La loi organique relative aux lois de finances va-t-elle vraiment renforcer le rôle du Parlement ?
La question de savoir si la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) renforce ou non le rôle du Parlement est souvent considérée comme une évidence : la LOLF n’a-t-elle pas été votée pour mettre fin à une ordonnance de 1959, née à l’époque du parlementarisme rationalisé ? Et en effet, les pouvoirs dont dispose désormais le Parlement sont considérables sur le papier (chapitre I).
Pour autant, on peut se demander si le Parlement parviendra à saisir la chance qui lui est offerte de rénover en profondeur ses missions et ses pratiques. » Être ou ne pas être « , telle est la question qui se pose pour le Parlement. Et il en va de l’avenir de la réforme de l’État et du contrôle budgétaire (chapitre II).
I. Dans les textes, la LOLF donne certes au Parlement les moyens de renforcer considérablement son rôle
Conformément à la volonté du législateur organique, la LOLF met à la disposition du Parlement un grand nombre d’outils juridiques nouveaux, qui visent à renforcer considérablement son rôle, aussi bien pour ce qui est de l’autorisation budgétaire proprement dite, qu’en amont – où il est davantage associé aux choix budgétaires – et en aval – où il peut exercer un contrôle approfondi des finances publiques.
Même si ces différents éléments sont souvent bien connus, il peut être utile de les rappeler brièvement ici pour en saisir toute la portée.
1) Les pouvoirs accrus du Parlement en matière d’autorisation budgétaire
Grâce à la LOLF, la portée du débat sur la loi de finances au Parlement est triplement rénovée par rapport à la situation qui prévalait antérieurement :
- la discussion budgétaire porte, changement essentiel, sur les finalités de l’action publique, la loi de finances étant présentée selon les missions de l’État, elles-mêmes composées de programmes de politique publique auxquels sont associés des objectifs et des indicateurs, destinés à mesurer les coûts et les performances des administrations ;
- le Parlement dispose d’un droit d’amendement élargi, puisqu’il peut désormais, tant qu’il n’augmente pas les crédits d’une mission, majorer ou minorer les crédits des programmes qui la composent, voire créer ou supprimer des programmes ;
- le contenu des lois de finances et donc le périmètre de l’autorisation parlementaire sont étendus à de nombreux domaines du fait soit de l’apparition d’outils nouveaux (par exemple l’instauration d’une comptabilité patrimoniale de l’État ou d’un compte des pensions), soit de l’intégration d’outils budgétaires qui ne donnaient pas formellement lieu à autorisation (fonds de concours, prélèvements sur recettes, etc.), soit encore de l’interdiction de certaines pratiques extrabudgétaires (cas des taxes parafiscales notamment).
2) L’information et la participation du Parlement en amont de la loi de finances
La LOLF permet également d’associer davantage le Parlement aux choix budgétaires du gouvernement en amont du débat sur la loi de finances. Trois rendez-vous importants ont ainsi été institutionnalisés et renforcés :
- le Parlement est désormais informé des perspectives pluriannuelles des finances de l’ensemble des administrations publiques, notamment dans le cadre du rapport économique, social et financier qui accompagne le projet de loi de finances de l’année. De ce fait, il est associé à la définition du programme de stabilité que doit présenter le gouvernement dans le cadre de l’Union économique et monétaire ;
- dès l’ouverture de la session ordinaire en octobre, le Parlement peut débattre sur l’évolution des prélèvements obligatoires, sur la base d’un rapport du gouvernement qui ne porte pas uniquement sur la fiscalité de l’État, mais aussi sur la fiscalité locale et sur les prélèvements sociaux ;
- encore plus en amont, au printemps, un débat d’orientation budgétaire est organisé au Parlement, sur la base d’un » rapport préliminaire » de la Cour des comptes relatif aux résultats de l’exécution de l’exercice antérieur et d’une information très complète de la part du gouvernement, dont le rapport traite notamment des missions et des objectifs envisagés dans la prochaine loi de finances et du cadre pluriannuel des finances publiques.
3) En aval, un pouvoir de contrôle et d’évaluation en matière de finances publiques
La LOLF donne une portée nouvelle au contrôle parlementaire en matière de finances publiques, qui résulte de la place faite désormais à l’examen de l’exécution du budget précédent et des pouvoirs d’investigation spécifiquement reconnus aux commissions des finances.
Le rôle que peut exercer le Parlement sur l’exécution budgétaire est renforcé à plusieurs titres :
- en cours d’année, le Parlement doit être informé, le plus souvent de façon préalable, des modifications apportées à l’autorisation budgétaire (régulation et mouvements de crédits divers). Qui plus est, en la matière, les facultés du pouvoir exécutif sont plus strictement encadrées qu’auparavant et soumises à une ratification en loi de finances sur laquelle la Cour des comptes donne son avis ;
- en fin de gestion, le Parlement peut exercer un véritable contrôle des performances réalisées par les administrations, et les comparer aux objectifs prévus. Des rapports annuels de performance sont en effet présentés à l’appui de chaque programme à l’occasion de la loi de règlement, et analysés dans un rapport déposé conjointement par la Cour des comptes ;
- sur les aspects comptables, le Parlement dispose d’une information plus rapide (reddition des comptes avant le 1er juin), plus utile (comptabilité d’exercice en droits constatés, et non de simples encaissements/décaissements), plus complète (présence notamment d’un compte de résultat et d’un bilan) et plus fiable (faisant l’objet d’une certification par la Cour des comptes).
Enfin, en ce qui concerne les commissions des finances, la LOLF rappelle solennellement qu’elles » suivent et contrôlent l’exécution des lois de finances « , mais surtout qu’elles » procèdent à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques « . Dans ce domaine de compétence très vaste, elles procèdent à des contrôles sur pièces et sur place et à des auditions. Elles peuvent bénéficier de l’assistance de la Cour des comptes dans le cadre de leurs missions d’évaluation et de contrôle, et lui demander la réalisation d’enquêtes spécifiques sur la gestion des services ou organismes qu’elle contrôle.
Cette revue rapide met en évidence, si cela était nécessaire, que les moyens juridiques dont disposent désormais les Assemblées parlementaires en matière d’information, de vote et de contrôle des finances publiques sont considérables.
Reste une question, essentielle, qui est de savoir si les parlementaires saisiront l’occasion qui leur est donnée de sortir définitivement de la » litanie, liturgie, léthargie » du débat budgétaire rationalisé, dont parlait déjà le président Edgar Faure dans les années 1970, et de faire en sorte que les représentants de la nation puissent, par-delà l’autorisation du budget, décider des finalités de l’action publique, s’assurer du bon emploi des fonds publics et aiguillonner sans relâche la réforme et la modernisation des administrations publiques.
Cette mutation paraît d’autant plus essentielle que notre pays se retrouve face à une crise majeure de ses finances publiques, et s’est engagé vis-à-vis de nos partenaires de la zone euro à un redressement rapide qui ne sera réalisable que si, dès 2004, l’État parvient à engager les réformes structurelles qui s’imposent.
II. Dans la pratique, le Parlement doit progressivement s’imposer comme le moteur de la Réforme de l’État et du contrôle des finances publiques
Je suis convaincu que le Parlement vit une période cruciale, qui peut se traduire par de profondes inflexions de ses pratiques. Je souhaite à ce propos témoigner des évolutions d’ores et déjà observables et évoquer trois orientations qu’il me paraît souhaitable de prendre pour que le mouvement initié se poursuive.
1) Les premières évolutions positives
Le Parlement est de plus en plus sollicité sur les questions du contrôle des finances publiques et de la réforme de l’État. Les citoyens, à la fois contribuables et usagers des services publics, attendent beaucoup de leurs représentants, de même que le gouvernement, qui ne peut mener à bien les réformes nécessaires sans l’appui des élus de la nation.
Cet appel au Parlement est apparu clairement à l’occasion de la démarche des stratégies ministérielles de réforme.
Pour la première fois en effet, les ministres sont venus présenter devant le Parlement les stratégies de réforme de leurs ministères, et prendre des engagements précis sur l’évolution des missions et des structures, sur la modernisation de la gestion des ressources humaines et sur l’amélioration de la qualité des services rendus aux usagers.
Même si la qualité de ces stratégies a été inégale, la démarche entreprise s’est avérée positive. Les auditions conduites par la Commission des finances de l’Assemblée nationale et le débat public qui les a suivies, le 18 novembre 2003, ont mis en évidence le rôle moteur que le Parlement peut jouer en matière de réforme de l’État. Le ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire a, au nom du gouvernement, solennellement appelé les parlementaires à devenir » les aiguillons » des réformes engagées, estimant que » l’information, la participation, l’implication forte du Parlement sont nécessaires pour enclencher le mouvement de réforme dans les administrations « .
Pour sa part, la Commission des finances a écrit aux différents ministres qu’elle avait entendus en prenant acte d’une quinzaine d’engagements de réformes concrètes à mettre en œuvre en 2004. Elle effectue un suivi attentif de l’avancement de ces réformes et procédera dans les prochains mois à de nouvelles auditions des ministres pour s’assurer qu’ils auront respecté leurs engagements et exiger qu’ils en prennent de nouveaux pour l’année 2005.
De façon complémentaire, une série de chantiers transversaux portant sur la réforme de l’État sont suivis par des députés, dans les domaines suivants : missions et structures des administrations centrales ; services déconcentrés et opérateurs de l’État ; contractualisation, contrôle de gestion, performance ; modernisation de la gestion des ressources humaines ; modernisation de l’achat public et partenariats public-privé ; modernisation de la gestion de l’immobilier ; simplification et qualité de service. L’action exercée par l’Assemblée nationale permet de soutenir les réformes engagées dans ces domaines, de promouvoir les meilleures pratiques et de contribuer à lever les obstacles qui s’opposent à leur mise en œuvre rapide.
S’agissant de la mise en œuvre de la LOLF, les commissions des finances sont associées très en amont à la finalisation du projet de nouvelle maquette budgétaire, c’est-à-dire à la définition des missions, programmes et actions de l’État. Je vois dans cette participation active un signe de la mutation silencieuse qui s’opère au Parlement, et qui constitue un facteur essentiel d’accélération des réformes dans notre pays.
2) Trois orientations souhaitables à court terme
Dans le prolongement de ces premières expériences, trois orientations permettraient de donner à l’Assemblée nationale tout le poids nécessaire en matière de réforme de l’État et de contrôle des finances publiques. Il s’agit de relever le défi de la LOLF, c’est-à-dire utiliser pleinement les pouvoirs qui nous sont confiés et être à la hauteur des enjeux en matière de rénovation de la gestion publique et de maîtrise des dépenses.
Il me paraît souhaitable, en premier lieu, de trouver les moyens de mobiliser davantage les parlementaires sur ces questions.
La réforme de l’État n’intéresse pas la seule Commission des finances et nous veillerons à associer des députés issus d’autres commissions permanentes à nos travaux portant sur le contrôle des administrations et l’évaluation des politiques publiques. De même, l’examen des programmes budgétaires, avec leurs objectifs et leurs indicateurs de performance, intéresse au moins autant les rapporteurs pour avis, issus des commissions compétentes sur les politiques examinées, que les rapporteurs spéciaux de la Commission des finances. En nous fixant de la sorte l’objectif de valoriser les travaux autres que législatifs des députés, nous parviendrons à mobiliser toutes les énergies nécessaires.
En deuxième lieu, il me semble indispensable de s’entourer d’un maximum d’expertise pour acquérir davantage de professionnalisme.
Notre collaboration avec la Cour des comptes s’intensifie, mais il nous faut encore l’approfondir. La juridiction nous apporte une aide précieuse dans la préparation des séances consacrées à l’évaluation et au contrôle ; nous examinons avec attention les suites qui ont été données à ses observations et à ses recommandations ; nous lui formulons des demandes de contrôle, complémentairement aux travaux qu’elle a librement programmés.
Mais il me paraît utile d’œuvrer encore davantage au rapprochement de nos institutions, en vue de bénéficier mutuellement de nos expériences, de faire en sorte que les besoins des parlementaires soient mieux pris en compte et de garantir une utilisation optimale des enquêtes réalisées et des rapports publiés.
Une collaboration plus étroite avec le Conseil des impôts devrait également être envisagée, par exemple en instaurant la possibilité de saisines parlementaires ou en prévoyant le dépôt d’un rapport annuel à l’occasion du débat sur les prélèvements obligatoires. De même, les contacts avec les corps d’inspection se sont multipliés, en particulier pour ce qui est de l’audit des programmes budgétaires, et devraient continuer à se développer.
Enfin, le recours à des cabinets d’audit privés, notamment au Sénat, en vue d’effectuer des enquêtes ou des évaluations ciblées, s’est avéré fructueux et mériterait d’être développé également à l’Assemblée nationale.
En troisième et dernier lieu, je formule le vœu que la mise en œuvre de la LOLF soit l’occasion d’infléchir nos pratiques institutionnelles.
Il y va de l’équilibre des pouvoirs entre le gouvernement et le Parlement. Le premier doit accepter d’entrer dans la logique de la LOLF, quand elle permet d’infléchir les pratiques de la Ve République, notamment en étant plus ouvert aux amendements et aux critiques des parlementaires. De leur côté, les députés doivent jouer, ce qui n’est pas toujours dans leur culture, un rôle actif dans la maîtrise des finances publiques, en proposant par exemple des amendements en réduction de dépenses ou en critiquant les performances insuffisantes de tel ou tel ministère.
Il y va également de l’équilibre des pouvoirs entre majorité et opposition, et notamment du rôle constructif que peut jouer cette dernière. La LOLF a été préparée et adoptée de façon consensuelle, il faut qu’elle soit appliquée dans les mêmes conditions. La réforme de l’État et l’amélioration de la productivité, de l’efficacité et de la qualité de l’action publique doivent rester des objectifs partagés par tous, majorité comme opposition, en dépassant les clivages idéologiques. Si on en croit l’expérience parlementaire des Britanniques, l’opposition pourrait même jouer un rôle moteur, étant par construction plus libre que la majorité d’aiguillonner les ministres et leurs administrations.
On le voit, les pratiques évoluent dans le bon sens, même si le mouvement risque de nécessiter plus de temps que ne le prévoient les textes organiques. Seules une vigilance quotidienne, une détermination à toute épreuve et une conscience toujours plus haute du rôle que sont appelés à jouer les parlementaires permettront de venir à bout des mauvaises habitudes qui ont été prises depuis plus de quarante années, de réformer les services publics dans un souci d’efficacité et d’économie, et de faire de la France une démocratie moderne.