens propres pour les aborder. Le deuxième est écrit par Aurélien Tignol, élève de l’École.
Les propositions de Georges-Yves Kervern reposent sur l’analyse des mécanismes des organisations dans le temps et dans l’espace. Elles sont un encouragement pour l’action et une réflexion sur la politique européenne à long terme.
Par la voix d’Aurélien Tignol, créateur avec quelques autres d’un « binet Europe », les jeunes promotions et les élèves nous donnent des nouvelles de ce binet. Vous ne serez pas étonnés de savoir que les plus anciens d’X-Europe, et moi singulièrement, fondent de grands espoirs pour l’avenir à travers cette remarquable initiative.
Même si ce numéro ne touche pas tous les problèmes de l’Europe, il donne des éclairages sur l’actualité européenne dont nous espérons qu’ils seront pour vous d’un réel intérêt. Cependant, l’article de Dickran Indjoudian tente, lui, de rendre compte aussi fidèlement que possible des événements les plus récents.
Il suscitera certainement du courrier et des commentaires qui pourront être fort utiles à X‑Europe : n’hésitez donc pas à vous exprimer et à envoyer vos réactions à la Revue. Nous pensons profondément que la communauté polytechnicienne a un rôle éminent à jouer dans la construction européenne. Faisons nôtre cette pensée de Robert Schuman qu’on dirait avoir été écrite pour nous qui savons tous, d’expérience, l’importance de l’esprit d’entreprise : « À une époque où tout est fermentation, il faut savoir oser. Entreprendre vaut mieux que se résigner, et l’attente de la perfection est une piètre excuse à l’inaction. » Écrite en 1958 à l’occasion de son élection à l’unanimité à la Présidence du premier Parlement européen, et évoquant bien entendu l’avenir de l’Europe, cette phrase n’a pas pris une ride.
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1. Selon la ligne définie dès le départ par Louis Leprince-Ringuet, nous cherchons en effet à avoir toujours un temps d’avance sur les événements. Faut-il rappeler qu’en 1989, sous les sarcasmes de certains, X‑Europe avait tenu un colloque sur le sujet : « Faut-il une Constitution à l’Europe ? » que notre camarade Martre avait conclu en disant : « L’Europe sera constitutionnelle ou ne sera pas. »