La construction routière en France
1. La nature des travaux routiers
A priori, quoi de plus banal qu’une route ? Chacun, en quittant son domicile, emprunte une route (que l’on peut nommer rue, avenue, chemin…), et utilise cette voie de communication pour atteindre sa destination ou rejoindre un autre mode de transport.
La route est si omniprésente que l’on ne lui prête plus aucune attention, et que, bien souvent, on n’imagine pas l’étendue du réseau et la technicité des entreprises qui se chargent de les créer et les entretenir.
En France, nous disposons d’un réseau routier assez dense, et structuré par référence aux gestionnaires. C’est ainsi que nous disposons de :
- 10 000 km d’autoroutes,
- 27 500 km de routes nationales,
- 365 000 km de routes départementales,
- 550 000 km de voies communales,
- auxquelles s’ajoutent environ 600 000 km de chemins ruraux.
Ces routes permettent une circulation de 550 milliards de véhicules x km par an (dont 21 % sur les seules autoroutes).
Ce réseau routier contribue à satisfaire une part prépondérante de la demande de mobilité, tant des personnes que des marchandises (90 % des transports sont assurés par la route). Il est donc essentiel que le réseau routier soit en permanence développé, adapté et entretenu.
À ce sujet, on entend évoquer de temps à autre l’éventualité d’un » découplage » entre la croissance économique et le besoin en transport. Il faut bien remarquer que jamais, à ce jour, et à l’exception de la période 1976–1985 où l’on a assisté à la mise en place de la majeure partie du programme électronucléaire français entraînant une baisse drastique des transports de charbon, on n’a constaté ce découplage entre croissance du PIB et croissance du transport.
Les entreprises de construction routière ont pour mission de répondre à un triple besoin concernant le réseau routier.
- Entretenir le réseau existant : la route s’use au fil du temps. Le passage des véhicules et les conditions climatiques contribuent à dégrader le revêtement, qui peut se fissurer, devenir trop glissant, etc. Il faut périodiquement rénover le revêtement, afin que la route offre toujours la même qualité de service à ses utilisateurs.
- Adapter les routes existantes aux nouveaux besoins : les entreprises sont très sollicitées pour créer des déviations, équiper des ronds-points, élargir les routes, rectifier les tracés, pour des revêtements plus performants, etc. Cette activité, qui vise à accroître le confort, la sécurité et la capacité des routes, est très importante pour les entreprises.
- Créer de nouvelles routes : actuellement, la création de nouvelles routes répond à des besoins ponctuels de création de grandes liaisons d’aménagement du territoire, et ne constitue pas l’essentiel de l’activité de la construction routière.
2. Qui réalise ces travaux ?
En France, et contrairement à ce que l’on constate dans beaucoup d’autres pays, la construction routière est assurée principalement par des groupes puissants, filiales des principaux groupes de travaux publics.
Ces groupes coexistent avec des entreprises indépendantes plus petites qui sont actives et jouent un rôle important dans leur région. Toutes les entreprises sont organisées en entités décentralisées, jouissant d’une grande autonomie, et assurant la proximité avec leurs clients, dont les principaux sont les départements et les communes (qui représentent plus de 50 % de leur activité).
Dans de nombreux pays, le rôle des entreprises se borne à appliquer des solutions techniques déterminées par l’administration, leur seul rôle étant de réaliser les prestations dans le cadre des exigences de coût, qualité et délais qui leur ont été fixées. En France, il se trouve que la Direction des routes, qui est rattachée au ministère de l’Équipement, a établi depuis de longues années des relations de partenariat avec les entreprises ayant permis de développer ce que nos concurrents étrangers appellent souvent » the french model « .
Cette volonté d’associer les entreprises à l’effort de recherche et d’innovation a conduit ces dernières à se doter de moyens techniques et scientifiques performants (centres de recherche, notamment), qui leur ont permis de développer des solutions techniques innovantes.
L’État, dans le cadre d’une charte dite de l’innovation, signée entre la Direction des routes et les entreprises, a alors accepté d’expérimenter en vraie grandeur les solutions proposées, en assumant les risques. Si les solutions se révèlent intéressantes, elles peuvent ensuite être utilisées de façon systématique.
Cette politique a grandement favorisé l’innovation, et a permis la mise au point de revêtements à haute performance : revêtements de très faible épaisseur, revêtements drainants, revêtements à adhérence renforcée, revêtements silencieux, etc. Par contrecoup, elle a aussi permis aux entreprises d’acquérir une maîtrise technique qui leur a permis de prendre pied dans de nombreux pays étrangers (USA, Canada, Allemagne, Grande-Bretagne, Europe de l’Est…). Les entreprises de construction routière française occupent ainsi les deux premières places du classement mondial.
Le nouveau code des Marchés publics semble avoir oublié l’intérêt de cette politique. Il serait regrettable qu’une lecture trop littérale interdise aux entreprises routières de continuer ces échanges fructueux, et aboutisse à terme à tarir les sources d’innovation de la profession.
3. Quelles perspectives pour demain ?
On dit souvent que les piliers du développement économique (qui ont remplacé les deux mamelles de la France chères à Sully) sont la formation et la recherche. Il convient d’ajouter un troisième pilier aux deux précédents : les infrastructures de transport qui permettent à des gens formés de se rencontrer pour mettre en œuvre les innovations issues de la recherche, puis de diffuser sur l’ensemble du territoire les nouveaux produits en résultant.
Comme le montrent les graphiques ci-contre la dépense en infrastructure de transport a beaucoup baissé ces dernières années tandis que la congestion augmentait. Ainsi, de 1996 à 2002 en % du PIB indice 100 en 1990, le volume consacré aux infrastructures de transport a baissé de 22 % (il correspond actuellement à 0,8 % du PIB) tandis que les bouchons (accumulation sur une ou plusieurs files continues et sur une distance d’au moins 500 mètres de véhicules progressant à une allure très lente ou par bonds) augmenteraient de 48 %.
Les espoirs mis dans le cyber-commerce ont buté invariablement sur la nécessité de livrer des produits chez le client, ce qui laisse intact le besoin de transport.
Pour l’instant, on ne voit pas encore de solution alternative permettant de réduire de façon significative les besoins en transport routier. Les anticipations volontaristes en faveur des divers modes de transport conduisent à maintenir la part du transport routier dans une demande en progression.
La demande en routes offrant une qualité de service conforme aux attentes des usagers devrait donc se maintenir à un niveau croissant au rythme du PIB. En outre, il faut maintenant reconsidérer les principes qui président à la conception du réseau. À une logique purement française, il faut maintenant substituer une logique européenne. Il se trouve en effet que la France est un point de passage obligé pour aller en Grande-Bretagne, et en Espagne, et a vocation à desservir le Benelux dans ses liaisons avec les pays méditerranéens.
Cette situation nous conduira à développer, à côté du réseau de desserte locale, des grands axes (Nord-Sud et Est-Ouest) structurants permettant de relier les régions dynamiques de l’Europe, en évitant à notre pays de rester à l’écart des grands courants d’échange.
Cette perspective suppose que l’on soit capable de mettre en place des financements adaptés pour faire face aux programmes d’investissement qui seront nécessaires.
On voit bien que les financements fournis par l’État trouvent leurs limites. En outre, est-il logique de faire financer par l’ensemble des contribuables des infrastructures qui seront utilisées de façon très inégale par eux ? Il paraît de ce point de vue plus souhaitable de faire financer les infrastructures routières par l’utilisateur lui-même. Les formes que pourront prendre ce financement sont elles-mêmes assez diverses : on peut penser à l’affectation d’une partie de la Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) à des formes de péage à déterminer, à un système de vignette permettant l’accès à certaines infrastructures (urbaines ou interurbaines).
La Communauté européenne est particulièrement consciente de l’importance des infrastructures de transport, et a proposé un programme complémentaire à celui déterminé à Essen. Il est en particulier absolument certain que les nouveaux membres de l’Union européenne ont des besoins considérables en infrastructures routières, car ce domaine avait été particulièrement négligé par le régime soviétique, qui avait privilégié la voie ferrée.
En conclusion, le développement de l’économie française et européenne passe par un effort soutenu sur le réseau routier.
Cet effort, visant à développer et adapter le réseau existant, ne pourra être financé qu’en mettant à contribution l’utilisateur, s’accompagnant d’une diminution concomitante de la fiscalité nationale.
La route restera encore pour de longues années un besoin essentiel, et il serait irresponsable de ne pas lui donner les moyens de s’adapter aux besoins des utilisateurs, notamment en matière de capacité, de confort et de sécurité.