Pour un impôt plus facile

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Marc-Henri DESPORTES (91)

Pour l’en­tre­tien de la force publique, et pour les dépenses d’ad­mi­nis­tra­tion, une contri­bu­tion com­mune est indis­pen­sable : elle doit être éga­le­ment répar­tie entre tous les citoyens en rai­son de leurs facultés.

Décla­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen
du 26 août 1789 – article 13.

Comme l’a­vaient com­pris les pères fon­da­teurs de notre répu­blique, un impôt cor­rec­te­ment géré est essen­tiel au fonc­tion­ne­ment de l’É­tat de droit. Cela n’en fait pas pour autant un pro­duit spon­ta­né­ment appré­cié par ses clients cap­tifs. Asso­cier à ce pro­duit le juste niveau de ser­vice auquel chaque Fran­çais est en droit de pré­tendre, lui assu­rer que les admi­nis­tra­tions feront le maxi­mum pour sim­pli­fier la com­plexi­té qu’il aura à sup­por­ter sont autant d’ob­jec­tifs légi­times d’é­vo­lu­tion des poli­tiques publiques. Légi­times parce que l’ad­mi­nis­tra­tion doit un ser­vice de qua­li­té à l’u­sa­ger qui est en attente d’un trai­te­ment per­son­na­li­sé, légi­times aus­si parce que le meilleur ser­vice ne peut que jouer en faveur du » civisme fiscal « .

Comme le disent avec humour les Néer­lan­dais, » S’il n’est pas en notre pou­voir de vous rendre l’im­pôt agréable, nous devons agir pour vous le rendre plus facile. » Cette action de sim­pli­fi­ca­tion se heurte néan­moins à un cer­tain nombre d’obs­tacles : à la com­plexi­té de la légis­la­tion et des pro­cé­dures s’a­joute la com­plexi­té des struc­tures. L’im­pôt sur le reve­nu est cal­cu­lé, est décla­ré à la Direc­tion géné­rale des impôts, mais il est à payer à la Direc­tion géné­rale de la comp­ta­bi­li­té publique. Ce n’est en revanche pas vrai de l’im­pôt sur la for­tune, et les entre­pre­neurs qui ont un jour vou­lu savoir où en était le trai­te­ment de leur demande de rem­bour­se­ment de cré­dit de TVA savent le nombre de ser­vices qui peuvent être impli­qués dans ce type de procédure…

La poli­tique de ser­vice ne peut donc réus­sir que si elle est au cœur de la démarche stra­té­gique des admi­nis­tra­tions fis­cales, et c’est bien le choix qui a été fait depuis main­te­nant quelques années et qui a été encore ren­for­cé par le gou­ver­ne­ment actuel. Cette démarche de ser­vice sup­pose une action à trois niveaux : sur l’or­ga­ni­sa­tion, sur les méthodes et sur le sys­tème d’in­for­ma­tion. Loin d’être anec­do­tique ou de rele­ver d’un effet de mode, l’ac­tion sur l’in­for­ma­tique porte sur l’ou­til de pro­duc­tion de ces grandes machines à trai­ter de l’in­for­ma­tion que sont les admi­nis­tra­tions fis­cales. C’est de ce chan­tier, bap­ti­sé » pro­gramme Coper­nic « , qu’il est ques­tion ici, j’en expli­que­rai les objec­tifs et le conte­nu, mais aus­si les enjeux spé­ci­fiques qui sont atta­chés à sa conduite.

Faciliter l’impôt avec les technologies de l’information

Le pro­gramme d’é­vo­lu­tion du sys­tème d’in­for­ma­tion est bâti sur des objec­tifs simples : par­ta­ger plei­ne­ment l’in­for­ma­tion concer­nant l’u­sa­ger entre tous ceux qui en ont l’u­sage y com­pris ce der­nier et tirer tout le poten­tiel des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion pour sim­pli­fier la vie aux usa­gers et offrir des outils plus effi­caces aux agents. Ce par­tage de l’in­for­ma­tion a été construit autour de la notion de compte fis­cal : le compte fis­cal d’un usa­ger regroupe l’en­semble des infor­ma­tions rela­tives à celui-ci. On y retrouve donc ses paie­ments, ses décla­ra­tions, ses avis d’im­po­si­tion, mais aus­si ses récla­ma­tions et leur état de trai­te­ment, ou ses choix de moda­li­tés de paiement.

À par­tir de cette notion et du poten­tiel des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion, il est pos­sible d’in­tro­duire de la liber­té là où la contrainte était forte : liber­té de choi­sir le canal de son choix pour ses démarches (télé­phone, Inter­net, cour­rier ou gui­chet), mais aus­si liber­té de choi­sir l’en­droit et le moment (Inter­net est acces­sible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les centres d’ap­pels sont ouverts de 8 heures à 22 heures en semaine et de 9 heures à 19 heures le same­di). Au-delà, ces tech­no­lo­gies per­mettent éga­le­ment d’of­frir des ser­vices nou­veaux qui n’é­taient pas pos­sibles aupa­ra­vant : four­nir un accu­sé de récep­tion pour les télé­dé­cla­ra­tions, pro­po­ser une lettre d’in­for­ma­tion fis­cale élec­tro­nique adap­tée aux thèmes rete­nus par l’in­ter­naute, ou encore offrir la pos­si­bi­li­té de suivre l’é­tat d’a­van­ce­ment du trai­te­ment d’une réclamation…

Si ces objec­tifs ont le mérite de la sim­pli­ci­té, leur mise en œuvre s’est néan­moins heur­tée à la réa­li­té concrète du sys­tème d’in­for­ma­tion his­to­rique : construit pro­gres­si­ve­ment, sou­vent impôt par impôt et acti­vi­té par acti­vi­té, il épar­pillait l’in­for­ma­tion sur l’u­sa­ger en y intro­dui­sant des inco­hé­rences de mises à jour, d’i­den­ti­fi­ca­tion. Ce pro­blème, par ailleurs très cou­rant dans toutes les grandes orga­ni­sa­tions, néces­si­tait pour son trai­te­ment une refonte en pro­fon­deur : d’un sys­tème construit autour des pro­ces­sus internes de l’ad­mi­nis­tra­tion, il fal­lait pas­ser à un sys­tème struc­tu­ré par la réa­li­té externe qu’est l’u­sa­ger. Une telle révo­lu­tion méri­tait bien le nom de copernicienne !

Cette » refon­da­tion » du sys­tème néces­si­tant des tra­vaux impor­tants et longs, il a été dès le démar­rage déci­dé de mener de front les chan­tiers cor­res­pon­dants et ceux, plus rapides, qui cor­res­pon­daient à la mise en place de nou­veaux ser­vices, quand bien même ces nou­veaux ser­vices seraient incom­plets ou inac­ces­sibles à cer­tains tant que les tra­vaux de fond n’au­raient pas abou­ti. Ce choix devait per­mettre de livrer le maxi­mum de ser­vices aux usa­gers et aux agents tout au long du pro­gramme, et ain­si d’é­vi­ter tout » effet tunnel « .

Les objec­tifs prin­ci­paux du pro­gramme Coper­nic et la nature des tra­vaux pour y par­ve­nir expliquent sa dimen­sion par­ti­cu­lière : une durée de huit ans pour un bud­get de près d’un mil­liard d’eu­ros, et, pour le mener, jus­qu’à 250 per­sonnes en maî­trise d’ou­vrage et à peu près autant en maî­trise d’œuvre. Si un tel inves­tis­se­ment peut sem­bler colos­sal, il est à rap­por­ter à l’am­pleur des enjeux : 100 000 agents uti­li­sa­teurs, 250 mil­liards d’eu­ros gérés chaque année, plus de 30 mil­lions de foyers et 3 mil­lions d’entreprises…

Des services déjà largement utilisés

La déci­sion de lan­cer le pro­gramme a donc été prise en 2001, et confir­mée plu­sieurs fois depuis, notam­ment au vu des pre­miers résul­tats obte­nus. Il a en effet déjà très concrè­te­ment per­mis d’é­lar­gir la palette de ser­vices offerts aux usa­gers, et nous consi­dé­rons évi­dem­ment que la prin­ci­pale mesure de son suc­cès auprès d’eux est le niveau d’u­ti­li­sa­tion de ces mêmes ser­vices. Un petit tour d’ho­ri­zon des réa­li­sa­tions phares du pro­gramme per­met d’en juger :

  • le por­tail fis­cal sur Inter­net (www.impots.gouv.fr) per­met d’ac­cé­der à toute la régle­men­ta­tion fis­cale et à l’en­semble des ser­vices en ligne : il a déjà été visi­té près de 25 mil­lions de fois en 2003 ;
  • la télé­dé­cla­ra­tion de l’im­pôt sur le reve­nu a été uti­li­sée par 600 000 inter­nautes en 2003, soit une crois­sance de 400 % par rap­port à l’an­née précédente ;
  • le ser­vice de télé­dé­cla­ra­tion et télé­paie­ment de la TVA col­lecte men­suel­le­ment près de 6 mil­liards d’eu­ros soit la moi­tié du mon­tant glo­bal pour cet impôt ;
  • les centres d’ap­pels (numé­ro unique : 0820 32 42 521) offrent depuis cette année un ser­vice natio­nal aux par­ti­cu­liers comme aux entre­prises qui le souhaitent.

Si ces résul­tats sont déjà une réelle source de satis­fac­tion, les tra­vaux sont loin d’être ter­mi­nés. Les plus gros d’entre eux, qui concernent l’é­vo­lu­tion des aspects les plus essen­tiels du sys­tème d’in­for­ma­tions sont actuel­le­ment en cours selon leur calen­drier pré­vi­sion­nel pour des mises en ser­vice éche­lon­nées entre 2005 et 2008.

La » start-up » Copernic

Ini­tier et conduire un vaste chan­tier d’ad­mi­nis­tra­tion élec­tro­nique comme Coper­nic a néces­si­té et néces­site tou­jours l’in­ven­tion de nou­velles façons de tra­vailler. Afin de pré­ser­ver notre capa­ci­té d’in­no­va­tion des habi­tudes et des pro­cé­dures qui avaient été for­gées pour d’autres tailles de pro­jet, nous avons rete­nu une approche assez voi­sine de celle de la créa­tion d’une entreprise.

Pour convaincre les » finan­ceurs » du pro­jet, nous avons ain­si com­men­cé par défi­nir un » plan d’ac­tion opé­ra­tion­nel » qui nous a ser­vi de » busi­ness plan » : il conte­nait les objec­tifs du pro­gramme et l’a­gen­ce­ment des chan­tiers induits, mais aus­si des ana­lyses des attentes des usa­gers et des agents construites autour de son­dages spé­ci­fiques. C’est ce plan qui a fait l’ob­jet d’un accord du ministre et qui a été régu­liè­re­ment actua­li­sé depuis. Une fois cette feuille de route vali­dée, il a fal­lu choi­sir un sta­tut juri­dique adap­té aux besoins, à savoir per­mettre un équi­libre entre les deux » action­naires » que sont la DGI et la DGCP, et auto­ri­ser une cer­taine flui­di­té des res­sources avec ces deux direc­tions afin de se gar­der une bonne sou­plesse de ges­tion. La struc­ture rete­nue a donc été celle de ser­vice à com­pé­tence natio­nale, rat­ta­ché aux deux direc­tions géné­rales : une » joint ven­ture » en quelque sorte, et la pre­mière de son genre, même si le modèle a res­ser­vi depuis !

L’é­tape sui­vante a été de rete­nir un mode de réa­li­sa­tion pour les pro­jets du pro­gramme. D’une part, l’am­pleur du pro­gramme et sa vitesse de démar­rage néces­si­taient la mobi­li­sa­tion très rapide de res­sources maî­tri­sant les tech­no­lo­gies les plus modernes, mais d’autre part, DGI et DGCP dis­po­saient de fortes com­pé­tences autour des sys­tèmes d’in­for­ma­tion, et avaient un solide savoir-faire dans la conduite de pro­jet. Il a donc été rete­nu de conser­ver en interne la conduite du pro­gramme, ses choix d’ar­chi­tec­ture, et le contrôle des pres­ta­taires, mais de confier l’es­sen­tiel de la réa­li­sa­tion à des socié­tés de ser­vice. Cette solu­tion per­met non seule­ment de mieux pilo­ter le dérou­le­ment des pro­jets, mais encore d’op­ti­mi­ser la reprise en main­te­nance des réa­li­sa­tions, qui est l’en­jeu éco­no­mi­que­ment le plus cri­tique. Nous avons dans le même temps défi­ni l’or­ga­ni­sa­tion des équipes du pro­gramme en rete­nant une struc­ture à deux niveaux : un pre­mier niveau char­gé d’as­su­rer le » secré­ta­riat géné­ral » du pro­gramme et de défi­nir le posi­tion­ne­ment des chan­tiers et l’ar­chi­tec­ture géné­rale et un second niveau, sous le contrôle per­ma­nent du pre­mier, où est effec­ti­ve­ment assu­rée la conduite opé­ra­tion­nelle des projets.

Le recru­te­ment des res­sources néces­saires qui a sui­vi n’a pas été la tâche la plus légère : il por­tait sur plus de deux cents per­sonnes, et s’est fait prin­ci­pa­le­ment par appels à can­di­da­ture internes. Une pro­mo­tion mas­sive pour atti­rer le plus pos­sible de monde, des entre­tiens sélec­tifs, une forte dose de for­ma­tion pour mettre tout le monde à niveau, l’ad­jonc­tion de contrac­tuels spé­cia­li­sés et de consul­tants en assis­tance à maî­trise d’ou­vrage ont per­mis d’ob­te­nir une équipe in fine rela­ti­ve­ment solide et homo­gène. C’est sans aucun doute dans ce domaine que les pro­cé­dures de ges­tion publique ont été les plus lourdes à porter.

L’en­tre­prise Coper­nic ain­si consti­tuée, il a fal­lu abor­der la concep­tion de nos pro­duits selon une approche adap­tée, qui inté­grait le plus en amont pos­sible les attentes de nos futurs clients que sont les usa­gers. Nous sommes par­tis de leur vision pour conce­voir une véri­table offre de ser­vice, conçue à par­tir de l’a­na­lyse de leur cycle de vie, de leurs attentes recueillies par des son­dages appro­priés. Nous les avons ensuite asso­ciés à la réa­li­sa­tion des chan­tiers à tra­vers des groupes d’u­sa­gers régu­liers. Quand il a été ques­tion pour la pre­mière fois de plan mar­ke­ting, il y a eu un petit choc cultu­rel, mais qui a rapi­de­ment été balayé par l’é­vi­dence : les nou­veaux modes de rela­tions avec l’ad­mi­nis­tra­tion sont en concur­rence directe avec les anciens, qu’il n’est pas ques­tion de sup­pri­mer, et il s’a­git donc bien de trou­ver les moyens d’o­rien­ter le choix de l’u­sa­ger… L’as­so­cia­tion des agents a évi­dem­ment été par­ti­cu­liè­re­ment tra­vaillée, à tra­vers notam­ment la mise en place d’un réseau de cor­res­pon­dants dans chaque dépar­te­ment pour les deux directions.

À chaque étape de ce pro­ces­sus, les obs­tacles ont été nom­breux. Contrai­re­ment à ce que l’on ima­gine sou­vent, ils rele­vaient bien sou­vent davan­tage du poids des habi­tudes ou de la peur du chan­ge­ment, et plus rare­ment des règles de la ges­tion publique elles-mêmes. Mais, à chaque fois, la déter­mi­na­tion, l’en­thou­siasme et l’ap­pé­tit de pro­grès des hommes et des femmes du pro­gramme ont per­mis de sur­mon­ter ces dif­fi­cul­tés et d’ob­te­nir des résul­tats remar­quables, au-delà même du simple champ public, comme pour la signa­ture élec­tro­nique où le pro­gramme a joué un rôle de pion­nier. En refu­sant toutes les limites habi­tuelles pour aller cher­cher très prag­ma­ti­que­ment par la négo­cia­tion et la convic­tion des solu­tions nou­velles, nous avons pu trou­ver des pos­si­bi­li­tés de pro­grès là où beau­coup avaient renoncé.

L’usager comme levier du changement

Sans pré­tendre à la géné­ra­li­sa­tion, l’ex­pé­rience des acteurs du pro­gramme Coper­nic a été que l’at­tente d’un ser­vice per­son­na­li­sé était aujourd’­hui non seule­ment pro­fonde chez nos conci­toyens, mais sur­tout net­te­ment per­çue par les agents, et que construire un pro­jet autour de la satis­fac­tion de cette attente per­met­tait de fédé­rer une éner­gie consi­dé­rable, issue de l’ad­mi­nis­tra­tion et orien­tée vers le chan­ge­ment. Loin des dis­cours scep­tiques sur l’im­pos­sible réforme de l’É­tat, nous sommes prêts à par­ta­ger avec tous ceux qui le sou­haitent des ensei­gne­ments réso­lu­ment optimistes.

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