Vers une sécurité sociale professionnelle
Dans le domaine de l’emploi, une sécurité sociale professionnelle devrait garantir un revenu décent et un accompagnement de qualité de tous les demandeurs d’emploi en permettant une reconversion vers les métiers d’avenir. Pour atteindre un tel objectif, il faut mener une réforme coordonnée du service public de l’emploi et du contrat de travail tout en favorisant l’innovation par une déréglementation des marchés des produits. Nous présentons brièvement les linéaments de la réforme pour les deux premiers points (service public de l’emploi et contrat de travail) et détaillons un peu plus les éléments du diagnostic pour le troisième (la concurrence) car il est malheureusement trop souvent absent des débats en France qui se focalisent la plupart du temps sur la rigidité du marché du travail.
Les salariés français sont confrontés à des risques importants de perte d’emploi. En effet, il y a chaque jour 30 000 départs de l’emploi, départs s’effectuant dans des conditions souvent difficiles. Il y a aussi 30 000 embauches, en grande majorité en contrat à durée déterminée. Ces mouvements de main-d’œuvre sont indispensables pour garantir la recomposition de l’appareil productif à l’origine de la croissance. Néanmoins, selon plusieurs indicateurs, la France est le pays industrialisé où le sentiment d’insécurité de l’emploi est le plus élevé. Pourtant les destructions d’emplois n’y sont pas plus nombreuses qu’ailleurs. Mais, en France, la précarité et l’exclusion associées aux restructurations de l’emploi résultent d’une insuffisante mutualisation des risques.
Pour mutualiser de tels aléas tout en favorisant la croissance, il est indispensable de créer les éléments constitutifs d’une « sécurité sociale professionnelle » pour passer d’une logique qui protège les emplois existants à une logique qui favorise la mobilité en assurant les salariés tout au long de leur parcours professionnel.
La Sécurité sociale, instituée en France par les ordonnances de 1945, avait pour objectif de garantir « à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère ».
Le risque chômage n’était pas visé dans le plan de Sécurité sociale de 1945. Ce n’est qu’en 1958 que fut signé un accord national interprofessionnel instituant un régime d’allocations en faveur des travailleurs sans emploi de l’industrie et du commerce, en complément du régime d’assistance légal. Aujourd’hui, il faut aller de l’avant en créant un système cohérent, intégrant l’aide à la recherche d’emploi et l’assurance chômage. Certes, une sécurité sociale professionnelle aussi performante soit-elle ne pourra garantir un emploi pour chacun à chaque instant de sa carrière, tout comme la Sécurité sociale ne peut garantir une guérison instantanée pour tous. En matière de santé, la Sécurité sociale doit garantir l’accès à des soins de qualité pour tous.
Dans le domaine de l’emploi, une sécurité sociale professionnelle devrait garantir un revenu décent et un accompagnement de qualité de tous les demandeurs d’emploi en permettant une reconversion vers les métiers d’avenir. Pour atteindre un tel objectif, il faut mener une réforme coordonnée du service public de l’emploi et du contrat de travail tout en favorisant l’innovation par une déréglementation des marchés des produits.
Nous présentons brièvement les linéaments de la réforme pour les deux premiers points (service public de l’emploi et contrat de travail). Nous détaillons un peu plus les éléments du diagnostic pour le troisième (la concurrence) car il est malheureusement trop souvent absent des débats en France qui se focalisent la plupart du temps sur la rigidité du marché du travail.
Améliorer l’accompagnement et la formation des demandeurs d’emploi en affirmant le rôle de l’État
Cela conduit à affirmer le rôle de l’État en lui donnant les moyens de coordonner l’ensemble des processus de reclassement. Précisément, si l’on veut verser des indemnités chômage plus généreuses et mieux accompagner les chercheurs d’emploi, il faut poser le principe d’un traitement différencié, donc se donner les moyens d’évaluer toute personne entrant au chômage, et cibler les dépenses sur les personnes qui en ont le plus besoin : guichet unique et « profilage » des demandeurs d’emploi sont donc deux priorités pour assurer une bonne prise en charge.
La mutualisation des ressources autour du service public devra constituer une garantie de solidarité. Elle permettra aussi de poursuivre la professionnalisation du placement et du reclassement ; les opérateurs externes, auxquels il est déjà largement fait recours, étant rémunérés en fonction des caractéristiques du demandeur d’emploi et de la réussite de la réinsertion dans l’emploi : des opérateurs seront payés en trois fois ; au moment de la prise en charge du demandeur d’emploi, au moment où ce demandeur retrouve un emploi, six mois plus tard si cette personne est toujours en emploi. L’intervention des opérateurs doit être encadrée par un cahier des charges précis, en particulier en matière de formation. Le service public de placement renforcé se substituera à l’obligation de reclassement des entreprises. Il sera financé par une « contribution de solidarité » consistant à relier les cotisations patronales aux licenciements.
Supprimer les statuts d’emploi précaires en créant un contrat de travail unique à durée indéterminée
La césure CDD-CDI et la réglementation des licenciements économiques entraînent de profondes inégalités : les jeunes sont cantonnés à des emplois en CDD, et les entreprises hésitent à embaucher des seniors sur des emplois stables, car leur destruction est très coûteuse. Le licenciement économique est accompagné de procédures de reclassement formellement exigeantes mais souvent contournées au détriment des salariés les plus fragiles et les moins informés.
Afin de réduire les inégalités de traitement et simplifier le droit du travail, nous proposons la suppression du CDD et la création d’un contrat de travail unique. Ce contrat aura trois composantes : il sera à durée indéterminée ; il donnera droit à une « indemnité de précarité » versée au salarié ; il donnera lieu à une « contribution de solidarité » correspondant à une taxe payée par l’entreprise qui licencie.
Comme indiqué précédemment, la contribution de solidarité servira à garantir le reclassement du salarié, reclassement assuré non plus par les entreprises, mais par le service public de l’emploi s’appuyant sur des professionnels rémunérés aux résultats. Une contribution égale à 1,6 % des salaires des personnes licenciées, qui correspond au coût de reclassement supporté actuellement par les entreprises dans le cadre du licenciement économique, permet de doter le service public de l’emploi d’un budget annuel supplémentaire de 5 milliards d’euros, soit quatre fois le montant de la dotation de l’État à l’ANPE.
Réformer les marchés des produits et des services pour permettre la création de richesses
En France, le problème de l’emploi est souvent abordé en invoquant l’insuffisante compétitivité et l’ampleur des délocalisations. Pourtant, les comparaisons internationales indiquent clairement que la faiblesse de l’emploi en France ne résulte pas particulièrement des mauvaises performances des secteurs exposés à la concurrence internationale1. En revanche, si la France avait le même taux d’emploi2 que les États-Unis dans le commerce, l’hôtellerie et la restauration3, secteurs protégés, en grande partie, de la concurrence internationale, elle aurait 3,4 millions d’emplois supplémentaires ; la même comparaison avec les Pays-Bas aboutit à 1,8 million d’emplois, et à 1,2 million dans les cas de l’Allemagne et du Danemark. En fait, la France dispose d’importants gisements d’emplois dans le secteur tertiaire, et en particulier dans le commerce, l’hôtellerie et la restauration.
Certes, la concurrence internationale détruit des emplois, mais elle en crée aussi, et les nombreuses études consacrées à ce sujet indiquent que la concurrence internationale ne constitue pas une source majeure de sous-emploi en France.
En réalité, l’insuffisance d’emplois en France provient en grande partie d’un ensemble de réglementations mal conçues qui nuisent à la concurrence et favorisent la constitution de pouvoir de monopole dans des secteurs abrités. En effet, cette mauvaise conception des règles du jeu nécessaires au bon fonctionnement de la concurrence se traduit irrémédiablement par la mise en place de cartels et par des mouvements de concentration des entreprises qui conduisent à la domination des mieux dotés au détriment du bien-être de tous. Les monopoles imposent des prix élevés aux consommateurs et raréfient les produits et l’emploi pour conforter leur domination. Nous verrons que ces assertions sont justifiées par de nombreux travaux empiriques qui indiquent que les barrières à une concurrence équilibrée sont défavorables à l’emploi, à la croissance et au pouvoir d’achat.
De nombreux secteurs fermés
Pour lutter contre les destructions d’emplois et essayer de protéger l’emploi, il peut être tentant de protéger les entreprises en place par une réglementation limitant l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises utilisant des technologies différentes, qui peuvent être, dans certains cas, moins intensives en main-d’œuvre.
Certes, l’institution de telles barrières permet de réduire les destructions d’emplois à court terme. À ce titre, elles peuvent être favorables à l’emploi. Néanmoins, étant donné l’ampleur des rotations d’emploi dans le secteur des services, les effets de court terme s’estompent très vite. Rapidement, les barrières à l’entrée ont pour effet essentiel d’exercer une pression à la hausse sur les prix, ce qui est toujours défavorable à l’emploi. Elles ont aussi tendance à limiter les innovations, ce qui freine l’apparition de nouveaux produits et est aussi généralement défavorable à l’emploi. Les barrières à l’entrée contribuent enfin à diminuer les gains de productivité, ce qui peut être bénéfique à l’emploi du secteur si l’élasticité de la demande pour le produit est inférieure à l’unité. L’impact de barrières à l’entrée sur l’emploi d’un secteur est donc ambigu en théorie ; il ne peut être connu que grâce à une exploration empirique. Il en est de même pour les effets d’équilibre général. Le consommateur, pour sa part, subit toujours une diminution de bien-être puisqu’il paie les produits plus cher et ne bénéficie pas des innovations de produits.
Le coût des entraves à la concurrence
L’exemple du commerce
Au centre de nombreux débats récents et de propositions de réformes (commission Canivet, rapport Camdessus, par exemple), la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat du 27 décembre 1973 (dite loi Royer) modifiée par la loi n° 96–603 du 5 juillet 1996 a instauré une procédure spécifique d’autorisation préalable d’exploitation commerciale, s’ajoutant à la procédure permettant la délivrance du permis de construire. Depuis 1974, elle s’applique à tous les projets de création ou d’extension de commerces de détail et d’ensembles commerciaux d’une surface de vente supérieure à 1 000 ou 1 500 m² (selon le lieu de l’implantation) jusqu’en 1996 et à 300 m² depuis 1996.
À l’origine, ce dispositif était supposé protéger les petits commerces, dans une période où la grande distribution se développait. Pour justifier cette loi, les auteurs des textes invoquaient « la nécessité d’assurer un développement équilibré de toutes les formes de commerce en prévenant les risques de dévitalisation des centres-villes et de désertification des zones rurales ». Dans l’esprit de ses concepteurs, ce dispositif était temporaire. En 2005, il est toujours en place.
Un article récemment paru4 a tenté d’évaluer l’impact de la loi Royer sur l’emploi mais aussi sur la concentration et les prix du secteur du commerce de détail, alimentaire et non-alimentaire, en France.
Les résultats de cet article démontrent que les départements où les restrictions à l’entrée ont été les plus fortes sont aussi ceux où la création d’emplois dans le secteur du commerce de détail a été la plus faible. Après avoir établi ce résultat, les auteurs détaillent les mécanismes économiques par lesquels ces restrictions à l’entrée se propagent. Plus précisément, ils se penchent sur la concentration des grandes chaînes de distribution et sur les prix, en se restreignant au secteur du commerce de détail alimentaire. Les estimations démontrent alors que les restrictions à l’entrée accroissent la concentration locale des grandes chaînes de supermarchés alimentaires5. Ces restrictions accroissent aussi les prix de détail locaux de biens homogènes (peu sujets aux variations inobservées de qualité). Toutefois, il est peu probable que cette hausse des prix soit la seule force économique induisant cette mauvaise performance de l’emploi causée par les restrictions à l’entrée (car cela impliquerait une sensibilité de la demande aux prix trop élevée)6. Finalement, la concentration induite par ces restrictions à l’entrée a un effet direct sur la croissance de l’emploi (qui s’ajoute à celui des restrictions).
La concentration est donc particulièrement importante pour comprendre les effets potentiels sur l’emploi. Elle empêche certainement la différenciation entre les chaînes de supermarchés. Ainsi, aux États-Unis, on trouve des chaînes « haute qualité » et des chaînes « basse qualité » et les premières sont très intensives en travail. De telles chaînes ne semblent pas avoir vu le jour en France où la différenciation reste très faible et n’est due qu’à l’entrée récente d’entreprises d’origine allemande. Récemment, les dirigeants d’une de nos plus grandes chaînes se sont rendu compte que certains de leurs clients (à Saint-Denis, en région parisienne) étaient (relativement) pauvres ; le format classique n’était pas adapté dans cette localité. La différenciation – des supermarchés différents pour des clientèles différentes – présente dans de nombreux pays a mis trente ans pour atteindre la France. La concurrence est bien l’alliée des consommateurs.
De plus, le « manque » de supermarchés rend les trajets des clients plus longs et l’attente (aux caisses par exemple) plus grande. Ainsi, le temps des consommateurs est un input plus important en France dans la fonction de production des supermarchés qu’aux États-Unis et se substitue à l’emploi du secteur. Dit autrement, la loi Royer nous oblige à faire la queue.
… dans le secteur hôtelier
Depuis 1996, la loi a aussi réglementé le secteur hôtelier. Pour ouvrir un hôtel de plus de 50 chambres dans la région parisienne (Île-de-France) et 30 chambres en province, il faut passer devant une commission similaire à celles mises en place pour l’urbanisme commercial. Ce texte s’applique non seulement aux nouvelles constructions mais aussi aux transformations et extensions. Lorsqu’elle statue sur ces demandes, la Commission départementale d’équipement commercial recueille l’avis préalable de la Commission départementale d’action touristique, présenté par le délégué régional au tourisme qui assiste à la séance. Elle statue en prenant aussi en considération la densité d’équipements hôteliers dans la zone concernée. La création ou l’extension de garages ou de commerces de véhicules automobiles disposant d’ateliers d’entretien et de réparation n’est pas soumise à une autorisation d’exploitation commerciale, lorsqu’elle conduit à une surface totale de moins de 1 000 mètres carrés. Des restrictions nouvelles se sont aussi appliquées aux stations-service et aux cinémas (Code de commerce article L720‑5).
Ce contexte favorise clairement les propriétaires d’hôtels d’une taille supérieure au seuil et construits avant 1996, puisque le coût de création de nouveaux hôtels de ce type est accru par la réglementation.
… dans les cafés
Les dispositions relatives à l’ouverture et à l’implantation des débits de boissons figurent dans le nouveau Code de la santé publique (articles L1331 et suivants). Auparavant, elles étaient incluses dans le code des débits de boissons et des mesures contre l’alcoolisme. Ce code avait été conçu afin de lutter contre l’alcoolisme à un moment où la consommation d’alcool en France était bien plus importante qu’aujourd’hui et où la France avait un nombre de débits de boissons extrêmement élevé.
Aujourd’hui, ce nombre a beaucoup diminué. D’ailleurs, les boissons alcoolisées sont majoritairement vendues dans le commerce. La part des boissons alcoolisées consommée dans les débits de boissons peut être estimée à 5 ou 6 % de la consommation nationale. Telle qu’elle est organisée, la législation en vigueur induit une rareté de l’offre qui tend à générer des rentes ; la valeur élevée des licences dans certaines communes défavorise l’installation de jeunes débitants et favorise au contraire la concentration autour de chaînes hôtelières disposant de moyens financiers plus importants.
… dans les transports
Le 25 février 2003, le Préfet de police de Paris a annoncé la création de 1 500 licences de taxis supplémentaires, étalée sur une période de cinq ans à raison de 150 par semestre.
L’offre de taxis parisiens était restée stable depuis 1992 avec 14 900 taxis. Ce chiffre était inférieur de 5 255 unités au nombre de taxis travaillant en 1931 et de 10 000 unités environ à ce qu’il était en 1925. Pourtant, ce travail doit être particulièrement attractif et rentable puisque les chauffeurs de taxi achetant une licence sont prêts à payer aujourd’hui un coût d’entrée particulièrement élevé (actuellement, une licence coûte environ 122 000 euros à Paris). Il y a très certainement un lien entre le nombre limité de licences, ce prix élevé, et la rentabilité de ce métier. De fait, douze textes législatifs et réglementaires encadrent l’exercice de cette profession. Pour exercer il faut obtenir un certificat de capacité professionnelle et une autorisation de stationnement sur la voie publique.
Il faut savoir que la vente des licences ne rapporte pas d’argent au contribuable. En effet, la licence est accordée gratuitement par l’administration pour satisfaire des besoins d’intérêt général. Elle ne saurait donc faire, en principe, l’objet d’une quelconque appropriation par son propriétaire. Ces considérations expliquent que le droit a longtemps prohibé la cession des licences. Néanmoins, en pratique, les professionnels se sont mis à monnayer leur titre. Au total, une personne désireuse d’exploiter un taxi dispose actuellement de deux moyens pour acquérir une licence : soit l’acheter auprès d’un exploitant déjà en place, soit profiter de la création de nouvelles licences, délivrées gratuitement par l’administration. Les nouvelles licences sont attribuées suivant l’ordre chronologique d’enregistrement des demandes, chaque demande étant valable un an et devant être renouvelée trois mois avant l’échéance.
Tarifs des courses réglementés et licences limitées face à une demande assez prévisible expliquent les écarts de prix des licences : en 2001, les prix moyens de cession vont de 1 000 euros dans certaines zones rurales jusqu’à 167 700 euros à Nice7. Ils mesurent la rente associée à la détention d’une licence. Au milieu des années 1990 le chiffre d’affaires annuel réalisé par les taxis parisiens s’élevait à 610 millions d’euros (41 000 euros par taxi)8.
Plus généralement, la LOTI (Loi d’orientation du transport intérieur) a créé de multiples freins à l’entrée dont le consommateur pâtit aujourd’hui. Ainsi, il est interdit de faire concurrence à la SNCF sur une ligne qu’elle dessert. Le car Bruxelles-Paris, lorsqu’il s’arrête à Lille, n’a pas le droit de faire monter de nouveaux passagers. Clairement, l’exemple des autres pays le montre, les usagers du car sont des jeunes et des personnes peu fortunées. En France, train comme avion sont chers, en tout cas trop chers pour de nombreux consommateurs à faibles revenus. En outre, de nombreuses personnes ne disposent pas d’une voiture, voire d’un permis de conduire (lui aussi très onéreux en comparaison aux autres pays). Ainsi, un réseau de cars ne peut se développer en France car il ne desservirait qu’un nombre restreint de destinations.
De nombreux autres secteurs ou professions sont concernés par ces restrictions. Le rapport publié en 2005 par Pierre Cahuc et Francis Kramarz en présente une vision plus exhaustive.
Des effets macroéconomiques sur l’emploi potentiellement importants
Les comparaisons internationales réalisées par l’OCDE montrent que la France9 subit encore d’importantes barrières réglementaires (tableau 1).
Le tableau 2 (OCDE, 2005) montre que si la France alignait sa réglementation sur le pays de l’OCDE le plus vertueux, on trouve un gain de 1.2 point de taux d’emploi, ce qui correspond à 500 000 emplois.
En guise de conclusion
La force de la concurrence est de favoriser l’éclosion d’activités nouvelles, améliorant la productivité. Sa faiblesse, intimement liée à sa force, est d’exclure les personnes comme les entreprises les plus fragiles. À ce titre, la concurrence ne peut fonctionner harmonieusement qu’en présence d’une assurance garantissant un revenu décent et des possibilités de réinsertion dans l’emploi. En effet, il est possible de conserver les avantages de la concurrence, sans subir ses inconvénients grâce à un système assurantiel performant. Cette solution est préférable à celle consistant à élever des barrières concurrentielles pour protéger les activités existantes. À terme, une telle stratégie a en effet des conséquences néfastes : elle limite l’innovation, les gains de productivité, l’emploi tout en étant coûteuse pour les consommateurs. La présence d’une assurance efficace est la bonne solution car elle :
• limite le coût des réallocations,
• accroît les incitations à innover et à investir,
• limite les comportements anticoncurrentiels : les résistances à la concurrence sont d’autant plus faibles que les pertes liées aux avantages acquis sont faibles.
En France, faiblesses de la régulation de la concurrence et de l’assurance (sécurité sociale professionnelle…) se traduisent par des activités excessivement protégées par des barrières anticoncurrentielles qui ne favorisent ni l’emploi, ni la croissance, ni les consommateurs.
Certes, pour réformer le marché du travail français, de nombreuses voies sont possibles. La voie choisie jusqu’à présent a consisté à modifier par petites touches le droit du travail et l’organisation du service public de l’emploi en créant une multitude de statuts particuliers qui tendent à accroître la flexibilité du marché du travail au prix d’inégalités croissantes. Notre démarche est différente. Nos propositions nous semblent en effet présenter l’avantage de reposer sur une conception d’ensemble du fonctionnement du marché du travail, fondée sur des faits richement documentés par de nombreuses recherches récentes, tout en visant un objectif conciliant la sécurisation des parcours professionnels, facilitant la mobilité et favorisant la croissance.
__________________
1. Voir Lionel Fontagné, Faut-il avoir peur des délocalisations ? En temps réels, Cahier n° 35, janvier 2005.
2. Le taux d’emploi est égal au nombre de personnes en emploi divisé par la population en âge de travailler, qui correspond habituellement aux personnes âgées de 15 à 64 ans.
3. Ces points sont développés dans le rapport de Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil, Productivité et emploi dans les services, Rapport n° 40, 2004.
4. Marianne Bertrand et Francis Kramarz (2002), « Does Entry Regulation Hinder Job Creation ? Evidence from the French Retail Industry » Quarterly Journal of Economics, CXVII, 4, 1369–1414.
5. Cette concentration est mesurée à chaque date et dans chaque département par la concentration des chiffres d’affaires des entreprises (indice d’Herfindahl), par la part de la surface détenue par la plus grande chaîne, ou par la part de la surface détenue par les deux plus grandes chaînes.
6. Toutefois, l’élasticité des prix aux restrictions d’entrée estimée est environ trois fois plus petite que l’élasticité de l’emploi aux restrictions d’entrée.
7. Cannes : 152 000 euros, Grasse : 144 817 euros, Perpignan : 121 960 euros, Montpellier : 120 000 euros… Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, cité par le Conseil de la concurrence, avis 04-A-04 du 29 janvier 2004.
8. Source : Conseil national de la consommation, « Rapport sur l’amélioration de la qualité des prestations et de la tarification des courses de taxis », 1996.
9. Paul Conway, Véronique Janod et Giuseppe Nicoletti (2005), » Product Market Regulation in OECD Countries : 1998 to 2003 « , OECD Economics Department Working Papers, n° 419.