L’environnement politique et économique de la France d’ici 2050

Dossier : La France en 2050Magazine N°603 Mars 2005
Par Jacques LESOURNE (48)

Le monde aujourd’hui

Avant d’ex­plo­rer le pro­chain demi-siècle, cette période au bout de laquelle les enfants qui naissent aujourd’­hui attein­dront la plé­ni­tude de leur vie fami­liale et pro­fes­sion­nelle, regar­dons en arrière les décen­nies qui nous séparent de l’im­mé­diat après-guerre.

Dans le monde à trois mil­liards de 1960 – la moi­tié de la popu­la­tion actuelle – l’en­vi­ron­ne­ment poli­tique et éco­no­mique de la France contient déjà, à une excep­tion près, les germes de celui d’au­jourd’­hui : la déco­lo­ni­sa­tion est presque ache­vée, la crois­sance éco­no­mique bat son plein à des rythmes divers, le pétrole prend une part crois­sante de la consom­ma­tion éner­gé­tique mon­diale, les pre­mières pierres de la construc­tion éco­no­mique euro­péenne sont posées, les États-Unis assurent à eux seuls presque la moi­tié du reve­nu brut mondial.

L’exis­tence depuis quinze ans de l’arme nucléaire modi­fie les don­nées de la stra­té­gie tan­dis que, dans le domaine tech­no­lo­gique, les pre­miers ordi­na­teurs sont nés et qu’en science s’an­nonce la révo­lu­tion de la bio­lo­gie molé­cu­laire. L’ex­cep­tion est l’exis­tence de l’Em­pire sovié­tique qui englobe la moi­tié orien­tale de l’Al­le­magne, l’Eu­rope cen­trale et s’é­tend jus­qu’à Vla­di­vos­tok. En Asie de l’Est, la Chine repré­sente un deuxième pôle du mou­ve­ment com­mu­niste mon­dial. Nous sommes en pleine guerre froide, même si l’in­ten­si­té du conflit a décru depuis la mort de Sta­line en 1953. Mais des deux côtés, les peuples ont foi en la science, en la tech­no­lo­gie et en la crois­sance économique.

Tour­nons-nous main­te­nant vers l’a­ve­nir et deman­dons-nous quelle grille de lec­ture peut nous aider à le pen­ser. Nous pou­vons d’a­bord consi­dé­rer la terre comme une grosse orange homo­gène et nous inter­ro­ger sur les inter­ac­tions de la démo­gra­phie, de l’u­ti­li­sa­tion des res­sources et de la tech­no­lo­gie. Nous pou­vons ensuite consi­dé­rer les rela­tions à l’é­chelle mon­diale des sys­tèmes éco­no­miques et poli­tiques. Nous pou­vons enfin nous concen­trer sur les grandes zones de la pla­nète. Un triple regard qui devrait contri­buer à éclai­rer des visions du ter­ri­toire fran­çais en 2050.

Les ressources de la « grosse orange »

L’a­bais­se­ment rapide des taux de fécon­di­té dans le Tiers-Monde ralen­tit la crois­sance de la popu­la­tion mon­diale et le vieillis­se­ment s’ac­cen­tue au Japon, en Europe, en Rus­sie et en Chine. Les pro­jec­tions démo­gra­phiques situent autour de 9 mil­liards le volume de l’hu­ma­ni­té en 2050, mais les pro­jec­tions ne peuvent tenir compte des effets pos­sibles d’é­pi­dé­mies que la méde­cine n’ar­ri­ve­rait pas à enrayer. En tout état de cause, nous sommes désor­mais loin des 15 à 30 mil­liards qui étaient annon­cés il y a trente ans.

Beau­coup d’hu­mains tou­te­fois ont de la dif­fi­cul­té à conce­voir ce que signi­fie en termes d’or­ga­ni­sa­tion sociale et poli­tique neuf mil­liards d’individus.

Cette pre­mière ten­dance, rela­ti­ve­ment sûre, avec ce qu’elle entraîne de migra­tions, d’ur­ba­ni­sa­tion, de soins aux vieillards, de bou­le­ver­se­ment des sys­tèmes de pro­tec­tion sociale, conduit à poser le pro­blème des res­sources dont dis­po­se­ra l’hu­ma­ni­té. Qu’il s’a­gisse de nour­ri­ture, d’éner­gie, d’eau, de miné­raux. Trois évi­dences dont seule la pre­mière est dans l’air du temps :

  • les res­sources brutes dont dis­po­se­ra l’hu­ma­ni­té sont finies ;
  • tou­te­fois, il ne faut pas consi­dé­rer que l’hu­ma­ni­té tire sépa­ré­ment et indé­pen­dam­ment sur des stocks déter­mi­nés. Lorsque la demande d’un métal aug­mente par exemple, son prix s’é­lève, on inten­si­fie les recherches, on trouve des miné­raux plus pauvres et sur­tout on sub­sti­tue, en limi­tant l’emploi aux usages les plus néces­saires, d’autres métaux à ce métal. Ce sont ces phé­no­mènes essen­tiels de sub­sti­tu­tion et de régu­la­tion par les prix que beau­coup ne com­prennent pas et qui rendent d’ailleurs l’a­na­lyse difficile ;
  • enfin, le volume des res­sources uti­li­sables dépend aus­si de la tech­no­lo­gie. La grande crise éner­gé­tique de la fin du xviiie siècle engen­drée par l’é­pui­se­ment des forêts dis­pa­raît lorsque la machine à vapeur per­met l’ex­trac­tion du char­bon de terre.Que peut-on alors briè­ve­ment conclure des tra­vaux menés sur les dif­fé­rentes ressources ?

Comme l’a mon­tré Amar­tya Sen, la plu­part des famines ne sont pas dues au manque de res­sources mais à la désor­ga­ni­sa­tion socio­po­li­tique. Un exemple ? La famine en Soma­lie du Sud a coïn­ci­dé avec la pré­sence de stocks ali­men­taires dans le même pays au nord. Chine et Inde nour­rissent désor­mais leurs popu­la­tions et les pro­blèmes se concentrent sur l’A­frique. À condi­tions cli­ma­tiques inchan­gées, on peut donc pen­ser que l’hu­ma­ni­té pour­rait se nour­rir. D’ailleurs depuis 1950, la crois­sance de la pro­duc­tion agri­cole a été légè­re­ment supé­rieure à celle de la population.

Pour l’éner­gie, deux grands faits viennent se super­po­ser à l’aug­men­ta­tion de la demande dans les pays émer­gents : le pla­fon­ne­ment puis le déclin de la pro­duc­tion de pétrole (entre 2040 et 2060 ?) et le chan­ge­ment cli­ma­tique glo­bal. Tan­dis que le pre­mier phé­no­mène seul condui­rait à une renais­sance du char­bon et à un redé­mar­rage du nucléaire, le second inci­te­ra à des éco­no­mies d’éner­gie, à un essor frac­tion­né des éner­gies renou­ve­lables et natu­rel­le­ment aus­si au redé­mar­rage du nucléaire.

À pro­pos du chan­ge­ment cli­ma­tique, dont les bases scien­ti­fiques sont de plus en plus solides, deux élé­ments doivent être soulignés :

  • les popu­la­tions des pays déve­lop­pés ne chan­ge­ront de com­por­te­ments que sous l’ef­fet des prix et de la peur ; les condi­tions ne sont pas actuel­le­ment réunies pour que les dis­cours de cer­tains soient autre chose que des objur­ga­tions intellectuelles ;
  • les consé­quences du chan­ge­ment cli­ma­tique ne doivent pas être éva­luées à sys­tèmes vivants inchan­gés. Les pos­si­bi­li­tés d’a­dap­ta­tion de nos socié­tés sont consi­dé­rables et l’en­semble du vivant ani­mal et végé­tal a mon­tré au cours des mil­lé­naires de remar­quables capa­ci­tés de chan­ge­ment. Ces régu­la­tions atté­nue­ront sen­si­ble­ment le coût du chan­ge­ment climatique.

L’ac­cès à l’eau sera dans cer­taines régions, comme les rives sud et est de la Médi­ter­ra­née, l’une des grandes pré­oc­cu­pa­tions des vingt pro­chaines années, mais les non-spé­cia­listes parlent de l’é­pui­se­ment de l’eau comme si le pro­blème était le même que pour le pétrole. La consom­ma­tion ne détruit pas l’eau. Elle la recycle. Et si le prix de l’eau était plus éle­vé, on la trans­por­te­rait à dis­tance ou on désa­li­ni­se­rait l’eau de mer. Le coût de ces adap­ta­tions n’en sera pas moins considérable.

Quant aux miné­raux, ils forment par les sub­sti­tu­tions pos­sibles un ensemble si com­plexe qu’il défie une ana­lyse d’en­semble. Par­ler de raré­fac­tion glo­bale n’au­rait pas de sens, mais il existe des métaux cri­tiques qui peuvent poser de sérieux pro­blèmes. Ain­si, au niveau de l’o­range, l’hu­ma­ni­té devra conti­nuer à apprendre à gérer ses rela­tions avec l’é­co­sphère, les pro­blèmes glo­baux étant évi­dem­ment beau­coup plus sérieux que les dif­fi­cul­tés locales qui peuvent géné­ra­le­ment se résoudre dans les pays à niveau de vie suf­fi­sant par une réaf­fec­ta­tion des dépenses de la collectivité.

Pour conclure ce pre­mier volet de l’a­na­lyse, il faut évi­dem­ment men­tion­ner un der­nier fac­teur, la capa­ci­té tech­nique de l’hu­ma­ni­té, dont le déve­lop­pe­ment depuis le début de l’es­pèce résout des ques­tions jugées inso­lubles tout en en posant de nou­velles. Sur l’ho­ri­zon consi­dé­ré, on peut s’at­tendre à une conver­gence entre les bio­tech­no­lo­gies et les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion dont la por­tée sera consi­dé­rable. Elle per­met­tra des éco­no­mies de res­sources spec­ta­cu­laires, mais sur­tout elle obli­ge­ra l’hu­ma­ni­té à appro­fon­dir ses inter­ro­ga­tions éthiques, car la science bou­le­verse pro­gres­si­ve­ment les rela­tions de l’homme à son corps, à son intel­li­gence, à sa famille, aux autres espèces, à l’é­co­sphère et à l’univers.

Le système économique et politique mondial

Chan­geons main­te­nant d’ap­proche en nous inter­ro­geant sur l’é­vo­lu­tion du sys­tème éco­no­mique et poli­tique mon­dial. La dif­fi­cul­té est que nous avons besoin de concepts pour le décrire.

États

En pre­mier lieu, nous pou­vons sup­po­ser que l’hu­ma­ni­té conti­nue­ra à être orga­ni­sée en États. Ces États, grands et petits, sont actuel­le­ment, de Mona­co à l’Inde, un peu moins de deux cents à sié­ger aux Nations Unies. Ils ont une popu­la­tion de natio­naux et de rési­dents, des fron­tières, un gou­ver­ne­ment. Ils n’en sont pas moins extrê­me­ment dif­fé­rents. Leur inser­tion dans un monde bou­le­ver­sé par les pro­grès tech­niques dans les trans­ports et les TIC les rend beau­coup moins imper­méables que leurs devan­ciers. On peut dire que d’É­tats stricts, ils sont deve­nus des États flous à l’i­ni­tia­tive réduite par les mil­liers de pages d’ac­cords inter­na­tio­naux qu’ils ont signés, obli­gés de com­po­ser avec les cen­taines de mul­ti­na­tio­nales qui opèrent sur leur sol, influen­cés par les émis­sions de télé­vi­sion et les mes­sages des inter­nautes qui cir­culent sur la toile, obli­gés de négo­cier avec d’autres acteurs sur la plu­part des sujets qui les concernent.

Société

Il n’y a pas tou­jours super­po­si­tion entre les fron­tières de ces États et celles des socié­tés humaines, ces com­mu­nau­tés qui par­tagent langues, reli­gion, struc­tures fami­liales et qui ne se per­çoivent pas néces­sai­re­ment comme des nations. Tous les empires ter­restres ou mari­times qui se sont écrou­lés au XXe siècle embras­saient dans leurs fron­tières d’autres socié­tés, en tota­li­té ou en par­tie. Or, avec le temps et sans que la règle soit abso­lue, les États à socié­tés plu­rielles tendent à écla­ter. D’où cette conjec­ture vrai­sem­blable : le nombre des États devrait encore aug­men­ter au cours du pro­chain demi-siècle. De com­bien ? de vingt à qua­rante peut-être. Cette ten­dance n’est pas contra­dic­toire avec l’ap­pa­ri­tion (j’y revien­drai) de coa­gu­la­tions, de confé­dé­ra­tions ou de qua­si-fédé­ra­tions dans quelques zones.

Civilisation

Mais, l’im­bro­glio des États et des socié­tés ne peut être décrit sans intro­duire un troi­sième concept, contro­ver­sé d’ailleurs, celui de civi­li­sa­tion. Une civi­li­sa­tion est un ensemble de socié­tés qui, par l’in­ten­si­té de leurs rela­tions éco­no­miques, cultu­relles, reli­gieuses éta­blies sur de longues périodes, par­tagent des visions du monde, des manières de pen­ser et de vivre com­munes. Elles ne sont que pen­dant une par­tie de leur his­toire incluses dans le ter­ri­toire d’un même État.

Leur défi­ni­tion géo­gra­phique est par­fois simple, par­fois floue. S’é­ten­dant sur des siècles, les civi­li­sa­tions n’é­vo­luent que len­te­ment et ne se laissent pas faci­le­ment péné­trer par d’autres, mais aujourd’­hui, la mon­dia­li­sa­tion fait que cha­cune incor­pore des élé­ments pro­ve­nant des autres.

Beau­coup d’au­teurs admettent la liste sui­vante ; la chi­noise, la japo­naise, l’hin­doue, l’a­ra­bo-ira­no-turque, l’eu­ro­péenne occi­den­tale, l’eu­ro­péenne orien­tale, la nord-amé­ri­caine, la sud-amé­ri­caine, l’a­fri­caine sub­sa­ha­rienne. Dis­cu­ter cette liste n’est pas l’ob­jet de ce texte, mais ce concept per­met quelques conjec­tures ou inter­ro­ga­tions : l’eu­ro­péenne occi­den­tale va-t-elle don­ner nais­sance à un État ? Euro­péenne occi­den­tale et nord-amé­ri­caine vont-elles diverger ?

L’a­ra­bo-ira­no-turque, écar­te­lée entre des influences contraires, devien­dra-t-elle une zone d’a­no­mie déchi­rée par la lutte entre une tra­di­tion som­brant dans l’ex­tré­misme reli­gieux et un moder­nisme ins­pi­ré par l’Oc­ci­dent ? Que devien­dront Inde et Chine, ces deux États qui englobent pra­ti­que­ment cha­cun l’aire d’une civi­li­sa­tion ? Quels scé­na­rios pour l’a­fri­caine au sud du Saha­ra, cet ensemble com­plexe de nom­breuses sociétés ?

Démocratie, marchés, gouvernance

États, socié­tés, civi­li­sa­tions vont voir s’in­ten­si­fier entre eux de très nom­breuses inter­ac­tions, celles incor­po­rées dans leurs orga­ni­sa­tions poli­tiques internes (et qui peuvent être résu­mées par la ques­tion : quel sera l’a­ve­nir de la démo­cra­tie dans des sys­tèmes éco­no­miques repré­sen­tés à échelle natio­nale et inter­na­tio­nale par les mar­chés, celles de mul­tiples échanges licites ou illi­cites, cultu­rels ou reli­gieux entre les États, et qui sou­lèvent le pro­blème de la gou­ver­nance). Immenses ques­tions à pro­pos des­quelles on ne peut faire que quelques remarques :

1. À l’aube du déve­lop­pe­ment éco­no­mique, les régimes auto­ri­taires sont par­fois plus favo­rables au décol­lage que les régimes démo­cra­tiques sou­vent mena­cés d’ins­ta­bi­li­té et d’a­bou­lie. À des stades inter­mé­diaires, démo­cra­ties et mar­chés deviennent com­plé­men­taires. À des niveaux éle­vés de reve­nus par tête, la démo­cra­tie peut être un frein au déve­lop­pe­ment économique.

2. Le déve­lop­pe­ment éco­no­mique devrait conti­nuer à se répandre, rapide en Asie de l’Est, lent en Europe orien­tale et en Europe occi­den­tale, moyen ailleurs, à l’ex­cep­tion de l’A­frique du sud du Saha­ra qui a de fortes chances de res­ter à la traîne.

3. Avec la pour­suite des migra­tions et l’in­ten­si­fi­ca­tion des réseaux d’é­change, les pro­blèmes nés dans les civi­li­sa­tions en crise se répan­dront de mul­tiples manières à l’in­té­rieur des autres civilisations.

4. Les besoins de la gou­ver­nance entraî­ne­ront une restruc­tu­ra­tion de « l’ordre inter­na­tio­nal » s’ins­pi­rant de deux prin­cipes contra­dic­toires, un prin­cipe de réa­lisme poli­tique où la puis­sance sera le fac­teur pré­pon­dé­rant, les États-Unis cher­chant à orga­ni­ser le monde en fonc­tion de leurs inté­rêts et un prin­cipe de com­mu­nau­ta­risme, les États (ou les prin­ci­paux, ou les plus faibles d’entre eux) s’al­liant pour résoudre les pro­blèmes du globe. Il en résul­te­ra une situa­tion fluc­tuante en fonc­tion des sujets et des orien­ta­tions des équipes diri­geantes des grands pays.

Avec moins de 0,8 % de la popu­la­tion mon­diale et peut-être 3,5 % du reve­nu brut de l’hu­ma­ni­té, la France joue­ra dans ces évo­lu­tions un rôle second, quoique encore légè­re­ment ampli­fié par la traîne de l’his­toire. Beau­coup dépen­dra pour elle de l’a­ve­nir de l’U­nion européenne.

Les grandes zones géographiques de 2050

Vus de France, com­ment pour­raient se pré­sen­ter les « grands quar­tiers de l’o­range » dans un demi-siècle ? Avant de faire tour­ner le globe, quelques remarques préa­lables semblent indis­pen­sables pour dis­si­per des mal­en­ten­dus : l’é­cart entre les reve­nus des indi­vi­dus les plus riches et ceux des plus pauvres ne pour­ra que s’ac­cen­tuer car la hausse des pre­miers sui­vra la crois­sance des éco­no­mies les plus dyna­miques tan­dis que les seconds s’ob­ser­ve­ront dans les zones hors déve­lop­pe­ment ; les famines qui sub­sis­te­ront seront moins engen­drées par les condi­tions cli­ma­tiques que par les conflits eth­niques ; c’est en Asie de l’Est et du Sud que la crois­sance par tête en pari­té de pou­voir d’a­chat sera la plus éle­vée (de 3 à 4,5 % par an), tan­dis que dans les pays d’A­mé­rique du Nord et de l’Eu­rope elle attein­dra dif­fi­ci­le­ment 2 %.

Les zones essen­tielles pour la France sont, en sim­pli­fiant beau­coup, l’U­nion euro­péenne, l’A­frique du Nord et le Moyen-Orient, les États-Unis, la Rus­sie, la Chine, l’Inde, le Japon, l’A­frique fran­co­phone au sud du Saha­ra, le Brésil.

L’Europe

Zone à faible nata­li­té et à popu­la­tion vieillis­sante, l’U­nion euro­péenne pour­rait avoir une crois­sance glo­bale régu­liè­re­ment infé­rieure d’un demi-point à celle des États-Unis à cause du dif­fé­ren­tiel démo­gra­phique, cette crois­sance étant plus forte à la péri­phé­rie que dans les pays du cœur France et Alle­magne. L’as­si­mi­la­tion des dix pays exi­ge­ra sans doute une décen­nie. Elle se déve­lop­pe­ra sur trois plans : l’u­ni­fi­ca­tion des mar­chés qui sera rapide grâce au réseau des mul­ti­na­tio­nales ; l’a­dap­ta­tion des fonds struc­tu­rels com­mu­nau­taires, une adap­ta­tion qui sera lente et dou­lou­reuse à cause de l’a­lour­dis­se­ment engen­dré par l’aug­men­ta­tion du nombre de pays ; l’é­mer­gence d’une puis­sance poli­tique euro­péenne, émer­gence qui sera lente et aléatoire.

L’ex­pé­rience montre tou­te­fois que l’U­nion euro­péenne hérite des pro­blèmes fron­ta­liers de ses membres. Les vieux conflits rus­so-polo­nais ont affleu­ré lors de la récente crise ukrai­nienne. Vien­dra ensuite vers 2015 la ques­tion de l’adhé­sion turque qui, si elle se fait, ne sera deve­nue réa­li­té que quinze à vingt ans plus tard. Ain­si, vers 2050, l’U­nion euro­péenne pour­rait se situer entre une qua­si-fédé­ra­tion et une « coa­gu­la­tion » dont les fron­tières orien­tales seraient mar­quées par les États baltes, la Pologne, la Rou­ma­nie, la Turquie.

Que seront ses fron­tières méri­dio­nales ? Cette ques­tion sou­lève celle du deve­nir de l’A­frique du Nord et du Moyen-Orient, c’est-à-dire de la civi­li­sa­tion musul­mane qui s’é­tend du Maroc au Pakis­tan. Frag­men­tée entre pays, déchi­rée entre la tra­di­tion et le moder­nisme, secouée par l’ex­tré­misme reli­gieux, cette civi­li­sa­tion est écar­te­lée entre le repli sur elle-même et l’at­trac­tion de la civi­li­sa­tion occi­den­tale sous sa ver­sion euro­péenne ou américaine.

Il n’est pas exclu que sa par­tie la plus euro­péa­ni­sée (le Magh­reb) fasse, après la Tur­quie, une entrée dans l’U­nion euro­péenne. Quoi qu’il en soit, avec les accords de libre- échange en cours de signa­ture, une inten­si­fi­ca­tion des échanges éco­no­miques avec la rive sud de la Médi­ter­ra­née est probable.

L’Europe et ses partenaires

Qu’en sera-t-il des rela­tions USA-UE ? Au-delà de l’é­pi­sode Bush, le scé­na­rio le plus pro­bable pour­rait mélan­ger coopé­ra­tion et conflits. Seule super­puis­sance de ce demi-siècle, les États-Unis trou­ve­ront néces­saire à leurs inté­rêts d’im­po­ser à l’Eu­rope leur vision du monde quitte à divi­ser entre eux les pays de l’U­nion pour y arri­ver tan­dis que cer­tains Euro­péens cher­che­ront dans le mul­ti­la­té­ra­lisme une arme pour com­pen­ser leur fai­blesse géo­po­li­tique. Le taux de change euro­dol­lar res­te­ra une source d’op­po­si­tion tant que le dol­lar sera accep­té quel que soit l’é­tat des comptes exté­rieurs amé­ri­cains. Une situa­tion qui n’empêchera pas les grandes mul­ti­na­tio­nales euro­péennes et amé­ri­caines d’o­pé­rer sur les deux rives de l’Atlantique.

La Rus­sie souf­fri­ra avant tout d’une situa­tion démo­gra­phique catas­tro­phique. Elle pour­rait tou­te­fois suivre un che­min de crois­sance signi­fi­ca­tive et peut-être créer une union éco­no­mique viable avec la Bié­lo­rus­sie, l’U­kraine, cer­tains États du Cau­case et le Kaza­khs­tan. Elle cher­che­ra à pra­ti­quer une poli­tique d’é­qui­libre entre les USA et l’UE, bien qu’elle ait plu­tôt inté­rêt à se rap­pro­cher de la seconde si les Polo­nais ne viennent pas se mêler des affaires russes.

Mais l’es­sor de l’A­sie sera la grande nova­tion du demi-siècle. L’Inde y rentre à pas comp­tés ayant pour elle son héri­tage démo­cra­tique avec en revanche l’in­con­vé­nient de la diver­si­té eth­nique et lin­guis­tique. La Chine a devant elle le pro­blème de l’é­vo­lu­tion de son sys­tème poli­tique au fur et à mesure qu’aug­men­te­ra le niveau de vie de sa popu­la­tion. Le déve­lop­pe­ment des rela­tions com­mer­ciales et poli­tiques avec la Chine appa­raît donc comme une grande prio­ri­té pour la France, au sein de l’U­nion euro­péenne. Mal­gré son effa­ce­ment rela­tif dans les dix der­nières années, le Japon ne sera pas à négli­ger, car son éco­no­mie est moins impé­riale que par le pas­sé mais reste une source de tech­no­lo­gies nou­velles. L’ac­cord Renault-Nis­san qui est appa­ru comme une curio­si­té est un inté­res­sant exemple de coopération.

Les évé­ne­ments de Côte-d’I­voire, l’ex­trême fra­gi­li­té du Nige­ria, la famine au Dar­four sou­lignent, après les drames du Libe­ria, de la Sier­ra Leone, du Ruan­da, de l’ex-Zaïre, les incer­ti­tudes éco­no­miques et poli­tiques de l’A­frique sub­sa­ha­rienne. La démo­gra­phie, la non-concor­dance des fron­tières et des eth­nies, les efforts (posi­tifs à court terme, mais peut-être nocifs à long terme) de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale pour main­te­nir le sta­tu quo en figeant les conflits, rendent déli­cate l’é­la­bo­ra­tion de scé­na­rios favo­rables. Sans gou­ver­ne­ments effi­caces et légi­times, l’é­co­no­mie de la région conti­nue­ra à stag­ner. Sans doute, la France qui a été la puis­sance colo­niale puis le tuteur de l’A­frique occi­den­tale sera-t-elle conduite à se reti­rer par étape de ses enga­ge­ments régionaux.

En Amé­rique latine, le Bré­sil, s’il réus­sit à maî­tri­ser le défi­cit tra­di­tion­nel de ses comptes publics au niveau des États et de la Fédé­ra­tion, a d’in­con­tes­tables atouts pour une crois­sance éco­no­mique signi­fi­ca­tive s’ac­com­pa­gnant d’une limi­ta­tion des inéga­li­tés sociales. Com­ment oublier tou­te­fois que, dans le pas­sé, ce pays a sou­vent déçu les espoirs mis dans son devenir ?

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Autour du scé­na­rio cen­tral qui vient d’être esquis­sé appa­raissent pos­sibles des variantes plus noires. Pour cer­tains, le xxie siècle sera celui des bac­té­ries et des virus, mar­qué par des pan­dé­mies. Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique peut accroître l’ins­ta­bi­li­té météo­ro­lo­gique, l’A­frique sub­sa­ha­rienne connaî­tra des décen­nies de guerres civiles et de famines, la crise de la civi­li­sa­tion ara­bo-musul­mane engen­dre­ra des actes d’hy­per­ter­ro­risme ayant recours à des armes de des­truc­tion mas­sive… Ces variantes sou­lignent que l’a­chè­ve­ment de la conquête du globe par l’hu­ma­ni­té pose le pro­blème de la gou­ver­nance mon­diale, un pro­blème qui n’est pas tri­vial puisque sa solu­tion sup­pose à la fois un déve­lop­pe­ment des connais­sances scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques, un appren­tis­sage de valeurs col­lec­tives et la maî­trise des sys­tèmes éco­no­miques et politiques.

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