Les enjeux et la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances
Le 1er août 2001 était promulguée la loi organique relative aux lois de finances, fruit d’un rare et remarquable consensus politique. Destinée à entrer en vigueur progressivement d’ici le 1er janvier 2006, cette nouvelle constitution financière de la France prévoit la mise en place d’une nouvelle présentation du budget de l’État, de nouveaux modes de gestion dans l’administration et d’une nouvelle comptabilité publique.
Le 21 janvier dernier, cette réforme budgétaire a franchi une étape majeure : le gouvernement vient de présenter sa maquette du futur budget de l’État et les normes de la nouvelle comptabilité. Si l’on compare la réforme budgétaire à la construction d’un édifice, nous avons là construit les fondations.
Il faut souligner l’important travail réalisé par les ministères pour élaborer cet édifice. En effet, après avoir débattu des concepts, leur réflexion a mûri au fur et à mesure qu’ils ont pris conscience des enjeux et des opportunités de notre nouvelle constitution financière. Le travail qui leur était demandé était ambitieux. Il ne s’agissait nullement de justifier l’activité de leur service, mais de repenser celle-ci au regard de la place et des missions de l’État dans la société. Cela a supposé de la part des ministères d’aller au-delà d’une vision centrée sur chaque organisation et d’accepter de remettre en question les frontières, pour mieux servir l’intérêt des citoyens.
La nouvelle architecture budgétaire identifie les politiques publiques financées par l’État. Son budget se présente désormais par politiques publiques, selon trois niveaux d’organisation budgétaire : à chaque politique publique correspond une mission ; les missions sont composées de programmes ; les programmes sont déclinés en actions.
Le budget général comprendra 32 missions (45 missions pour l’ensemble du budget de l’État) dont 9 missions interministérielles. Elles privilégient les besoins des citoyens. Par exemple, la mission interministérielle » Sécurité sanitaire » regroupe les programmes » Veille et sécurité sanitaires » du ministère de la Santé et » Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation » du ministère de l’Agriculture. De même, la mission » Recherche et enseignement supérieur universitaire » regroupe des programmes relevant de six ministères. La mission est l’unité de vote du Parlement, elle est le cadre d’exercice du droit d’amendement des parlementaires : à l’intérieur d’une mission, ils peuvent réallouer les crédits entre les programmes.
Les 126 programmes du budget général (149 programmes pour le budget de l’État si l’on inclut ceux des comptes spéciaux et des budgets annexes) succèdent aux 848 chapitres budgétaires. Ils constituent le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques et relèvent chacun d’un seul ministère. Ainsi les crédits du ministère de la Justice, jusqu’alors éclatés dans 30 chapitres budgétaires, seront présentés en 6 programmes : » Justice administrative « , » Justice judiciaire « , » Administration pénitentiaire « , » Protection judiciaire de la jeunesse « , » Accès au droit et à la justice » et » Soutien de la politique de la justice et organismes rattachés « .
Dans la maquette que le gouvernement a présentée au Parlement, il faut relever des innovations structurantes pour l’avenir. Le vaste mouvement de réflexion sur les missions de l’État a permis de mettre en évidence l’importance nouvelle de certaines activités. L’unité de l’action de l’État apparaît plus fortement qu’auparavant. De même, alors que les politiques financées par l’État doivent avoir une forte cohérence entre elles pour être efficaces, quel que soit le nombre de ministères et de corps de métiers ayant à intervenir, la constitution de missions interministérielles et la mise en cohérence des politiques transversales offrent en effet un nouveau cadre de conception et de pilotage de l’action publique.
Cette architecture est le fruit de vrais choix politiques, positionnant l’action publique dans une vision d’avenir. Elle va être discutée avec le Parlement, pour que nous nous partagions une même vision. Nous espérons, comme nous l’avions fait lors des travaux d’élaboration de la loi organique du 1er août 2001, pendant lesquels les échanges entre le Parlement et le gouvernement avaient été intenses, atteindre un consensus. Ce consensus serait gage de la qualité de nos travaux. Il représenterait également un puissant encouragement pour tous les acteurs de la mise en œuvre de la réforme budgétaire au sein de l’administration.
La nouvelle structuration du budget renforcera à l’avenir les moyens d’orientation de l’action publique et de pilotage budgétaire du Parlement. Les crédits répartis par mission pourront faire l’objet d’un vrai débat de politique publique à l’occasion du vote du budget. Il ne s’agira plus de discuter dans un cercle restreint de spécialistes l’affectation sur telle ligne de crédit d’une nouvelle dotation, mais de poser au fond la question du financement, des objectifs et de l’efficacité d’une politique publique. Auparavant le Parlement reconduisait en un seul vote 94 % des crédits – les » services votés » – et ne votait de manière spécifique et détaillée que les 6 % restants – les » mesures nouvelles « . Demain, il discutera dès le premier euro des 100 % des crédits en votant le budget mission par mission.
De plus, le Parlement gagne un nouveau levier d’action dans la mise en œuvre des politiques de l’État. Alors qu’auparavant la discussion était organisée sur les moyens, ministère par ministère, demain, il va pouvoir orienter les modalités d’intervention des services de l’État au sein d’une même mission, en amendant la répartition des crédits entre les programmes de la mission. Les crédits de la recherche, par exemple, étaient autrefois votés de manière éclatée au Parlement, car ils figuraient au sein des budgets de chaque ministère. En devenant une mission interministérielle ils seront votés de manière conjointe.
Cela s’accompagnera d’un profond changement de la gestion publique avec le développement du management par la performance. Un responsable sera désigné pour chaque programme. Celui-ci sera libre de l’utilisation des crédits au sein du programme, sans toutefois accroître les dépenses de personnel. En contrepartie, il s’engagera sur des objectifs mesurés par des indicateurs de performance, ce qui permettra de généraliser la culture de résultats dans l’État. La nouvelle architecture des programmes dépasse aussi le cloisonnement des structures administratives. La réforme de la gestion publique a été l’occasion pour les ministères de mettre en perspective leurs politiques et leurs organisations (au ministère de la Culture, on note, par exemple, que chaque programme comprend des compétences relevant de plusieurs directions de ce ministère). Elle est enfin l’occasion de clarifier le budget. Les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor sont rationalisés : on passe, par exemple, de six budgets annexes à trois. Le budget des charges communes (54 milliards d’euros) est ventilé entre différents programmes.
Cette nouvelle gestion publique s’appuiera sur une comptabilité de l’État rénovée, fondée sur treize nouvelles normes qui viennent d’être présentées. Elles ne s’écartent de celles pratiquées par les entreprises que lorsque les spécificités de l’État l’imposent (c’est le cas notamment de la perception des recettes fiscales). Elles vont apporter aux gestionnaires une meilleure connaissance des coûts, une juste évaluation de leurs risques et enfin une appréhension fine de leurs engagements pluriannuels. Elle donnera au Parlement des comptes transparents, avec notamment un compte de résultat, un bilan et une image précise des engagements hors bilan. À partir de 2006, la Cour des comptes certifiera la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l’État.
Le patrimoine de l’État va enfin pouvoir être connu et suivi. Par exemple, un important travail d’évaluation du parc immobilier de l’État est en cours. Les états financiers vont être clarifiés et encadrés par des normes précises. Les engagements hors bilan, notamment les retraites, seront également quantifiés et suivis.
Les Français pourront ainsi avoir une vision exhaustive et claire de la situation financière de l’État et leurs représentants pourront alors décider en toute connaissance de cause et assumer pleinement la responsabilité de leurs décisions de gestion, vis-à-vis des générations futures.
Le réseau de la comptabilité publique se réorganise en conséquence et rapproche les comptables des gestionnaires, en créant notamment un département comptable au sein des ministères.
L’année 2004 représente une nouvelle phase dans la mise en œuvre de la loi organique. Chaque ministère va s’attacher à définir, d’ici juin 2004, les objectifs et les indicateurs de performance pour chaque programme. Les responsables de programme devront notamment mettre en place de nouveaux modes de gestion, examiner les conséquences de la réforme sur la politique des ressources humaines dans l’administration, revoir les relations entre les administrations centrales et celles déconcentrées, etc.
De nombreuses questions restent ouvertes : qui seront les responsables opérationnels, de quoi seront faits leurs budgets opérationnels de programme, comment se déclineront au plan local les objectifs et indicateurs de performance nationaux, quelles seront les nouvelles procédures de pilotages… De même, les administrations doivent désormais décliner la nomenclature comptable au sein de chaque ministère, préciser les nouvelles procédures comptables, terminer le raccordement des administrations centrales au nouveau système informatique de gestion et enfin diffuser largement au sein des personnels l’esprit de la réforme budgétaire, qui concilie la défense d’un service public de qualité et la culture de responsabilité.
En septembre 2004, la nouvelle architecture budgétaire sera testée dans le projet de loi de finances pour 2005, un an avant sa mise en œuvre définitive. Le projet de loi de finances pour 2006 sera le premier à être préparé, discuté, voté et exécuté en application de notre nouvelle constitution financière. Grâce à la réforme de la gestion publique, nous pourrons poursuivre la modernisation profonde de notre État.