JACQUES FERRIER (33) est toujours là (1913−2003)
Le Commissaire général de première classe Jacques Ferrier est décédé le dimanche 9 novembre 2003 au matin, à l’aube de sa quatre-vingt-dixième année, dans sa retraite de Sanary-sur-Mer. Comme il le souhaitait, la cérémonie religieuse, en l’église Saint-Nazaire, le jeudi 13 novembre, a ravivé le souvenir de la chère épouse qui l’avait quitté en juin 2000.
Né à Tizi Ouzou le 26 décembre 1913, issu d’une famille d’origine varoise, Jacques Ferrier est successivement écolier au petit lycée Mustapha d’Alger, élève au collège de Batna, pensionnaire au lycée de Constantine, puis au lycée Saint-Louis à Paris pour préparer le concours de l’École polytechnique qu’il intègre » dans la botte » à moins de vingt ans. À sa sortie, en 1935, il choisit la Marine nationale pour servir une France riche d’un bel empire colonial.
Il opte pour l’École du commissariat de la Marine qui dispense alors, bien avant la création de l’ENA, la seule grande formation administrative officielle. Sorti major de cette école en 1937, après son voyage initiatique sur le croiseur-école Jeanne d’Arc qui l’amène notamment à connaître l’Allemagne d’avant-guerre, il peut choisir comme première affectation l’Indochine, qui est pour sa jeune épouse Jacqueline – Philippevilloise née Daraty – un voyage de noces de deux ans, interrompu, un dimanche de septembre 1939, par un retour en métropole le jour même de la déclaration de guerre.
La drôle de guerre le trouve à Brest, la triste occupation à Toulon, à la direction des parcs à combustible de la flotte, où sa vivacité et sa maturité d’esprit lui valent déjà auprès de son personnel une autorité et un prestige dont l’évidence s’impose.
Après la Libération, ingénieur des pétroles, sorti, envers et contre tous, major de l’Institut français du pétrole – en compétition avec de jeunes ingénieurs frais émoulus de grandes écoles – il se spécialise dans la gestion et la conservation des combustibles, en brevetant plusieurs inventions majeures. Dès le début des années » 60 « , à la direction de l’École du Commissariat, il devient un précurseur des techniques informatiques appliquées à la gestion. Promu aux étoiles, il est nommé à Paris directeur des marchés généraux, le temps (de purgatoire, pour lui) de retrouver Toulon comme directeur du Commissariat de la troisième région. C’est dans les années » 70 » qu’il accède, trois étoiles d’argent cousues sur les manches de son uniforme, au sommet de son parcours professionnel, à la Direction centrale du commissariat de la Marine.
Diplômé de l’Institut des Hautes Études de la Défense nationale, membre de l’Académie des sciences commerciales et des académies d’Aix-en-Provence, de Marseille et du Vaucluse, et de la Fédération historique de Provence, il est président honoraire de l’Académie du Var qu’il a fortement marquée de sa griffe.
Auteur de plusieurs ouvrages scientifiques (pétrole – statistiques et probabilités – gestion des stocks-management) et historiques (Peiresc – Descartes – Histoire de la Provence – La Révolution et le Var), il a été traduit en plusieurs langues.
Commandeur de la Légion d’honneur, commandeur du Mérite national, commandeur des Palmes académiques, officier du Mérite maritime, sa carrière, ses titres et ses décorations sont déclinés dans les plus récentes éditions du Who’s Who.
Les bonnes fées de l’intelligence et de la raison se sont penchées sur le berceau de Jacques Ferrier. L’une l’a conduit aux plus grandes fonctions, l’autre lui a évité les syndromes conjugués de Polytechnique et de la maîtrise informatique qui conduisent souvent à confondre la société avec un système d’équations économico-financières. Mais ce serait une erreur de croire que le don dispense de l’effort ; il contraint, pour s’épanouir, à plus d’exigence de soi.
Doué d’une intelligence hors du commun, Jacques Ferrier sut obstinément l’affermir par une facilité d’élocution, une limpidité et une élégance de style incomparables, appuyant des capacités étonnantes d’assimilation et d’adaptation.
Grâce à un mélange d’intuition et de bon sens, il savait très vite dans les dossiers qui lui étaient présentés, s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise décision, et son goût de la précision lui permettait de mettre le doigt sur le détail qui avait échappé à tout le monde.
Ce qui est également remarquable chez lui est la qualité de son contact et de son accueil, empreint de courtoisie attentive envers chacun, quel que soit son rang. Cette disposition allait de pair avec une grande sensibilité aux problèmes de personnes, aux problèmes individuels des hommes et des femmes du Commissariat.
Homme de courage et de convictions, grand commis de l’État n’ayant jamais attaché son étoile à quiconque ni jamais aliéné son talent, il sut, non sans état d’âme refoulé, accomplir son devoir de réserve, avec beaucoup de retenue quant à son affection pour son pays natal, l’Algérie, d’où lui sont parvenus des hommages inattendus.
Trois fils l’ont honoré. Le plus jeune Jérôme, lieutenant de vaisseau de réserve, ancien élève de l’Institut français du pétrole, occupe un poste de direction générale à la Compagnie Total. Le cadet, Didier, commissaire en chef de réserve, membre de l’Académie des sciences commerciales, professeur agrégé de droit et expert international, dirige la chaire de droit commercial de l’université de Montpellier. L’aîné, Henri-Charles, capitaine de corvette honoraire, ingénieur en informatique à la Compagnie IBM, membre actif de l’Académie du Var, corrige en ce moment le bon à tirer de Saga Algeriana, ouvrage qui, sur la toile de fond d’une Algérie résolument française, fait revivre, non sans humour, à travers les événements du siècle écoulé, le parcours insolite de » l’amiral de Tizi Ouzou « .