Redonner envie d’entreprendre en France !

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par Laurent DANIEL (96)

En tant qu’é­co­no­miste et ancien créa­teur d’en­tre­prise, j’ai été dou­ble­ment inté­res­sé par la paru­tion du rap­port Doing Busi­ness 2007, éta­bli par la Socié­té Finan­cière Inter­na­tio­nale, branche de la Banque mon­diale, qui classe 175 pays du plus favo­rable au moins favo­rable à l’ac­ti­vi­té commerciale.
Dans ce clas­se­ment1, la France se situe au 35e rang mon­dial (der­rière l’Ar­mé­nie et la Let­to­nie !) ; mais au 6e rang des pays ayant le plus réfor­mé sur la période 2005–2006. Ces chiffres sont éton­nants à plu­sieurs titres : pour­quoi la France qui est la 5e puis­sance éco­no­mique mon­diale en termes de PIB et d’ex­por­ta­tions occupe-t-elle seule­ment le 35e rang du clas­se­ment Doing Busi­ness ? Ce rang déce­vant est-il le signe d’une perte de vitesse pour notre pays face à la concur­rence inter­na­tio­nale ? Est-il plus dif­fi­cile d’en­tre­prendre en France qu’ailleurs dans le monde ? Qu’est-ce qui a fait pas­ser la France en un an de la 42e à la 35e place ? Est-ce le signe d’un pre­mier sursaut ?
Cet article étu­die d’a­bord la méthode uti­li­sée par Doing Busi­ness, puis en pré­sente les prin­ci­paux résul­tats notam­ment pour la France et enfin tente d’en tirer des ensei­gne­ments pour amé­lio­rer l’at­trac­ti­vi­té de notre pays.

Le classement Doing Business : critiquable mais néanmoins riche d’enseignement

Un classement critiquable

Le clas­se­ment Doing Busi­ness éva­lue les règles enca­drant dix domaines de l’ac­ti­vi­té com­mer­ciale (créa­tion d’en­tre­prises, mar­ché du tra­vail, fis­ca­li­té…) ; par contre, cette éva­lua­tion ne tient pas direc­te­ment compte de la poli­tique macroé­co­no­mique, de la qua­li­té des infra­struc­tures, de la trans­pa­rence des pro­cé­dures de mar­chés publics ou encore de la soli­di­té des ins­ti­tu­tions. De plus, les indi­ca­teurs ne font réfé­rence qu’à un seul type d’en­tre­prise, en géné­ral une socié­té à res­pon­sa­bi­li­té limi­tée implan­tée dans le pre­mier centre éco­no­mique du pays.

Par ailleurs, Doing Busi­ness se fonde sur des indi­ca­teurs dont le choix peut être jugé arbi­traire voire biai­sé et qui sont géné­ra­le­ment plus favo­rables aux modèles anglo-saxon et scan­di­nave (ain­si, les pays anglo-saxons et nor­diques occupent 11 des 15 pre­mières places). Selon cer­tains cri­tiques, ce clas­se­ment reflète une vision du monde par­ti­cu­lière « le consen­sus de Washing­ton » fon­dée sur le libé­ra­lisme éco­no­mique et l’ou­ver­ture des marchés.

Enfin, il existe des erreurs fac­tuelles dans le rap­port notam­ment au détri­ment de la France (concer­nant les indi­ca­teurs rela­tifs à l’ac­cès au cré­dit, à l’en­re­gis­tre­ment de la pro­prié­té fon­cière et à la pro­tec­tion des action­naires mino­ri­taires). Dans un entre­tien aux Échos, le ministre de la Jus­tice, Pas­cal Clé­ment, dénon­çait ain­si « une approche super­fi­cielle puis­qu’elle ne tient pas compte du régime poli­tique d’un pays, de sa taille, de sa sta­bi­li­té éco­no­mique et de ses infrastructures. »

Néanmoins, ce classement est riche d’enseignement

Les indi­ca­teurs sont pour la plu­part quan­ti­ta­tifs (ex. nombre de jours pour créer une entre­prise) et donc rela­ti­ve­ment objec­tifs. Dans un pro­ces­sus de déci­sion, ces élé­ments fac­tuels sont pris en compte quand une entre­prise doit arbi­trer entre plu­sieurs sites pour l’im­plan­ta­tion d’une filiale, d’une usine ou d’un siège social ; c’est éga­le­ment le cas quand un indi­vi­du hésite sur le pays où il ira créer et déve­lop­per une entreprise.

Ensuite, la méthode de ce rap­port se fonde sur une grille d’a­na­lyse com­mune pour 175 pays ; cette méthode reflète bien le nou­veau stade de la mon­dia­li­sa­tion dans lequel nous sommes entrés : aujourd’­hui, une bonne par­tie des acti­vi­tés éco­no­miques peut être réa­li­sée n’im­porte où sur la pla­nète avec la baisse des coûts de com­mu­ni­ca­tion et de trans­port, avec l’é­lé­va­tion de la qua­li­té de la for­ma­tion et de la pro­duc­ti­vi­té dans cer­tains pays émer­gents (l’Inde forme chaque année plus d’in­gé­nieurs que l’Europe).

Plu­sieurs pays ont ain­si fait du clas­se­ment Doing Busi­ness un objec­tif expli­cite de poli­tique éco­no­mique pour affi­cher aux yeux des déci­deurs éco­no­miques leur attrac­ti­vi­té. Une des ver­tus de ce clas­se­ment est ain­si de nous faire prendre conscience de la réa­li­té : la France doit être attrac­tive pour rete­nir et atti­rer les talents et entre­prises néces­saires à sa croissance.

Le classement de la France est en progression mais reste médiocre

Le trio de tête pour l’é­di­tion 2007 est 1° Sin­ga­pour, 2° Nou­velle-Zélande, 3° États-Unis ; la Grande-Bre­tagne, pre­mier euro­péen, se classe 6e. Par rap­port à l’an­née pré­cé­dente, la pra­tique des affaires a glo­ba­le­ment été faci­li­tée à tra­vers le monde en 2005–2006. Ce clas­se­ment montre néan­moins d’im­por­tantes dis­pa­ri­tés, ain­si il faut six jours pour créer son entre­prise à Sin­ga­pour, contre 38 en Grèce, der­nier euro­péen du clas­se­ment. La pré­sence de Sin­ga­pour en tête du clas­se­ment (et de Hong-Kong à la 5e place) est sym­bo­lique du dyna­misme de l’A­sie mais elle montre aus­si que ce clas­se­ment n’est pas une fin en soi vu les « par­ti­cu­la­ri­tés » de la vie à Sin­ga­pour (État hyper­ré­pres­sif, peine de mort en vigueur, liber­té d’ex­pres­sion limitée…).

Clas­sée 35e sur 175, la France est mal pla­cée (mal­gré un gain de 12 places à péri­mètre constant sur un an). Si comme le disent les pro­fes­seurs d’é­co­no­mie, cor­ré­la­tion n’est pas cau­sa­li­té, on peut néan­moins remar­quer que les pays bien clas­sés dans Doing Busi­ness sont en géné­ral aus­si ceux qui ont une crois­sance forte (à la notable excep­tion de la Chine clas­sée 93e dont la vita­li­té éco­no­mique repose sur d’autres fac­teurs que les règles enca­drant la vie des affaires tels que l’a­bon­dance de main-d’œuvre bon mar­ché). Il est ain­si frap­pant de voir que les trois pre­miers du clas­se­ment ont connu une crois­sance annuelle moyenne entre 1998 et 2005 supé­rieure de 0,8 % à 1,7 % à celle de la France (cf. tableau ci-dessous).

Sur les huit der­nières années, le défi­cit cumu­lé de crois­sance de la France est de 8 % par rap­port aux États-Unis, et d’en­vi­ron 20 % au cours des vingt der­nières années. Le clas­se­ment 2007 de la France montre que nous ne nous sommes pas encore don­né tous les moyens pour inver­ser cette tendance.

La France a un clas­se­ment hon­nête sauf dans trois domaines : les règles rela­tives au mar­ché du tra­vail, à l’im­po­si­tion et à l’en­re­gis­tre­ment de la pro­prié­té. En par­ti­cu­lier, en ce qui concerne la fis­ca­li­té, les entre­prises fran­çaises doivent en moyenne réa­li­ser 33 paie­ments dans l’an­née (contre 15 en moyenne dans l’OCDE), et ont un taux d’im­po­si­tion moyen de 68 % de leur pro­fit (contre 48 % en moyenne dans l’OCDE). Le clas­se­ment fran­çais est par contre bon pour les règles enca­drant la créa­tion d’en­tre­prises. Ain­si, il faut en France, en moyenne, 8 jours pour créer une entre­prise contre 16,6 en moyenne dans l’OCDE. La France est clas­sée au 6e rang des pays les plus réformateurs.

Le rap­port sou­ligne que la France a enga­gé des « réformes posi­tives » dans la créa­tion d’en­tre­prises et l’ob­ten­tion de cré­dits. Les lois Dutreil sur l’i­ni­tia­tive éco­no­mique (1er août 2003) et le déve­lop­pe­ment des PME (2 août 2005) ont favo­ri­sé la créa­tion et la trans­mis­sion d’en­tre­prises. Des évo­lu­tions de clas­se­ment dans cer­tains domaines peuvent appa­raître sur­pre­nantes en l’ab­sence de réformes majeures ; elles sont dues à des dis­cus­sions tech­niques entre les ser­vices de la Banque mon­diale et l’ad­mi­nis­tra­tion fran­çaise (par exemple sur le nombre néces­saire de docu­ments à four­nir pour pou­voir expor­ter pour le com­merce inter­na­tio­nal) (cf. tableau page suivante).

Le clas­se­ment 2007 montre au moins deux choses pour la France : 1) notre pays peut évo­luer comme le montrent récem­ment la réforme de la loi sur les faillites ou l’a­mé­lio­ra­tion de l’in­for­ma­tion des créan­ciers mais 2) notre clas­se­ment reste médiocre et il est urgent de conti­nuer à amé­lio­rer les règles enca­drant la vie des affaires en France.

Réformer pour améliorer l’attractivité de notre pays

L’édition 2007 met en avant les meilleurs réformateurs

Dans les pays qui ont le plus réfor­mé en 2005–2006, « près de 85 % des réformes prennent place dans les quinze pre­miers mois d’un nou­veau gou­ver­ne­ment ». Cette concen­tra­tion est d’au­tant plus impres­sion­nante que la plu­part des réformes portent sur des points assez tech­niques et poli­ti­que­ment peu sen­sibles comme les délais pour créer une entre­prise. Le rap­port donne même quatre étapes pour une réforme réussie :

com­men­cer par des réformes admi­nis­tra­tives qui ne néces­sitent pas de pro­cé­dures législatives,
 sup­pri­mer les pro­cé­dures inutiles, réduire le nombre d’in­ter­lo­cu­teurs aux­quels les entre­pre­neurs doivent s’adresser,
 stan­dar­di­ser les for­mu­laires et tenir les agents éco­no­miques infor­més de la réglementation,
 faire un effort par­ti­cu­lier sur les condi­tions d’ap­pli­ca­tion de la réglementation.

Face à une concur­rence inter­na­tio­nale tou­jours plus intense, nous ne pour­rons pas lut­ter à armes égales dans tous les domaines, par exemple en termes de coût de la main-d’œuvre et de salaire mini­mum. Ain­si, compte tenu de nos contraintes propres, les prin­cipes d’une réforme du cadre juri­dique pour le rendre plus favo­rable à l’ac­ti­vi­té com­mer­ciale en géné­ral et à l’en­tre­pre­neu­riat en par­ti­cu­lier pour­raient être les suivants :

 mettre en œuvre très vite les mesures poli­ti­que­ment moins sen­sibles (par exemple la réduc­tion du nombre et de la durée des pro­cé­dures, du nombre d’in­ter­lo­cu­teurs et du nombre d’im­pôts aux­quels sont confron­tées les entreprises) ;
 assou­plir la fis­ca­li­té et les règles du mar­ché du tra­vail sans aller jus­qu’à copier les pays anglo-saxons les plus libé­raux mais de manière rai­son­nable (une marge de manœuvre existe) ;
 et bien sûr, ce qui dépasse le champ de cette étude, uti­li­ser tous les autres leviers pour favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment des entre­prises en France (finan­ce­ment des entre­prises, recherche et développement…).

Peut-être un jour pour­rons-nous dire comme un cama­rade de pro­mo­tion actuel­le­ment créa­teur d’une entre­prise dans la Sili­con Val­ley : « Ici je n’ai jamais sen­ti de contraintes juri­diques à la créa­tion d’en­tre­prises ! »

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1. On peut noter ici qu’il existe de nom­breux clas­se­ments inter­na­tio­naux com­pa­rant les pays selon leur attrac­ti­vi­té : par exemple, la France se classe 14e sur 62 pour le Confi­dence Index 2005 éta­bli par AT Kear­ney ; 18e sur 125 pour le Glo­bal Com­pe­ti­ti­ve­ness Index 2006 (perte de 6 places en un an) du Forum éco­no­mique mon­dial (FEM). Selon les experts du FEM connus pour orga­ni­ser la confé­rence annuelle de Davos : « En pre­mier lieu la France souffre d’un manque d’ef­fi­ca­ci­té et de flexi­bi­li­té du mar­ché de l’emploi, mais les efforts constants du gou­ver­ne­ment pour com­bler ces carences ne sau­raient qu’être applau­dis. » Deuxième han­di­cap, « Le défi­cit public (qui) reste impor­tant et, avec lui, le ratio endet­te­ment public-PIB. » Troi­sième cri­tique, « Les dépenses publiques pour­raient être mieux ciblées et la bureau­cra­tie et les tra­cas­se­ries admi­nis­tra­tives allé­gées. » D’autres clas­se­ments éva­luent les pays au-delà de leur cadre éco­no­mique notam­ment l’In­dice de déve­lop­pe­ment humain réa­li­sé par l’Or­ga­ni­sa­tion des Nations unies où la France est clas­sée 16e sur 177 pays en 2005. Pour un aper­çu com­plet, le lec­teur peut se réfé­rer au Tableau de Bord de l’at­trac­ti­vi­té de la France réa­li­sé par l’A­gence fran­çaise pour les inves­tis­se­ments inter­na­tio­naux qui est acces­sible à l’a­dresse Inter­net suivante :
http://www.investinfrance.fr/France/Newsroom/ Publications/publication_2006-06–06_fr.pdf

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