La modernisation de la gestion de la Fonction publique dans le cadre de la Réforme de l’État

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Jean-Paul DELEVOYE

Le renou­veau de la ges­tion des res­sources humaines consti­tue l’un des prin­ci­paux chan­tiers de la Réforme de l’État. L’encadrement supé­rieur de l’État a pour sa part, dans la conduite de la réforme, une res­pon­sa­bi­li­té émi­nente. Les méthodes de recru­te­ment, la for­ma­tion ini­tiale et conti­nue, les par­cours de car­rière, les rému­né­ra­tions des cadres de la Fonc­tion publique doivent être adap­tés à cette exigence.
Deux prin­cipes devront gui­der l’évolution néces­saire de la haute fonc­tion publique. Elle doit s’ouvrir davan­tage pour atti­rer à elle et recher­cher, sans exclu­sive, le pro­fes­sion­na­lisme dont elle a besoin.
Elle doit éga­le­ment être davan­tage inci­tée à contri­buer réso­lu­ment à une plus grande effi­ca­ci­té de l’action publique et à la Réforme de l’État. Au-delà, c’est l’ensemble de la ges­tion de la Fonc­tion publique qui doit évo­luer dans les pro­chaines années.

Plus encore que les autres chan­tiers de la Réforme de l’É­tat, la ges­tion de la Fonc­tion publique doit être sous-ten­due par une cer­taine concep­tion de notre socié­té et de notre vie sociale : il ne s’a­git pas, ou pas seule­ment, d’une ques­tion juri­dique ou de l’ap­pli­ca­tion de théo­ries mana­gé­riales ; il s’a­git d’une phi­lo­so­phie. Le gou­ver­ne­ment a choi­si d’a­bor­der par l’en­ca­dre­ment supé­rieur ce chan­tier, tant le rôle des cadres est déter­mi­nant dans le bon fonc­tion­ne­ment des ins­ti­tu­tions. La com­mu­ni­ca­tion que j’ai faite devant le Conseil des ministres le 22 octobre der­nier est un plan d’ac­tion cohé­rent et ambi­tieux. L’an­née 2004 sera celle du lan­ce­ment d’une réforme plus géné­rale de la fonc­tion publique, s’ac­com­pa­gnant d’un pro­jet de loi en cours d’élaboration.

La gestion publique des ressources humaines

Je suis convain­cu qu’il y a aujourd’­hui une extra­or­di­naire réserve de poten­tia­li­tés et d’in­tel­li­gence au sein de notre admi­nis­tra­tion. Il y a quel­que­fois des pro­cé­dures, atti­tudes ou cultures qui sont un peu sté­ri­li­santes, neu­tra­li­santes et qui méritent que cha­cun y réflé­chisse, y com­pris en se met­tant soi-même en cause. J’ai une autre convic­tion : une part impor­tante de la com­pé­ti­ti­vi­té de nos sys­tèmes éco­no­miques est direc­te­ment liée à la per­for­mance ou à la qua­li­té des ser­vices publics. Plus la mon­dia­li­sa­tion des mar­chés s’im­pose, plus cette qua­li­té est néces­saire. Dans le domaine de l’é­co­no­mie mar­chande, la pro­duc­ti­vi­té de ceux qui crée­ront des richesses sera direc­te­ment liée à la qua­li­té des ser­vices publics appor­tés. Aujourd’­hui la per­for­mance du ser­vice public est une for­mi­dable exi­gence pour nos conci­toyens et pour notre économie.

Nous avons en même temps à rele­ver un autre défi, celui de l’é­vo­lu­tion des com­por­te­ments de nos conci­toyens, qui se posi­tionnent de moins en moins citoyens et de plus en plus consom­ma­teurs. Il faut que nous, dans l’ad­mi­nis­tra­tion, fas­sions atten­tion à ce que nous ne deve­nions pas uni­que­ment des pres­ta­taires de ser­vices. Der­rière le ser­vice public, il y a les valeurs de la Répu­blique, d’é­ga­li­té, d’ac­cès, d’é­qui­té, de pro­bi­té, d’hon­nê­te­té, qui doivent être asso­ciées à la qua­li­té du ser­vice ren­du. Nous avons donc aujourd’­hui, par la per­for­mance du ser­vice public et la qua­li­té irré­pro­chable du ser­vice ren­du, à réin­tro­duire, dans l’es­prit de nos conci­toyens qui béné­fi­cient de ce ser­vice public, toutes les valeurs de la République.

Cela passe notam­ment par une réforme totale de la chaîne de com­man­de­ment. Dif­fi­cile d’i­ma­gi­ner aujourd’­hui que la réac­ti­vi­té, la sécu­ri­té juri­dique, la fia­bi­li­té tech­nique des déci­sions à prendre puissent se faire avec une hié­rar­chie ver­ti­ca­li­sée, pyra­mi­dale, où toutes les déci­sions remontent en haut. Il faut ima­gi­ner des dis­po­si­tifs décon­cen­trés, favo­ri­ser la prise de res­pon­sa­bi­li­tés avec des contrats d’ob­jec­tifs. L’ad­mi­nis­tra­tion de car­rière ne doit pas signi­fier la linéa­ri­té d’une car­rière récom­pen­sée à l’an­cien­ne­té ; cela peut être la recon­nais­sance de com­pé­tences, avec des accé­lé­ra­tions pour celles et ceux qui ont des capa­ci­tés d’exer­cer demain des res­pon­sa­bi­li­tés, avec des sys­tèmes d’é­va­lua­tion per­met­tant de cor­ri­ger, sanc­tion­ner, sou­te­nir. On s’a­per­çoit que la vraie richesse d’un ter­ri­toire, d’une entre­prise comme d’une admi­nis­tra­tion, ce sont les hommes et les femmes qui y vivent ; on a la chance d’a­voir des fonc­tion­naires pas­sion­nés par le ser­vice public, qui pour un cer­tain nombre de res­pon­sables tra­vaillent bien plus de 35 heures. Com­ment faire en sorte que cette pas­sion, cette voca­tion, puisse trou­ver sa capa­ci­té totale d’ex­pres­sion et son épa­nouis­se­ment ? Voi­là l’un des enjeux de la réforme de l’État.

La réforme de l’encadrement supérieur

Ren­for­cer l’ac­ces­si­bi­li­té de la haute fonc­tion publique aux meilleures com­pé­tences, fon­der le mana­ge­ment sur la défi­ni­tion d’ob­jec­tifs et l’é­va­lua­tion des résul­tats : telle est donc l’am­bi­tion de la réforme que j’ai annon­cée le 22 octobre der­nier. Les mesures com­portent quatre grands points.

Il convient tout d’a­bord d’at­ti­rer les com­pé­tences et de diver­si­fier l’ex­pé­rience pro­fes­sion­nelle : les concours internes seront recen­trés sur leur voca­tion de pro­mo­tion pro­fes­sion­nelle. Le recru­te­ment par le » tour exté­rieur » dans tous les corps issus de l’E­na sera élar­gi. Ensuite la mobi­li­té sous ses dif­fé­rents volets sera faci­li­tée : il devien­dra plus facile de recou­rir à des cadres du sec­teur pri­vé pour une mis­sion déter­mi­née au ser­vice de l’État.

Dans la même optique, les fonc­tion­naires pour­ront acqué­rir une expé­rience pro­fes­sion­nelle dans le pri­vé. Troi­siè­me­ment seront créées des pas­se­relles entre fonc­tions publiques et sera ren­due pos­sible, pour un membre de l’en­ca­dre­ment, l’af­fec­ta­tion à une admi­nis­tra­tion étran­gère, une entre­prise ou une asso­cia­tion (pour deux ans). Cette mesure est sur­tout le moyen d’une meilleure prise en compte dans le cur­sus pro­fes­sion­nel d’une expé­rience en Europe ou en rela­tion avec l’U­nion euro­péenne. Enfin l’é­va­lua­tion sera ren­for­cée : un bilan pro­fes­sion­nel pour­ra être conduit pour les cadres pou­vant pré­tendre aux emplois de direc­tion avant qu’ils ne rem­plissent la condi­tion d’an­cien­ne­té requise. Avant toute nomi­na­tion à un emploi supé­rieur de l’É­tat, un res­pon­sable de la ges­tion des cadres diri­geants pro­po­se­ra plu­sieurs pro­fils de com­pé­tences. Les titu­laires d’emplois à la déci­sion du gou­ver­ne­ment (et, dans un second temps, pour les autres emplois de l’en­ca­dre­ment supé­rieur) rece­vront une » lettre d’ob­jec­tifs « , indi­quant les résul­tats sur les­quels ils seront éva­lués et, sur cette base, la rému­né­ra­tion au mérite sera mise en œuvre : quelque 15 à 20 % de la rému­né­ra­tion totale. Par ailleurs, les fonc­tion­naires titu­laires de man­dats poli­tiques à temps com­plet seront désor­mais pla­cés en posi­tion de dis­po­ni­bi­li­té et non plus de détachement.

La réforme de l’É­cole natio­nale d’ad­mi­nis­tra­tion (Ena) est par ailleurs une com­po­sante signi­fi­ca­tive de ce plan. Trois orien­ta­tions guident cette réforme : redon­ner à l’E­na sa voca­tion d’é­cole d’ap­pli­ca­tion, en ren­for­çant l’ex­pé­rience de ter­rain (stages en admi­nis­tra­tion et en entre­prise sur l’ad­mi­nis­tra­tion des ter­ri­toires, l’Eu­rope, la ges­tion publique) ; élar­gir son champ d’ac­tion vers la fonc­tion publique ter­ri­to­riale et l’Eu­rope (l’É­tat pro­po­se­ra au Centre natio­nal de la fonc­tion publique ter­ri­to­riale une conven­tion pour orga­ni­ser un par­cours com­mun de for­ma­tion ini­tiale des admi­nis­tra­teurs ter­ri­to­riaux et des élèves de l’E­na, par ailleurs le Centre des études euro­péennes de Stras­bourg devien­dra le pôle euro­péen de l’é­cole et les res­sor­tis­sants com­mu­nau­taires pour­ront en pas­ser les concours) ; enfin, l’é­cole sera regrou­pée pour l’es­sen­tiel à Stras­bourg. Dans un sou­ci de meilleure ges­tion, un contrat d’é­ta­blis­se­ment la liant à l’É­tat fixe­ra ses objec­tifs pour trois ans.

Rénover la fonction publique et le dialogue social

Il est essen­tiel que l’É­tat soit » un bon employeur pour per­mettre à chaque fonc­tion­naire de don­ner le meilleur de lui-même au ser­vice de nos conci­toyens. Dans les dix années qui viennent, la fonc­tion publique connaî­tra un renou­vel­le­ment sans pré­cé­dent de ses agents. Près de la moi­tié par­ti­ront à la retraite. L’É­tat ne pour­ra conti­nuer à atti­rer vers lui les jeunes les mieux for­més que s’ils sont assu­rés d’y trou­ver des métiers inté­res­sants et de bonnes condi­tions de tra­vail. » Cet objec­tif stra­té­gique a ain­si été clai­re­ment affir­mé par le Pré­sident de la Répu­blique dans son dis­cours des vœux aux corps consti­tués, le 7 jan­vier dernier.

Il importe d’a­bord de se don­ner les moyens d’une ges­tion indi­vi­dua­li­sée de la car­rière des agents publics. Cela passe par une décon­cen­tra­tion des actes de ges­tion : il n’est en effet pas nor­mal que les déci­sions concer­nant la car­rière d’un fonc­tion­naire, son avan­ce­ment ou son affec­ta­tion, soient prises à l’é­che­lon cen­tral par des per­sonnes qui n’ont pas été en mesure d’ap­pré­cier direc­te­ment son tra­vail et de dis­cu­ter avec elle ou avec lui de ses sou­haits. Le mou­ve­ment de décon­cen­tra­tion enga­gé pour la ges­tion des res­sources humaines sera intensifié :

  • il est néces­saire que les actes les plus cou­rants et les plus simples de ges­tion du per­son­nel soient inté­gra­le­ment déconcentrés ;
  • s’a­gis­sant des actes néces­si­tant la consul­ta­tion préa­lable des com­mis­sions admi­nis­tra­tives pari­taires, il convient de déve­lop­per les délé­ga­tions de pou­voir aux éche­lons décon­cen­trés et de décon­cen­trer le dia­logue social ;
  • des efforts vigou­reux doivent éga­le­ment être consen­tis en matière de fusions de corps dans la mesure où l’exis­tence de nom­breux corps comp­tant cha­cun un faible nombre d’a­gents est un obs­tacle à la décon­cen­tra­tion de la gestion.

Un véri­table dia­logue social sera ins­ti­tué au niveau local. Il importe d’é­ta­blir avec les per­son­nels un véri­table contrat de confiance. La décon­cen­tra­tion de la ges­tion des res­sources humaines devra être menée en concer­ta­tion étroite avec les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, et devra prendre en compte la nou­velle orga­ni­sa­tion en pôles régio­naux (notam­ment par la créa­tion de com­mis­sions admi­nis­tra­tives pari­taires locales).

Il faut ensuite accé­lé­rer la fusion des corps, accroître la mobi­li­té entre les fonc­tions publiques et favo­ri­ser les échanges avec le sec­teur pri­vé. Les concours natio­naux à recru­te­ment local seront déve­lop­pés, pour mieux prendre en compte les aspi­ra­tions des agents et les besoins de cer­taines régions. Il faut aus­si per­mettre aux fonc­tion­naires de faire régu­liè­re­ment le point sur leur par­cours pro­fes­sion­nel, notam­ment afin d’of­frir à celles et à ceux qui le dési­rent une seconde car­rière. Ces orien­ta­tions se retrou­ve­ront, pour l’es­sen­tiel, dans le pro­jet de loi sur la moder­ni­sa­tion des fonc­tions publiques. En effet, ce texte repren­dra les aspects stric­te­ment légis­la­tifs des tra­vaux que nous menons depuis vingt mois pour adap­ter la fonc­tion publique aux défis qu’elle doit rele­ver : rare­té démo­gra­phique, choc des départs en retraite, élé­va­tion du niveau pro­fes­sion­nel, réforme de l’É­tat. Le pro­jet com­pren­dra deux types de dispositions :

  • des mesures géné­rales valables pour les trois fonc­tions publiques : moder­ni­sa­tion des règles de recru­te­ment, d’ac­com­pa­gne­ment de la mobi­li­té, de for­ma­tion, de déon­to­lo­gie ; trans­po­si­tion de direc­tives notam­ment sur les contrac­tuels pour res­pec­ter l’in­ter­dic­tion d’im­po­ser des CDD à répé­ti­tion ; ouver­ture de notre fonc­tion publique à l’Europe ;
  • des mesures propres à la fonc­tion publique ter­ri­to­riale ; nous allons tra­vailler sur les concours, la for­ma­tion, les par­cours de car­rière, et aus­si les ins­ti­tu­tions de la fonc­tion publique territoriale.

Enfin, en paral­lèle, l’am­bi­tion du gou­ver­ne­ment est de réno­ver la fonc­tion publique avec l’en­semble de ses agents, c’est-à-dire en menant un actif dia­logue social. Ce dia­logue, tant au niveau natio­nal qu’au niveau local (par l’in­ter­mé­diaire des pré­fets) est essen­tiel pour conduire une sem­blable action réfor­ma­trice. Ce dia­logue social, qui a été renoué début jan­vier avec les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, doit por­ter sur une grande varié­té de sujets : les dis­po­si­tions du futur pro­jet de loi, les consé­quences de l’en­trée en vigueur pro­chaine de la loi orga­nique rela­tive aux lois de finances, la réforme de l’ad­mi­nis­tra­tion ter­ri­to­riale de l’É­tat, la réno­va­tion des méthodes et des cadres du dia­logue social…

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Je suis de ceux qui pensent que le ser­vice public a de beaux jours devant lui, à condi­tion de répondre à la même ques­tion stra­té­gique qui est livrée aujourd’­hui à la classe poli­tique : allons-nous subir un ave­nir qui sera écrit par les autres ou vou­lons-nous écrire notre propre ave­nir ? La réponse repo­se­ra sur la capa­ci­té qu’au­ront les admi­nis­tra­tions à s’a­dap­ter, à se réfor­mer, à conci­lier l’in­té­rêt de l’u­sa­ger, l’é­pa­nouis­se­ment du fonc­tion­naire et la qua­li­té du ser­vice public. C’est à ces condi­tions que nous pour­rons renou­ve­ler un modèle fran­çais de ser­vice public pour conci­lier per­for­mance du sec­teur public et per­for­mance dans l’é­co­no­mie marchande.

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