Thales et les systèmes terrestres : une stratégie internationale
Dans le domaine de la défense, c’est le besoin d’autonomie stratégique qui tire le nationalisme économique : la souveraineté nationale exige de disposer, sur son territoire, de tous les moyens industriels indispensables à la survie nationale en cas de crise.
Or, avec la sophistication et les coûts de développement croissants des technologies de défense, plus aucun État, en dehors des États-Unis, ne peut développer seul tout le spectre des technologies nécessaires. C’est ainsi que se sont développés les transferts de technologie – par exemple, le partage de valeur ajoutée liée aux contrats d’acquisition – et surtout en Europe, les programmes en coopération d’États à États comme les hélicoptères Tigre et NH 90, les frégates multimissions ou les avions de transport A 400 M.
Avec la réduction des menaces de la guerre froide et l’émergence des technologies duales plus faciles à partager, Thales a pu développer un modèle original qui est au coeur de sa réussite et qui est un compromis entre développement local autonome et synergies à l’intérieur du groupe.
Le multidomestique : un modèle original
Être multidomestique, c’est d’abord répondre aux attentes de clients nationaux qui souhaitent disposer, sur leur sol, des moyens techniques et industriels nécessaires à leur politique de défense. Pour cela, dans chaque pays où il possède des implantations, filiales à 100 % ou joint ventures, le groupe organise le développement d’entités authentiquement nationales, favorise le renforcement des compétences et la création de valeur ajoutée locale qui peut aller jusqu’au soutien au réexport. Chaque entité est capable de traiter des dossiers confidentiels nationaux, à l’insu du reste du groupe et sous le contrôle étroit de ses autorités.
Être multidomestique, c’est aussi organiser les synergies au sein de l’entreprise : c’est un réseau international d’échanges croisés entre les différentes entités du groupe : échanges d’idées, de savoir-faire et de technologies de base, partageables ; échanges d’expériences pour une plus grande solidarité des équipes face à des enjeux toujours plus globaux.
Dans ces mécanismes, nous sommes aidés par l’accroissement du caractère dual des technologies stratégiques des communications et des systèmes d’information. Dans ce domaine, l’implantation locale n’a pas besoin de maîtriser 100 % de la technologie, elle doit en maîtriser l’intégration, la sécurisation, l’adaptation, la maintenance, l’évolution, ce qui, dans un certain nombre d’applications sensibles, est suffisant.
Comparativement à d’autres secteurs industriels moins sensibles et devenus totalement internationaux, les synergies entre entités sont parfois moins poussées pour respecter les contraintes locales de transferts de technologie. C’est le prix à payer au caractère national de ces activités. Mais le résultat est spectaculaire dans le domaine des armements terrestres.
En effet, ce modèle multidomestique a été appliqué aux systèmes terrestres. Avec des équipes dans 20 pays travaillant pour plus de 100 armées de terre, le groupe est un acteur de tout premier plan dans ce domaine, générant plus de 3 milliards d’euros de revenu annuel. Au-delà des 10 pays européens, nos activités systèmes terrestres disposent d’implémentations industrielles en forte croissance en Amérique du Nord, Australie, Corée du Nord, Afrique du Sud et Malaisie.
L’évolution technologique du secteur
Le secteur des systèmes terrestres est marqué par une profonde mutation. En effet, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (« NTIC ») bouleversent les modes opératoires et les chaînes de commandement militaire.
Recueillir, traiter et diffuser l’information a toujours été le nerf de la guerre. Avec les progrès exponentiels des « NTIC », la maîtrise de l’information prend une dimension nouvelle. Les capteurs, les moyens de décision et les systèmes d’armes peuvent être mis en réseau en temps réel, le partage de l’information peut se généraliser pour faciliter l’engagement coopératif interarmées, interalliés ou interministériels.
Que représentent les activités terrestres du groupe THALES ?Il décline son offre en plusieurs grands métiers. 1) Maître d’œuvre, intégrateur de grands systèmes terrestres et interarméesIl fournit tous les systèmes déployés sur les théâtres d’opération et intègre ces solutions sur toutes les plates-formes (soldats, véhicules, robots terrestres, drones) : 2) Fournisseur d’équipements critiquesConception et développement des moyens de détection et de transmissions sécurisées qui garantissent l’interopérabilité indispensable dans la conduite des missions situées dans le cadre national ou multinational : 3) Fournisseur de services associés. |
Les grands États investissent largement dans les grands programmes dits de guerre infocentrée telle que la Bulle aéroterrestre française (BOA) décrite par ailleurs dans ce numéro. Dès aujourd’hui, la capacité à travailler en réseau peut être plus déterminante que le nombre de plates-formes engagées.
D’autres révolutions technologiques sont en marche, telles que la protection active des véhicules (détection-destruction rapprochée des menaces), les munitions intelligentes, l’architecture électronique des véhicules…
Tout cela modifie le métier des acteurs industriels traditionnels, plates-formistes, systémiers, équipementiers, avec des enjeux stratégiques renouvelés autour de la capacité d’intégrateur global des systèmes de défense, et des débats sur les limites de la verticalisation de ces activités. Les clients, quant à eux, incitent à toujours plus de transfert de responsabilité globale tant au niveau de la conception globale des systèmes qu’au soutien dans la durée de ces systèmes.
Dans cette préparation du futur, notre groupe est largement présent ; deux exemples l’illustrent. L’un en Grande-Bretagne, FIST pour « Future Integrated Soldier Technology », où nous préparons l’intégration de toutes les technologies pour l’équipement des soldats du futur : communication, optronique, énergie, vêtements, l’autre en France, la BOA, Bulle aéroterrestre, qui vise à préparer la mise en réseau de tout ce qui contribue au combat de l’avant (robotique, blindés, véhicules infanterie, drones, etc.).
La consolidation industrielle du secteur des armements terrestres
Contrairement aux domaines naval et aérospatial qui s’articulent autour de grandes plates-formes, les barrières d’entrée pour les équipements terrestres sont globalement plus faibles : la palette des véhicules est beaucoup plus large, depuis le blindé lourd, apanage d’un petit nombre d’industriels, mais pour lequel on ne voit pas de nouveau projet dans les deux prochaines décennies, jusqu’aux blindés légers qui partagent de nombreuses technologies avec l’industrie des véhicules utilitaires civils.
En conséquence, le paysage industriel de l’armement terrestre mondial reste encore morcelé, mais il commence à bouger. Deux grands mondiaux du secteur, General Dynamics et BAe Systems/United Defense, ont commencé à intégrer des plates-formes et de l’électronique, par acquisitions successives.
En Europe continentale, ce qui n’a pas été acquis par les deux grands reste encore très éclaté. Sans consolidation européenne, le reste pourrait se faire progressivement absorber par les deux grands pôles déjà existants.
L’essentiel des enjeux va tourner maintenant autour de l’Allemagne, de la France et de l’Italie où les jeux sont ouverts. C’est parce que Thales a su développer, grâce à son modèle multidomestique, des compétences originales en matière de partenariat, de compréhension de l’autre et de sa valeur ajoutée, que nous sommes particulièrement bien placés pour participer activement à ce mouvement de consolidation prévisible, dans lequel la dimension intégration de systèmes va prendre une place croissante.