La réorganisation de l’administration territoriale et le rôle du préfet
La loi relative aux responsabilités locales et la LOLF donnent à la modernisation de l’État une actualité nouvelle.
La nécessaire réflexion sur le rôle de l’État concerne aussi bien le niveau central que les niveaux locaux, régional et départemental, et s’articule autour de trois notions clés : la simplification, la déconcentration et l’évaluation.
La modernisation de l’État est à l’ordre du jour depuis plusieurs décennies. Si des avancées ont été enregistrées ces dernières années, elles demeurent trop modestes, beaucoup plus modestes que les évolutions enregistrées dans d’autres pays. La réforme de l’État est sans doute plus difficile chez nous car la place de l’État au cœur de la société est historiquement plus fondamentale qu’ailleurs et le rapport des citoyens à l’État est ici singulier.
Des changements beaucoup plus radicaux sont absolument nécessaires. La réforme constitutionnelle et la nouvelle étape de la décentralisation ainsi que la mise en œuvre de la LOLF constituent une occasion unique à ne pas manquer de réformer l’État en profondeur, au niveau central comme au niveau déconcentré.
Cela doit être l’occasion de redéfinir le rôle de l’État. Qu’est-ce qu’un État moderne, un État stratège en 2004 ?
L’État ne doit pas être défini en creux : » l’État d’avant » moins les compétences transférées aux collectivités. Les compétences de l’État ne doivent pas non plus se limiter à ce que les collectivités ne veulent pas assumer.
L’État c’est avant tout les missions régaliennes. Mais l’État est aussi le garant de la solidarité nationale (qui doit protéger les citoyens), le garant de l’équilibre des territoires et l’évaluateur des politiques publiques, qu’elles soient décentralisées ou non.
Simplifier l’État central
L’État doit être garant du droit mais pas un producteur permanent et désordonné de normes tatillonnes.
L’État central doit limiter son action à l’élaboration des politiques et à leur évaluation. Il n’a pas vocation à être acteur de leur mise en œuvre. À Paris, l’on considère toujours qu’une mise en œuvre centralisée est plus efficace, et qu’elle permet de surcroît des économies budgétaires. L’expérience, très réussie, de la globalisation des crédits de préfecture démontre le contraire. La capacité donnée au niveau local de se fixer des priorités, la vision pluriannuelle, la garantie que les marges de manœuvre dégagées resteront dans le service sont des facteurs déterminants de progrès.
Plus de fongibilité au niveau local = plus de souplesse = plus d’efficacité = plus d’économies.
Il est également urgent de réduire de manière drastique le nombre de directions d’administration centrale. Lorsque 176 directions centrales et des dizaines d’établissements publics à compétence nationale diffusent quotidiennement des circulaires interminables aux services déconcentrés (oubliant parfois l’information des préfets…) qu’en est-il du fonctionnement local de l’État ?
Moderniser l’État au niveau local
C’est au niveau du terrain, au contact quotidien des acteurs politiques, socioéconomiques et des citoyens, que des progrès décisifs peuvent être faits. La capacité d’arbitrage interministériel y est plus forte qu’au niveau central.
Deux remarques liminaires :
- L’État au niveau local est très apprécié par les citoyens. Deux enquêtes d’opinion réalisées fin 1999 et fin 2003 par la préfecture de Charente-Maritime en témoignent. Globalement, 81 % des personnes interrogées se déclarent très ou assez satisfaites de leur dernier contact avec les services de l’État (20 services y compris ceux de la justice). Ce taux atteint 86 % pour la préfecture et les quatre sous-préfectures. Les Charentais maritimes souhaitent massivement une plus grande déconcentration de l’État.
- Contrairement à une idée reçue, l’État est très réactif au niveau local. Les catastrophes de ces dernières années (Erika, Prestige, tempête de 1999, AZF, inondations…) ont montré la capacité de mobilisation des services locaux autour des préfets et une aptitude de ces derniers à gérer les crises (même si des progrès restent à faire en matière de collecte d’informations fiables et de communication avec le public).
Les maîtres-mots de la modernisation de l’État au niveau local : simplifier, déconcentrer, évaluer.
Simplifier les procédures. Supprimer les missions et les commissions inutiles
Les services sont surchargés par des procédures désuètes, des réglementations inutiles et sans enjeu qui suscitent l’incompréhension des citoyens et qui freinent initiatives et esprit d’entreprise.
Certaines missions doivent être purement et simplement supprimées, d’autres peuvent être externalisées.
La deuxième étape de la décentralisation doit transférer des » blocs de compétences » cohérents, mettant fin aux doublons ou au double pilotage, afin de ne pas rééditer l’expérience de 1982, incomplète de ce point de vue.
Passer d’une logique de procédure à un pilotage par objectifs avec évaluation des résultats
C’est l’élément central, le changement culturel majeur… qui heurte souvent personnels et syndicats. Dans ce domaine, l’élaboration, dans chaque département, d’un projet territorial de l’État par l’ensemble des services a constitué une première étape importante. Élaborer un diagnostic de la situation, se fixer des priorités et des objectifs chiffrés et évaluer les résultats sont des facteurs de progrès et de plus grande efficacité, qu’il convient de généraliser.
La LOLF constitue de ce point de vue une novation majeure.
Renforcer la déconcentration et l’interministérialité. Renforcer le rôle du préfet. Réorganiser les services déconcentrés
Le mouvement de décentralisation implique que les collectivités vont avoir davantage de responsabilités et de pouvoirs. Ces collectivités demandent un interlocuteur unique qui représente clairement tous les ministères, mais aussi tous les établissements publics à compétence nationale : le préfet. C’est d’autant plus important que la LOLF va renforcer la logique verticale (ministérielle), et que chaque grande politique publique (sécurité, emploi, solidarité, environnement…) concerne de nombreux services déconcentrés.
Il faut décloisonner les différentes administrations, encourager et valoriser les mobilités d’une administration à l’autre (alors qu’elles sont aujourd’hui fortement pénalisées), sortir aussi des corporatismes et des prés carrés. Le corps préfectoral mais aussi les DDE, les DDASS, les DDAF… doivent s’ouvrir à des responsables de toutes origines. Il faut brasser les cultures, les expériences, les compétences, et afficher clairement que tous les corps peuvent accéder à toutes les responsabilités quelles qu’elles soient.
La création de délégations inter- services (trois ont été créées en Charente-Maritime concernant l’eau, la sécurité alimentaire, l’ingénierie publique), qui permettent de placer plusieurs services sous l’autorité d’un délégué, désigné par le préfet, donne d’excellents résultats. Il faut l’encourager.
Il est aussi indispensable de réduire de manière volontariste le nombre de services déconcentrés au niveau départemental et au niveau régional. Cela améliorera la cohérence de l’État, la lisibilité de son action et permettra d’importantes économies. La création envisagée de pôles régionaux n’a de sens que si elle s’accompagne simultanément de la suppression de la trentaine de services régionaux (certains pouvant être intégrés à la préfecture). Dans l’hypothèse inverse, on aboutirait finalement à la création d’un échelon supplémentaire. Au niveau départemental, j’ai proposé d’expérimenter, en Charente-Maritime, une architecture avec six services déconcentrés (au lieu de 22).
Par ailleurs, au moment où des expérimentations sont prévues en matière de transferts de compétence, il serait paradoxal que l’organisation territoriale de l’État soit unique et figée.
Il faut développer le droit à l’expérimentation ; cela se révélera plus efficace que les grandes réformes globales, centrales qui se heurtent à tous les blocages.
Il est également indispensable de progresser en matière de mutualisation des moyens au niveau local. Les » mandats de gestion « , prévus par la LOLF, doivent être exploités au maximum.
Il est aussi nécessaire de mieux harmoniser l’action de l’État au niveau régional et départemental. Renforcer le niveau régional est aujourd’hui une priorité. Mais les Conseils généraux, qui vont voir leurs compétences nettement élargies, souhaitent un représentant de l’État à la fois conseiller, médiateur et arbitre.
La question de l’évolution des services publics en milieu rural doit faire l’objet d’une double approche, verticale par fonction mais aussi horizontale par territoire autour des maires : de quels services ont besoin les habitants, quelles synergies peuvent être développées entre plusieurs services publics ou avec des partenaires privés ? Des solutions novatrices et économiques sont possibles à la condition de développer écoute et concertation avec les responsables locaux.
Dans le même esprit, il convient de réfléchir à l’évolution du rôle et du périmètre des sous-préfectures, notamment au regard de l’évolution de l’intercommunalité.
Réformer le système de contrôle et développer l’évaluation des politiques
L’objectif me paraît être la suppression du contrôle a priori dans l’action publique (en développant le conseil) et de rendre plus rigoureux le contrôle a posteriori.
La culture de l’évaluation, faible dans notre pays, est à développer fortement. L’État paraît le mieux placé pour procéder aux évaluations, même pour les politiques décentralisées : objectifs visés – ampleur des moyens mis à disposition – résultats. Il pourrait être envisagé d’organiser tous les corps d’inspection sur une base interrégionale.
La modernisation de l’État et sa déconcentration doivent aller de pair avec une nouvelle étape de la décentralisation et la mise en œuvre de la LOLF.
Pour concevoir et mener à bien les réformes nécessaires, il faut avoir à l’esprit quelques idées simples :
- les réformes sont toujours plus faciles chez les autres,
- on ne peut réformer l’État contre les fonctionnaires, » il est rare de réussir des réformes sans alliés « ,
- mieux vaut avancer grâce à des expérimentations que de concevoir de grandes réformes globales et centrales,
- la constance et la gestion du temps sont essentielles.