Population, développement et empreinte écologique
Qu’est-ce que l’empreinte écologique ? La définition précise en est malaisée, c’est une invention des chercheurs de l’ONU pendant les années 1990 pour contrer les effets du tout PIB – produit intérieur brut – et de la logique économique pure.
Pour vous donner quelques idées sur cette question, précisons que l’on retient les chiffres suivants :
- pour obtenir un mètre cube de bois par an il faut en moyenne 1,3 hectare de forêt,
- pour obtenir une tonne de poisson par an, sans diminuer le stock, il faut en moyenne 25 hectares de mer,
- lorsque l’on brûle 0,35 hectare de forêt (énergie fossile) il y a une tonne de CO2 émise dans l’atmosphère, etc.
Pour chaque type d’activité est ainsi définie une surface de sol correspondante, c’est l’empreinte écologique, et pour le pétrole cette empreinte correspond à la surface de végétaux pouvant absorber le CO2 produit. Remarquons que pour les autres formes d’énergie on travaille en « tonnes d’équivalent pétrole », et plusieurs membres de l’auditoire soulignent que cette méthode est évidemment injuste pour l’énergie nucléaire qui produit peu de CO2.
Muni de ces définitions on peut définir l’empreinte écologique de l’humanité, laquelle est en somme la surface nécessaire pour une activité stable et pérenne. Cette empreinte croît avec les années et Madame Viel présente le graphique des années 1961–1999. L’empreinte croît d’environ 30 % au cours de cette période et dépasse la capacité de la Terre à partir de 1985. Le dépassement actuel est d’environ 20 % : nous vivons actuellement sur nos stocks, ce qui est particulièrement évident pour la pêche et pour les énergies fossiles.
Le graphique est divisé entre les composantes suivantes : terres cultivées, pâturages, forêts, zones de pêche, terrains construits (bâtiments et routes), énergie. C’est ce dernier domaine qui, de loin, croît le plus vite, il atteint déjà près de la moitié du total, et l’on escompte que sa croissance va rester encore rapide quelque temps du fait des progrès de l’Inde et de la Chine.
Il faut comprendre qu’avec le niveau de vie et le gaspillage des Américains l’empreinte écologique mondiale équivaudrait à cinq fois la capacité de la Terre, mais l’Europe occidentale n’est pas indemne : pour elle le chiffre vaudrait trois fois la capacité de la Terre.
Par tête on obtient les chiffres moyens suivants (hectares/habitant) :
USA 9,5
Europe occidentale 5
Europe orientale 3,5
Amérique latine 2,5
Moyen-Orient 2
Asie 1,5
Afrique 1
Par nation on trouve en premier les Émirats Arabes Unis puis les USA, puis le Koweït et au quatrième rang l’Australie.
Les progrès de la consommation énergétique entraînent de nombreux effets climatiques dont une augmentation de l’effet de serre qui n’est plus niée. Les catastrophes naturelles sont en augmentation constante (cyclones, inondations, incendies de forêts…) et cela entraîne des ruines de compagnies d’assurances, lesquelles font désormais appel aux aides étatiques pour simplement survivre… À ce rythme, si aucune discipline n’intervient, les dommages dépasseraient la production mondiale en 2065 !
Il faut comprendre que cette tendance vient de loin.Au paléolithique les êtres humains sont des chasseurs-cueilleurs, ils vivent des surplus de la nature et leur nombre ne dépasse pas cinq millions.
La première révolution est la révolution néolithique : l’invention de l’agriculture vers 10 000 av. J.-C., cela permet à l’humanité d’atteindre trois mille ans plus tard le nombre de cinquante millions. Cette première révolution est déjà une maîtrise et une manipulation de la nature et à ce sujet je vous signale le livre passionnant de Marcel Mazoyer : Histoire des agricultures du monde (collection livre de poche).
Avec les voyages des grands navigateurs, le XVIe siècle marque le début de la mondialisation, les méthodes de l’agriculture européenne s’exportent.
La révolution industrielle et le XIXe siècle voient une croissance très rapide de l’usage des combustibles fossiles et le pétrole est exploité à partir de 1890, tout d’abord en Roumanie et en Pennsylvanie. De nouveaux déchets apparaissent, que la nature ne peut pas métaboliser.
Le XXe siècle voit une nouvelle et double révolution agricole, d’un côté la mécanisation et la motorisation, de l’autre la révolution génétique et plusieurs récoltes par an avec l’utilisation en forte croissance des engrais.Le XXIe siècle verra la culture hors sol, mais avec un gros usage d’eau, de chaleur, d’énergie et de semences spéciales. Il est parfois dit que la surface des Pays-Bas suffirait alors pour nourrir l’humanité entière, mais avec un soutien industriel considérable.
Avant de passer aux discussions sur l’évolution future de la population, Madame Viel donne plusieurs indications impressionnantes.
A) Ces dernières années la production céréalière mondiale a diminué.
B) La surface de terre arable par être humain est passée de 0,4 hectare en 1960 à 0,2 hectare en 2000, à la fois à cause de l’augmentation de la population et de la détérioration des sols.
C) Il y a encore 840 millions de personnes sous-alimentées et ce chiffre ne diminue que très difficilement ; les pronostics sont pessimistes et la FAO préconise un développement des biotechnologies (qui ne peuvent être mises en œuvre qu’avec de très gros moyens techniques et financiers !).
D) La croissance des terrains bâtis, villes et routes, reste modérée, elle atteint tout de même 2,2 % du terrain disponible en 2002 et pourrait avoisiner 3 % vers 2030.
E) La dégradation des sols est un problème majeur. 15 % des terres arables ont été totalement dégradées par l’érosion et ne sont que très difficilement récupérables, 65 % le sont partiellement. Cela est souvent le fait d’une agriculture imprévoyante qui laisse agir ou même favorise l’érosion, surtout l’érosion hydrique, mais aussi les érosions éoliennes, chimiques et physiques.
F) Cette dégradation a pour corollaire la désertification. Dans les conditions insouciantes actuelles 24 millions de tonnes de bonne terre sont emportées par les eaux chaque année et à ce rythme deux tiers des terres arables d’Afrique auront disparu en 2025 ! (un quart en Asie, un cinquième en Amérique du Sud…).
G) On a pris conscience de l’importance vitale des forêts. Il faut en laisser un peu partout pour entretenir la biodiversité. Sinon on va droit aux catastrophes écologiques qui furent celles de la Grèce antique, de Haïti, de l’île de Pâques et aujourd’hui des pays du Sahel.
H) Il existe au large de certaines côtes américaines, notamment face à New York et face à Los Angeles, des grandes zones marines « d’eau morte » d’où toute vie a disparu (poissons, plantes et plancton…). Cela est surtout dû à la pollution et à l’implosion de la biodiversité.
I) Il semble probable que la production d’énergie augmentera de 60 % d’ici trente ans et qu’en conséquence les émissions de gaz carbonique augmenteront de 50 %. Il faut dire que le « World energy outlook » de 2004 privilégie les productions de charbon et de pétrole et envisage une stagnation du nucléaire.
Ces dernières considérations ont été faites avec les prévisions de population des Nations Unies. Cependant ces hypothèses ont été réfutées par l’École française (Adolphe Landry, Alfred Sauvy, Jean Bourgeois-Pichat, Philippe Bourcier de Carbon, Jean- Claude Chesnais) et en matière de démographie le danger le plus menaçant n’est pas l’explosion démographique – la natalité dégringole dans la plupart des pays du tiers-monde et déjà plus de vingt pays ont plus de décès que de naissances – c’est un vieillissement incontrôlé mettant des charges insupportables sur le dos des jeunes, d’où une baisse induite de natalité et un cercle vicieux aboutissant à l’effondrement. Effondrement et désertification concomitante qui se sont déjà produits ici et là à petite échelle dans l’histoire de l’humanité.
La discussion s’instaure à ce sujet entre la conférencière et l’auditoire lequel lui donne les courbes de population utilisées par les études prospectives des compagnies pétrolières : la courbe de population utilisée y est celle de Jean Bourgeois-Pichat avec, si aucune réaction sérieuse n’intervient, un maximum vers 8 milliards autour de 2040 puis l’effondrement d’une population vieillie retombant en 2100 bien en dessous du niveau actuel. En vérité nous devons faire face aux deux problèmes à la fois et, sur le plan écologique, aboutir à de vrais efforts en matière de respect de la nature, de lutte contre les gaspillages, d’éducation des populations.
Questions
La question de loin la plus importante est donc celle de l’énergie, n’y a‑t-il pas beaucoup de désinformation dans ce domaine ?
Certes, en parlant sans cesse de la pénurie qui menace les compagnies pétrolières contribuent à maintenir un prix élevé. Il en est de même avec la stigmatisation de l’énergie nucléaire laquelle est tout de même un moyen majeur pour diminuer l’effet de serre. L’un des auditeurs souligne qu’il est évidemment désastreux que des campagnes écologiques mal dirigées aient abouti à la fermeture de la centrale de Creys-Malville.
N’y a‑t-il pas un parallèle à faire avec la fameuse mise en garde du » Club de Rome » dans les années 1970 ?
Bien sûr ces prévisions risquent de pêcher par pessimisme et par manque de foi dans les possibilités humaines d’innovation face aux difficultés. Rappelons tout de même que le prix du charbon a doublé ces dernières années et que celui du pétrole a connu des variations plus importantes encore.
Que pensez-vous des énergies renouvelables ?
Il faut les développer et ne surtout pas les traiter par le mépris, c’est toujours cela de gagné. Mais il ne faut pas non plus se faire d’illusion et, sauf invention tout à fait remarquable (par exemple le moteur à hydrogène), elles ne seront pas à la hauteur du problème.