Quelle place économique pour la France dans le monde en 2050 ?

Dossier : Le territoire français en 2050Magazine N°605 Mai 2005
Par Pierre JACQUET (75)
Les trois articles qui suivent sont consa­crés au ter­ri­toire fran­çais en 2050 et font suite au numé­ro de mars 2005.
Pour com­plé­ter cet ensemble, un article sur la poli­tique ali­men­taire, venant d’être reçu, paraî­tra dans un numé­ro ultérieur.
À quoi res­sem­ble­ra l’é­co­no­mie fran­çaise au milieu du XXIè siècle ? Cette inter­ro­ga­tion n’ap­pelle pas une réponse déter­mi­niste : l’a­ve­nir de notre pays dépend des ini­tia­tives et acti­vi­tés de ses rési­dents, des poli­tiques éco­no­miques qui y seront menées, des objec­tifs qui seront pour­sui­vis, de l’en­vi­ron­ne­ment inter­na­tio­nal, de sa capa­ci­té à contri­buer, par la pour­suite de l’in­té­gra­tion euro­péenne, à l’é­mer­gence d’une véri­table culture de l’ac­tion col­lec­tive sur le conti­nent européen.

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Pour abor­der cette réflexion, il convient de mettre entre paren­thèses les débats de court terme qui dominent l’ex­pres­sion média­tique et bour­sière : l’a­na­lyse éco­no­mique conjonc­tu­relle apporte peu d’in­for­ma­tions per­ti­nentes pour appré­hen­der l’é­vo­lu­tion à long terme de l’é­co­no­mie fran­çaise, sous réserve cepen­dant d’ef­fets réma­nents pos­sibles des poli­tiques de court terme (voir par exemple Bénas­sy-Qué­ré et al., p. 405–407). La crois­sance qui compte, pour l’a­ve­nir, est celle que les éco­no­mistes appellent « crois­sance poten­tielle », à savoir celle de la « pro­duc­tion poten­tielle » ou valeur ajou­tée qu’un pays est capable de pro­duire sans ten­sions infla­tion­nistes, compte tenu des fac­teurs de pro­duc­tion dont il dis­pose et de sa pro­duc­ti­vi­té. Cette notion n’est certes pas faci­le­ment mesu­rée, mais elle condi­tionne en quelque sorte la « vitesse limite » du déve­lop­pe­ment d’une éco­no­mie. En deçà, les fac­teurs sont sous-uti­li­sés ; au-delà, il y a risque d’in­fla­tion. La crois­sance poten­tielle fait abs­trac­tion des cycles éco­no­miques ; ses déter­mi­nants condi­tionnent l’ap­proche pros­pec­tive de la crois­sance à long terme.

Il est utile d’a­dop­ter une pers­pec­tive longue et de reve­nir sur les cin­quante der­nières années. Les « trente glo­rieuses », entre 1945 et 1975, ont été celles du rat­tra­page de l’é­co­no­mie amé­ri­caine par les éco­no­mies euro­péennes et le Japon. Ce pro­ces­sus, cepen­dant, s’est inter­rom­pu dans les années quatre-vingt. En ce qui concerne la France, son reve­nu par habi­tant (en dol­lars de pari­té de pou­voir d’a­chat) passe de 60 % du reve­nu par habi­tant amé­ri­cain en 1960 à plus de 80 % au début des années soixante-dix, stagne en niveau rela­tif dans les années soixante-dix et quatre-vingt, puis amorce un déclin sen­sible dans les années quatre-vingt-dix pour atteindre envi­ron 75 % en 2004. Le rat­tra­page a donc été par­tiel, et s’est en par­tie retour­né. Le risque existe, noté dans le Rap­port Cam­des­sus (2004), que la France soit en train de « décrocher ».

Faut-il s’inquiéter d’une croissance atone ?

Cette inter­ro­ga­tion, évi­dem­ment cen­trale, est moins simple qu’il n’y paraît. L’in­di­vi­du et la socié­té pour­suivent en effet d’autres objec­tifs que la crois­sance éco­no­mique – défi­nie comme la varia­tion annuelle du Pro­duit inté­rieur brut ou PIB, c’est-à-dire la valeur ajou­tée totale. Le chiffre du reve­nu ou PIB par habi­tant donne une repré­sen­ta­tion très réduc­trice du niveau de vie. Ce der­nier, par défi­ni­tion une moyenne, ne dit rien par exemple sur la répar­ti­tion des reve­nus, et l’on sait que la crois­sance elle-même ne béné­fi­cie pas néces­sai­re­ment auto­ma­ti­que­ment aux plus pauvres. Le chiffre du PIB laisse éga­le­ment de côté d’im­por­tants déter­mi­nants du niveau de vie : les acti­vi­tés non mar­chandes et la satis­fac­tion que peut pro­cu­rer le loi­sir ne sont pas bien comp­ta­bi­li­sées dans les chiffres de crois­sance ; le cal­cul du PIB ignore aus­si les dom­mages au patri­moine natu­rel ou aux condi­tions de vie qu’en­traînent les pro­ces­sus de pro­duc­tion ou de consom­ma­tion, par la pol­lu­tion atmo­sphé­rique, visuelle ou sonore, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, l’at­teinte à la bio­di­ver­si­té. Le taux de crois­sance du Pro­duit inté­rieur brut ne doit donc pas faire l’ob­jet d’un féti­chisme aveugle.

La crois­sance, cepen­dant, condi­tionne la taille rela­tive des éco­no­mies. Or, la taille n’est pas indif­fé­rente. Elle per­met de mobi­li­ser les éco­no­mies d’é­chelle, objec­tif impor­tant du pro­ces­sus d’in­té­gra­tion euro­péenne. Elle ali­mente aus­si le jeu d’in­fluence res­pec­tive des nations. Un dif­fé­ren­tiel de crois­sance sou­te­nu conduit à des dif­fé­rences très mar­quées de la taille abso­lue et rela­tive des éco­no­mies après quelques décen­nies. En 1913, le PIB par tête de l’Ar­gen­tine est de 70 % supé­rieur à celui de l’Es­pagne ; ce der­nier lui est aujourd’­hui supé­rieur de 50 %. De même, celui du Gha­na dépasse de 50 % celui de la Corée du Sud au len­de­main de la Seconde Guerre mon­diale, pour ne plus en repré­sen­ter aujourd’­hui qu’un dixième (Bénas­sy-Qué­ré et al., 2004, p. 348). Une hausse d’un point de la crois­sance poten­tielle de la zone euro, de 2 % à 3 %, per­met­trait en termes rela­tifs d’ac­croître le reve­nu de la zone d’un tiers après trois décen­nies et des deux tiers en un demi-siècle. Sur plu­sieurs décen­nies, la place des pays et leur influence peuvent être pro­fon­dé­ment modifiées.

Le taux de crois­sance poten­tiel repré­sente donc un enjeu poli­tique majeur. L’in­fluence de la France dans le monde passe, certes, par l’U­nion euro­péenne et le ren­for­ce­ment de sa capa­ci­té d’ac­tion col­lec­tive. Mais la crois­sance des pays membres est l’une des condi­tions du main­tien de leur rang, de leur capa­ci­té à pré­ser­ver leur auto­no­mie, leur capa­ci­té à défi­nir des pré­fé­rences col­lec­tives et des choix de socié­tés qui leur seront propres, de conti­nuer à jouer un rôle moteur dans l’in­té­gra­tion euro­péenne. C’est d’au­tant plus impor­tant aujourd’­hui que de grands pays semblent avoir « décol­lé » ou être en passe de le faire. La Chine, l’Inde, dans une moindre mesure le Bré­sil, seront demain les grandes puis­sances mon­diales. Leur émer­gence signi­fie que d’im­menses mar­chés sont en créa­tion et ali­men­te­ront la crois­sance mon­diale. Mais elle s’ac­com­pa­gne­ra éga­le­ment de nou­veaux bou­le­ver­se­ments des hié­rar­chies éco­no­miques et poli­tiques. À l’ho­ri­zon des pro­chaines décen­nies, pour la France comme pour l’Eu­rope, l’en­jeu est d’é­ta­blir avec ces grandes puis­sances en deve­nir des par­te­na­riats éco­no­miques et poli­tiques suf­fi­sam­ment robustes. Une Union euro­péenne dyna­mique et inté­grée y par­vien­dra mieux qu’une col­lec­tion de pays insuf­fi­sam­ment coor­don­née et dont la crois­sance éco­no­mique res­te­rait atone.

C’est aus­si la crois­sance éco­no­mique qui donne aux socié­tés les moyens de choi­sir leur des­tin, d’or­ga­ni­ser la redis­tri­bu­tion de façon durable et d’œu­vrer pour les pré­fé­rences col­lec­tives. Avec des poli­tiques sociales appro­priées, elle per­met à la fois la satis­fac­tion de nom­breux besoins per­son­nels et la pro­duc­tion de biens col­lec­tifs comme la san­té, la pro­tec­tion sociale ou la sécurité.

L’ob­ser­va­tion des ten­dances pas­sées n’est pas en la matière de bon augure. Le taux de crois­sance poten­tielle de la France et de l’U­nion euro­péenne semble pla­fon­ner aux envi­rons de 2 % par an. C’est un han­di­cap majeur qui, sauf à trou­ver les clefs d’une accé­lé­ra­tion, obère les pers­pec­tives éco­no­miques à l’ho­ri­zon 2050. Le som­met de Lis­bonne, en 2000, orien­tait les poli­tiques publiques euro­péennes vers la recherche d’un sur­saut de crois­sance poten­tielle en posi­tion­nant l’U­nion comme « l’é­co­no­mie de la connais­sance la plus com­pé­ti­tive et la plus dyna­mique du monde ». Les recom­man­da­tions faites à Lis­bonne appa­raissent rétros­pec­ti­ve­ment comme un vœu pieux. Bien plus, les réa­li­sa­tions remar­quables de l’U­nion euro­péenne dans les deux der­nières décen­nies du xxe siècle (mar­ché unique, mon­naie unique) n’ont pas per­mis de rele­ver le taux de crois­sance poten­tielle de la zone. La com­pa­rai­son avec les États-Unis depuis le milieu des années 1990 est édi­fiante. La crois­sance poten­tielle amé­ri­caine, même après l’ex­plo­sion de la bulle des nou­velles tech­no­lo­gies, reste sou­te­nue. L’un des grands spé­cia­listes amé­ri­cains de la pro­duc­ti­vi­té, Robert Gor­don (2003), estime que la pro­duc­tion poten­tielle amé­ri­caine devrait dans les vingt pro­chaines années croître à un rythme annuel de 3,28 %.

Des perspectives de croissance à long terme peu encourageantes

À long terme, le niveau du Pro­duit inté­rieur brut (PIB) est déter­mi­né par la démo­gra­phie et le pro­grès tech­nique. Ni l’un ni l’autre ne sont exo­gènes. Les ten­dances actuelles, cepen­dant, ne sont guère favo­rables en France ou en Europe.

Une démographie de déclin

Dans le scé­na­rio moyen des pro­jec­tions des Nations unies mises à jour en 2002, la popu­la­tion fran­çaise croît modé­ré­ment jus­qu’en 2040 envi­ron (de 60 mil­lions en 2003 à 64,8 mil­lions en 2040) puis se met à décroître. La popu­la­tion de l’Eu­rope décroît de 728 mil­lions en 2000 à 632 mil­lions en 2050. Celle du Japon décroît à par­tir de 2010, de 128 mil­lions à 110 mil­lions en 2050, celle de l’Al­le­magne éga­le­ment (de 82,5 mil­lions en 2010 à 79 mil­lions en 2050). Par­mi les grands pays indus­tria­li­sés, seuls les États-Unis voient leur popu­la­tion conti­nuer de s’ac­croître sur la période, de 285 mil­lions d’ha­bi­tants en 2000 à 408,7 mil­lions en 2050. Ces pré­vi­sions sont très dépen­dantes des hypo­thèses faites sur les taux de mor­ta­li­té et de fécon­di­té et se fondent sur des hypo­thèses sta­tiques concer­nant les pra­tiques et poli­tiques migra­toires. Elles sont donc intrin­sè­que­ment d’une fia­bi­li­té dis­cu­table. Tou­jours dans le scé­na­rio moyen des Nations unies, la France est au 20e rang en termes de popu­la­tion en 2000 et passe au 28e en 2050, l’Al­le­magne passe du 12e au 21e rang, la Rus­sie du 6e au 18e, les États-Unis conservent leur 3e rang der­rière l’Inde et la Chine. En 2050, le monde com­pren­dra 8 pays de plus de 200 mil­lions d’ha­bi­tants : l’Inde, la Chine, les États-Unis, le Pakis­tan, l’In­do­né­sie, le Nige­ria, le Ban­gla­desh et le Brésil.

Évo­lu­tion pro­je­tée de la popu­la­tion active française
Source : INSEE
www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/population_active.htm

La struc­ture de la popu­la­tion, elle aus­si, se déforme, avec une aug­men­ta­tion de l’âge moyen et de la pro­por­tion des per­sonnes âgées. Tou­jours dans le scé­na­rio moyen des Nations unies, la pro­por­tion des plus de 60 ans dans la popu­la­tion fran­çaise pas­se­rait de 20,5 % en 2000 à 32,3 % en 2050 ; cette évo­lu­tion est assez repré­sen­ta­tive de l’é­vo­lu­tion démo­gra­phique dans l’U­nion euro­péenne. En revanche, ce même ratio aux États-Unis n’at­tein­drait en 2050 que 25,5 %. Comme le rap­pellent oppor­tu­né­ment Agliet­ta et al. (2003), il faut se gar­der de conclu­sions trop hâtives sur l’im­pact de ce phé­no­mène. Les pro­grès de la san­té et le recul de la mor­ta­li­té peuvent en effet conduire à adop­ter un indi­ca­teur rela­tif de mesure de l’âge, et à par­ler non de vieillis­se­ment de la popu­la­tion, mais d’un recul du vieillis­se­ment. Cepen­dant, à com­por­te­ments et régle­men­ta­tions constants, ce » vieillis­se­ment » démo­gra­phique conduit à une baisse de la popu­la­tion en âge de tra­vailler, et à une baisse de la popu­la­tion active – même si l’Eu­rope s’en­gage dans la voie tra­cée à Lis­bonne, qui pré­co­nise un taux d’ac­ti­vi­té de 70 %. Les pré­vi­sions de l’IN­SEE pour la France annoncent que la popu­la­tion active fran­çaise attein­dra un maxi­mum en 2007 et bais­se­ra ensuite (voir gra­phique ci-des­sous). Tou­jours à com­por­te­ments et régle­men­ta­tions constants, le vieillis­se­ment conduit éga­le­ment à un accrois­se­ment mar­qué du » ratio de dépen­dance » du nombre de retrai­tés rap­por­té au nombre d’actifs.

Il est pos­sible de cor­ri­ger cette ten­dance à la dimi­nu­tion de la popu­la­tion active en met­tant en œuvre des poli­tiques actives visant à sti­mu­ler l’offre de tra­vail, par exemple une remon­tée de l’âge effec­tif de ces­sa­tion d’ac­ti­vi­té, une inci­ta­tion à l’ac­ti­vi­té ou un encou­ra­ge­ment de l’im­mi­gra­tion. Le fac­teur migra­toire, par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile à appré­hen­der, peut sen­si­ble­ment modi­fier les pré­vi­sions démo­gra­phiques. Gil­bert Cette (2004) indique que l’im­mi­gra­tion a accru la crois­sance annuelle de la popu­la­tion active amé­ri­caine de 0,5 à 1 point de pour­cen­tage sur la der­nière décen­nie. Une poli­tique d’im­mi­gra­tion volon­ta­riste et sélec­tive (accueil de migrants qua­li­fiés et accom­pa­gnés d’en­fants) contri­bue­rait, comme le montre l’é­tude de l’I­fri (Miot­ti et Sach­wald, 2004), à atté­nuer cer­tains des traits men­tion­nés ci-des­sus, ren­for­ce­rait la capa­ci­té d’in­no­va­tion et accroî­trait le poten­tiel de crois­sance. Mais elle repré­sen­te­rait aus­si d’im­por­tants enjeux d’in­té­gra­tion sociale et de poli­tiques publiques et appro­fon­di­rait le dilemme entre une vision de court terme qui consi­dère les migrants comme des concur­rents sur le mar­ché du tra­vail en période de chô­mage, et un impé­ra­tif de dyna­misme de la popu­la­tion active sur le long terme.

Pour com­prendre les déter­mi­nants de la crois­sance de façon plus détaillée, il est d’u­sage de par­tir d’une décom­po­si­tion comp­table du PIB par habi­tant. Le PIB lui-même est égal au pro­duit entre le nombre d’heures total tra­vaillées et la pro­duc­ti­vi­té horaire moyenne. On peut ain­si écrire :

Q = Q/H x H/L x L/A x A/T x T/N x N

où Q est la pro­duc­tion, H le nombre d’heures tra­vaillées, L le nombre de per­sonnes employées, A la popu­la­tion active, T la popu­la­tion en âge de tra­vailler et N la popu­la­tion totale.

L’i­den­ti­té ci-des­sus implique que le taux de crois­sance du PIB par habi­tant Q/N est la somme des taux de crois­sance de la pro­duc­ti­vi­té horaire Q/H, du nombre moyen d’heures tra­vaillées par employé H/L, du taux d’emploi L/A, du taux d’ac­ti­vi­té A/T, et de la pro­por­tion de la popu­la­tion en âge de tra­vailler T/N. Cette iden­ti­té sou­ligne cinq com­po­santes comp­tables essen­tielles de la crois­sance à long terme du reve­nu poten­tiel par habitant.

Part de la popu­la­tion des 25–64 ans n’ayant pas atteint le second cycle du secon­daire, 2002
France 35%
Alle­magne 27%
Corée 30%
Suède 18%
Japon 16%
Royaume-Uni 16%
États-Unis 13%
Source : OCDE, Regards sur l’éducation, 2004

Cepen­dant, les dif­fé­rentes com­po­santes de l’i­den­ti­té comp­table ne sont a prio­ri pas indé­pen­dantes les unes des autres, et l’i­den­ti­té est muette sur les rela­tions cau­sales. L’é­tude appro­fon­die de Gil­bert Cette (2004) sou­ligne la com­plexi­té du lien entre pro­duc­ti­vi­té, crois­sance, PIB par habi­tant et emploi, et attire l’at­ten­tion sur les insuf­fi­sances de l’ap­proche comp­table. Par exemple, le reve­nu par habi­tant de la France est infé­rieur d’en­vi­ron 25 % à celui des États-Unis ; cet écart peut se décom­po­ser en un avan­tage de pro­duc­ti­vi­té horaire pour la France (envi­ron 5 %), et un coût de 30 %, dû à par­ties égales à une moindre durée du tra­vail et un taux d’emploi plus faible en France. Mais la fai­blesse du taux d’emploi fran­çais gonfle arti­fi­ciel­le­ment la pro­duc­ti­vi­té horaire moyenne, puisque les tra­vailleurs qui conservent leur emploi ont une pro­duc­ti­vi­té supé­rieure à ceux qui se retrouvent au chômage.

Gil­bert Cette (2004) en déduit une mesure « struc­tu­relle » de la pro­duc­ti­vi­té horaire, cor­ri­gée pour les écarts de taux d’emploi et de durée du tra­vail vis-à-vis des États-Unis, et qui donne alors un avan­tage clair à ces der­niers (envi­ron 7 % par rap­port à la France). Cette ana­lyse confirme que ce sont bien les États-Unis qui défi­nissent la fron­tière d’ef­fi­cience tech­no­lo­gique pour le monde entier, et invite à faire por­ter les efforts sur les gains de pro­duc­ti­vi­té et sur l’innovation.

Certes, tout gain de PIB n’est pas néces­sai­re­ment per­çu comme une amé­lio­ra­tion du niveau de vie s’il s’ac­com­pagne d’une dété­rio­ra­tion de la per­cep­tion de confort par les popu­la­tions ou s’il va à l’en­contre d’une authen­tique « pré­fé­rence pour le loi­sir ». Encore faut-il être capable de mesu­rer cor­rec­te­ment de telles per­cep­tions ou pré­fé­rences sociales et pou­voir, dans un monde très concur­ren­tiel, pré­ser­ver les moyens d’as­su­mer de telles préférences.

Une dynamique d’innovation insuffisante

Le modèle de crois­sance par l’in­no­va­tion, dans lequel l’é­co­no­mie amé­ri­caine s’est clai­re­ment enga­gée, remet à l’hon­neur le pro­ces­sus « schum­pé­té­rien » de « des­truc­tion créa­trice ». Or, ce pro­ces­sus ne fonc­tionne pas bien en France, où la des­truc­tion de capa­ci­tés obso­lètes est tou­jours vécue comme un drame plu­tôt que comme le moyen de libé­rer les res­sources néces­saires au déve­lop­pe­ment des nou­velles acti­vi­tés. La consé­quence est une rela­tive iner­tie de la struc­ture sec­to­rielle de la pro­duc­tion. Miot­ti et Sach­wald (2004) y voient l’une des rai­sons dans une régle­men­ta­tion éle­vée et une insuf­fi­sante concur­rence sur le mar­ché des biens, qui consti­tuent une pro­tec­tion pour les entre­prises en place et limitent les inci­ta­tions à réa­li­ser des inves­tis­se­ments de productivité.

L’é­co­no­mie de la connais­sance et la dyna­mique d’in­no­va­tion asso­ciée reposent éga­le­ment sur deux piliers : l’en­sei­gne­ment supé­rieur et la recherche. La qua­li­fi­ca­tion de la popu­la­tion active est une condi­tion de l’in­tro­duc­tion et de la dif­fu­sion des nou­velles tech­no­lo­gies dans les pro­ces­sus de pro­duc­tion. Or, l’en­sei­gne­ment supé­rieur est com­pa­ra­ti­ve­ment négli­gé en France (Aghion et Cohen, 2004). Les sta­tis­tiques de l’OCDE montrent que la part de la popu­la­tion active attei­gnant le deuxième cycle du secon­daire est plus faible en France qu’aux États-Unis ou que dans de nom­breux autres pays.

Quant à l’in­ves­tis­se­ment de recherche et déve­lop­pe­ment, il condi­tionne les pro­grès de la pro­duc­ti­vi­té dans les sec­teurs de haute tech­no­lo­gie. Or l’ef­fort de recherche fran­çais, notam­ment pri­vé, est insuf­fi­sant. Ces pro­blèmes sont aujourd’­hui connus et lar­ge­ment documentés.

Conclusion

Scé­na­rios
Source : cal­culs à par­tir des chiffres de PIB par habi­tant et scé­na­rios de crois­sance poten­tielle pré­sen­tés et dis­cu­tés dans CETTE (2004) et des pré­vi­sions démo­gra­phiques des Nations unies (2002, variante moyenne).

La prise en compte de ces dif­fé­rents élé­ments conduit à des scé­na­rios de crois­sance poten­tielle pour la France assez déca­pants. Miot­ti et Sach­wald (2004) consi­dèrent que « le taux de crois­sance de 3 % qui per­met­trait de faire fondre le chô­mage et les défi­cits publics semble en effet hors d’at­teinte ». D’a­près eux, le scé­na­rio ten­dan­ciel repose plu­tôt sur une pers­pec­tive de crois­sance de 1,2 % à l’ho­ri­zon 2030. Ils pensent que la France peut atteindre une crois­sance poten­tielle de 2,1 %, au prix d’un effort volon­ta­riste visant à limi­ter le déclin de la popu­la­tion active et à sti­mu­ler l’innovation.

Ces poli­tiques impli­que­raient une évo­lu­tion des ins­ti­tu­tions éco­no­miques et sociales et de l’at­ti­tude vis-à-vis des migrants et du pro­grès scien­ti­fique et tech­nique. La tâche s’an­nonce donc rude. Même dans le cas de ce scé­na­rio volon­ta­riste, la per­for­mance est très insuf­fi­sante pour mettre la France dans une nou­velle dyna­mique de rat­tra­page des États-Unis.

Gil­bert Cette (2004, p. 48) confirme la sobrié­té de cette ana­lyse. Il anti­cipe une crois­sance poten­tielle annuelle d’en­vi­ron 2,5 % aux États-Unis, 2 % dans les pays euro­péens et 1,25 % au Japon entre 2005 et 2020, puis 2,75 % aux États-Unis, 1,75 % en France et au Royaume-Uni, 1,25 % en Alle­magne, Espagne et Ita­lie, et 1 % au Japon sur la période 2020–2050. À ce rythme, le PIB par habi­tant de la France ne vau­drait plus que la moi­tié du PIB par habi­tant amé­ri­cain en 2050.

L’é­tat des lieux n’est donc pas encou­ra­geant, même si la France semble s’en sor­tir mar­gi­na­le­ment mieux que d’autres grands pays euro­péens. Il est d’au­tant plus urgent d’o­rien­ter les poli­tiques publiques vers le sou­tien de l’in­no­va­tion et de l’ac­ti­vi­té. Les pré­vi­sions ne font que pro­je­ter le pré­sent : elles sont faites pour être démenties.

Dans les années 1980, le dis­cours domi­nant aux États-Unis por­tait sur le défi japo­nais, le déclin de la pro­duc­ti­vi­té et le risque de dés­in­dus­tria­li­sa­tion. Les années 1990 ont don­né à ce pays un élan qu’au­cune étude n’an­ti­ci­pait. On ne peut que sou­hai­ter que les scé­na­rios exis­tants aient le même sort. L’a­na­lyse des pers­pec­tives de crois­sance de la France et l’exemple amé­ri­cain forment un vibrant appel à l’action.

Références bibliographiques

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