Editorial
Voilà déjà bien longtemps que les chercheurs, ingénieurs et hommes d’affaires français contribuent, efficacement, au développement scientifique économique des Etats-Unis : aux tout débuts de la jeune république américaine, des anciens des armées napoléoniennes, notamment polytechniciens, ont aidé à créer West Point, à bâtir un réseau de fortifications pour protéger les côtes américaines encore menacées par l’ancienne puissance coloniale, ou à tracer la première voie de chemins de fer traversant les Appalaches. Plus tard, des noms comme ceux de Dupont de Nemours ou de Schlumberger sont devenus synonymes d’immenses succès industriels.
Le numéro de la revue mensuelle des anciens élèves de l’Ecole Polytechnique, La Jaune et la Rouge, consacré aux Etats-Unis, vient à point pour rappeler l’ampleur que cette contribution garde de nos jours et donner à ce sujet de précieuses informations. Elles sont statistiques, d’abord, encore qu’elles concernent plus spécialement les ingénieurs et scientifiques sortis des Grandes Ecoles. Mais elles se déclinent également en termes d’analyse fine, parfois proche de la psychanalyse, des motivations qui sous-tendent les quelques parcours qui y sont décrits, universitaires ou industriels, et des ingrédients de leur succès : attrait du risque ; acceptation du caractère inéluctable des changements, qui peuvent être pénibles, comme quand la restructuration d’une entreprise en difficultés impose des licenciements ; volonté de se couler dans un monde culturel souvent bien différent de celui qui prévaut en France, ou même en Europe… Il est frappant de constater qu’aucune des carrières à succès présentées ne s’est déroulée de façon continue dans un même environnement : passage de l’université à l’industrie d’une grande entreprise à une société en création sont la règle, autant que la mobilité géographique.
Car la société américaine elle-même est ainsi faite, et elle impose à qui veut y réussir de s’y adapter. Elle a ses faiblesses, for bien analysées : une spécialisation souvent trop précoce pour les étudiants, dès la fin des études secondaires et aux premières années des universités, au détriment de l’acquisition de disciplines de bases, voire de la formation culturelle ; une forme d’individualisme touchant parfois à la dureté ; un attrait sans failles aux changement, que manifeste, entre autres, son acceptation de toutes formes de formation continue ; une capacité à écouter et à expliquer, acquise dès les premières années de la vie, sur les bancs des écoles ; une aptitude à décider vite… Le succès du développement d’une économie américaine, souvent dynamique à l’exemple d’un secteur des télécommunications qui a su créer des sociétés championnes en taille et en innovation, découle largement de ces qualités : elle sait faire appel aux compétences, ou qu’elles se situent, se restructurer rapidement, même si c’est parfois brutalement, et s’appuyer sur une recherche publique qui bénéficie d’un financement généreux mais, surtout, qui favorise à la fois l’excellence et les initiatives de petits groupes.
Il serait intéressant de demander aux cadres américains qui travaillent en France de se livrer au même exercice, « en miroir ». Je suis convaincu que nous y découvrirons l’image d’une France dont la qualité de l’enseignement, de la recherche et des infrastructures, n’a rien à envier aux Etats-Unis tout en reflétant un héritage culturel fort différent. L’attraction réciproque demeure très forte. La lecture des médias en porte témoignage, comme l’ampleur des investissement croisés : les filiales des sociétés américains en France emploient le même nombre d’employés que les filiales des sociétés françaises aux Etats-Unis : entre 500 000 et 600 000, et les investissement dans les deux sens se poursuivent à un rythme rapide.