Qualité et progrès des pratiques médicales
Paul Landais, Service de biostatistique et d’informatique médicale, hôpital Necker, Paris, Marie-Claude Hittinger, médecin, et Marie-Françoise Dumay, accréditation-audit-qualité, Fondation hôpital Saint-Joseph, Paris
Dans son édition du 18 novembre 2000, le British Medical Journal titrait : » France prepares for more cases of vCJD. » Dans un grand quotidien, la Ministre chargée de la Santé annonçait, en effet, qu’elle redoutait l’apparition de nouveaux cas humains du variant de la maladie de Creutzfeld-Jakob. Le Chef de l’État demandait le retrait des farines animales et le dépistage systématique de la maladie de la vache folle pour tout le cheptel, soit 5 à 6 millions de tests par an. Le Premier ministre annonçait l’interdiction à la consommation de la côte de bœuf à l’os. De nombreuses municipalités retiraient la viande de bœuf des menus servis aux enfants des écoles. Les éleveurs proposaient de retirer du marché un million d’animaux nés avant juillet 1996. En réponse à ces mesures la Russie, la Pologne, la Hongrie, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne annonçaient le gel des importations de viande de bœuf en provenance de France. Les éleveurs s’inquiétaient. Près d’un Français sur cinq déclarait ne plus manger de viande de bœuf. Les restaurateurs étaient sur les dents…
Cela paraîtrait tiré d’un roman d’Orwell et pourtant c’était la réalité du mois de décembre 2000. Elle traduit des phénomènes complexes et intriqués dus à la difficulté de cerner, de qualifier et de quantifier les risques individuels et collectifs, et d’apporter les réponses appropriées. Nous aborderons les modalités de prise en compte des risques et les conséquences en matière de décision sanitaire et de qualité des soins.
Les étapes de la décision sanitaire
Avec cet exemple qui nous concerne tous, nous touchons du doigt la complexité du cheminement de la décision dans un domaine où les scientifiques avancent pas à pas et qui implique des pans entiers de l’activité économique, pas seulement la chaîne alimentaire, avec des enjeux de santé et financiers majeurs. Les citoyens s’interrogent sur la façon dont ils sont informés et s’inquiètent pour leur santé et celle de leurs proches, avec ce mélange de peurs individuelles et collectives qui accueillent des informations plus ou moins bien délivrées et plus ou moins bien digérées.
La décision sanitaire s’appuie sur une définition du risque en santé dans l’objectif d’orienter l’élaboration d’une politique raisonnée, d’évaluer l’impact des mesures prises, et d’améliorer la perception qu’en ont les populations.
Le risque et son objet
Évaluer l’existence d’un risque suppose que l’on définisse au préalable son objet, à savoir un risque de quoi ? Ainsi, quand on parle de risque coronarien, on évoque des situations diverses. Il peut s’agir en effet du risque de présenter un angor, un infarctus du myocarde, du risque que cette atteinte évolue vers l’insuffisance cardiaque ou du risque de mortalité liée à ces manifestations. Ces risques ont une dimension individuelle et collective, mais quel bénéfice leur connaissance apporte-t-elle à une meilleure appréciation de la décision médicale ?
La notion de risque cardiovasculaire absolu illustre récemment cette recherche d’argument décisionnel. Son étude est fondée sur l’idée de prédire pour un individu donné le risque d’événement coronarien ou vasculaire cérébral à une échéance donnée.
Comment estimer le risque d’une affection, comment évaluer son ampleur, comment étudier les facteurs de risque, leur éventuel lien causal avec la survenue d’une maladie, l’appréciation de leur impact en santé publique ?
Risque et évaluation
Le risque est un indice qui quantifie la probabilité de survenue d’un événement, éventuellement dans un intervalle de temps donné. Ainsi, le risque de présenter une insuffisance rénale terminale (IRT) au cours d’une période donnée est la probabilité de devenir insuffisant rénal terminal pendant cette période. En France, si 6 600 nouveaux cas d’IRT sont survenus au cours de l’année 1999, alors le risque d’IRT était de 110 par million d’habitants. Par cette valeur on suppose que le risque d’IRT est égal pour tous les Français. Ce n’est bien sûr pas le cas et la notion de facteur de risque a été introduite pour matérialiser la diversité. Cette notion permet en effet, pour un individu donné, de cerner les facteurs qui contribuent à augmenter son risque vis-à-vis d’une affection donnée.
Un facteur de risque caractérise tout facteur lié à l’apparition de l’événement étudié. Ainsi, une hypercholestérolémie est un facteur de risque d’insuffisance coronarienne. On étudie alors l’association entre une exposition, ou facteur de risque, et une maladie, c’est-à-dire l’existence éventuelle d’une association entre l’exposition et la maladie. Si cette relation existe, on mesure son intensité en fonction de la dose et de la durée d’exposition. Cela est représenté par le choix d’une mesure comme un excès de risque, un risque relatif, un odds ratio… On caractérise ainsi l’association sans préjuger de son caractère causal. La recherche d’une relation de cause à effet relève d’une analyse complémentaire.
Risque et réflexion sanitaire
Le risque est la source d’une épistémologie des rapports à la nature. Initialement il décrivait un rapport entre l’Homme et son environnement, la nature et ses dangers. Quand le risque était subi, les philosophies du risque étaient alors marquées du sceau de la crainte et du châtiment.
L’Homme a ensuite développé des stratégies pour réduire le risque : combattre l’adversité, le mal. Petit à petit des stratégies de quantification du risque ont émergé, fondées sur les statistiques, la démographie, les probabilités, ou la théorie de la décision. Le risque s’apprécie dès lors sous l’angle de son évaluation scientifique. Il n’y a ni bien ni mal, il n’y a matériellement que des risques écrivait Girardin. Le risque apparaît alors moins comme une caractéristique intrinsèque de notre environnement qu’à une façon de l’aborder. L’appréhension du risque devient un élément de choix individuel et collectif.
La morale du risque s’érige plus récemment en morale de l’engagement. » Le propre de toute morale, c’est de considérer la vie humaine comme une partie que l’on peut gagner ou perdre, et d’enseigner à l’Homme le moyen de gagner » écrivait Simone de Beauvoir dans Pour une morale de l’ambiguïté. Le risque fonde alors un principe politique. Le risque se mesure et à ce titre alimente la culture scientifique qui le modèle. On définit une praxis en réaction au risque, réagir. Gérer le risque peut alors être conçu comme un art de gouverner. Les catastrophes de santé publique récentes ont placé le risque au centre de la réflexion sanitaire.
Risque et décision
On mesure la complexité de la tâche qui consiste à cerner l’impact de facteurs de risque sur l’émergence des maladies. L’appréciation des risques est destinée à développer les mesures de prévention visant à les maîtriser. Ces risques polymorphes concernent différentes phases de l’histoire naturelle de l’affection étudiée et requièrent le développement de mesures adaptées au contexte. L’évaluation du risque constitue alors le fondement d’un principe de décision en situation d’incertitude.
On notera que la notion de risque est distincte de la notion de danger, de péril, qui qualifie une situation où l’on est menacé. Si le danger qualifie un objet de la nature, à l’inverse, l’appréciation du risque peut être conçue comme une disposition de la volonté. Le risque ne procède plus de l’aléa, de la chance ou de la malchance, mais de la façon de le matérialiser sous une forme que l’on peut objectiver et à laquelle on peut allouer une valeur.
Gestion des risques
La gestion des risques requiert une politique organisationnelle spécifiant les buts à atteindre, la hiérarchisation des mesures à prendre et l’évaluation des ressources à mobiliser. Ainsi, plus de 100 000 produits chimiques sont utilisés dans l’industrie. L’exposition à certains d’entre eux conduit à la survenue de maladies. Cependant, on conçoit l’impossibilité de réaliser des études épidémiologiques complexes et coûteuses qui exploreraient l’ensemble du champ des éventualités. Il faut donc choisir l’échelon d’action adapté au but considéré. Une fois le niveau d’action délimité, le décideur se dote des instruments qui garantiront l’efficacité de sa décision. L’efficacité des processus déclenchés repose sur la responsabilisation, la valorisation et la reconnaissance.
Définir des seuils d’intervention, comme définir des seuils d’hypertension artérielle ou d’hypercholestérolémie, répond à un souci pragmatique visant à guider les actions de prévention, en l’occurrence des affections cardiaques et vasculaires. On soulignera que toute intervention doit faire appel à une norme compréhensible, réaliste et applicable. Il paraîtra logique d’associer, pour la définition des normes, les autorités qui les établissent et celles qui les appliquent. Tout dépassement de la norme n’étant pas synonyme de menace sanitaire, les interventions doivent être proportionnées aux risques encourus.
L’administration des risques sanitaires nécessite une coordination des actions et des compétences aux différents échelons de responsabilités, une adaptation des allocations de ressources, la mise en place de systèmes d’information appropriés qui permettront de gérer le risque au quotidien ou en cas de crise, l’étude de l’impact des décisions, leurs effets directs et indirects sur la santé, enfin l’information appropriée de la population.
Surveillance, veille et vigilance
Plusieurs modalités d’acquisition de données sur les risques ont été développées comme la surveillance, les vigilances ou la veille. La surveillance consiste à recueillir des informations ciblées en vue d’une alerte ou d’une intervention. La vigilance correspond à la surveillance des risques attachés au système de soins, comme l’hémovigilance, la matériovigilance, la pharmacovigilange ou l’infectiovigilance. Ces vigilances ont pour objet des risques déjà identifiés dans des domaines spécifiques.
La veille a une vocation générale de sécurité sanitaire comme celle réalisée par les réseaux Sentinelles pour les maladies infectieuses, la grippe, les salmonelloses ou la listériose. Les dispositifs de veille sont fondés sur une organisation systématisée de collecte et de traitement de l’information. Ils servent à recueillir dans les meilleurs délais l’information auprès des scientifiques, des médecins ou de la population et à transmettre l’information au décideur et aux populations concernées.
Un élément clé d’une gestion appropriée du risque est fondé sur la construction de systèmes d’information qui permettent d’analyser les tendances, les devenirs et les distributions temporelles et géographiques.
Perception du risque par l’usager
Certains risques identifiés, en avons-nous pour autant une perception objective et rationnelle ? Cela n’est pas toujours le cas. D’une part, parce que la connaissance d’un risque ne signifie pas qu’il est évitable. D’autre part, parce qu’entre la perception et l’action il peut y avoir un gouffre fait de choix individuels, de peurs, de pesanteurs, d’insouciance, ou de provocation. Les fumeurs ou les conducteurs en état d’ivresse sont bien placés pour montrer qu’ils peuvent à la fois » risquer » leur santé ou leur vie mais aussi celle d’autrui, en toute connaissance de cause. La perception du risque ne procède pas seulement d’une information éclairée et d’une attitude individuelle. Elle requiert aussi un engagement social où la solidarité est privilégiée.
Sensibilisation au risque
Le citoyen est de plus en plus sensible aux menaces sanitaires immédiates, ressenties dans le milieu de vie, comme les risques alimentaires, la pollution de l’eau ou de l’air, la pollution sonore, l’exposition professionnelle. La susceptibilité de l’opinion s’est majorée à l’occasion d’épisodes récents ou plus anciens, touchant des domaines très divers, l’affaire du sang contaminé ou de l’hormone de croissance, l’épidémie de sida, les accidents nucléaires (Three Miles Islands, Tchernobyl), les catastrophes environnementales (Minamata, Seveso, Bhopal, l’utilisation des défoliants et autres armes chimiques), la pollution maritime massive (Amoco Cadix, Erika), l’affaire de la » vache folle « , la canicule d’août 2003.
En France, l’administration a été considérée comme trop peu impliquée et insuffisamment réactive. Les dispositifs mis en place sont apparus avoir moins pour objet l’efficience que de rassurer l’opinion publique, et peut-être plus encore les décideurs eux-mêmes, politiques ou administratifs, dont la responsabilité pénale est de plus en plus mise en cause.
Le processus de sensibilisation des populations passe par plusieurs étapes : informer, écouter, débattre, proposer, décider. Impliquer et motiver la population dans l’évolution de la prise en charge des risques est essentiel et se dessine autour des notions de solidarité, d’efficacité et de réactivité.
Décision et cohérence
La demande sociale ne peut pas se substituer à une évaluation scientifiquement fondée du risque. Cependant, la pression exercée par l’opinion publique, le caractère diffus des risques encourus, la nécessité d’agir et la faiblesse des moyens développés par les administrations responsables conduisent à des décisions dont la cohérence n’est pas toujours clairement objectivable et exposent à un usage immodéré du principe de précaution. Ces dernières années, la visibilité des moyens affectés à la gestion des risques sanitaires s’est accrue avec la création des agences.
La gestion des risques nécessite une évaluation scientifique, mais aussi, invite à un processus délibératif impliquant les parties intéressées, fondement d’une gestion participative. La perception du risque fait l’objet de recherches actives en sciences sociales. Une meilleure connaissance des mécanismes qui la fondent permettrait en effet aux décideurs de mieux comprendre les processus à mettre en œuvre, voire d’anticiper les réactions de l’opinion.
Il est indispensable de communiquer sur une décision sanitaire. Cela nécessite de diffuser des informations sur la nature du risque, d’expliquer le bien-fondé de la décision, de commenter le suivi et les éventuelles conséquences. La publication régulière des contrôles sanitaires comme celui de la qualité des eaux de baignade ou de l’air participe de cet objectif d’information des populations. L’utilisation des sites Internet des agences permet d’envisager le contrôle de la qualité des informations diffusées.
Une question de qualité
La norme ISO 8 402 définit la qualité comme » l’ensemble des propriétés et des caractéristiques d’une entité qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites. »
La qualité des soins peut être définie comme le » niveau auquel parviennent les organisations de santé, en termes d’augmentation de la probabilité des résultats souhaités pour les individus et les populations, et de compatibilité avec l’état des connaissances actuelles. » Elle nécessite une approche systémique et transversale. En effet, la qualité des soins est le résultat d’un processus auquel participent de nombreux professionnels qu’ils soient soignants ou non soignants.
Selon l’OMS, la qualité en santé est de » garantir à chaque patient la combinaison d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en termes de procédure, de résultats et de contacts humains à l’intérieur du système de soins. »
Démarche qualité
Pour les établissements de santé, les ordonnances de 1996 stipulent l’obligation de s’engager dans des démarches d’amélioration de la qualité et de la sécurité. Cela a conduit à des progrès importants dans la maîtrise sectorielle des risques (risque infectieux nosocomial, vigilances réglementées, risque anesthésique, risque incendie…) et a permis une prise de conscience de l’intérêt des démarches transversales impliquant l’ensemble des professionnels concernés.
La mise en place d’une politique de gestion de la qualité et des risques nécessite une prise de conscience de l’ensemble des professionnels. Elle demande un changement culturel et impose de repenser l’organisation. Gérer la qualité, c’est mettre en place un processus de type managérial qui implique l’ensemble des acteurs de l’organisation, afin d’assurer la qualité de prestation et la satisfaction du consommateur de service.
La sécurité à l’hôpital est un sujet croissant de préoccupation de nos sociétés qui ont connu récemment un développement considérable dans le domaine de la santé. Elle relève de risques très polymorphes. On distingue classiquement les risques communs à toutes les organisations qui sont liés à la structure des bâtiments (risque incendie en particulier), à la protection des personnels (hygiène, sécurité et conditions de travail), au pilotage socioéconomique du système (politique, économique, social) et les risques liés à l’activité de soins spécifiques à un établissement de santé, communément appelés risque patient ou risque clinique. Le risque patient combine à lui seul plusieurs types de risques : le risque lié à la maladie, à la décision médicale et à la mise en œuvre de la démarche thérapeutique.
Qualité des soins
La qualité, comme la gestion des risques, n’est pas un concept nouveau pour les professionnels de santé. Toutefois elles sont restées longtemps sectorielles et d’évolution saltatoire. Ce qui a changé récemment c’est d’une part la reconnaissance de la place de l’usager en tant qu’acteur de sa santé et d’autre part la volonté d’entrer dans une approche plus globale de la gestion de la qualité et des risques. Ce sont des démarches synergiques, impliquant l’ensemble des professionnels concernés dans une démarche coordonnée, utilisant les ressources allouées de façon plus optimale, favorisant une meilleure organisation et une complémentarité des acteurs.
La qualité des soins paraît une évidence naturelle, implicite pour les professionnels de santé, un objectif à atteindre. Elle est cependant restée longtemps conceptuelle, sans caractéristiques réellement partagées par l’ensemble des acteurs concernés et qui ne semblait pas devoir » avoir de prix « . La notion de qualité et de volonté d’amélioration continue s’est largement traduite au travers des progrès scientifiques, technologiques, grâce aux travaux de recherche des équipes soignantes, aux publications qui ont permis de partager les expériences, aux recommandations diffusées par les sociétés savantes. Les agences dans le domaine de la santé ont également contribué à concevoir des approches plus homogènes pour la prise en charge des patients et des soins.
Les professionnels de santé, soucieux de faire face à la maladie et d’améliorer la qualité des soins, ont développé des actions destinées à apporter un bénéfice au patient, et à prévenir les risques. Les industriels ont mis à la disposition des professionnels des matériels et des techniques de plus en plus sophistiqués et sécurisés mais demandant des compétences différentes et la mise en place d’organisation et de procédures appropriées pour y répondre : formation, vérification du matériel, surveillance spécifique des patients, vigilance, protocoles de prévention. Si les progrès scientifiques et technologiques ont incontestablement permis une amélioration considérable de la prise en charge des patients, on assiste en revanche à une augmentation parallèle des risques liés à ces avancées.
Qualité, un enjeu de société
La gestion de la qualité et des risques est un enjeu d’actualité et d’avenir à plusieurs titres dans le domaine de la santé : satisfaction des usagers, éthique, accréditation, motivation des professionnels, responsabilité individuelle et collective, rigueur dans l’organisation, efficience, rationalisation des coûts, politique nationale, motivation de l’assurance, concurrence et pression médiatique.
Le développement d’une culture de sécurité de fonctionnement et d’amélioration continue de la qualité (accréditation, certification, évaluation des pratiques, gestion des risques…) nécessite un changement culturel, l’implication des professionnels et des usagers, un accompagnement managérial et l’évaluation des résultats obtenus. L’évaluation est une notion ancienne, inhérente à l’apprentissage, mais de diffusion lente dans le domaine de la santé.
Qualité et allocation des ressources
Garantir le droit à la santé étant un principe régalien, l’État légifère de longue date en matière de système sanitaire, essentiellement pour rationaliser les dépenses de santé, mais également pour garantir la qualité. Quelques textes d’importance jalonnent l’évolution récente : la loi de sécurité sanitaire de 1998 qui prévoit la déclaration obligatoire de la iatrogénie et des infections nosocomiales, l’initiation des réseaux de soins qui ont pour objectif d’assurer la continuité des soins, les ordonnances de 1996 instaurant le concept de maîtrise médicalisée des dépenses de santé et mettant en place l’accréditation obligatoire des hôpitaux, le décret de 1999 mettant en place l’évaluation des pratiques sur la base du volontariat, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la loi relative à la politique de santé publique d’août 2004, le plan hôpital 2007, la nouvelle gouvernance.
À la fin des années soixante-dix, la crise économique a obligé à une rationalisation accrue du système de santé ; les années quatre-vingt, et notamment après l’affaire du sang contaminé, ont vu l’émergence de la notion de sécurité sanitaire avec une participation plus active des patients devenus des usagers du système de soins : des » clients « . Une multiplication de normes sanitaires, la création des agences, l’officialisation de la démocratie sanitaire, la loi » Kouchner » de 2002 ont suivi. L’évolution des dépenses de santé a poussé l’État à la recherche d’une utilisation optimale des ressources avec une approche populationnelle de la qualité des soins. En 2004, l’instauration du principe de la tarification à l’activité pour les hôpitaux introduit un nouveau mode de comptabilité des dépenses. La qualité devient une préoccupation centrale des établissements de soins en lien étroit avec les nouvelles modalités d’allocation budgétaire.
La gestion des risques cliniques
La gestion des risques cliniques concerne au premier chef les acteurs des soins. Elle fait appel à des disciplines très diverses incluant, entre autres, la gestion des accidents et des crises, les aspects légaux, psychologiques ou les théories de la cognition. L’approche vise à instaurer une culture de pratiques sûres pour les structures de soins, prenant en compte dans l’analyse les facteurs humains. Elle passe par une description des décisions organisationnelles et de la gestion des processus. Elle requiert l’intégration des liens conceptuels et managériaux qui existent entre d’une part la gestion du risque et, d’autre part, les diverses tâches qui ont la qualité pour objet (gestion de la qualité, assurance qualité, amélioration de la qualité), ou la qualité pour objectif (l’audit clinique).
On notera enfin que la motivation des plaintes des patients est rarement en rapport avec ce qu’un fournisseur de service perçoit comme une erreur, perception qui à son tour se superpose très imparfaitement à ce que les tribunaux considèrent comme un dommage.
Risque et assurance sociale
Les risques sociaux changent de nature et de structure, qu’il s’agisse du risque lié aux nouvelles technologies (sang contaminé, infections nosocomiales), ou aux vitesses de propagation (épidémie de sida, SRAS). Il n’y a pas de recherche scientifique, d’innovation technologique sans interrogation sur leurs risques, sur les conséquences qu’elles impliquent, sur leurs coûts sociaux et sur les principes de solidarité.
Plusieurs approches ont été développées pour se prémunir comme la prévoyance, la précaution ou la prévention. La prévoyance concerne l’attention qui est portée aux dangers potentiels nécessitant la prudence pour soi et pour autrui. La précaution se fonde sur une action lucide et fondée sur les preuves. Elle se déploie quand l’aléa menace et qu’aucune parade n’est envisageable. Elle n’a pas pour objet de s’ouvrir en parapluie pour constituer un abri trompeur et fragile qui ralentirait voire empêcherait de mettre en place une politique cohérente de prévention. La prévention est dirigée vers la suppression des facteurs de risque des maladies et repose sur l’idée que la suppression d’une cause empêche la matérialisation de ses effets.
Ces concepts contribuent à structurer l’assurance sociale car la gestion des risques ne pourrait se suffire de régulations individuelles, privatives et marchandes. L’externalisation d’un maximum de risques sur l’autre ne peut pas non plus fonder un principe de régulation. La gestion collective du risque appelle des notions de solidarité mais aussi de responsabilisation. Nous participons en effet à la genèse de certains risques (le nucléaire ou l’alimentaire) et notre responsabilité est engagée (sang contaminé, vache folle). La mise en place de l’évaluation de ces risques et de leur prévention constitue un enjeu de société. On ne peut faire l’économie de l’appréciation appropriée des risques et de leurs dimensions sociales. L’Homme face à ses risques doit définir les approches appropriées pour en acquérir la maîtrise, en particulier dans le domaine de la santé.