Les transports de marchandises à travers les Alpes
Nous souhaiterions montrer, à travers l’exemple des infrastructures de transports de marchandises à travers les Alpes, comment certaines questions, traitées jusqu’ici nationalement ou par relations bilatérales, sont aujourd’hui devenues insolubles sans une mutualisation très forte de tous les États membres (et même d’un État non membre, la Suisse).
Les moyens nécessaires et les risques sont en effet si importants qu’aucun pays (ou couple de pays dans les projets frontaliers) ne peut les assumer sans les moyens et, à tout le moins, les garanties (à aspects financiers) de tous les autres.
Faut-il aller jusqu’à dire que cette question est devenue « fédérale« 1 de fait ? Que le lecteur se fasse lui-même son idée.
À notre avis, les réalités conduisent à dépasser les querelles de vocabulaire pour résoudre des questions sinon insolubles.
La nature de la question posée, ses caractéristiques essentielles
Les méga-projets2 envisagés (ou, pour les deux projets suisses, en cours de réalisation) reposent tous, techniquement, sur les mêmes principes :
- tunnels de 30 à 50 km de long, dits « de base » parce qu’ils sont aux niveaux d’accès les plus bas possibles des deux côtés3,
- ferroviaires pour réduire les coûts d’aération et améliorer la sécurité,
- adaptés au transport combiné accompagné de façon à offrir une alternative aux parcours « tout routiers », au moins sur leur segment alpin.
Ils ont trois caractéristiques communes. Primo des coûts extraordinairement élevés et une rentabilité très faible. Secundo, aux risques classiques des projets de ce type, ils en ajoutent un, lourd de conséquences : les trafics routiers, dans lesquels ils prévoient de prélever une part significative sous forme de combiné TCA et TCNA (transport combiné accompagné et transport combiné non accompagné), ont une extraordinaire sensibilité aux conditions financières imposées par les États traversés sur la totalité des parcours. Tertio, l’engagement irréversible dans la réalisation doit précéder de quinze ans environ l’ouverture du nouvel ouvrage ; or la visibilité à cet horizon est très réduite. Précisons ces trois points.
Une faible rentabilité
Les calculs actualisés coûts-avantages (monétaires et non monétaires), même avec des normes plus favorables que les normes françaises actuelles, comme dans le cas suisse, n’aboutissent pas à des taux de rentabilité interne socioéconomiques supérieurs à 3 %.
La faible rentabilité socioéconomique s’accompagne d’une rentabilité financière encore plus médiocre. Même en utilisant au mieux l’arsenal du partenariat privé-public (PPP, ainsi qu’on le nomme à Bruxelles) qui présente l’avantage certain de l’exigence, de la concentration des moyens au moment de la réalisation et de la bonne gestion dans la durée, on « n’inventera pas l’argent » et il faudra donc largement puiser dans des recettes publiques, existantes ou à créer durablement sur de vastes zones.
Sensibilité des trafics routiers aux conditions financières des parcours et des passages
Le système alpin de transports routiers de marchandises frappe par son extraordinaire sensibilité aux conditions financières imposées par les États traversés4. Ainsi, lorsque, au début 1995, sous la pression de l’Union européenne dans laquelle elle venait d’entrer, l’Autriche réduisit de 28 % le péage Innsbruck-frontière italienne, le trafic routier augmenta instantanément de 20 % au col du Brenner. Affolée, l’Autriche appliqua unilatéralement une hausse de 100 % à compter du 1er juillet 1995 ! En 1996, nouvelle hausse de 15 %5. La Suisse étant fermée aux PL (poids lourds) de plus de 28 tonnes de PTC (poids total en charge), les reports au tunnel du Mont-Blanc furent à chaque fois spectaculaires, alors que 370 km à vol d’oiseau séparent les deux passages.
La croissance continue, au sein du transport de marchandises, de la part du trafic « longue distance » explique ce fait : plus les distances à vol d’oiseau s’allongent, plus les différences relatives avec des parcours brisés, de mêmes origines et destinations, se réduisent.
Descente du Brenner côté Autriche,
l’autoroute passe en hauteur sur des ouvrages impressionnants.
PHOTO MICHEL GÉRARD
Des parts de trafic routier de plus en plus importantes peuvent donc basculer spectaculairement et rapidement, pour peu que les faits y contraignent ou que les conditions financières se modifient, comme dans le cas de l’Autriche en 1995–19966.
Les transporteurs ont tous désormais les moyens de contraindre leurs conducteurs à suivre un itinéraire donné. Pour un couple origine-destination (OD) donné ils prennent en compte non seulement les conditions physiques, kilométrages, pentes et temps de parcours7, mais aussi les données réglementaires (limites de PTC, interdiction de rouler la nuit), financières, péages routiers ou locaux (ponts, tunnels), redevances kilométriques ou autres, droits de roulage (eurovignette8), fiscalité du carburant9. Ils calculent, comparent et décident.
Les modèles rendent bien compte de ces effets en appliquant aux couples OD observés dans les enquêtes des calculs identiques à ceux des transporteurs. Les simulations manifestent des évolutions parfois progressives, parfois brutales quand de gros émetteurs ou récepteurs (ports, très grandes villes) font basculer des pans entiers de trafics d’un seul coup.
Manque de visibilité à quinze ans
Pour réussir de tels projets, qui sont tous des prototypes, il faut avoir pris une décision ferme au moins quinze ans à l’avance. Or c’est sur l’exploitation durant les vingt ans qui suivent et au-delà que se fonderont l’analyse et la décision de faire, de ne pas faire ou de retarder.
À cet horizon, entre « maintenant + 15 » et « maintenant + 35 », les prévisions se heurtent à une opacité très forte de l’avenir.
L’instabilité ci-dessus décrite du système alpin est la principale des causes de cette opacité mais il y en a au moins trois autres.
Tout d’abord le « combiné accompagné » demande un arbitrage délicat. En effet, le transporteur ne préférera le « combiné accompagné » au « tout route » que si la distance entre les plates-formes d’embarquement et débarquement est suffisante10 pour compenser les pertes de temps inévitables (attentes et transbordements).
Mais il faut aussi que la fréquence soit au minimum d’un train par heure (au-delà, les attentes moyennes sont dissuasives) et donc que le trafic permette au moins cette fréquence. En ce sens il est souhaitable de limiter la distance entre embarquement et débarquement, faute de quoi seront perdus tous les trafics dont l’origine ou la destination ne sont pas bien situées par rapport aux plates-formes.
Le « combiné accompagné » est donc un système intrinsèquement risqué où les erreurs se paient cher. Par ailleurs, même calé à l’optimum, il peut ne pouvoir vivre qu’avec une subvention d’exploitation ou, disposition de même effet mais politiquement bien différente, avec une taxe de dissuasion des franchissements en « tout route« 11. Les cas alpins semblent tous se présenter ainsi.
Le « combiné non accompagné » a soulevé beaucoup d’espoir et, à vrai dire, tout le monde comptait, il y a quelques années, sur son développement. L’optimisme est aujourd’hui moins de mise. Partout, le transport ferré apparaît comme d’une fragilité12 dont on doute qu’elle soit rapidement maîtrisable. Les sociétés ferroviaires sont moins mises en cause que par le passé car l’origine du mal semble être la difficulté intrinsèque de gérer des réseaux à objectifs multiples (transports de voyageurs et de marchandises à des vitesses différentes). Le remède certain que serait l’orientation progressive vers des réseaux majoritairement dédiés à un type de transport, ainsi que cela se pratique en France pour quelques TGV13 et aux USA pour le fret « coast to coast », ne peut être que très long14 à mettre en place.
Enfin la croissance forte des flux ne pourra pas indéfiniment durer. Or quinze ans, a fortiori trente-cinq ans, sont des durées significatives par rapport à la question du devenir des échanges à l’échelle du monde ou de l’évolution démographique des pays européens, singulièrement l’Allemagne et l’Italie.
Les raisons de l’engagement de la Suisse et de l’Union européenne
Pourquoi donc la Suisse et l’Union européenne ont-elles marqué, de longue date, tant d’intérêt à un type de projet aussi risqué, puisque les méga-projets suisses en cours de réalisation ont été décidés en 199115 et que les méga-projets franco-italien et austro-italien ont été classés par Jacques Delors dans le programme « Réseaux de transports européens », dit RTE, de décembre 1993 ?
Le cas de la Suisse
Quoique pays montagnard, la Suisse a hérité de son XIXe siècle le réseau ferroviaire le plus dense de l’Europe. Lors de la montée en puissance du transport routier, après la Deuxième Guerre mondiale, et alors que les codes routiers des autres pays européens allaient vers des poids totaux en charge de plus en plus élevés, la Suisse est restée prudemment, jusqu’au 1er janvier 2001, à un PTC de 28 tonnes.
Le barrage qu’elle formait ainsi à la circulation des marchandises est vite devenu un différend entre elle et le lobby routier européen (y compris en interne : Danzas, transporteur de taille européenne est d’origine et de statut suisses). Le PTC de 40 tonnes, dit européen, n’a pas été, dans son principe, difficile à accepter car il a de gros avantages économiques (rentabilité du transport) et écologiques (réduction, à tonnage équivalent, du nombre des voyages). Cependant l’évolution vers ce PTC demandait une certaine progressivité.
L’opinion populaire craignait, car la Suisse est le pays le mieux placé dans l’axe Nord-Sud, Milan-Rotterdam, que l’Europe du poids lourd ne s’engouffre dans la brèche et, en 1994, une initiative populaire recueillit un grand nombre de signatures. Elle tendait à interdire constitutionnellement le passage des poids lourds étrangers à travers les Alpes suisses. Cette initiative contraignit le Gouvernement à une votation qui fut un succès pour la question posée. Habilement cependant, le Gouvernement fédéral l’avait transformée en lui retirant tout caractère discriminatoire : il n’était plus question d’interdire les PL étrangers, mais de ne pas accepter plus de poids lourds transitant à travers les Alpes qu’il n’en serait constaté à une date donnée, fixée à l’époque dans le futur, en 1999.
Avant même que cette limitation devînt constitutionnelle, le Gouvernement fédéral se savait contraint d’imaginer des solutions ferroviaires permettant de faire face à la croissance prévisible du trafic routier en incitant celui-ci à utiliser les modes combinés pour le franchissement de la barrière alpine.
À long terme, le « combiné non accompagné » avait la faveur de l’Office fédéral des Transports, mais le réalisme commandait de prévoir pour l’ouverture aux 40 tonnes* des solutions en « combiné accompagné ».
Il lui fallait aussi des moyens financiers hors normes : c’est ainsi qu’a été créée une taxe de rapport, non discriminatoire (elle est payée par toutes les circulations routières de marchandises sur le territoire suisse), la RPLP (redevance poids lourds proportionnelle aux prestations) payable à la « tonne autorisée parcourue » (donc à vide comme à plein).
Le montant de cette taxe a été âprement discuté avec l’Union européenne qui visait à réduire au minimum le coût des transports les plus directs par la Suisse (trajet Bâle-Chiasso, ville jouxtant Côme, mais en Suisse) sans compromettre le financement des ouvrages.
Les Autorités suisses, de leur côté, savaient parfaitement ce qu’elles pouvaient exiger du transporteur sans mettre en péril un trafic routier dont elles ont désormais besoin pour payer leurs deux méga-projets.
Elles avaient même imaginé une autre taxe, dite TTA, taxe de transit alpin, également non discriminatoire, pour tout franchissement routier des Alpes de façon à pouvoir orienter les flux vers le passage ferroviaire en combiné accompagné. Cette taxe, d’incitation, n’avait pas pour but premier de rapporter des moyens.
Les négociations européennes ont abouti à réduire la TTA à zéro, la Suisse étant obligée de réserver la priorité à la RPLP. Du coup le Gouvernement fédéral est maintenant contraint de subventionner fortement les passages en « combiné accompagné » (à peu près 500 francs suisses soit 340 € par véhicule de Fribourg à Novare).
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* En fait, ce rendez-vous sera manqué puisque les 40 tonnes entreront le 1er janvier 2005 et que le Lötschberg n’ouvrira qu’en 2006. Il est vrai que des services très importants seront mis en place par le tunnel actuel.
L’encadré consacré au cas de la Suisse montre comment ce pays a été conduit à ce type de solution pour résoudre la contradiction interne entre la poussée européenne et ses propres intérêts économiques, d’une part, les résistances internes à toute augmentation du trafic routier de transit, d’autre part. L’existence de deux projets, alors qu’un seul aurait probablement suffi, a des raisons politiques internes16.
La hardiesse de l’exemple suisse, satisfaisant le développement économique, apportant une réponse politique parfaite à l’exaspération des populations montagnardes face aux nuisances du transport routier et répondant assez17 bien à l’évolution sensible des opinions publiques européennes en faveur de la protection de l’environnement, séduisit beaucoup.
Dans le même temps, plusieurs voix autorisées attiraient l’attention des opinions européennes sur l’irréversibilité des dommages environnementaux que le développement du trafic routier lourd engendrait dans les Alpes, milieu sensible entre tous.
Le même itinéraire intellectuel que celui du Gouvernement suisse conduisit l’Union européenne et les autorités politiques des États membres alpins (auxquels s’ajoute la Slovénie) à une large unanimité : toutes souhaitent durablement faciliter les franchissements de la barrière alpine pour les transports routiers de marchandises (en la gommant littéralement) et, simultanément, réduire le poids écologique de ces transports sur le périmètre très sensible de la Convention alpine18.
Aspects stratégiques et tactiques des décisions
La combinaison des désirs politiques et des réalités intrinsèques d’un ensemble de projets interdépendants et situés dans des États différents pose une « colle » redoutable. Résumons : chacun des quatre grands ouvrages est extrêmement coûteux et classiquement risqué, d’une part ; les risques classiques sont singulièrement aggravés par la liaison entre le trafic et des dispositions, tarifaires et réglementaires, susceptibles de varier au cours du temps, prises par tous les autres passages19, d’autre part20.
Tout d’abord similitude problématique ne signifie pas identité des risques. L’encadré sur l’instabilité fait assez bien comprendre que les deux passages suisses sont, de loin, les mieux situés. Ils peuvent plus aisément faire face à des actions de captures de trafic de la part des autres. Ou en déclencher : les Autorités helvétiques ont d’ailleurs clairement affiché leur intention d’attirer sur la Suisse, dès l’ouverture du pays aux poids lourds de 40 tonnes, le 1er janvier 2005, donc même avant l’ouverture du Lötschberg, le trafic détourné sur la France et l’Autriche par leur limitation du PTC (poids total en charge)21.
L’enjeu n’est pas mince, côté français, car il peut représenter un bon tiers du trafic du Fréjus et du Mont-Blanc.
Ensuite les projets sont des réalités plus complexes que les médias ne le laissent percevoir. Si les très grands ouvrages des projets suisses, en cours de réalisation, se trouvent entièrement sur territoire suisse, laissant faussement croire à la possibilité de décisions unilatérales de ce pays, il faut savoir que, par exemple, le projet du Lötschberg est tributaire de la réalisation d’améliorations de gabarit que l’Italie doit apporter à ses tunnels ferroviaires de la montée du Simplon ainsi que de la plate-forme d’embarquement TCA de Novare, payée par la Suisse mais dont l’accès aux poids lourds engage le plan de circulation de la ville.
Dans le même sens, mais sur le plan financier, la Suisse a dû prendre acte de l’attitude inquiétante de l’Italie qui a attendu son engagement irréversible pour doubler ses tarifs d’infrastructure ferroviaire, « pipettant » par là une partie de la marge de manœuvre suisse. L’avènement des péages allemands lui pose des questions similaires pour l’avenir.
La règle est générale. Les équilibres financiers de l’ensemble des projets et de chacun d’entre eux dépendent des tarifications de réseaux dans les pays traversés. En outre chaque projet suppose des aménagements parfois très éloignés de l’ouvrage principal. Le projet franco-italien suppose beaucoup d’aménagements de capacité ferroviaire du Sud et de la périphérie de Turin jusqu’à Anvers. Certains d’entre eux sont très importants (contournements de Lyon et de Dijon par exemple). Le projet austro-italien, devenu austro-germano-italien par le biais d’une structure PPP, suppose de nombreux investissements connexes dans les trois pays.
Le cas autrichien, caricatural, montre la quasi-impossibilité de décider des projets aussi lourds et risqués dans un patchwork d’États et de frontières. L’Allemagne fait pourtant beaucoup de lobbying à Bruxelles en faveur du méga-projet du Brenner qui l’intéresse à beaucoup d’égards, mais elle n’a, à notre connaissance, encore jamais parlé de subvention budgétaire allemande ou de taxe allemande pour contribuer à cette réalisation. Or, si, comme on l’a dit plus haut, les PPP ont beaucoup de mérites, dans le cas de projets non rentables il faut toujours des ressources longues d’ordre public pour couvrir les ressources courtes nécessaires aux investissements initiaux22. L’Autriche perçoit, bien qu’au nom du « principe de territorialité« 23 elle risque de devoir faire payer à ses citoyens, dans la durée, l’essentiel d’un ouvrage surtout destiné aux échanges Italie-Allemagne et Italie-Europe du Nord.
La mise au point d’une RPLP (redevance poids lourds proportionnelle aux prestations) (cf. encadré sur la Suisse) à l’autrichienne sans extension à des régions allemandes et italiennes ne sera pas facile : son application au trafic de transit ne couvrirait que les 100 km de traversée de ce pays selon l’itinéraire le plus emprunté (contre 300 en Suisse) et elle pénaliserait les transports internes est-ouest, montagneux, (à l’inverse de la Suisse). Enfin la faiblesse des apports possibles de l’Union européenne aux projets RTE, 5 % en moyenne sur la moyenne des projets, ne contrebalancera pas les effets du principe de territorialité. Rien pour rassurer l’Autriche ! Le blocage du projet n’est pas étonnant.
Trafic de marchandises à travers les Alpes Arc Vintimille/Tarvisio |
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Année | 1994 | |||||
Passage | Route | Route + Rail | Rail | Détail Rail | ||
Totaux en millions de tonnes | wagons complets |
TCNA | TCA | |||
Vintimille | 9,4 | 10,4 | 1 | 1 | 0 | pas d’offre |
Mont-Genèvre | non renseigné en 94 | Passage routier uniquement | ||||
Mont-Cenis | Passage ferroviaire uniquement | 7,7 | 4,6 | 3 | pas d’offre | |
Fréjus | 12,2 | 12,2 | Passage routier uniquement | |||
Mont-Blanc | 14,3 | 14,3 | Passage routier uniquement, accident le 24 mars 1999 | |||
France/Italie | 36 | 44,7 | 8,7 | 5,7 | 3 | |
Grand-Saint-Bernard | 0,4 | 0,4 | Passage routier uniquement | |||
Simplon | 0,1 | 4,7 | 4,7 | 3,9 | 0,8 | pas d’offre |
Saint-Gothard | 5,1 | 18,2 | 13,2 | 6,7 | 5,5 | 1 |
San Bernardino | 0,6 | 0,6 | Passage routier uniquement | |||
Suisse | 6,2 | 24 | 17,8 | 10,5 | 6,3 | |
Reschen | 0,8 | 0,8 | Passage routier uniquement | |||
Brenner | 17,6 | 25,9 | 8,3 | 3,6 | 2,7 | 2 |
Tarvisio | 5,6 | 11,1 | 5,5 | 4,9 | 0,5 | pas d’offre |
Autriche/Italie | 24 | 37,8 | 13,7 | 8,6 | 3,2 | 2 |
Arc Vintimille/ Tarvisio | 66,2 | 106,4 | 40,2 | 24,8 | 12,6 | 2,9 |
Année | 2001 | |||||
Passage | Route | Route + Rail | Rail | Détail Rail | ||
Totaux en millions de tonnes | wagons complets |
TCNA | TCA | |||
Vintimille | 14,1 | 15 | 0,9 | 0,9 | 0 | pas d’offre |
Mont-Genèvre | 1,5 | 1,5 | Passage routier uniquement | |||
Mont-Cenis | Passage ferroviaire uniquement | 8,6 | 4,6 | 4 | pas d’offre | |
Fréjus | 25,7 | 25,7 | Passage routier uniquement | |||
Mont-Blanc | non remis en service | Passage routier uniquement, accident le 24 mars 1999 | ||||
France/Italie | 41,3 | 50,8 | 9,5 | 5,5 | 4 | 0 |
Grand-Saint-Bernard | 0,6 | 0,6 | Passage routier uniquement | |||
Simplon | 0,4 | 5,2 | 4,8 | 3,9 | 0,3 | pas d’offre |
Saint-Gothard | 7,4 | 23,2 | 15,8 | 6,7 | 8,4 | 0,8 |
San Bernardino | 2 | 2 | Passage routier uniquement | |||
Suisse | 10,4 | 31 | 20,6 | 10,5 | 8,7 | 0,8 |
Reschen | 1,3 | 1,3 | Passage routier uniquement | |||
Brenner | 25 | 35,7 | 10,7 | 3,2 | 4,1 | 3,4 |
Tarvisio | 16,2 | 21,1 | 4,9 | 4,5 | 0,4 | pas d’offre |
Autriche/Italie | 42,5 | 58,2 | 15,7 | 7,7 | 4,6 | 3,4 |
Arc Vintimille/ Tarvisio | 94,2 | 140 | 45,8 | 24,2 | 17,2 | 4,3 |
Croissance 1994⁄2001 | 42,3 % | 31,6 % | 13,9 % | -2,4 % | 36,5 % | 48,3 % |
N.B. : la croissance du transport par rail est exclusivement due au combiné et dans celui-ci, la croissance du combiné accompagné (route roulante) n’est due qu’au passage du Brenner. Par ailleurs les chiffres absolus du TCA sont faibles. |
Ébauche d’une solution
Comment donc permettre que ces investissements gigantesques soient analysés, discutés et, pour autant qu’ils soient jugés nécessaires, décidés avec l’avance nécessaire de quinze ans ?
Quelques réflexions de base doivent être faites.
a) Dans un tel système, l’ordre des risques, des plus faibles aux plus forts, devrait être présent à tous les esprits : 1) Saint-Gothard, 2) Lötschberg, 3) Brenner, 4) Mont-d’Ambin.
Mais cette énonciation pose déjà une question : qui peut ? qui a le droit de se prononcer ainsi ? sinon une « mutuelle des intérêts et des risques » ?
b) Étant donné la dépendance des projets à l’égard des tarifications de réseaux même loin d’eux, la mutuelle en question ne peut pas être composée des seuls pays où se situent les franchissements proprement dits : tous les autres pays desservis sont intéressés.
De fil en aiguille, force est de constater que la mutuelle en question est en fait l’Europe des échanges de marchandises, c’est-à-dire l’Europe des vingt-cinq d’avril 2004. La traversée des Alpes par les trafics de marchandises mérite d’être traitée par une structure ad hoc au niveau européen, structure disposant de pouvoirs supranationaux importants.
Quelques définitions
Le trafic ferroviaire de marchandises se pratique actuellement de trois façons :
1) Les « wagons complets »
, en général chargés au départ par un industriel ou un commerçant sur un embranchement (ferrailles, bois, ciment, produits sidérurgiques, voitures, etc.). Ils sont déchargés par le destinataire.
2) Le « transport combiné non accompagné » (TCNA) :
la marchandise transportée est une caisse (dont le contenu est le plus souvent ignoré du transporteur), conteneur maritime, caisse roulante ou encore semi-remorque (ce qui exige dans ce cas des wagons adaptés). Aux deux extrémités de la chaîne de transport des véhicules routiers (ou une péniche ou encore un porte-conteneurs dans un port maritime) interviennent. Ce mode de transport exige une grande organisation d’un bout à l’autre de la chaîne et des plates-formes bien équipées (ponts roulants de transbordement).
3) Le » transport combiné accompagné » (TCA) :
des wagons, surbaissés dans la plupart des cas, chargent des PL complets. Les chauffeurs accompagnent leurs véhicules et participent aux manœuvres de chargement et déchargement.
Le mot « ferroutage » concernait au départ l’ensemble du combiné. Il désigne de plus en plus, mais pas toujours, le combiné accompagné. Cette ambiguïté le condamne dans les milieux professionnels. Les germanophones utilisent le concept de « route ou d’autoroute roulante ».
Comme on le verra dans le texte, les deux types de transport combiné sont profondément différents, aussi peu proches l’un de l’autre qu’ils ne le sont eux-mêmes du « wagon complet ».
Par ailleurs des ressources ou, à tout le moins, des garanties à caractère financier, doivent venir non seulement des pays concernés par les ouvrages les plus importants, mais de tous les pays européens.
Cette structure ad hoc doit permettre une surveillance continue du système sensible et évolutif des transports transalpins. On ne réglera pas en effet les comportements des États par de seuls accords écrits ; les termes en seraient-ils perfectionnés, ils n’empêcheraient pas la vie de se montrer plus imaginative que les rédacteurs de tels accords.
Quid de la Suisse diront certains ? En fait il n’y a pas de problème suisse. Quoique en dehors de l’Union européenne, les engagements de ce pays à l’égard de l’Union européenne en font un 26e partenaire largement équivalent aux autres.
La Suisse entre en fait tous les jours concrètement dans l’Europe en se rendant « euro-compatible » avant la plupart des États membres. Il est donc certainement possible de l’inclure dans la mutuelle des traversées alpines dont elle est évidemment une des pièces essentielles.
Se fera-t-elle prier pour ce faire ? Certainement pas, car elle a déjà œuvré en ce sens !
En fait tout est prêt ! Un seul dernier pas est à faire
En effet, ce que nous venons de présenter comme une suggestion de notre part, d’autres y ont pensé, à la Commission européenne et en Suisse. Cela s’est fait concrètement, comme spontanément, au cours de la négociation d’ensemble entre l’Union européenne et la Suisse, curieusement dénommée « bilatérales », qui s’est terminée le 21 juin 1999.
Les enjeux principaux en étaient la libre circulation des biens et des personnes, l’agriculture et les transports, aériens et terrestres.
En matière de transports terrestres l’Union européenne s’est beaucoup battue pour réduire la fiscalité routière suisse, sans rendre pour autant impossible le financement des ouvrages suisses.
La Suisse qui prenait de plus en plus de risques au fur et à mesure qu’elle admettait des réductions de fiscalité routière a demandé des garanties. Le texte final en prévoit de très nombreuses où, en fait, l’Union européenne s’engage, à la dimension du « territoire de l’Union », pour les États membres. Comment faire autrement ?
Un Comité mixte est créé. Il ressemble très exactement à ce que nous avons appelé « mutuelle des intérêts et des risques » puisqu’il peut s’opposer à des mesures des États membres qui mettraient en péril l’accord Union européenne-Suisse.
Enfin une structure permanente d’information et d’étude est constituée par le Comité mixte qui peut d’ailleurs créer d’autres démultiplications de lui-même sur d’autres sujets.
Ainsi, paradoxalement, parce qu’elle se trouve à l’extérieur de l’Union, la Suisse a amené l’Union à réfléchir à une question qui, à vrai dire, se pose à l’intérieur de l’Union ; et à bâtir un outil.
Dès lors cependant on doit se poser une question : la France, l’Autriche et l’Italie, États membres les plus sensibles aux flux transalpins, peuvent-ils obtenir de l’Union européenne même traitement et mêmes garanties que la Suisse ? Ou, en d’autres termes, serait-il aujourd’hui possible à l’Union de ne pas élargir les termes de son accord avec la Suisse à ses propres États membres ? La réponse, évidemment négative, qu’appelle cette question en pose immédiatement une autre : puisque l’accord Union européenne-Suisse a fait la preuve que rien n’était possible sans une vue d’ensemble, même pour les mieux placés, ne serait-ce pas le moment de bâtir un outil commun, travaillant sur le mode fédéral, propre à aborder la question des transports transalpins à l’échelle de l’espace européen ? L’ensemble des 25 + 1 pays y gagnerait beaucoup de temps, d’énergie, de moyens.
Notes
1. C’est intentionnellement que nous reprenons la formulation de l’article 1 du projet de constitution européenne de la Convention présidée par le président Valéry Giscard d’Estaing.
2. Cf. encadré sur ces projets.
3. Tous les projets sont proches de passages existants, routiers et ferroviaires.
4. Tous les États et non seulement ceux situés sur les passages.
5. L’Union européenne traduisit le mauvais élève, à peine rentré dans son sein, devant la Cour de Luxembourg. L’affaire a eu le mérite d’attirer pour la première fois l’attention de l’Union européenne sur les limites de validité de principes qu’elle applique sans difficulté aux contextes ordinaires mais qui, en contexte montagnard, appellent de sérieux aménagements, d’ailleurs ratifiés par l’Union européenne elle-même dans l’accord avec la Suisse du 21 juin 1999.
6. Cf. encadré sur l’instabilité.
7. Dont files d’attente. Les autres données physiques, passage par telle ou telle ville par exemple, ne jouent plus.
8. Pour couvrir ses coûts d’infrastructures routières, chaque État membre peut choisir entre des péages, payés sur les parcours, ou une vignette périodique. Il ne peut pas cumuler les deux systèmes.
9. Dont l’effet est atténué par l’augmentation des réservoirs, non sans danger.
10. 500 km environ selon la Commission Abraham de 1994–1995. On notera aussi la différence avec le tunnel TransManche où, même avec la concurrence agressive des ferries, le transporteur se sait condamné dans tous les cas à des attentes et des temps de manœuvre dont il n’est pas maître. L’expérimentation que lancent la SNCF et FS Trenitalia entre Aiton et Orbassano (175 km) via le tunnel du Mont-Cenis, en juin 2003, avec quatre allers et retours par jour, sera intéressante à suivre.
11. De telles mesures demandent des négociations avec l’Union européenne, gardienne des distorsions de marché. Cela dit, ces négociations seront sans doute plus aisées après le traité de juin 1999 avec la Suisse où l’Union européenne a admis, tant le principe d’une taxe « d’incitation » à l’usage du combiné (pour le moment nulle, mais utilisable en cas de désordre) que celui d’une subvention, par PL transporté, au transporteur ferroviaire.
12. Un désordre local entraîne des désordres sur des parts notables de réseaux.
13. Entièrement sur Lignes à Grande Vitesse.
14. En ce sens, l’usage du mode fluvial quand il est possible, par exemple de Bâle à Rotterdam, est un grand avantage pour le transport par caisse.
15. Approuvés par le peuple en 1992 ; leur financement a été approuvé en 1998.
16. Une incertitude sur une question géologique très ardue au Saint-Gothard, le mieux placé des deux projets, a joué aussi un certain rôle, en laissant longtemps planer un doute sur la faisabilité technique du tunnel.
17. Nous mettons un bémol sur ce point car personne n’a encore beaucoup attiré l’attention sur les entrées et sorties du système combiné accompagné : cela dit, on ne manque pas de le rencontrer quand il s’agit de trouver des plates-formes.
18. Convention signée entre sept pays souverains (dont le Lichtenstein) et la Communauté économique européenne en 1991, puis ratifiée par tous. En France, loi n° 95–1 270.
19. Y compris ceux qui existent déjà et qu’on ne peut pas traiter par la désinvolture ; cf. le passage du Mont-Genèvre après l’accident du Mont-Blanc.
20. Tout cela, dira-t-on peut-être, est très courant en matière de transport et l’aérien nous en donne aujourd’hui une vivante illustration. On reconnaîtra cependant que la hauteur des enjeux est inhabituelle et que les tunnels en faillite, à l’inverse des avions, ne sont même pas vendables à la casse.
21. Paradoxalement en effet, la Suisse a besoin de ce trafic pour payer ses ouvrages.
22. À ceux qui nous disent qu’il sera possible de monter par PPP une opération du type TransManche où Madame Thatcher avait exclu toute contribution publique, nous répondons sous forme de boutade qu’il est difficile de rééditer plus d’une fois par siècle, au bénéfice d’un grand ouvrage, la spoliation des petits porteurs comme on l’a fait au xixe à Panama, puis au xxe au tunnel sous la Manche !
23. Chacun paye les travaux sur son territoire.