Assurer l’avenir en transformant l’entreprise : un pari fondé sur les femmes et les hommes
Ruptures technologiques, mutations rapides de la demande, croissance externe, stagnation voire perte de rentabilité : constamment pressées d’améliorer leurs performances et leurs résultats, nombre d’entreprises n’hésitent plus à investir dans de grands programmes de transformation mais leur mise en œuvre s’avère immanquablement plus exigeante que prévu. Pourtant, en repensant chacune des composantes de son Business Design et en respectant certaines règles-clés l’entreprise aura toutes les chances de réussir et de préserver son avenir ainsi que le démontrent celles dont les projets ont été couronnés de succès à l’instar d’Air France, de Renault ou de L’Oréal.
Contrer les menaces externes
En dehors du cas d’une baisse sensible des résultats, les principaux facteurs qui poussent une entreprise à se lancer dans un programme de transformation1 sont externes. Incertitudes conjoncturelles, ruptures technologiques, concurrence accrue, mutation de la demande, etc., constituent autant de défis invoqués par les dirigeants qui ont récemment lancé un programme de transformation.
L’ampleur de la transformation dépend de la position de l’entreprise sur son marché et de la maturité de ce dernier :
• la plus impérieuse est la situation « le dos au mur ». Sur un marché qui ne crée plus de valeur en raison notamment de la concurrence de compagnies de type low-cost et de la hausse du coût de l’énergie, les entreprises traditionnelles, sévèrement menacées, doivent revisiter leurs fondamentaux et repenser la nature de leurs métiers. Le secteur de l’aérien en est une bonne illustration. Ces dernières années, de nombreuses compagnies aériennes ont connu de graves difficultés entraînant parfois leur disparition tant aux États-Unis qu’en Europe. Pourtant, certaines ont mis en œuvre un processus de transformation radicale, telle Air France qui, au travers de sa privatisation, du hub de Roissy et du rapprochement avec KLM, a réussi à redresser la barre et à retrouver le chemin de la croissance ;
« Nous sommes exposés à une concurrence de plus en plus vive dans le secteur du tourisme, tant en France qu’en Europe… L’explosion des nouvelles technologies induit une connaissance immédiate du marché tandis que l’émergence de nouveaux modes de transport tels que les compagnies lowcost autorise l’accès à des destinations lointaines, grâce à des prix compétitifs. Nous nous trouvons donc dans un contexte de concurrence exacerbée » témoigne le PDG d’un grand groupe de tourisme…
• sur un marché plus stable, il peut s’agir de redresser la position concurrentielle, de regagner des parts de marché ou d’innover. Avec des situations très contrastées, le secteur de l’automobile en est assez emblématique. Si certains constructeurs plongent inéluctablement vers des résultats négatifs voire la faillite, d’autres, a contrario, réagissent vigoureusement pour faire face à la chute soudaine de leurs résultats, à l’image de Renault qui en 1997 perdait 4 milliards de francs. Après avoir conclu une alliance avec Nissan en 1999, l’entreprise en est à son deuxième plan de redressement. Le premier, basé sur une modernisation des structures et une réduction drastique des coûts, a généré 3 % de marge opérationnelle. Le second récemment présenté par Carlos Ghosn permettra à l’entreprise de gagner d’ici 2009 quelque 6 % de marge, en déployant la gamme véhicules à 26 nouveautés et en produisant près d’un million de véhicules supplémentaires pour les marchés à l’international ;
• le dernier cas concerne les sociétés agissant sur des marchés en croissance et dont les indicateurs sont en majorité favorablement orientés. Dans de telles conditions, la mobilisation des énergies internes est plus complexe pour consolider une position forte ou anticiper les évolutions de marché. Néanmoins, L’Oréal, avec une croissance à 2 chiffres depuis plus de vingt ans, relève quotidiennement ce défi. Inscrite dans un programme de changement permanent, cette entreprise se déploie sans cesse sur de nouveaux segments de clientèle (junior, ethnique, éthique, etc.) au travers par exemple de l’innovation produits, du rachat de sociétés comme Maybelline ou Body Shop ou de l’internationalisation de sa couverture commerciale avec 25 % des ventes dans les pays émergents.
Notons que dans tous les cas, en revanche, la propension de l’entreprise à se transformer est rarement inscrite dans son code génétique. À nos yeux, les meilleures en la matière sont celles qui ont réussi à intégrer le changement tant dans leur culture que dans leurs systèmes, du management des hommes à leur information et leur rémunération.
Mobiliser massivement…
« Nous avons commencé à travailler au cours du mois de septembre. Le séminaire de lancement des différents chantiers s’est tenu mi-décembre. Les équipes ont été composées. Un comité de pilotage a été institué. Les chantiers se sont déroulés jusqu’au milieu du mois d’avril. Ils ont impliqué une centaine de collaborateurs. Ils ont réussi à faire ce travail de remise en cause grâce à leur implication » témoigne le PDG d’un groupe de près de 9000 collaborateurs.
Sur le chemin de la transformation, les obstacles ne manquent pas : déficit de vision stratégique, manque d’implication en amont, réticences de toutes sortes, appropriation insuffisante des équipes, ambiguïté de la communication interne, incapacité à mesurer les impacts économiques…
Si le projet est démarré sans une forte mobilisation, les équipes internes peuvent difficilement se l’approprier ou s’extraire de leur quotidien. Or, selon l’ampleur de la transformation, elle peut exiger plusieurs dizaines d’équivalents temps plein au pic de charge pour des grands groupes. Nous sommes convaincus que la réussite dépend en grande partie de la capacité de l’entreprise à dégager tout ou partie du temps de ses équipes, allant souvent jusqu’à mettre en place une équipe dédiée à 100 % à la préparation et au pilotage de la mise en œuvre de la transformation.
… dans une architecture fondée sur de vrais engagements…
Le programme devra être structuré autour d’une vision stratégique claire et de grands axes de développement pour que le sens de l’ensemble des actions soit compris par tous. Une définition claire des rôles et responsabilités, un formalisme des engagements, des plans d’action et des échéances critiques facilitent grandement le pilotage par les dirigeants, la mobilisation des équipes ainsi que la communication interne et donc l’atteinte effective des objectifs.
Un programme de transformation ne signifie pas pour autant « réinventer la roue ». Plus de 50 % des chantiers à retenir existent déjà dans l’entreprise mais s’enlisent faute de temps, de ressources et de visibilité. La démarche a donc aussi vocation à accélérer les projets déjà existants.
Malgré une architecture clairement définie, la complexité de tels programmes entraîne fréquemment un risque d’essoufflement au sein de l’organisation. Seuls l’investissement fort et soutenu de la direction générale ainsi que l’engagement managérial et opérationnel permettent de maintenir le rythme et l’ambition du programme.
Le temps est l’étalon de la progression de la transformation au sein de l’entreprise. Même accéléré, un tel programme prend de dix-huit à vingt-quatre mois pour porter tous ses fruits. Des victoires rapides peuvent être obtenues de six à douze mois après le lancement et couvrent largement les coûts du programme mais chaque phase est cruciale et ne doit en aucun cas être négligée. Si tel était le cas, l’entreprise irait droit vers de véritables déconvenues lors du déploiement du projet.
… pour des résultats significatifs
Sur la foi de notre expérience, les résultats obtenus à l’issue d’un programme bien mené sont de l’ordre de 10 à 15 % de gains supplémentaires d’EBIT en pourcentage du chiffre d’affaires. Comme l’illustrent les exemples ci-dessus, la source de ces résultats, croissance des revenus ou baisse des coûts, est assez contrastée en fonction de la nature des entreprises et de leur secteur d’activité. Ces enjeux sont confirmés par l’ensemble des dirigeants interviewés par Mercer et qui ont récemment conduit une transformation : ils disent avoir réalisé en moyenne 12 % de croissance de chiffre d’affaires et obtenu des réductions de coûts de 5 à 10 %.
Les dirigeants s’interrogent souvent sur le temps requis pour récolter les fruits d’un programme de transformation de façon tangible. L’expérience montre qu’il y a un véritable impact à court terme sous forme de victoires rapides et que, dès la première année de mise en œuvre, les résultats s’améliorent. Dans la majorité des cas, ce sont même ces résultats à court terme qui autofinancent le projet de transformation. Pour ce qui est de l’impact réel en année pleine, les résultats sont généralement produits en totalité au bout de la troisième année.
… mais pas sans revisiter le Business Design de l’entreprise
La qualité de l’exécution, nous l’avons vu, est primordiale mais cela ne doit pas faire oublier qu’un projet de transformation est avant tout une combinaison réussie entre stratégie, organisation et exécution. Il serait vain de démarrer un tel projet sans revisiter le Business Design de l’entreprise et l’ensemble de ses composantes. C’est ce que confirment plus des deux tiers des dirigeants interviewés et ayant conduit un programme de transformation. Souvent aussi l’organisation évolue pour répondre aux nouveaux enjeux.
Trois conseils pour conclure
Ne cédez pas aux idées reçues !
Pour créer le changement, voire même dans certains cas la rupture, la décision seule ne suffit pas à générer des résultats. La mobilisation du top et du middle management autour d’un projet de transformation clairement défini est prépondérante.
Ne confondez pas objectifs et moyens !
S’il faut des moyens pour atteindre les objectifs… ceux-ci doivent toujours être ajustés en fonction des objectifs et non l’inverse. Quant à l’organisation, bien qu’importante, elle doit rester un moyen au service de la performance.
Enfin, un programme ne peut réussir que s’il devient un véritable enjeu d’entreprise partagé par tous et qu’il s’appuie sur une dynamique entièrement nouvelle.
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Georges Vialle est directeur au sein du cabinet de conseil en stratégie et transformation Mercer Management Consulting. Il dirige la pratique télécommunications, technologies et médias au bureau de Paris.
1. Source : enquête Mercer Management Consulting sur les stratégies de transformation menée auprès de plus de 50 dirigeants de grands groupes européens (juin 2006).