L’Australie, une santé économique insolente
L’Australie résiste de façon étonnante aux crises successives qui ont frappé l’économie mondiale et en particulier l’Asie, son premier client de matières premières en 1997. En laissant à l’époque s’éroder son taux de change, le pays a permis à ses entreprises exportatrices de minéraux et de laine de retrouver des marchés aux États-Unis et en Europe en attendant la reprise en Asie. Par ailleurs, la baisse continuelle des taux d’intérêt a soutenu la construction et la consommation des ménages contribuant à faire de l’Australie le bon élève de l’OCDE. De même les investissements industriels et miniers ont été soutenus par la politique monétaire. Depuis, le taux de change s’est redressé mais entre-temps les difficultés avaient été surmontées.
Le pays, grâce à une politique budgétaire vertueuse et une consommation intérieure robuste, a pu ainsi afficher des croissances annuelles qui frisent les 3 à 3,5 % ; un des meilleurs et des plus enviables de l’OCDE.
Malgré ce bilan favorable et des intentions d’achat de bon niveau dans le commerce de détail des signes de ralentissement sont perceptibles à mi-2003.
Dans ce contexte la présence française se porte plutôt bien. Et ce en dépit d’une vision depuis l’Hexagone qui ne devrait plus avoir cours : » C’est trop loin, c’est un petit marché, les Français sont mal vus » et autres clichés tous aussi erronés et dépassés les uns que les autres.
Le concept de l’éloignement est le plus résistant. Les vingt-quatre heures de vol depuis l’Europe rebutent plus d’un. Il est vrai que l’Australie est aux antipodes de la France et que depuis les principales villes d’Asie il faut compter huit heures d’avion pour atteindre Sydney ou Melbourne. Or, le raisonnement à faire est qu’arrivé en Australie l’homme d’affaires français retrouve un environnement familier s’il a déjà traité au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Les systèmes juridiques, commerciaux, financiers en vigueur dans les pays anglo-saxons sont les mêmes en Australie, et on se retrouve très rapidement dans un univers connu et maîtrisé. Les huit heures d’avion supplémentaires ne pèsent plus lourd dans la comparaison si on considère le temps nécessaire dans un pays d’Asie pour s’adapter à l’environnement culturel et commercial. Il est donc tout à fait justifié de traiter l’Australie sur le même plan que ces marchés d’Asie si attractifs.
En matière de dimension de marché, la faible population du pays est largement compensée par un pouvoir d’achat élevé et une concentration de la population le long de la côte sud-est, sur un croissant qui va de Brisbane à Adélaïde. Il convient de garder à l’esprit que le PIB de l’Australie est proche de la somme des PIB de l’Indonésie, de la Malaisie, de la Thaïlande et de Singapour. Or si aucun chef d’entreprise en France n’hésite à considérer ces marchés comme des marchés dignes d’intérêt, rares sont ceux pour qui l’Australie a l’image attractive à laquelle elle pourrait prétendre.
Les succès remportés par de nombreuses entreprises françaises sont pourtant là pour en témoigner. Historiquement les premiers à arriver à la fin du XIXe siècle ont été les lainiers accompagnés de banques et de transporteurs maritimes. Ils sont toujours là et les noms d’entreprises telles que : Chargeurs, CGM, BNP Paribas sont des références connues et respectées. Plus tard d’autres entreprises françaises ont suivi le mouvement, et leur aventure australienne a souvent été couronnée de succès.
Dans le domaine des ressources, le cas le plus marquant est celui de Pechiney qui a approché le pays il y a plus de quarante ans et dispose maintenant d’une base solide. Arrivé en premier lieu en raison de la disponibilité de bauxite, et d’un projet de raffinerie d’alumine à Gladstone, Pechiney a poursuivi son implantation avec une électrolyse d’aluminium à Tomago près de Newcastle dans les années quatre-vingt en profitant d’un excédent durable de capacité de production d’énergie électrique. Ces deux implantations, la première en joint-venture avec Alcan et Rio Tinto, et la deuxième dont Pechiney bailleur de la technologie est opérateur sont de véritables success story de l’implantation française en Australie. Destinée à alimenter les marchés consommateurs d’Asie, Tomago a augmenté régulièrement sa production jusqu’à arriver aux 450 000 tonnes actuelles par an.
Des projets d’extension sont à l’étude. Les facteurs de succès n’ont pas été limités à la disponibilité de matières premières ou d’énergie abondante. Un programme de formation de cadres techniques à la technologie maison par des séjours de plusieurs années en France comme ingénieurs en usine, en recherche ou en vente de technologie a permis d’assurer la relève des premiers spécialistes envoyés par le siège pour la construction et le démarrage de la production. Par la suite, en de multiples occasions l’organisation locale a servi de vivier pour accompagner les transferts de technologie vers des pays tiers, au Moyen-Orient, en Afrique du Sud, ou même en Australie. Dans un mouvement inverse les usines australiennes ont permis à de jeunes ingénieurs français de se former à la technologie de Pechiney dans un contexte les préparant à des carrières internationales.
Depuis, les succès d’autres entreprises françaises sont au rendez-vous. Quelques exemples suivent qui sont loin d’être les seuls :
- . Accor a fait appel à la Bourse de Sydney pour son développement en Asie, et est devenu en quelques années le premier hôtelier du pays ;
- Suez-Lyonnaise (Ondeo) s’est associé à une société locale, et a obtenu le traitement des eaux de Sydney. Vivendi environnement en plus du traitement des eaux de la ville d’Adélaïde a obtenu la concession de nombreux réseaux de transport public à Melbourne et dans le New South Wales, et du ramassage et du traitement de déchets dans tout le pays ;
- Thalès en joint-venture avec une société australienne a racheté le principal producteur australien d’armements (ADI, Australian Defence Industries) ;
- EADS a remporté les intentions de commandes de Qantas pour l’Airbus A380, et un contrat de fournitures d’hélicoptères pour l’armée australienne ;
- AXA a pris le contrôle d’une mutuelle locale très bien implantée en Asie ;
- Pernod-Ricard est propriétaire de la marque Jacob’s Creek, première marque exportatrice de vins australiens ;
- dernière en date, Schneider a fait une acquisition majeure en reprenant la société d’appareillage électrique Clipsal, qui a une présence forte sur le marché asiatique.
Les conditions de ces succès ne sont pas différentes de celles nécessaires sur d’autres marchés développés. L’association avec des entreprises locales, l’utilisation de cadres locaux dont la compétence n’a rien à envier à celles des meilleurs cadres internationaux, l’adaptation aux conditions de travail locales, et si nécessaire l’appel à un marché des capitaux efficace et sophistiqué à la Bourse de Sydney.
Joël Hakim a effectué l’essentiel de sa carrière dans le groupe Pechiney, en France, en Amérique latine, au Japon et en Australie où il réside depuis qu’il a quitté le Groupe en 1999. Il y exerce une activité de consultant, et siège dans des conseils d’administration en Australie et en Corée du Sud. Il a été président de la Chambre de commerce franco-australienne. Il est actuellement conseiller du Commerce extérieur et président du Comité de l’Alliance française à Sydney.