La maîtrise de l’énergie, la priorité énergétique du siècle

Dossier : Énergie et environnementMagazine N°597 Septembre 2004
Par Pierre RADANNE

Par deux fois, ces deux der­niers siècles, l’hu­ma­ni­té s’est prise à rêver : enfin l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en éner­gie n’al­lait plus bri­der le déve­lop­pe­ment des peuples.

D’a­bord, avec la révo­lu­tion indus­trielle, la valo­ri­sa­tion des res­sources fos­siles avec la machine à vapeur repous­sait la contrainte de la rare­té, car jus­qu’a­lors le bois avait consti­tué la res­source de base. Mais guère plus d’un siècle après le début de leur exploi­ta­tion, l’Eu­rope a déjà épui­sé ses res­sources en char­bon, en pétrole et en gaz. Les exer­cices de pros­pec­tive mettent aujourd’­hui en évi­dence un déclin pro­gres­sif des res­sources mon­diales en hydro­car­bures. Depuis trente ans déjà, les décou­vertes annuelles de pétrole sont infé­rieures à la consom­ma­tion. Dès lors, on s’at­tend à une décrois­sance de la consom­ma­tion pétro­lière dans une à trois décen­nies (les experts hésitent), puis épui­se­ment pro­gres­sif des gise­ments les plus acces­sibles, donc les moins chers. Paral­lè­le­ment, la dégra­da­tion du cli­mat par l’é­mis­sion de dioxyde de car­bone à par­tir des com­bus­tions vient main­te­nant lour­de­ment contraindre l’u­ti­li­sa­tion des com­bus­tibles fossiles.

Ensuite, le déve­lop­pe­ment du nucléaire a fas­ci­né. La si petite quan­ti­té d’u­ra­nium qui per­met la pro­duc­tion d’un kWh a nour­ri l’im­pres­sion d’un poten­tiel qua­si infi­ni. Mais trois limites sont pro­gres­si­ve­ment appa­rues. Il a fal­lu recon­naître que mal­gré la qua­li­té des per­son­nels et la redon­dance des sys­tèmes de sécu­ri­té le risque d’ac­ci­dent majeur ne peut être consi­dé­ré comme tota­le­ment nul. Plus géné­ra­le­ment, la durée des effets de la radio­ac­ti­vi­té, d’une por­tée tem­po­relle inédite par rap­port aux sub­stances chi­miques, pose des défis quant à la péren­ni­té de la prise en charge des sites à décon­ta­mi­ner et du sto­ckage des déchets. En outre, les pro­grès tech­no­lo­giques rendent de plus en plus facile l’ac­cès à l’arme ato­mique et accen­tuent le risque de pro­li­fé­ra­tion nucléaire.

On ne doit tou­te­fois pas tirer de ces deux limites ren­con­trées dans la valo­ri­sa­tion des com­bus­tibles fos­siles et dans le déve­lop­pe­ment du nucléaire des conclu­sions phi­lo­so­phiques abso­lues et se gar­der de tout mal­thu­sia­nisme qui s’a­li­mente de la peur de l’a­ve­nir. Il faut seule­ment prendre conscience que le rêve d’une corne d’a­bon­dance éner­gé­tique illi­mi­tée est illu­soire. Toutes les res­sources sont limi­tées, pré­sentent des dif­fi­cul­tés d’u­ti­li­sa­tion, des impacts sociaux et envi­ron­ne­men­taux néga­tifs et bien sûr ont un coût. Ces limites varient selon les contextes his­to­riques. La tech­no­lo­gie et la culture les déplacent.

Le système cyclique de la production et de la consommation

Pas éton­nant dans ces condi­tions que le sec­teur de l’éner­gie soit mar­qué par des cycles de grande amplitude.

Au départ, la décou­verte de res­sources nou­velles ou les pro­grès tech­no­lo­giques per­mettent un accrois­se­ment de l’offre d’éner­gie et une baisse des prix. Il en résulte une aug­men­ta­tion de la consom­ma­tion d’éner­gie. Mais cette baisse des prix se tra­duit par un ralen­tis­se­ment des efforts de pros­pec­tion. Elle ne per­met pas non plus la mise en place de nou­velles filières tech­no­lo­giques. Alors la demande d’éner­gie tend pro­gres­si­ve­ment à rat­tra­per puis dépas­ser la capa­ci­té de pro­duc­tion, ce qui déclenche à la fois des ten­sions géo­po­li­tiques et pro­voque une hausse des prix. Ce retour des ten­sions sur l’ap­pro­vi­sion­ne­ment entraîne à la fois de nou­veaux efforts de pros­pec­tion, la diver­si­fi­ca­tion de l’offre par l’é­mer­gence de nou­velles filières, des inno­va­tions et des inves­tis­se­ments mas­sifs pour maî­tri­ser les consom­ma­tions d’éner­gie à l’u­ti­li­sa­tion. Ces efforts et ces pro­grès per­mettent à leur tour de détendre de nou­veau le mar­ché. Et le cycle recommence.

La période récente a connu plu­sieurs phases de ces cycles. Après la pénu­rie d’éner­gie pro­vo­quée par la Seconde Guerre mon­diale, les inves­tis­se­ments mas­sifs de recons­truc­tion et l’ar­ri­vée du pétrole à bas prix du Moyen-Orient ont per­mis une hausse très forte des consom­ma­tions dans les années soixante. Une hausse que la mobi­li­sa­tion des res­sources n’a pas com­plè­te­ment sui­vie, ce qui a pro­vo­qué les chocs pétro­liers de 73 et 79. Pour y répondre, les efforts enga­gés de maî­trise de l’éner­gie et de diver­si­fi­ca­tion d’ap­pro­vi­sion­ne­ment (gaz natu­rel, nucléaire, renou­ve­lables) ont néces­si­té près de quinze ans pour trou­ver leurs effets. Ce délai cor­res­pond à la période de renou­vel­le­ment de la majo­ri­té des équi­pe­ments de la vie cou­rante (voi­tures, appa­reils de chauf­fage, élec­tro­mé­na­ger) et au temps de mise en place des équi­pe­ments les plus lourds (nou­veaux gise­ments, cen­trales élec­triques, infra­struc­tures lourdes de transport).

Le suc­cès de ces poli­tiques a per­mis la baisse des prix du pétrole et des autres éner­gies de 1986. Ce contre-choc pétro­lier a don­né l’im­pres­sion d’une abon­dance d’éner­gie retrou­vée pour une longue période. Ce mou­ve­ment a encore été ampli­fié par l’ef­fon­dre­ment de l’ap­pa­reil indus­triel vétuste des anciens pays com­mu­nistes à par­tir de 1989 et donc de leur consom­ma­tion d’éner­gie. L’éner­gie est appa­rue perdre de son carac­tère stra­té­gique et rede­ve­nue un mar­ché de matière pre­mière comme un autre.

En consé­quence, le débat poli­tique sur l’éner­gie s’est com­plè­te­ment dépla­cé. La forte ren­ta­bi­li­té per­mise par les inves­tis­se­ments publics mas­sifs consen­tis aupa­ra­vant en réponse aux chocs pétro­liers a ali­men­té une demande d’ou­ver­ture et sur­tout de libé­ra­li­sa­tion des mar­chés. Les espoirs de ren­ta­bi­li­té à court terme des nou­veaux entrants ont pri­mé par rap­port aux pré­oc­cu­pa­tions de ser­vice public et de stra­té­gie de long terme des opé­ra­teurs publics natio­naux his­to­riques. Cette domi­nante des ques­tions de ges­tion a été d’au­tant plus mar­quée que seuls les opé­ra­teurs pri­vés, habi­tués à un mar­ché ouvert dépas­sant les fron­tières, ont pris en charge le pas­sage d’un mar­ché limi­té à un cadre natio­nal étroit à celui d’un vaste espace euro­péen avec des réduc­tions pos­sibles de coûts par les syner­gies qu’il per­met. L’a­bon­dance de l’offre d’éner­gie et les bas prix qui ont mar­qué la période récente depuis 1986 ont ali­men­té un recul pro­gres­sif de la régu­la­tion publique du sec­teur éner­gé­tique, mais ce ne sera qu’en 2007 avec l’ou­ver­ture à la concur­rence de la tota­li­té du mar­ché de l’élec­tri­ci­té que cette restruc­tu­ra­tion sera ache­vée. Là encore, il aura fal­lu près de vingt ans.

L’importance des rythmes de consommation

Mais déjà un nou­veau cycle se pro­file. Un niveau faible d’in­ves­tis­se­ment dans la pro­duc­tion d’éner­gie, l’aug­men­ta­tion très rapide de la consom­ma­tion d’éner­gie des pays émer­gents notam­ment du Sud-Est asia­tique, le redres­se­ment des pays en tran­si­tion, l’ac­crois­se­ment sou­te­nu des consom­ma­tions pétro­lières par le sec­teur des trans­ports modi­fient petit à petit la donne. Depuis 2000 déjà, l’offre a de plus en plus de mal à suivre la demande. D’où une nette hausse des prix du pétrole. D’autres fac­teurs ali­mentent le sen­ti­ment d’un retour proche de période de ten­sion sévère. Le pre­mier est que les inves­tis­se­ments mas­sifs mis en place en réponse aux chocs pétro­liers vont bien­tôt arri­ver en fin de vie et donc néces­si­ter des besoins impor­tants de capi­taux, donc des niveaux de prix qui aient recons­ti­tué les marges pour les dégager.

De plus l’é­pui­se­ment de gise­ments de pétrole hors OPEP (États-Unis, mer du Nord) accroît la dépen­dance vis-à-vis d’un Moyen-Orient poli­ti­que­ment de plus en plus instable. En même temps, les ten­sions inter­na­tio­nales brident for­te­ment le déve­lop­pe­ment du nucléaire civil par crainte de pro­li­fé­ra­tion incon­trô­lée. Le chan­ge­ment cli­ma­tique vient en outre pro­fon­dé­ment modi­fier la donne en exi­geant une refonte pro­fonde des modes de pro­duc­tion et de consom­ma­tion d’éner­gie et donc impo­sant des inves­tis­se­ments mas­sifs et donc une hausse des prix uni­taires. Ce contexte nou­veau va exi­ger une régu­la­tion plus forte de l’éner­gie notam­ment au niveau inter­na­tio­nal alors que l’on s’est atta­ché patiem­ment à déré­gu­ler depuis près de vingt ans.

Voi­là pour les cycles récents. D’autres enjeux se pro­filent à plus long terme : un accrois­se­ment consi­dé­rable à venir de la demande d’éner­gie des pays en déve­lop­pe­ment, une indis­pen­sable divi­sion moyenne par quatre des émis­sions de dioxyde de car­bone des pays indus­tria­li­sés pour laquelle les exi­gences du pro­to­cole de Kyo­to appa­raissent déjà bien timides et la déplé­tion des res­sources pétro­lières pro­gres­sive mais inexorable.

Ce nou­veau siècle se pré­sente donc sous un jour moins clair que le pré­cé­dent. À l’a­morce du XXe siècle, les dis­po­ni­bi­li­tés en com­bus­tibles fos­siles et les pro­grès scien­ti­fiques rapides ouvraient la pers­pec­tive d’une amé­lio­ra­tion fan­tas­tique des condi­tions de vie. On peut tou­te­fois avec le recul consta­ter que le XXe siècle fut mar­qué par un échec poli­tique grave : les pro­grès tech­no­lo­giques n’ont ni empê­ché un accrois­se­ment des inéga­li­tés entre le Nord et le Sud après la fin de la déco­lo­ni­sa­tion ni été enca­drés par un pro­grès des com­por­te­ments et des ins­ti­tu­tions pour réduire la vio­lence depuis les deux guerres mon­diales. Le XXIe siècle devra faire face à ces deux défis, à savoir assu­rer le déve­lop­pe­ment d’une popu­la­tion mon­diale qui attein­dra le seuil de 10 mil­liards d’ha­bi­tants dans des condi­tions d’é­qui­té qui puissent réduire les tensions.

Mais en même temps, les pros­pec­tives éner­gé­tiques aujourd’­hui éla­bo­rées décrivent toutes la même impasse : les res­sources éner­gé­tiques fos­siles à mobi­li­ser sont à la fois insuf­fi­santes pour per­mettre la géné­ra­li­sa­tion à tous les peuples du stan­dard de vie des pays indus­tria­li­sés et en même temps si mas­sives qu’elles déclen­che­raient une per­tur­ba­tion de l’en­vi­ron­ne­ment telle qu’elle dégra­de­rait pro­fon­dé­ment les condi­tions de vie sur terre.

L’amélioration de l’efficacité énergétique : quel potentiel ?

Par­tant de ce constat, réflé­chir à un pro­jet éner­gé­tique pour ce siècle de por­tée pla­né­taire revient à mettre la maî­trise de l’éner­gie au centre du débat.

Si l’on regarde avec recul les deux siècles écou­lés, l’ac­crois­se­ment quan­ti­ta­tif des consom­ma­tions d’éner­gie a mas­qué un accrois­se­ment inouï de la pro­duc­ti­vi­té de l’éner­gie. L’a­mé­lio­ra­tion des ren­de­ments a été géné­rale sur toute la chaîne qui va de l’ex­trac­tion, la trans­for­ma­tion à l’u­ti­li­sa­tion de l’éner­gie. C’est ce mou­ve­ment qu’il faut à la fois pro­lon­ger et intensifier.

Après trente ans d’ex­pé­rience, le pano­ra­ma des poten­tiels d’a­mé­lio­ra­tion de l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique s’est contras­té. L’in­dus­trie, qui a spec­ta­cu­lai­re­ment amé­lio­ré son inten­si­té éner­gé­tique (- 45 % depuis 1973), bute main­te­nant par­fois sur des limites de ren­de­ment. Une amé­lio­ra­tion nou­velle de l’ordre de 20 % sera acces­sible à tra­vers essen­tiel­le­ment des chan­ge­ments de pro­cé­dés, un recy­clage des matières pre­mières rédui­sant le poids si éner­gi­vore de la pre­mière trans­for­ma­tion des matières pre­mières et des pas­sages à l’élec­tri­ci­té en rem­pla­ce­ment de com­bus­tibles fossiles.

Les poten­tiels de maî­trise de l’éner­gie sont plus consi­dé­rables dans les usages ther­miques liés aux bâti­ments rési­den­tiels et ter­tiaires. Pro­gres­si­ve­ment depuis 1973, la qua­li­té de la construc­tion a per­mis de divi­ser par 2,5 la consom­ma­tion d’éner­gie moyenne de chauf­fage d’une mai­son neuve iden­tique (iso­la­tion ther­mique, modu­la­tion élec­tro­nique du chauf­fage, opti­mi­sa­tion des chau­dières, pose de doubles-vitrages). Une nou­velle divi­sion par deux appa­raît encore à por­tée grâce à la concep­tion de vitrages peu émis­sifs, le trai­te­ment des ponts ther­miques, la mise au point d’i­so­lants de faible épais­seur et la valo­ri­sa­tion des apports solaires directs.

Mais la réha­bi­li­ta­tion du parc bâti ancien consti­tue une tâche consi­dé­rable. Puisque le rythme de renou­vel­le­ment des bâti­ments est proche du siècle, il fau­dra un effort rapide et conti­nu. Comme la crois­sance des besoins est faible vu la sta­bi­li­té démo­gra­phique pré­vi­sible, on peut viser une réduc­tion de plus d’un tiers des consom­ma­tions d’éner­gie pour les usages ther­miques. Les besoins d’élec­tri­ci­té liés à l’élec­tro­mé­na­ger, à l’in­for­ma­tique et aux appa­reils de com­mu­ni­ca­tion sont, eux, davan­tage en forte crois­sance. Les enjeux d’a­mé­lio­ra­tion de l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique dans la concep­tion des appa­reils grand public sont d’au­tant plus déci­sifs que les consom­ma­tions d’élec­tri­ci­té sont presque insen­sibles à l’usage.

Le sec­teur des trans­ports pré­sente, lui, un défi d’une tout autre ampleur. La mon­dia­li­sa­tion de l’é­co­no­mie, la construc­tion euro­péenne comme l’as­pi­ra­tion indi­vi­duelle au voyage sont les moteurs de l’ac­crois­se­ment des tra­fics. Le trans­port pré­sente donc la triple carac­té­ris­tique d’un taux de crois­sance des tra­fics équi­valent à celui de l’en­semble de l’é­co­no­mie, une dépen­dance du pétrole à 95 % et une mon­tée en gamme des véhi­cules (poids, vitesse maxi­male) qui a jus­qu’à pré­sent absor­bé les amé­lio­ra­tions des consom­ma­tions uni­taires des véhi­cules obte­nues grâce aux pro­grès tech­no­lo­giques réa­li­sés. Maî­tri­ser les consom­ma­tions d’éner­gie va impli­quer de pro­gres­ser dans cinq voies indis­so­ciables : adap­ter les véhi­cules à leur usage réel, c’est-à-dire les allé­ger et les adap­ter aux limi­ta­tions de vitesse, amé­lio­rer les ren­de­ments des véhi­cules notam­ment via la tech­no­lo­gie hybride, pro­gres­ser dans les alter­na­tives éner­gé­tiques (véhi­cules élec­triques, bio­car­bu­rants), déve­lop­per les trans­ports publics et fer­ro­viaires et adop­ter de meilleurs com­por­te­ments de conduite. Cette muta­tion de grande ampleur doit être enga­gée sans tar­der car elle implique la construc­tion d’in­fra­struc­tures lourdes. C’est aus­si le sec­teur déter­mi­nant pour la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre.

Desserrer la contrainte de l’approvisionnement en énergie

Le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables est l’autre com­po­sante déci­sive de la poli­tique de maî­trise de l’éner­gie. Les avis les concer­nant sont exa­gé­ré­ment contras­tés. Certes cer­taines filières néces­sitent des pro­grès tech­niques encore impor­tants pour connaître une dif­fu­sion mas­sive à bas coût : le pho­to­vol­taïque (réduc­tion du coût des cel­lules, inté­gra­tion dans les com­po­sants du bâti­ment), la géo­ther­mie grande pro­fon­deur pour la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té comme de cha­leur, la fabri­ca­tion de bio­car­bu­rants à par­tir des plantes entières ou de matières ligneuses ; ce qui est alors déter­mi­nant, c’est la constance dans l’ef­fort de recherche et le sou­tien dans la phase d’expérimentation.

Mais d’autres filières sont tech­no­lo­gi­que­ment mûres et néces­sitent plu­tôt une opti­mi­sa­tion des maté­riels et l’in­té­gra­tion dans des pro­duc­tions indus­trielles en grandes séries : le chauf­fage au bois, l’éo­lien, le solaire ther­mique, l’ha­bi­tat bio­cli­ma­tique, la micro­hy­drau­lique et le bio­gaz issu des déchets. Il en résul­te­ra d’au­tant plus une réduc­tion déci­sive des coûts que seront réso­lues des dis­pa­ri­tés éco­no­miques vis-à-vis des com­bus­tibles fos­siles et de l’élec­tri­ci­té (primes com­mer­ciales, récu­pé­ra­tion de TVA sur les inves­tis­se­ments, taxa­tion sur les abon­ne­ments, accès à des capi­taux avec de bas taux d’in­té­rêt). Ce déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables revient à évi­ter des sor­ties de devises pour impor­ter des com­bus­tibles fos­siles au pro­fit de la valo­ri­sa­tion de res­sources locales et le déve­lop­pe­ment de l’emploi national.

Il implique un sou­tien public affir­mé en phase d’é­mer­gence, comme en ont d’ailleurs béné­fi­cié par le pas­sé les autres éner­gies ; il devra ensuite décroître au fur et à mesure que les coûts bais­se­ront. La contri­bu­tion des éner­gies renou­ve­lables qui est aujourd’­hui de 18 Mtep (6 %) pour­rait être por­tée à 80 Mtep d’i­ci une géné­ra­tion pou­vant alors assu­rer entre 30 et 40 % de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique total.

Une stra­té­gie éner­gé­tique de long terme doit être décom­po­sée en deux par­ties. Un consen­sus devrait être trou­vé pour enga­ger toutes les poli­tiques qui des­serrent les contraintes pesant sur l’ap­pro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique qu’elles découlent de la dépen­dance éner­gé­tique, des impacts envi­ron­ne­men­taux ou des risques tech­no­lo­giques. Ce sont les pro­grès d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique, la valo­ri­sa­tion des res­sources renou­ve­lables, une réorien­ta­tion pro­fonde des prio­ri­tés dans les trans­ports ain­si que la géné­ra­li­sa­tion de com­por­te­ments d’u­sage plus sobres. Toutes ces poli­tiques ont en com­mun d’ac­croître l’in­dé­pen­dance éner­gé­tique et de réduire la fra­gi­li­té du système.

Bien évi­dem­ment toutes ces poli­tiques d’in­té­rêt com­mun ne suf­fi­ront pas à bou­cler le bilan éner­gé­tique. Il fau­dra ensuite arbi­trer entre l’u­ti­li­sa­tion des com­bus­tibles fos­siles et le nucléaire. Chaque éner­gie a ses atouts et ses incon­vé­nients. Ils sont dif­fi­ci­le­ment com­pa­rables. On doit d’ailleurs se pré­pa­rer pour les décen­nies à venir à des révi­sions régu­lières de leur clas­se­ment. Le gaz tient actuel­le­ment la corde, puisque ses parts de mar­ché grimpent tant dans les appli­ca­tions indus­trielles que dans les usages ther­miques domes­tiques et la pro­duc­tion élec­trique, mais cet engoue­ment pour­rait rapi­de­ment induire des ten­sions sur les mar­chés d’approvisionnement.

Aujourd’­hui le char­bon est très décrié à cause de son mau­vais bilan envi­ron­ne­men­tal (émis­sions de soufre, de dioxyde de car­bone), mais il reste la res­source la plus abon­dante au monde, donc celle dont le prix res­te­ra le plus stable. La volon­té de réduire la consom­ma­tion de pétrole va de son côté deve­nir de plus en plus dif­fi­cile au fur et à mesure que l’on s’at­ta­que­ra aux usages où il est pré­do­mi­nant (trans­port, pétrochimie).

Le déve­lop­pe­ment du nucléaire reste condi­tion­né à sa capa­ci­té à évi­ter tout acci­dent majeur, à trou­ver un accord col­lec­tif sur la ges­tion des déchets nucléaires et le déman­tè­le­ment des ins­tal­la­tions. En outre son ave­nir va être déter­mi­né par sa capa­ci­té à s’a­dap­ter aux réseaux élec­triques des pays en déve­lop­pe­ment. Mais la don­née nou­velle est l’é­mer­gence depuis le 11 sep­tembre d’un fana­tisme déses­pé­ré qui inter­dit toute pro­li­fé­ra­tion des matières nucléaires. Au-delà de l’op­po­si­tion de prin­cipe entre pro­nu­cléaires et anti­nu­cléaires, le nucléaire doit être com­pris comme une stra­té­gie de second choix puis­qu’il sub­sti­tue un risque à un autre.

Repenser la gouvernance énergétique

Les enjeux vont aus­si exi­ger l’é­mer­gence enfin d’une poli­tique euro­péenne coor­don­née. Comme les poli­tiques natio­nales res­tent for­te­ment contras­tées (recours au nucléaire, rôle des col­lec­ti­vi­tés locales, place de la cogé­né­ra­tion), le seul axe d’ac­cord pos­sible est de s’ac­cor­der d’a­bord sur le pre­mier niveau de choix : effi­ca­ci­té éner­gé­tique, valo­ri­sa­tion des renou­ve­lables, réorien­ta­tion des trans­ports et sobrié­té des comportements.

Mais les choix éner­gé­tiques ne sont pas que tech­no­lo­giques, ils sont aus­si poli­tiques. Le débat récent sur la libé­ra­li­sa­tion de l’éner­gie a contour­né une crise plus pro­fonde de la gou­ver­nance du sec­teur éner­gé­tique. Les acteurs qu’ils soient pri­vés ou publics échouent tous dans la prise en charge sérieuse d’ob­jec­tifs ambi­tieux de maî­trise de l’éner­gie et dans celle des contraintes de long terme quant à la dis­po­ni­bi­li­té des res­sources et quant aux impacts environnementaux.

Les États se sont désen­ga­gés du sec­teur de l’éner­gie en le jus­ti­fiant par la libé­ra­li­sa­tion du sec­teur alors qu’en fait ils sont avant tout confron­tés à une grave crise finan­cière. Leur ges­tion est tota­le­ment domi­née par une réduc­tion de la pres­sion fis­cale sur les entre­prises et le tra­vail compte tenu d’une concur­rence accrue liée à la mon­dia­li­sa­tion de l’é­co­no­mie tan­dis qu’un fort chô­mage endé­mique et une crois­sance éco­no­mique faible aggravent le poids des bud­gets sociaux dans les charges de l’État.

L’É­tat a de fait renon­cé à agir dans le sec­teur éner­gé­tique par la dépense publique en rédui­sant la voi­lure de son effort de recherche et de sou­tien à la maî­trise de l’éner­gie en même temps qu’il pro­clame ne pas vou­loir uti­li­ser davan­tage l’ou­til fis­cal après le rejet de l’é­lar­gis­se­ment de la TGAP à l’éner­gie. Par ailleurs, la sup­pres­sion des mono­poles publics va défi­ni­ti­ve­ment réduire ses capa­ci­tés de pilo­tage des tarifs de l’éner­gie et d’in­ter­ven­tion en matière de poli­tique industrielle.

Cette crise de l’in­ter­ven­tion publique est aujourd’­hui com­mune à tous les pays. Les expé­riences d’ou­ver­ture du mar­ché déjà acquises sous dif­fé­rentes lati­tudes montrent les limites pré­oc­cu­pantes des mar­chés libé­ra­li­sés. La baisse des prix liée à l’ac­crois­se­ment de la concur­rence est plus que com­pen­sée par le rem­pla­ce­ment de l’ac­tion­naire public par des action­naires pri­vés, plus gour­mands en rému­né­ra­tion du capital.

L’ins­ta­bi­li­té de l’ac­tion­na­riat des com­pa­gnies dans un mou­ve­ment géné­ra­li­sé de concen­tra­tion vers la consti­tu­tion d’un oli­go­pole impose des cri­tères de ges­tion de court terme. La fai­blesse des inves­tis­se­ments enga­gés va pro­gres­si­ve­ment fra­gi­li­ser le sec­teur (dif­fi­cul­té à assu­rer les pointes de consom­ma­tion élec­trique, insuf­fi­sance des inves­tis­se­ments dans la logis­tique gazière, vieillis­se­ment pro­gres­sif de l’ap­pa­reil de pro­duc­tion, vul­né­ra­bi­li­té des réseaux de trans­ports d’éner­gie, insuf­fi­sance des efforts de recherche et de mise en place de nou­velles filières) et pro­ba­ble­ment dégra­der sa capa­ci­té d’a­dap­ta­tion à des chan­ge­ments brusques de contexte (appro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique, prix, risques tech­no­lo­giques). Le sec­teur pri­vé ne peut étendre l’ac­cès de tous à l’éner­gie et prendre en charge l’ex­ten­sion des réseaux sans péréqua­tion tari­faire alors que c’est l’en­jeu majeur des pays en développement.

Ces dif­fi­cul­tés ne sau­raient pour­tant pas remettre en cause le dépas­se­ment irré­mé­diable des mono­poles natio­naux et la néces­si­té d’en appe­ler aux capi­taux pri­vés pour relayer le désen­ga­ge­ment de la puis­sance publique. Mais ces insuf­fi­sances du sec­teur pri­vé comme celles des États rendent indis­pen­sable un pro­grès consi­dé­rable dans la gou­ver­nance du sec­teur de l’éner­gie à tra­vers une mise à jour des mis­sions de ser­vice public et un ren­for­ce­ment de la régulation.

Les quotas échangeables : une voie pour impliquer le privé et le public dans les économies d’énergie

Le seul lieu de débat où ces ques­tions ont été clai­re­ment mises sur la table a été fina­le­ment le pro­to­cole de Kyo­to. La régu­la­tion du cli­mat par l’en­semble de la com­mu­nau­té humaine implique en effet la mise en place d’ob­jec­tifs de long terme avec des quo­tas impé­ra­tifs vis-à-vis de chaque pays. Cette régu­la­tion devant cou­vrir les acteurs publics et pri­vés a posé la ques­tion majeure des ins­tru­ments d’in­ter­ven­tion. Les tenants d’une inter­ven­tion publique forte ont vite buté sur l’im­pos­si­bi­li­té de déga­ger un accord inter­na­tio­nal sur l’har­mo­ni­sa­tion des fis­ca­li­tés et des efforts publics d’in­ves­tis­se­ment et d’aide au déve­lop­pe­ment. Les tenants d’un mar­ché ouvert ont dû concé­der que les quo­tas d’é­mis­sions fixés sur les États devaient d’une façon ou d’une autre redes­cendre en cas­cade sur les acteurs économiques.

De ce débat a émer­gé une nou­velle caté­go­rie d’ins­tru­ments : les quo­tas échan­geables. Ces ins­tru­ments allient la puis­sance de l’au­to­ri­té réga­lienne par la fixa­tion de quo­tas impé­ra­tifs vis-à-vis des acteurs pri­vés ou publics sous peine d’a­mende, avec la sou­plesse du mar­ché en per­met­tant des tran­sac­tions entre ceux qui dépassent leurs quo­tas et ceux qui ne par­viennent pas à les res­pec­ter, direc­te­ment sur le mar­ché sans pas­sage par les finances publiques. Ce concept géné­ral connaît déjà dif­fé­rentes décli­nai­sons : la direc­tive euro­péenne sur les quo­tas échan­geables por­tant sur 6 grandes branches indus­trielles et le sec­teur de l’éner­gie, le méca­nisme de déve­lop­pe­ment propre pré­vu dans le pro­to­cole de Kyo­to pour les pays en déve­lop­pe­ment et la créa­tion de mar­chés de cer­ti­fi­cats d’é­co­no­mies d’éner­gie au Royaume-Uni et main­te­nant en France avec leur ins­crip­tion dans la récente loi d’o­rien­ta­tion sur l’éner­gie. Ces der­niers per­mettent à l’É­tat de fixer des taux d’é­co­no­mies d’éner­gie à atteindre par les ven­deurs d’éner­gie, sous peine d’a­mende, à charge pour eux de pous­ser leurs clients aux éco­no­mies quitte à les rému­né­rer pour ce faire. Leur métier passe ain­si d’un inté­res­se­ment à accroître leurs ventes à la recherche d’une meilleure qua­li­té de ser­vice final pour le client.

Le pro­blème lan­ci­nant auquel la maî­trise de l’éner­gie est confron­tée depuis trente ans – à savoir com­ment déclen­cher des inves­tis­se­ments mas­sifs par une myriade d’ac­teurs dans une capa­ci­té bud­gé­taire publique inévi­ta­ble­ment limi­tée – trou­ve­rait ain­si une issue posi­tive. L’É­tat peut en effet, à par­tir d’exer­cices de pros­pec­tive lar­ge­ment débat­tus, répar­tir les objec­tifs à atteindre par éner­gies et grandes caté­go­ries d’ac­teurs, éla­bo­rer une pro­gram­ma­tion de moyen et long terme et arti­cu­ler pour y par­ve­nir dif­fé­rents ins­tru­ments de poli­tique publique : la régle­men­ta­tion, l’in­ves­tis­se­ment public dans des sec­teurs clés (la recherche, les trans­ports col­lec­tifs, l’é­mer­gence de filières nou­velles), la fis­ca­li­té et, comme terme de bou­clage, le mar­ché de quo­tas échangeables.

Il faut tou­te­fois com­prendre que cette nou­velle géné­ra­tion d’ins­tru­ments d’é­co­no­mie mixte va deman­der près d’une décen­nie pour être maî­tri­sée. À côté de ceux-ci, la fis­ca­li­té reste un outil pré­cieux par sa sim­pli­ci­té de mise en œuvre et sa sta­bi­li­té. Il faut tou­te­fois se déga­ger de concep­tions soit trop puni­tives soit trop rému­né­ra­trices pour l’É­tat en lui fixant un rôle cen­tral clair : accroître la qua­li­té du fonc­tion­ne­ment du mar­ché en rap­pro­chant les prix pra­ti­qués de la véri­té des coûts. La fis­ca­li­té doit ain­si intro­duire dans les prix une prise en compte sin­cère des exter­na­li­tés sociales et envi­ron­ne­men­tales qui doivent être payées par le consom­ma­teur plu­tôt que ren­voyées sur le contri­buable pour cou­vrir les dépenses publiques de réparation.

La nécessité d’une évolution massive des comportements

Cette qua­li­té de la régu­la­tion cou­vrant à la fois le sec­teur public et le sec­teur pri­vé est pro­ba­ble­ment indis­pen­sable à une évo­lu­tion mas­sive des com­por­te­ments. La socié­té davan­tage trans­pa­rente qui émerge est carac­té­ri­sée par un sou­ci d’é­qui­té dans la répar­ti­tion des efforts. Si cha­cun recon­naît dans un élan du cœur, lorsque sol­li­ci­té, que les com­por­te­ments doivent être amé­lio­rés (choix d’a­chat, éco­no­mies d’éner­gie, pré­fé­rence pour les éner­gies renou­ve­lables, com­por­te­ments de conduite…), c’est aus­si­tôt pour sou­li­gner que son pas­sage à l’acte doit être sou­te­nu par celui des autres à com­men­cer par les col­lec­ti­vi­tés publiques et les entre­prises. En clair, je fais si tu fais.

Mais on aurait tort d’as­si­mi­ler une amé­lio­ra­tion forte des com­por­te­ments avec le bas­cu­le­ment dans une socié­té mora­li­sa­trice et d’au­to­sur­veillance. Des pro­grès tech­no­lo­giques pour­ront sou­la­ger le consom­ma­teur d’une vigi­lance quo­ti­dienne trop pénible pour peu qu’il ait été atten­tif lors de l’a­chat (élec­tro­mé­na­ger per­for­mant, loge­ment bien iso­lé, régu­la­tion du chauf­fage). Des prix davan­tage sin­cères car inté­grant via la fis­ca­li­té la contre­par­tie des impacts envi­ron­ne­men­taux des consom­ma­tions d’éner­gie in fine à la charge de tous pour­ront mieux gui­der les choix en cla­ri­fiant la hié­rar­chie entre dif­fé­rentes options. Des méca­nismes de quo­tas échan­geables impo­sant au ven­deur d’im­pli­quer son client dans une plus grande effi­ca­ci­té de l’u­sage de l’éner­gie modi­fie­ront aus­si la per­cep­tion col­lec­tive glo­bale de l’en­jeu de la maî­trise de l’éner­gie. En appui, à tout cela, il fau­dra bien sûr que le sys­tème édu­ca­tif et sur­tout les médias de masse se voient fixer en la matière des mis­sions de culture scien­ti­fique, d’é­du­ca­tion popu­laire et de for­ma­tion des comportements.

En trente ans, il faut ain­si consta­ter un dépla­ce­ment consi­dé­rable du jeu d’ac­teurs. Au départ, la figure cen­trale du sys­tème éner­gé­tique était celle de l’in­gé­nieur qui par son savoir-faire domine les forces de la matière et assure l’ac­crois­se­ment de l’offre d’éner­gie indis­pen­sable au pro­grès social, le consom­ma­teur d’éner­gie étant, lui, can­ton­né dans le rôle pas­sif d’un usa­ger sans cesse plus gour­mand. Main­te­nant, l’ac­teur déter­mi­nant est deve­nu ce consom­ma­teur dont la qua­li­té des déci­sions d’a­chat et des com­por­te­ments d’u­sage va déter­mi­ner le niveau de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en énergie.

Les opé­ra­teurs éner­gé­tiques sont, eux, main­te­nant confron­tés à une dif­fi­cile opti­mi­sa­tion entre des sources d’ap­pro­vi­sion­ne­ment aux contraintes, risques et pol­lu­tions mul­ti­formes (et donc avec une accep­ta­tion sociale faible des nou­veaux équi­pe­ments). Le sec­teur de l’éner­gie, en même temps qu’il s’est restruc­tu­ré à la dimen­sion euro­péenne, doit simul­ta­né­ment se décen­tra­li­ser, s’ins­crire dans le déve­lop­pe­ment local notam­ment en valo­ri­sant les res­sources renou­ve­lables, asso­cier tous les acteurs ter­ri­to­riaux jus­qu’aux ménages et se relé­gi­ti­mer à tra­vers l’offre d’emplois. L’éner­gie était depuis la Libé­ra­tion avant tout l’af­faire de l’É­tat, elle est main­te­nant celle de la socié­té tout entière.

Pour une culture collective mondiale de l’énergie

Cette ques­tion majeure d’une culture col­lec­tive en matière de maî­trise de l’éner­gie se pose aus­si à l’é­chelle inter­na­tio­nale. Le fos­sé entre les États-Unis et l’Eu­rope ne cesse, semble-t-il, de s’é­lar­gir. Pour des niveaux de vie tout de même assez com­pa­rables, un Fran­çais consomme deux fois et demi moins d’éner­gie qu’un Amé­ri­cain et émet trois fois moins de gaz à effet de serre. Expli­ca­tion : des deux côtés de l’At­lan­tique, l’his­toire récente de l’éner­gie a été vécue com­plè­te­ment différemment.

L’Eu­rope, de plus en plus dépour­vue de com­bus­tibles fos­siles, a été for­te­ment frap­pée par les chocs pétro­liers des années soixante-dix. Pour par­ve­nir à assu­rer la pro­gres­sion des niveaux de vie en étant de plus en plus dépen­dante de ses impor­ta­tions elle s’est petit à petit enga­gée vers une effi­ca­ci­té plus grande de l’u­sage de l’éner­gie et plus récem­ment dans le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables ; par tra­di­tion, elle a main­te­nu un niveau éle­vé de ser­vices publics notam­ment dans le domaine des trans­ports. Quand la ques­tion cli­ma­tique a émer­gé dans les années quatre-vingt- dix, les Euro­péens ont accep­té cette contrainte nou­velle car elle était du même type que celle à laquelle ils avaient été confron­tés vingt ans plus tôt. La dimi­nu­tion des émis­sions pol­luantes a ain­si par­tout légi­ti­mé une volon­té accrue de maî­trise de l’éner­gie. D’où un enga­ge­ment volon­ta­riste dans le pro­to­cole de Kyo­to (au moins au plan du discours).

L’é­vo­lu­tion amé­ri­caine fut tout autre. Les États-Unis, riches en éner­gies, n’ont pas été frap­pés aus­si for­te­ment par les chocs pétro­liers. La faible den­si­té de popu­la­tion y induit aus­si des com­por­te­ments éner­gé­tiques plus dis­pen­dieux (taille des loge­ments, dis­tances à par­cou­rir). Le style de vie amé­ri­cain est per­çu comme ren­dant indis­pen­sable une consom­ma­tion impor­tante et crois­sante d’éner­gie. Dès lors le débat posé lors du pro­to­cole de Kyo­to de la fixa­tion d’une réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre a bien consti­tué pour ce pays la pre­mière limi­ta­tion his­to­rique de ce type à laquelle il ait eu à faire face. En consé­quence, les pays en déve­lop­pe­ment ont bien devant eux deux modèles de déve­lop­pe­ment qui divergent. Ils per­çoivent de plus en plus clai­re­ment que le mode de vie amé­ri­cain n’est pas géné­ra­li­sable à toute la pla­nète à la fois en termes de dis­po­ni­bi­li­té en res­sources et de capa­ci­té d’ab­sorp­tion par l’en­vi­ron­ne­ment. Les pays émer­gents notam­ment du Sud-Est asia­tique pré­sentent des carac­té­ris­tiques de den­si­té, de dépen­dance éner­gé­tique et de pres­sion envi­ron­ne­men­tale simi­laires à l’Europe.

La négo­cia­tion sur le cli­mat a donc clai­re­ment fait émer­ger un axe stra­té­gique cen­tral entre d’un côté l’Eu­rope et le Japon et de l’autre côté les pays en déve­lop­pe­ment. En effet, le déve­lop­pe­ment des pays du Sud sera d’au­tant plus facile qu’il sera sobre en éner­gie et évi­te­ra la dégra­da­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Les pays indus­tria­li­sés ont pour leur part à déve­lop­per des tech­no­lo­gies effi­caces à la fois pour eux-mêmes et dans la pers­pec­tive des mar­chés du Sud. Les États-Unis sont de fait à l’é­cart de cet enjeu cen­tral, et pas seule­ment à cause de la déci­sion de retrait du pro­to­cole de Kyo­to par G. W. Bush.

Et fina­le­ment, ce qui place la maî­trise de l’éner­gie au centre des choix éner­gé­tiques, c’est la modes­tie qu’im­posent les enjeux ver­ti­gi­neux de ce siècle. Elle est indé­nia­ble­ment source de flexi­bi­li­té et de liberté.

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