Demain la “e‑democracy“ ?
René Trégouët vient de renoncer à son poste de sénateur pour se consacrer à la diffusion du bon usage de l’Internet dans la population française, et particulièrement dans les relations des élus avec les citoyens, au cours de leur mandat.
…Ce sera bien évidemment les rouspéteurs qui s’exprimeront les premiers…
La Jaune et la Rouge : Vous venez de renoncer à votre poste de sénateur pour vous consacrer à la diffusion du bon usage de l’Internet dans la population française, et particulièrement dans les relations des élus avec les citoyens, au cours de leur mandat. Une telle décision manifeste l’importance que vous attribuez à cette diffusion.
René Trégouët : Importance considérable dans tous les types de relations entre êtres humains : commerciales, éducatives… et bien entendu politiques. Sur ce dernier point, il apparaît nettement que la démocratie représentative, où la gestion des affaires publiques est assurée par une équipe de quasi-professionnels sans relations interactives avec les citoyens, ne correspond plus à l’évolution de la population. Celle-ci n’est plus inculte, elle est capable de comprendre beaucoup de choses concernant son avenir et celui de ses enfants.
N’est-elle pas consentante à son éviction ? et peut-elle se plaindre de manquer d’informations à une époque où les médias surabondent ?
R. T. : Elle est consentante dans la mesure où elle n’a pas d’autre modèle de comportement ; mais elle reste à l’écoute des propos simplistes et négateurs que répandent les mécontents, d’où l’instabilité de l’opinion fréquemment dénoncée.
Les médias concourent aussi à cette instabilité, moins par esprit partisan que par besoin de se vendre ; il leur faut de l’humeur et du sensationnel. Dans ce concert, les élus en position de responsables ne trouvent pas d’autres moyens que de communiquer à sens unique par des explications dont ils ne contrôlent pas l’impact.
Peuvent-ils faire davantage ? Même s’ils le souhaitaient, comment pénétrer dans chacun des foyers de leur circonscription et où trouver le temps de débattre avec chaque individu ?
R. T. : Justement ! Ils le peuvent aujourd’hui, ou ils vont le pouvoir d’ici peu. Aujourd’hui près de la moitié des Français est branchée sur Internet, et les lois qui viennent d’être votées fin 2003 et au cours du premier semestre 2004 ont donné le feu vert pour étendre le « haut débit » à tout le territoire français.
Cela veut-il dire que l’élu pourra diffuser une déclaration, ou un compte rendu, plusieurs fois par semaine au lieu d’une fois par trimestre ?
R. T. : Non, le premier à s’exprimer c’est le citoyen : le commerçant, la mère de famille, l’ouvrier mécanicien, le notaire…
Ce sera bien évidemment les rouspéteurs qui s’exprimeront les premiers…
R. T. : Tant mieux ! Car les autres citoyens se mettront devant leur écran pour assister au débat et se faire leur propre idée.
Ne craignez-vous pas que la sympathie aille automatiquement à celui qui criera le plus fort ?
R. T. : Je n’en crois rien, la violence verbale disqualifie dans un dialogue de personne à personne ; l’écoute attentive est réservée à celui qui raisonne juste en s’appuyant sur les faits concrets, connus des internautes, ceux-ci se sentent même l’envie d’intervenir, et ils y viennent.
À vous entendre, on dirait que ce dialogue se déroule en temps réel, avec questions-réponses instantanées.
R. T. : Ce serait dangereux pour l’objectivité des interlocuteurs, le désir de « marquer un point » l’emporterait sur le respect de la vérité ; un temps doit être laissé à la réflexion avant la réplique.
Mais alors, cela va être bien ennuyeux, » les combats de coqs » à la télévision, c’est plus drôle.
R. T. : Ceux pour qui un débat est ennuyeux sont ceux que le sujet débattu n’intéresse pas : leur nombre éclairera l’élu sur ce qui intéresse nos concitoyens et il découvrira les priorités à observer, ainsi que les ignorances à combler. La communication par Internet est un puissant instrument d’éducation, tant pour le gouvernant que pour le gouverné.
Je comprends, une longue éducation sera nécessaire.
R. T. : Pas tellement longue, les jeunes ont déjà l’habitude d’utiliser l’Internet dans leurs concertations à distance et leur intérêt pour les affaires publiques s’éveillera davantage devant un écran que devant l’urne d’un bureau de vote. Parce qu’ils auront conscience d’acquérir, grâce à une pédagogie sur mesure, le droit de s’exprimer sur ce qui leur était jusque-là totalement étranger.
Il faudra quand même surmonter, pour le non-usager de l’Internet, la difficulté de l’expression écrite et la sécheresse des messages laconiques qui apparaissent sur l’écran.
R. T. : C’est pourquoi l’accès au haut débit doit être généralisé ; cela permettra l’expression orale et même l’expression visuelle, par le geste et la mimique. Ainsi ce ne seront pas seulement des cerveaux qui communiqueront entre eux, mais des personnes vivantes.
Et les élus ? Comment feront-ils leur apprentissage ?
R. T. : C’est le but de l’association que je viens de créer en renonçant à mon poste de sénateur ; nous allons tisser une toile d’araignée de moniteurs sur tout le territoire français, en nous connectant avec tous les types de diffuseurs de l’Internet et aussi avec de nombreux conseillers de communication.
Croyez-moi, d’ici quatre ans, avant les prochaines élections municipales, il y aura du changement… et, d’ici votre année 2050 qui vous préoccupe tant, les modes de relations entre les êtres humains de toute la planète seront singulièrement modifiés.
René Trégouët est depuis trente et un ans Conseiller général de Saint-Laurent de Chamousset (Rhône) où il a fait surgir une centaine d’entreprises occupant plus de 2 000 personnes et disposant d’un réseau de télécommunications très moderne. Vice-président du Conseil général et sénateur jusqu’en septembre 2004 où il a choisi de s’investir dans une mission qu’il juge de grand avenir pour la France.