Les enjeux et la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Alain LAMBERT

Le 1er août 2001 était pro­mul­guée la loi orga­nique rela­tive aux lois de finances, fruit d’un rare et remar­quable consen­sus poli­tique. Des­ti­née à entrer en vigueur pro­gres­si­ve­ment d’i­ci le 1er jan­vier 2006, cette nou­velle consti­tu­tion finan­cière de la France pré­voit la mise en place d’une nou­velle pré­sen­ta­tion du bud­get de l’É­tat, de nou­veaux modes de ges­tion dans l’ad­mi­nis­tra­tion et d’une nou­velle comp­ta­bi­li­té publique.

Le 21 jan­vier der­nier, cette réforme bud­gé­taire a fran­chi une étape majeure : le gou­ver­ne­ment vient de pré­sen­ter sa maquette du futur bud­get de l’É­tat et les normes de la nou­velle comp­ta­bi­li­té. Si l’on com­pare la réforme bud­gé­taire à la construc­tion d’un édi­fice, nous avons là construit les fondations.

Il faut sou­li­gner l’im­por­tant tra­vail réa­li­sé par les minis­tères pour éla­bo­rer cet édi­fice. En effet, après avoir débat­tu des concepts, leur réflexion a mûri au fur et à mesure qu’ils ont pris conscience des enjeux et des oppor­tu­ni­tés de notre nou­velle consti­tu­tion finan­cière. Le tra­vail qui leur était deman­dé était ambi­tieux. Il ne s’a­gis­sait nul­le­ment de jus­ti­fier l’ac­ti­vi­té de leur ser­vice, mais de repen­ser celle-ci au regard de la place et des mis­sions de l’É­tat dans la socié­té. Cela a sup­po­sé de la part des minis­tères d’al­ler au-delà d’une vision cen­trée sur chaque orga­ni­sa­tion et d’ac­cep­ter de remettre en ques­tion les fron­tières, pour mieux ser­vir l’in­té­rêt des citoyens.

La nou­velle archi­tec­ture bud­gé­taire iden­ti­fie les poli­tiques publiques finan­cées par l’É­tat. Son bud­get se pré­sente désor­mais par poli­tiques publiques, selon trois niveaux d’or­ga­ni­sa­tion bud­gé­taire : à chaque poli­tique publique cor­res­pond une mis­sion ; les mis­sions sont com­po­sées de pro­grammes ; les pro­grammes sont décli­nés en actions.

Le bud­get géné­ral com­pren­dra 32 mis­sions (45 mis­sions pour l’en­semble du bud­get de l’É­tat) dont 9 mis­sions inter­mi­nis­té­rielles. Elles pri­vi­lé­gient les besoins des citoyens. Par exemple, la mis­sion inter­mi­nis­té­rielle » Sécu­ri­té sani­taire » regroupe les pro­grammes » Veille et sécu­ri­té sani­taires » du minis­tère de la San­té et » Sécu­ri­té et qua­li­té sani­taire de l’a­li­men­ta­tion » du minis­tère de l’A­gri­cul­ture. De même, la mis­sion » Recherche et ensei­gne­ment supé­rieur uni­ver­si­taire » regroupe des pro­grammes rele­vant de six minis­tères. La mis­sion est l’u­ni­té de vote du Par­le­ment, elle est le cadre d’exer­cice du droit d’a­men­de­ment des par­le­men­taires : à l’in­té­rieur d’une mis­sion, ils peuvent réal­louer les cré­dits entre les programmes.

Les 126 pro­grammes du bud­get géné­ral (149 pro­grammes pour le bud­get de l’É­tat si l’on inclut ceux des comptes spé­ciaux et des bud­gets annexes) suc­cèdent aux 848 cha­pitres bud­gé­taires. Ils consti­tuent le cadre de la mise en œuvre des poli­tiques publiques et relèvent cha­cun d’un seul minis­tère. Ain­si les cré­dits du minis­tère de la Jus­tice, jus­qu’a­lors écla­tés dans 30 cha­pitres bud­gé­taires, seront pré­sen­tés en 6 pro­grammes : » Jus­tice admi­nis­tra­tive « , » Jus­tice judi­ciaire « , » Admi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire « , » Pro­tec­tion judi­ciaire de la jeu­nesse « , » Accès au droit et à la jus­tice » et » Sou­tien de la poli­tique de la jus­tice et orga­nismes rattachés « .

Dans la maquette que le gou­ver­ne­ment a pré­sen­tée au Par­le­ment, il faut rele­ver des inno­va­tions struc­tu­rantes pour l’a­ve­nir. Le vaste mou­ve­ment de réflexion sur les mis­sions de l’É­tat a per­mis de mettre en évi­dence l’im­por­tance nou­velle de cer­taines acti­vi­tés. L’u­ni­té de l’ac­tion de l’É­tat appa­raît plus for­te­ment qu’au­pa­ra­vant. De même, alors que les poli­tiques finan­cées par l’É­tat doivent avoir une forte cohé­rence entre elles pour être effi­caces, quel que soit le nombre de minis­tères et de corps de métiers ayant à inter­ve­nir, la consti­tu­tion de mis­sions inter­mi­nis­té­rielles et la mise en cohé­rence des poli­tiques trans­ver­sales offrent en effet un nou­veau cadre de concep­tion et de pilo­tage de l’ac­tion publique.

Cette archi­tec­ture est le fruit de vrais choix poli­tiques, posi­tion­nant l’ac­tion publique dans une vision d’a­ve­nir. Elle va être dis­cu­tée avec le Par­le­ment, pour que nous nous par­ta­gions une même vision. Nous espé­rons, comme nous l’a­vions fait lors des tra­vaux d’é­la­bo­ra­tion de la loi orga­nique du 1er août 2001, pen­dant les­quels les échanges entre le Par­le­ment et le gou­ver­ne­ment avaient été intenses, atteindre un consen­sus. Ce consen­sus serait gage de la qua­li­té de nos tra­vaux. Il repré­sen­te­rait éga­le­ment un puis­sant encou­ra­ge­ment pour tous les acteurs de la mise en œuvre de la réforme bud­gé­taire au sein de l’administration.

La nou­velle struc­tu­ra­tion du bud­get ren­for­ce­ra à l’a­ve­nir les moyens d’o­rien­ta­tion de l’ac­tion publique et de pilo­tage bud­gé­taire du Par­le­ment. Les cré­dits répar­tis par mis­sion pour­ront faire l’ob­jet d’un vrai débat de poli­tique publique à l’oc­ca­sion du vote du bud­get. Il ne s’a­gi­ra plus de dis­cu­ter dans un cercle res­treint de spé­cia­listes l’af­fec­ta­tion sur telle ligne de cré­dit d’une nou­velle dota­tion, mais de poser au fond la ques­tion du finan­ce­ment, des objec­tifs et de l’ef­fi­ca­ci­té d’une poli­tique publique. Aupa­ra­vant le Par­le­ment recon­dui­sait en un seul vote 94 % des cré­dits – les » ser­vices votés » – et ne votait de manière spé­ci­fique et détaillée que les 6 % res­tants – les » mesures nou­velles « . Demain, il dis­cu­te­ra dès le pre­mier euro des 100 % des cré­dits en votant le bud­get mis­sion par mission.

De plus, le Par­le­ment gagne un nou­veau levier d’ac­tion dans la mise en œuvre des poli­tiques de l’É­tat. Alors qu’au­pa­ra­vant la dis­cus­sion était orga­ni­sée sur les moyens, minis­tère par minis­tère, demain, il va pou­voir orien­ter les moda­li­tés d’in­ter­ven­tion des ser­vices de l’É­tat au sein d’une même mis­sion, en amen­dant la répar­ti­tion des cré­dits entre les pro­grammes de la mis­sion. Les cré­dits de la recherche, par exemple, étaient autre­fois votés de manière écla­tée au Par­le­ment, car ils figu­raient au sein des bud­gets de chaque minis­tère. En deve­nant une mis­sion inter­mi­nis­té­rielle ils seront votés de manière conjointe.

Cela s’ac­com­pa­gne­ra d’un pro­fond chan­ge­ment de la ges­tion publique avec le déve­lop­pe­ment du mana­ge­ment par la per­for­mance. Un res­pon­sable sera dési­gné pour chaque pro­gramme. Celui-ci sera libre de l’u­ti­li­sa­tion des cré­dits au sein du pro­gramme, sans tou­te­fois accroître les dépenses de per­son­nel. En contre­par­tie, il s’en­ga­ge­ra sur des objec­tifs mesu­rés par des indi­ca­teurs de per­for­mance, ce qui per­met­tra de géné­ra­li­ser la culture de résul­tats dans l’É­tat. La nou­velle archi­tec­ture des pro­grammes dépasse aus­si le cloi­son­ne­ment des struc­tures admi­nis­tra­tives. La réforme de la ges­tion publique a été l’oc­ca­sion pour les minis­tères de mettre en pers­pec­tive leurs poli­tiques et leurs orga­ni­sa­tions (au minis­tère de la Culture, on note, par exemple, que chaque pro­gramme com­prend des com­pé­tences rele­vant de plu­sieurs direc­tions de ce minis­tère). Elle est enfin l’oc­ca­sion de cla­ri­fier le bud­get. Les bud­gets annexes et les comptes spé­ciaux du Tré­sor sont ratio­na­li­sés : on passe, par exemple, de six bud­gets annexes à trois. Le bud­get des charges com­munes (54 mil­liards d’eu­ros) est ven­ti­lé entre dif­fé­rents programmes.

Cette nou­velle ges­tion publique s’ap­puie­ra sur une comp­ta­bi­li­té de l’É­tat réno­vée, fon­dée sur treize nou­velles normes qui viennent d’être pré­sen­tées. Elles ne s’é­cartent de celles pra­ti­quées par les entre­prises que lorsque les spé­ci­fi­ci­tés de l’É­tat l’im­posent (c’est le cas notam­ment de la per­cep­tion des recettes fis­cales). Elles vont appor­ter aux ges­tion­naires une meilleure connais­sance des coûts, une juste éva­lua­tion de leurs risques et enfin une appré­hen­sion fine de leurs enga­ge­ments plu­ri­an­nuels. Elle don­ne­ra au Par­le­ment des comptes trans­pa­rents, avec notam­ment un compte de résul­tat, un bilan et une image pré­cise des enga­ge­ments hors bilan. À par­tir de 2006, la Cour des comptes cer­ti­fie­ra la régu­la­ri­té, la sin­cé­ri­té et la fidé­li­té des comptes de l’État.

Le patri­moine de l’É­tat va enfin pou­voir être connu et sui­vi. Par exemple, un impor­tant tra­vail d’é­va­lua­tion du parc immo­bi­lier de l’É­tat est en cours. Les états finan­ciers vont être cla­ri­fiés et enca­drés par des normes pré­cises. Les enga­ge­ments hors bilan, notam­ment les retraites, seront éga­le­ment quan­ti­fiés et suivis.

Les Fran­çais pour­ront ain­si avoir une vision exhaus­tive et claire de la situa­tion finan­cière de l’É­tat et leurs repré­sen­tants pour­ront alors déci­der en toute connais­sance de cause et assu­mer plei­ne­ment la res­pon­sa­bi­li­té de leurs déci­sions de ges­tion, vis-à-vis des géné­ra­tions futures.

Le réseau de la comp­ta­bi­li­té publique se réor­ga­nise en consé­quence et rap­proche les comp­tables des ges­tion­naires, en créant notam­ment un dépar­te­ment comp­table au sein des ministères.

L’an­née 2004 repré­sente une nou­velle phase dans la mise en œuvre de la loi orga­nique. Chaque minis­tère va s’at­ta­cher à défi­nir, d’i­ci juin 2004, les objec­tifs et les indi­ca­teurs de per­for­mance pour chaque pro­gramme. Les res­pon­sables de pro­gramme devront notam­ment mettre en place de nou­veaux modes de ges­tion, exa­mi­ner les consé­quences de la réforme sur la poli­tique des res­sources humaines dans l’ad­mi­nis­tra­tion, revoir les rela­tions entre les admi­nis­tra­tions cen­trales et celles décon­cen­trées, etc.

De nom­breuses ques­tions res­tent ouvertes : qui seront les res­pon­sables opé­ra­tion­nels, de quoi seront faits leurs bud­gets opé­ra­tion­nels de pro­gramme, com­ment se décli­ne­ront au plan local les objec­tifs et indi­ca­teurs de per­for­mance natio­naux, quelles seront les nou­velles pro­cé­dures de pilo­tages… De même, les admi­nis­tra­tions doivent désor­mais décli­ner la nomen­cla­ture comp­table au sein de chaque minis­tère, pré­ci­ser les nou­velles pro­cé­dures comp­tables, ter­mi­ner le rac­cor­de­ment des admi­nis­tra­tions cen­trales au nou­veau sys­tème infor­ma­tique de ges­tion et enfin dif­fu­ser lar­ge­ment au sein des per­son­nels l’es­prit de la réforme bud­gé­taire, qui conci­lie la défense d’un ser­vice public de qua­li­té et la culture de responsabilité.

En sep­tembre 2004, la nou­velle archi­tec­ture bud­gé­taire sera tes­tée dans le pro­jet de loi de finances pour 2005, un an avant sa mise en œuvre défi­ni­tive. Le pro­jet de loi de finances pour 2006 sera le pre­mier à être pré­pa­ré, dis­cu­té, voté et exé­cu­té en appli­ca­tion de notre nou­velle consti­tu­tion finan­cière. Grâce à la réforme de la ges­tion publique, nous pour­rons pour­suivre la moder­ni­sa­tion pro­fonde de notre État.

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