Redonner envie d’entreprendre en France !
En tant qu’économiste et ancien créateur d’entreprise, j’ai été doublement intéressé par la parution du rapport Doing Business 2007, établi par la Société Financière Internationale, branche de la Banque mondiale, qui classe 175 pays du plus favorable au moins favorable à l’activité commerciale.
Dans ce classement1, la France se situe au 35e rang mondial (derrière l’Arménie et la Lettonie !) ; mais au 6e rang des pays ayant le plus réformé sur la période 2005–2006. Ces chiffres sont étonnants à plusieurs titres : pourquoi la France qui est la 5e puissance économique mondiale en termes de PIB et d’exportations occupe-t-elle seulement le 35e rang du classement Doing Business ? Ce rang décevant est-il le signe d’une perte de vitesse pour notre pays face à la concurrence internationale ? Est-il plus difficile d’entreprendre en France qu’ailleurs dans le monde ? Qu’est-ce qui a fait passer la France en un an de la 42e à la 35e place ? Est-ce le signe d’un premier sursaut ?
Cet article étudie d’abord la méthode utilisée par Doing Business, puis en présente les principaux résultats notamment pour la France et enfin tente d’en tirer des enseignements pour améliorer l’attractivité de notre pays.
Le classement Doing Business : critiquable mais néanmoins riche d’enseignement
Un classement critiquable
Le classement Doing Business évalue les règles encadrant dix domaines de l’activité commerciale (création d’entreprises, marché du travail, fiscalité…) ; par contre, cette évaluation ne tient pas directement compte de la politique macroéconomique, de la qualité des infrastructures, de la transparence des procédures de marchés publics ou encore de la solidité des institutions. De plus, les indicateurs ne font référence qu’à un seul type d’entreprise, en général une société à responsabilité limitée implantée dans le premier centre économique du pays.
Par ailleurs, Doing Business se fonde sur des indicateurs dont le choix peut être jugé arbitraire voire biaisé et qui sont généralement plus favorables aux modèles anglo-saxon et scandinave (ainsi, les pays anglo-saxons et nordiques occupent 11 des 15 premières places). Selon certains critiques, ce classement reflète une vision du monde particulière « le consensus de Washington » fondée sur le libéralisme économique et l’ouverture des marchés.
Enfin, il existe des erreurs factuelles dans le rapport notamment au détriment de la France (concernant les indicateurs relatifs à l’accès au crédit, à l’enregistrement de la propriété foncière et à la protection des actionnaires minoritaires). Dans un entretien aux Échos, le ministre de la Justice, Pascal Clément, dénonçait ainsi « une approche superficielle puisqu’elle ne tient pas compte du régime politique d’un pays, de sa taille, de sa stabilité économique et de ses infrastructures. »
Néanmoins, ce classement est riche d’enseignement
Les indicateurs sont pour la plupart quantitatifs (ex. nombre de jours pour créer une entreprise) et donc relativement objectifs. Dans un processus de décision, ces éléments factuels sont pris en compte quand une entreprise doit arbitrer entre plusieurs sites pour l’implantation d’une filiale, d’une usine ou d’un siège social ; c’est également le cas quand un individu hésite sur le pays où il ira créer et développer une entreprise.
Ensuite, la méthode de ce rapport se fonde sur une grille d’analyse commune pour 175 pays ; cette méthode reflète bien le nouveau stade de la mondialisation dans lequel nous sommes entrés : aujourd’hui, une bonne partie des activités économiques peut être réalisée n’importe où sur la planète avec la baisse des coûts de communication et de transport, avec l’élévation de la qualité de la formation et de la productivité dans certains pays émergents (l’Inde forme chaque année plus d’ingénieurs que l’Europe).
Plusieurs pays ont ainsi fait du classement Doing Business un objectif explicite de politique économique pour afficher aux yeux des décideurs économiques leur attractivité. Une des vertus de ce classement est ainsi de nous faire prendre conscience de la réalité : la France doit être attractive pour retenir et attirer les talents et entreprises nécessaires à sa croissance.
Le classement de la France est en progression mais reste médiocre
Le trio de tête pour l’édition 2007 est 1° Singapour, 2° Nouvelle-Zélande, 3° États-Unis ; la Grande-Bretagne, premier européen, se classe 6e. Par rapport à l’année précédente, la pratique des affaires a globalement été facilitée à travers le monde en 2005–2006. Ce classement montre néanmoins d’importantes disparités, ainsi il faut six jours pour créer son entreprise à Singapour, contre 38 en Grèce, dernier européen du classement. La présence de Singapour en tête du classement (et de Hong-Kong à la 5e place) est symbolique du dynamisme de l’Asie mais elle montre aussi que ce classement n’est pas une fin en soi vu les « particularités » de la vie à Singapour (État hyperrépressif, peine de mort en vigueur, liberté d’expression limitée…).
Classée 35e sur 175, la France est mal placée (malgré un gain de 12 places à périmètre constant sur un an). Si comme le disent les professeurs d’économie, corrélation n’est pas causalité, on peut néanmoins remarquer que les pays bien classés dans Doing Business sont en général aussi ceux qui ont une croissance forte (à la notable exception de la Chine classée 93e dont la vitalité économique repose sur d’autres facteurs que les règles encadrant la vie des affaires tels que l’abondance de main-d’œuvre bon marché). Il est ainsi frappant de voir que les trois premiers du classement ont connu une croissance annuelle moyenne entre 1998 et 2005 supérieure de 0,8 % à 1,7 % à celle de la France (cf. tableau ci-dessous).
Sur les huit dernières années, le déficit cumulé de croissance de la France est de 8 % par rapport aux États-Unis, et d’environ 20 % au cours des vingt dernières années. Le classement 2007 de la France montre que nous ne nous sommes pas encore donné tous les moyens pour inverser cette tendance.
La France a un classement honnête sauf dans trois domaines : les règles relatives au marché du travail, à l’imposition et à l’enregistrement de la propriété. En particulier, en ce qui concerne la fiscalité, les entreprises françaises doivent en moyenne réaliser 33 paiements dans l’année (contre 15 en moyenne dans l’OCDE), et ont un taux d’imposition moyen de 68 % de leur profit (contre 48 % en moyenne dans l’OCDE). Le classement français est par contre bon pour les règles encadrant la création d’entreprises. Ainsi, il faut en France, en moyenne, 8 jours pour créer une entreprise contre 16,6 en moyenne dans l’OCDE. La France est classée au 6e rang des pays les plus réformateurs.
Le rapport souligne que la France a engagé des « réformes positives » dans la création d’entreprises et l’obtention de crédits. Les lois Dutreil sur l’initiative économique (1er août 2003) et le développement des PME (2 août 2005) ont favorisé la création et la transmission d’entreprises. Des évolutions de classement dans certains domaines peuvent apparaître surprenantes en l’absence de réformes majeures ; elles sont dues à des discussions techniques entre les services de la Banque mondiale et l’administration française (par exemple sur le nombre nécessaire de documents à fournir pour pouvoir exporter pour le commerce international) (cf. tableau page suivante).
Le classement 2007 montre au moins deux choses pour la France : 1) notre pays peut évoluer comme le montrent récemment la réforme de la loi sur les faillites ou l’amélioration de l’information des créanciers mais 2) notre classement reste médiocre et il est urgent de continuer à améliorer les règles encadrant la vie des affaires en France.
Réformer pour améliorer l’attractivité de notre pays
L’édition 2007 met en avant les meilleurs réformateurs
Dans les pays qui ont le plus réformé en 2005–2006, « près de 85 % des réformes prennent place dans les quinze premiers mois d’un nouveau gouvernement ». Cette concentration est d’autant plus impressionnante que la plupart des réformes portent sur des points assez techniques et politiquement peu sensibles comme les délais pour créer une entreprise. Le rapport donne même quatre étapes pour une réforme réussie :
• commencer par des réformes administratives qui ne nécessitent pas de procédures législatives,
• supprimer les procédures inutiles, réduire le nombre d’interlocuteurs auxquels les entrepreneurs doivent s’adresser,
• standardiser les formulaires et tenir les agents économiques informés de la réglementation,
• faire un effort particulier sur les conditions d’application de la réglementation.
Face à une concurrence internationale toujours plus intense, nous ne pourrons pas lutter à armes égales dans tous les domaines, par exemple en termes de coût de la main-d’œuvre et de salaire minimum. Ainsi, compte tenu de nos contraintes propres, les principes d’une réforme du cadre juridique pour le rendre plus favorable à l’activité commerciale en général et à l’entrepreneuriat en particulier pourraient être les suivants :
• mettre en œuvre très vite les mesures politiquement moins sensibles (par exemple la réduction du nombre et de la durée des procédures, du nombre d’interlocuteurs et du nombre d’impôts auxquels sont confrontées les entreprises) ;
• assouplir la fiscalité et les règles du marché du travail sans aller jusqu’à copier les pays anglo-saxons les plus libéraux mais de manière raisonnable (une marge de manœuvre existe) ;
• et bien sûr, ce qui dépasse le champ de cette étude, utiliser tous les autres leviers pour favoriser le développement des entreprises en France (financement des entreprises, recherche et développement…).
Peut-être un jour pourrons-nous dire comme un camarade de promotion actuellement créateur d’une entreprise dans la Silicon Valley : « Ici je n’ai jamais senti de contraintes juridiques à la création d’entreprises ! »
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1. On peut noter ici qu’il existe de nombreux classements internationaux comparant les pays selon leur attractivité : par exemple, la France se classe 14e sur 62 pour le Confidence Index 2005 établi par AT Kearney ; 18e sur 125 pour le Global Competitiveness Index 2006 (perte de 6 places en un an) du Forum économique mondial (FEM). Selon les experts du FEM connus pour organiser la conférence annuelle de Davos : « En premier lieu la France souffre d’un manque d’efficacité et de flexibilité du marché de l’emploi, mais les efforts constants du gouvernement pour combler ces carences ne sauraient qu’être applaudis. » Deuxième handicap, « Le déficit public (qui) reste important et, avec lui, le ratio endettement public-PIB. » Troisième critique, « Les dépenses publiques pourraient être mieux ciblées et la bureaucratie et les tracasseries administratives allégées. » D’autres classements évaluent les pays au-delà de leur cadre économique notamment l’Indice de développement humain réalisé par l’Organisation des Nations unies où la France est classée 16e sur 177 pays en 2005. Pour un aperçu complet, le lecteur peut se référer au Tableau de Bord de l’attractivité de la France réalisé par l’Agence française pour les investissements internationaux qui est accessible à l’adresse Internet suivante :
http://www.investinfrance.fr/France/Newsroom/ Publications/publication_2006-06–06_fr.pdf