Emmanuel Hublot (30), 1911–2003
Le 1er février 2003 disparaissait le général d’armée Emmanuel Hublot, grand officier de la Légion d’honneur, ancien conseiller d’État.
Il était né à Verdun où son père (X 1895), officier du génie, était affecté. Après des études à Paris, il est reçu à l’École polytechnique en 1930 et en sort 12ème, ce qui lui ouvrait l’accès à la plupart des grands corps : il choisit le génie. « Il serait trop facile de dire qu’il voulait faire la carrière que son père, prématurément disparu, aurait pu faire » a dit son gendre Dominique Cyrot (57) lors de ses obsèques. « Plus fondamentalement, il estimait que l’armée est et doit être l’émanation de la Nation, au service de la Nation, et c’est dans cette voie qu’il choisit de servir. »
En 1937, après une affectation au 2e régiment du génie à Metz, il rejoint l’École militaire et d’application du génie à Versailles, qu’il a quittée trois ans plus tôt. Cette fois-ci, c’est pour être le chef et l’instructeur d’une brigade comprenant vingt polytechniciens, qu’il va beaucoup marquer. Il sera pour eux le chef et l’instructeur qu’on ne discute pas : son aisance et son autorité naturelle s’imposent, et sans être familier, il est proche de ses stagiaires. Son enseignement, toujours confronté au concret, témoigne d’une expérience déjà étendue et bien assimilée qu’il présente d’une façon d’autant plus vivante qu’il manifeste une grande liberté d’esprit, notamment par des remarques originales ou inattendues qui incitent à la réflexion.
En 1939, il prend le commandement d’une des compagnies du génie organique du 21e corps d’armée qui, après un hiver sur le front de Lorraine, va combattre sans relâche jusqu’à l’armistice, des Ardennes au sud de la Lorraine. À la veille de l’armistice, alors que les restes du corps d’armée s’efforcent une dernière fois d’échapper à l’étreinte de l’ennemi au sud de Vézelize, il est fait prisonnier au cours d’une embuscade, alors qu’il effectuait une mission en pleine nuit le 15 juin 1940.
On imagine ce qu’il put ressentir au cours d’une longue captivité, coupée de trois tentatives d’évasion infructueuses. Quand il réussira enfin à s’échapper au début de 1945 lorsque son camp est évacué en raison de l’approche des Russes, ce sera pour tomber successivement sur les Allemands, puis des Russes qui mettront sa vie en péril.
De retour en France, il est impatient d’agir et ne tarde pas à faire acte de volontariat pour l’Indochine. Au début de 1947, on le retrouve directeur du service du génie à Tourane, effectuant des travaux routiers importants sur la route qui relie le Centre-Annam au Tonkin. C’est ainsi que « … le 24 janvier 1949, au cours d’une violente attaque menée par les rebelles sur la route et la voie ferrée au col des Nuages (Centre-Annam), il a pris dès les premiers instants la direction de la défense, le commandant du secteur ayant été mis hors de combat » (extrait d’une citation à l’ordre de l’armée). Il termine son séjour comme commandant du secteur de Quang-Nam, dans des conditions qui lui valent une autre citation pour son action « tant en politique indigène que dans le commandement de ses troupes à qui il laisse d’unanimes regrets. »
Au cours des trois années suivantes, on le trouve stagiaire à l’École supérieure de guerre, puis au 3e bureau opérations de l’état-major de l’armée, membre de la délégation française au Groupe permanent du Pacte atlantique (NATO Standing Group) à Washington, et commandant en second de l’École polytechnique de 1957 à 1959. Les souvenirs que conservent de lui les élèves des promotions présentes à l’École à cette époque rappellent beaucoup ceux des stagiaires de l’École du génie de 1937 à 1939.
C’est maintenant l’Algérie qui l’attend. De 1959 à 1961, il commande le secteur de Duperré. Lorsqu’il le quitte, il est crédité d’avoir notamment « redonné confiance à quelque cent mille habitants dont il avait la charge » (extrait d’une citation à l’ordre de l’armée). Promu général de brigade, il est bientôt nommé chef d’état-major du commandant en chef en Algérie, mais c’est au lendemain du « putsch » des généraux, et donc dans des conditions particulièrement difficiles qu’il occupe ce nouveau poste.
De surcroît, la relève du commandant en chef est en cours, ce qui n’arrange rien. Le nouveau commandant en chef, le général Ailleret, évoque longuement cette phase de la guerre en Algérie dans son livre intitulé Général du contingent, et c’est pour rendre un hommage chaleureux à celui qui fut pour lui, écrit-il, « un collaborateur inestimable et que j’ai depuis considéré comme l’un des meilleurs leaders de sa génération militaire. » Lorsque, dans la suite de son récit, il parle à nouveau de son chef d’état-major, c’est pour le qualifier de « collaborateur sûr, éminent et apprécié » ou « d’homme aussi avisé que calme, pondéré et courageux ».
Sa réussite à Alger ne pouvait que le mettre en vedette, et les postes de choix se succèdent : sous-chef d’état-major des armées, commandant la 3e division (Fribourg), commandant le 1er corps d’armée (Nancy), et enfin commandant la 1re armée qui vient d’être créée à Strasbourg et qui regroupe l’essentiel de nos « forces de manœuvre » de l’époque.
Il atteint la limite d’âge le 13 février 1972. Il va être nommé peu après conseiller d’État en service extraordinaire, fonction à laquelle il se consacrera avec sa conscience habituelle.
Il sera aussi président de l’ARCO, une association créée pour aider au reclassement des militaires de carrière. Il se livre en outre à diverses études d’histoire, qui donneront lieu à des notices historiques, et surtout à un ouvrage qu’il a longuement médité sur la bataille de Valmy1. Ce livre recevra le prix Vauban.
Si la guerre 1939–1945 avait commencé pour lui par une période où il avait pu manifester sa valeur au point de mériter deux citations en quelques semaines, le sort de la guerre l’avait maintenu, quoiqu’il fasse, absent des combats de la Libération au cours desquels nombre d’autres se sont illustrés. Malgré ce handicap, les faits l’ont mis en évidence d’une façon qui ne devait à rien d’autre que ses qualités de soldat et de chef.
C’était un homme aux goûts simples, plutôt réservé, mais courtois et de compagnie agréable, ne parlant jamais de lui-même et ne jugeant pas les autres. Entièrement dévoué à la fois à sa mission et aux siens, il était étranger à tout ce qui est intrigues ou cabales, et était parfaitement loyal en toutes circonstances.
Sur la fin de sa vie, il a laissé à sa famille un écrit dont quelques passages ont été lus à ses obsèques. Parlant de ceux qu’il a aimés, il mentionne, à la suite de ses plus proches « … le plus grand nombre de ceux dont j’ai partagé la vie de soldats et de ceux dont j’ai eu la responsabilité. » Ses compagnons et ses subordonnés l’avaient, semble-t-il, bien compris.
_____________________
1. Valmy, ou la défense de la Nation par les armes.