Louis Vuitton et le luxe
Yves Carcelle dirige la première marque de luxe mondiale depuis plus de quinze ans. Il dévoile ici quelques-unes des clés qui font le succès de Louis Vuitton, marque star du groupe LVMH.
Ci-dessus : Atelier Louis Vuitton à Ducey, au cœur de la campagne normande.
© JEAN-PHILIPPE CAULLIEZ
En 1854, Louis Vuitton fonde sa propre Maison, s’installe comme malletier à Paris et révolutionne l’art du voyage. Ses créations font le tour du monde et s’imposent auprès des grands voyageurs. Un siècle et demi plus tard, la légende demeure, doublée d’une renommée internationale. La petite entreprise familiale est aujourd’hui la première marque de luxe mondiale. Une telle réussite n’est pas le fruit du hasard. Elle réside dans un subtil équilibre, fait de tradition et d’innovation, de rêve éclairé et de pragmatisme enraciné.
Dans un secteur très concurrentiel, le savoir-faire de notre Maison reste son premier atout. Dans nos ateliers de fabrication, nos artisans se transmettent les gestes d’hier avec la même passion du travail bien fait. Nous maîtrisons l’ensemble des étapes, de la création à la distribution. La crédibilité de la marque et la qualité de nos produits en dépendent. Avec plus de 350 magasins exclusifs, notre réseau est aussi l’un des plus puissants au monde, entièrement contrôlé par la marque. Pas de distributeurs parallèles ou de produits sous licence : l’image de Louis Vuitton est à ce prix.
Avec l’arrivée de Marc Jacobs en 1997, notre Maison a fait une entrée en mode remarquée. Prêt-à-porter, souliers, horlogerie, joaillerie et lunettes solaires côtoient désormais sacs et bagages. À chaque nouveau métier, nous avons pris le temps de bien faire. Notre stratégie s’est toujours inscrite dans la durée.
Dans un monde où de nouveaux territoires s’ouvrent, de la Chine à la Russie en passant par l’Inde, Louis Vuitton a en main les meilleurs atouts pour renforcer son leadership sur le marché du luxe. Les ressources financières, certes, mais aussi, l’esprit de conquête et la volonté de se dépasser : on ne devient pas leader par hasard, on ne le reste pas sans audace. Ce qui construit notre réussite tient d’abord au talent de nos 12000 collaborateurs et à leur étonnante capacité à rebondir.
HISTOIRE
Louis Vuitton, cent cinquante ans d’histoire
Portrait de Louis Vuitto (1821−1892), fondateur de la Maison Vuitton.
© ARCHIVES LOUIS VUITTON
C’est à pied que commence, en 1835, l’un des plus extraordinaires voyages du luxe moderne. Âgé de 14 ans, Louis Vuitton quitte son village natal d’Anchay, dans les montagnes reculées du Jura, près de la frontière suisse, pour parcourir à pied les quatre cents kilomètres qui le séparent de sa nouvelle vie parisienne. Issu d’une famille de meuniers et de menuisiers, il s’applique au cours de son voyage à apprendre le travail du bois, faisant ses premières armes sur le hêtre et le peuplier.
En 1837, il arrive à Paris et entre comme apprenti chez M. Maréchal, un célèbre « layetier-emballeur » – terme désignant à l’époque ceux qui confectionnent les coffres et emballent les effets des voyageurs. Nous sommes à l’aube de l’ère du voyage : la première ligne de chemin de fer française est inaugurée en 1837 et, en 1838, un steamer européen traverse pour la première fois l’Atlantique sans l’aide du vent. Les layetiers-emballeurs de la capitale sont donc très demandés. Leur spécialité réside dans le pliage et l’empaquetage des robes extravagantes dont raffole le Second Empire, dans des caisses en peuplier qu’ils mesurent et fabriquent à la main. Louis Vuitton est déjà le premier commis de son employeur quand il devient, en 1853, l’emballeur favori de l’impératrice Eugénie. Honneur suprême…
La haute société suit bientôt l’exemple des souverains et c’est ainsi qu’en 1854, année de son mariage, notre entrepreneur crée sa propre affaire. Avec sa femme Émilie, il installe sa première maison de commerce au 4, rue Neuve des Capucines (l’actuelle rue des Capucines).
La naissance du voyage moderne
Les quatre toiles historiques de la Maison : en bas, à droite, toile gris Trianon (1854), à gauche, toile Rayée (1872) ; en haut, à droite, toile Damier (1888), à gauche, toile Monogram (1896).
© ANTOINE JARRIER
Mais plus important encore, c’est également au cours de cette année charnière qu’il choisit d’habiller l’une de ses malles de toile enduite, une matière particulièrement résistante. Quatre ans plus tard, en 1858, il propose un nouveau produit : une malle conçue pour être facile à transporter, au couvercle plat et à la structure en peuplier, sur laquelle est tendue une toile gris Trianon de qualité supérieure, collée selon un procédé qui la rend rigoureusement imperméable. L’extérieur est équipé de coins, poignées et équerres en métal, et de lattes de hêtre fixées par des rivets. L’intérieur est pourvu de châssis et de casiers qui permettent de transporter avec le plus grand soin non seulement les vêtements, mais également tous les accessoires essentiels d’une toilette élégante.
La nouvelle malle rencontre un succès immédiat. À tel point que l’atelier parisien se révèle rapidement trop exigu. En 1859, l’atelier est transféré à Asnières. Cette calme bourgade rurale occupe une situation clef à la fois sur les bords de la Seine – le bois de peuplier utilisé pour la confection des malles arrive par péniche – et sur la ligne de chemin de fer qui mène à la gare Saint-Lazare. En 1871, le magasin originel déménage au numéro 1, rue Scribe, à côté de l’Opéra Garnier en construction et face au célèbre Grand Hôtel.
Rançon du succès, des copies de la malle apparaissent dès cette époque. En 1872, s’efforçant de contrecarrer ses imitateurs, Louis Vuitton propose un motif rayé rouge et beige en alternative à la toile gris Trianon. En 1888, son fils Georges, qui lui a succédé à la tête de l’entreprise en 1880, lance un nouvel imprimé plus complexe – un damier caractéristique brun et beige où apparaît, à intervalles réguliers, l’inscription « L. Vuitton, marque déposée ». Plus d’un siècle plus tard, ce motif inspirera la ligne Damier que nous connaissons aujourd’hui.
La malle Wardrobe et la serrure incrochetable
La malle Wardrobe en toile Monogram (1875).
© PASCAL LOUIS
La meilleure arme de l’entreprise face à la contrefaçon est déjà l’innovation – comme elle le demeure aujourd’hui. Ainsi, quand le couturier Charles-Frédéric Worth lui assure que les crinolines sont sans doute sur le point d’être abandonnées en faveur de toilettes moins volumineuses, Louis Vuitton saisit rapidement les implications de ce changement. En 1875, il dessine une nouvelle malle. Conçue pour être ouverte à la verticale, avec une penderie d’un côté et un jeu de tiroirs de l’autre, elle permet d’éviter aux voyageurs la corvée de déballer leurs effets une fois arrivés à destination.
Au fil des ans, la Maison continue sans relâche, l’élégance n’a d’égale que l’ingéniosité. Avec l’âge d’or des paquebots de luxe naît la « malle cabine », conçue pour être glissée sous une couchette. En 1905, est proposé le « sac chauffeur », conçu pour venir se loger au milieu de l’empilement de pneus de réserve. Les premières années de l’aviation accueillent, quant à elles, une « malle aéro » ultralégère, qui ne pèse que 26 kg lorsqu’elle est pleine.
Autre invention marquante de l’ère Georges : la serrure « incrochetable » à gorges multiples, lancée en 1890, qui équipera rapidement chaque malle produite. Le client dispose d’un numéro de serrure personnel grâce auquel il peut ouvrir tous ses bagages avec une seule clé. Le système continue à prouver son efficacité aujourd’hui.
La naissance du Monogram
Pourtant, c’est six ans plus tard, en 1896, que viendra le moment décisif. À la recherche d’une image qui identifierait instantanément ses produits, Georges passe en effet cette année-là plusieurs semaines à esquisser différents croquis. Finalement un motif émerge, inspiré peut-être par les emblèmes traditionnels du Japon. Le dessin est constitué d’un cercle qui entoure une fleur quadrilobée, d’une étoile à quatre branches, d’un losange convexe ajouré en négatif de la même étoile à quatre branches et enfin, les initiales entrelacées du père de Georges, décédé quatre ans plus tôt. En 1897, la toile Monogram est déposée en tant que modèle et, en 1905, en tant que marque.
Pendant ce temps, la Maison commence à produire un type de bagage complètement nouveau – les sacs souples. Le premier d’entre eux, le Steamer Bag, lancé en 1901, est un grand sac rectangulaire conçu pour recueillir le linge usagé lors des traversées transatlantiques. Aujourd’hui, utilisé à des fins plus élégantes le Steamer Bag demeure l’une des créations cultes de la marque. Mais ce n’est que dans les années 1920, avec le lancement du Keepall, que les bagages souples feront leurs vrais débuts dans le monde.
C’est seulement en 1959 que le fils de Georges Vuitton, Gaston-Louis, et son successeur, Claude-Louis, parviennent à mettre au point une toile enduite souple et imperméable, qui permet aux sacs souples de porter l’imprimé Monogram.
Une portée mondiale
Soirée d’anniversaire des cent cinquante ans de la Maison Louis Vuitton (avril 2004, Hong-Kong).
© ANTOINE JARRIER
Puisque les élégants commencent à voyager, la Maison en fait autant. Dès 1885, l’entreprise ouvre un magasin sur Oxford Street, à Londres. En 1898, convaincu du potentiel commercial du Nouveau Monde, Georges traverse l’Atlantique pour se rendre à New York où il signe un contrat de distribution avec le propriétaire d’une chaîne de grands magasins, John Wanamaker, qui vendra désormais ses malles à New York et Philadelphie, puis à Boston, Chicago, Washington et Los Angeles.
En 1912, le cœur de Paris se déplaçant vers l’ouest, Georges fait construire sur les Champs-Élysées un bel immeuble d’inspiration Art nouveau, qui sera inauguré en 1914 et deviendra le magasin phare de la Maison. Ironie de la géographie parisienne, l’immeuble – au fronton duquel on peut encore lire l’inscription Louis Vuitton, malletier à Paris, maison fondée en 1854 – fait pratiquement face à l’enseigne amirale actuelle sur la plus célèbre avenue du monde.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Maison décide d’étendre son réseau de distribution exclusive au monde entier. À chaque nouvelle ouverture, la marque porte une attention intransigeante au détail. Tous les magasins, plus de 340 aujourd’hui, sont entièrement contrôlés par la Maison. Parallèlement à cette extension, Louis Vuitton fusionne en 1987 avec Moët Hennessy pour constituer le groupe LVMH, numéro un du luxe international.
La marque étend également sa gamme de produits. La ligne Épi en cuir grainé de couleurs vives est créée en 1985, suivie en 1993 par la ligne masculine Taïga et, en 1996, par la réédition de la toile Damier historique. Cette même année marque le centenaire du Monogram. Sept des plus grands créateurs de mode du moment créent un sac en édition limitée avec le célèbre motif. Parmi les créations les plus remarquées : l’association audacieuse léopard et Monogram par Azzedine Alaïa et le malicieux fourre-tout de Vivienne Westwood.
Une passion pour la mode
L’Îlot Louis Vuitton, constitué de 4 000 disques de sel marin, lors de l’Exposition universelle de 2005 à Aichi au Japon.
© ANTOINE JARRIER
Cette première incursion dans le monde de la mode est suivie, en 1998, par le lancement du label de mode Louis Vuitton. L’entreprise crée un nouveau département, dévolu au prêt-à-porter, aux souliers, aux accessoires et à la joaillerie, avec pour directeur artistique le styliste américain Marc Jacobs.
Marc Jacobs a puisé dans sa vision personnelle de l’histoire et de la culture de la mode pour créer un style fait de luxe intemporel et de richesse dans les détails qui reflètent la tradition de l’entreprise, tout en insufflant à son image une énergie et un enthousiasme nouveaux. L’influence de Marc Jacobs est palpable dans chacune des réinterprétations de la toile Monogram.
C’est dans cet esprit de modernité que la Maison, en 2004, célèbre son 150e anniversaire, de New York à Hong-Kong, de Tokyo à Shanghai, tandis qu’en Inde, en Russie, en Chine et en Afrique du Sud, des ouvertures de magasins soulignent ce succès. En octobre 2005, la réouverture, après une soigneuse rénovation, de la maison Louis Vuitton des Champs-Élysées, a marqué le point d’orgue de ces cent cinquante premières années.
SAVOIR-FAIRE
Tradition et modernité
Le centre névralgique de Louis Vuitton est indiscutablement Asnières – où de fait, les nouvelles recrues viennent acquérir le vrai sens du métier. À Asnières, le passé est incarné par l’ancienne maison de famille, aux audacieuses pièces de réception du style Art nouveau, maintenue dans l’état où ses derniers résidents l’ont laissée. Il est de même symbolisé par le musée du Voyage, qui réunit les créations les plus marquantes de la Maison, ainsi qu’une exceptionnelle collection de coffres cloutés de la Renaissance et du xviie siècle, réunie par Gaston-Louis, le petit-fils du créateur.
Quant au présent, il est bien vivant au cœur de l’atelier rénové en 2006. L’architecture d’origine, inspirée par l’utilisation révolutionnaire du verre et du métal initiée par Victor Baltard et Gustave Eiffel, demeure inchangée ; l’intérieur en revanche a été totalement modernisé, avec l’ajout d’un étage. Tous les étages donnent sur un patio central surmonté d’une verrière dispensant la lumière aux artistes.
Des ateliers à taille humaine
Façade de l’atelier Louis Vuitton à Asnières.
© JEAN-PHILIPPE CAULLIEZ
En 1977, avec l’accroissement de la demande en Asie, notamment au Japon, l’atelier d’Asnières devient trop exigu et la Maison établit de nouveaux ateliers dans les régions traditionnellement vouées au tannage et au travail du cuir, essentiellement en France, telle la vallée du Rhône où l’atelier de Saint-Donat ouvre en 1977, et celui de Sarras en 1981. Aujourd’hui, dix des treize ateliers Louis Vuitton dédiés à la production de maroquinerie sont situés en France. Deux autres se trouvent en Catalogne – et un à San Dimas, en Californie pour le marché américain.
En 2000 est ouvert un atelier de souliers à Fiesso d’Artico, au nord de l’Italie, tandis qu’en 2002, en vue du lancement de la collection des montres Tambour, la Maison ouvre une unité spécialisée à La Chaux-de-Fonds, berceau de l’industrie horlogère suisse.
Chaque nouvelle unité utilise le meilleur de l’architecture moderne pour optimiser les conditions de travail et intégrer le bâtiment à son environnement. Tous les ateliers restent à taille humaine, leurs effectifs ne dépassant jamais les 250 employés. Les nouvelles unités sont dotées de larges baies vitrées qui révèlent la beauté du paysage alentour, qu’il s’agisse des crêtes neigeuses de Suisse, de la vallée de la Brenta ou – comme dans le cas du site de production ouvert à Ducey en 2002 – de la baie du Mont-Saint-Michel.
À l’avant-garde de l’architecture
Dès 1912, Georges commandait la conception et la construction du premier immeuble Louis Vuitton sur les Champs-Élysées, superbe exemple de transition entre les styles Art nouveau et Art déco. Aujourd’hui, la Maison s’est dotée de son propre bureau d’architecture, dont la mission consiste à maintenir un style identitaire et à assurer l’homogénéité des différents magasins répartis dans le monde.
Pour la toute première fois, en 1999, Louis Vuitton soumet à un concours la conception de son nouveau magasin de Nagoya, au Japon. C’est un architecte local relativement peu connu à l’époque, Jun Aoki, qui l’emporte.
L’agencement intérieur des magasins est confié à l’architecte Peter Marino. L’identité visuelle qu’il a créée en 1998 pour le « vaisseau amiral » des Champs-Élysées, en recourant à des matériaux nobles comme le bois, la pierre et le cuir qui évoquent le savoir-faire traditionnel de la Maison, s’est étendue au monde entier.
Tolérance zéro face à la contrefaçon
En matière de lutte contre la contrefaçon, Louis Vuitton a également acquis au fil des ans un savoir-faire considérable.
La contrefaçon est une infraction criminelle hautement préjudiciable aux consommateurs, aux entreprises et aux gouvernements en termes de qualité des produits, d’innovation, d’emplois et d’impôts. C’est pourquoi, face à ce délit, a été mise en place une politique de tolérance zéro. L’entreprise s’est dotée d’un département spécialisé en propriété intellectuelle.
L’engagement dans la protection de l’environnement
En 2004, en partenariat avec l’ADEME (l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), Louis Vuitton a effectué son « Bilan Carbone », une méthode conçue pour évaluer toutes les émissions de gaz à effet de serre résultant directement ou indirectement d’une activité de production. Le transport par air étant la source primaire d’émissions de gaz à effet de serre, l’entreprise s’applique donc à renforcer son utilisation du fret maritime, 40 fois moins polluant que le fret aérien.
Commentaire
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Très intéressant, ça
Très intéressant, ça m’emoustille un peu 🙂