Une réponse globale aux questions de climat et d’énergie
Faire de l’Europe un acteur majeur pour la mise en place de systèmes énergétiques plus sûrs et plus durables exige que chaque responsable politique anticipe les vulnérabilités de sa situation énergétique, optimise ses capacités à faire face en cas de crise, identifie si les sources d’approvisionnement sont fiables et pérennes, le tout dans une dynamique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Ces questions se posent à tous les pays du monde.
Il est essentiel que la stratégie européenne s’attache à faire converger les processus de négociations en cours sur le changement climatique et la sécurité énergétique.
Antoine-Tristan Mocilnikar (X86), ingénieur en chef des Mines, docteur de l’université de Paris IX Dauphine, est aujourd’hui conseiller énergie auprès du délégué interministériel au Développement durable.
Jean Lamy est conseiller des Affaires étrangères, sous-directeur de l’énergie, des transports et des infrastructures à la Direction des affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères.
Les opinions exprimées par les auteurs le sont à titre personnel et n’engagent pas les institutions auxquelles ils appartiennent.
Le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007 a adopté un plan d’action ambitieux pour « une politique intégrée en matière de climat et d’énergie ». Plusieurs des orientations du Conseil européen devraient trouver leur traduction juridique lors de la Présidence française de l’Union au deuxième semestre 2008. En montrant l’exemple, les Européens cherchent à prendre la direction d’une réponse globale, mais doivent inscrire leur stratégie énergie-climat dans un cadre plus large, tenant compte en particulier de ce que disent sur ces sujets les autres pays, notamment les États-Unis et les grands pays émergents.
Énergie et climat
L’Europe agit déjà
Les traités européens initiaux ne comportaient aucun chapitre spécifique constituant une politique énergétique globale. Toutefois, au cours du temps, une série d’éléments s’est agrégée. Le sujet de l’énergie est au centre du traité Euratom qui s’est concentré sur le secteur nucléaire. De nombreux textes ont été adoptés pour la création d’un marché unique du gaz et de l’électricité, mais aussi pour renforcer la sécurité d’approvisionnement, sur les réseaux transeuropéens de transport d’énergie. L’Union a mis en place des dialogues et partenariats avec des pays tiers dans le domaine de l’énergie et de la lutte contre le changement climatique. Des financements européens visent à faciliter la transition vers des systèmes énergétiques plus durables.
Le lien entre énergie et climat est bâti autour de l’objectif stratégique d’une limitation en 2050 de la température moyenne mondiale à 2 °C par rapport aux niveaux de l’époque préindustrielle. À cet effet, le Conseil européen fixe l’objectif principal pour l’Union dans son ensemble, d’ici 2020, d’une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 19901.
Puisque près de 80 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique proviennent de la façon dont l’énergie est produite et, surtout, consommée, les autres objectifs définis par l’Union européenne pour atteindre l’objectif principal de réduction des émissions concernent tous le secteur de l’énergie, soit, d’ici 2020 : une réduction de 20 % de la consommation d’énergie par rapport au scénario tendanciel, une proportion de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie et une proportion de 10 % de biocarburants. La répartition des efforts concernant tant la réduction des émissions de gaz à effet de serre que la proportion des énergies renouvelables fait l’objet de négociations au sein de l’Union.
Un enjeu collectif
Éviter une élévation totale de température de plus de 2 °C nécessite de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre, alors que la tendance est au doublement
Le quatrième rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publié en 2007, considère que « le réchauffement du système climatique est sans équivoque » et qu’il est « dû à l’augmentation observée des concentrations des gaz à effet de serre anthropiques ».
Au changement climatique avéré qui voit s’accroître le nombre de phénomènes climatiques aggravés s’ajoutent de potentiels déplacements de population, des crises liées aux ressources alimentaires et des dangers sanitaires. C’est donc aussi un enjeu de sécurité collective, ce qui conduit de plus en plus les responsables politiques à évoquer désormais la notion de « sécurité climatique », en regard de celle de « sécurité énergétique ».
L’objectif de ne pas dépasser le seuil critique de 2 °C de réchauffement global s’impose à tous. Il faudra donc agir rapidement et enclencher une logique de baisse résolue des émissions dans les quinze années qui viennent. Il faut maîtriser les consommations et généraliser les systèmes de production non émetteurs de carbone fossile.
Le défi est d’autant plus grand que la demande mondiale de l’énergie – première origine de contribution aux émissions – croît à raison de 2 % par an, et ce de manière stable. Aujourd’hui près de 2 milliards d’individus n’ont pas accès à l’énergie. L’irruption de l’Asie, en particulier de la Chine et de l’Inde, rend irréaliste un arrêt brutal de cette croissance, même si les pays industrialisés se mettent beaucoup plus drastiquement à économiser l’énergie.
Une répartition des efforts
Selon les propositions de l’Agence internationale de l’énergie, à l’horizon 2050, les efforts en termes de participation aux efforts totaux de réduction de dioxyde de carbone se reportent sur l’efficacité énergétique à hauteur de 45 %, sur les technologies de captage et stockage à hauteur de 20 % (12 % dans le secteur électrique, 5 % dans l’industrie et 3 % dans le secteur des hydrocarbures), sur les renouvelables à hauteur de 16 % (6 % grâce aux biocarburants, 2 % à l’hydraulique, 2 % pour la biomasse et 6 % pour les autres énergies renouvelables) et sur le nucléaire à hauteur de 6 %.
Le solde de 12 % correspond à des substitutions d’énergie. Il importe de miser sur toutes les technologies et d’agir tant du côté de l’offre que de la demande d’énergie.
Assurer la sécurité d’approvisionnement
Des politiques volontaristes
Qu’il s’agisse de répondre au défi du changement climatique ou à celui de la sécurité énergétique, les réponses ne sont pas uniques, ni seulement technologiques. Elles nécessitent, au niveau national, la mise en oeuvre de politiques publiques volontaristes, prospectives et responsables, de même qu’une coopération internationale accrue, afin que les contraintes et les objectifs des uns et des autres convergent.
Apparaît alors une problématique renouvelée de sécurité d’approvisionnement, voire de sécurité au sens classique du terme. Les ressources énergétiques seront de plus en plus disputées. Elles deviennent, de manière durable, un élément essentiel de la politique étrangère des États. Il en résulte de nouvelles tensions sur les prix et de nouveaux clivages pouvant nourrir de nouveaux différends.
Comment, au XXIe siècle, relever le défi de la sécurité énergétique ? Les maîtres-mots de la réponse sont, comme le dicte le bon sens : plus de capacités (de production, de stockage) ; plus de diversité (voies d’approvisionnement, gamme des énergies utilisées), plus de transparence et de prévisibilité (donner aux investisseurs la visibilité dont ils ont besoin), plus de flexibilité (notamment dans les usages de l’énergie, pour pouvoir se reporter sur des solutions alternatives) et une meilleure coordination en cas de crise (réagir de façon concertée, harmoniser les plans d’urgence, avoir des normes communes de sécurité des réseaux).
Organiser la gouvernance afin d’orienter l’investissement privé
Les enjeux en termes financiers sont considérables. Les investissements nécessaires pour satisfaire la demande, rien que dans les secteurs de l’électricité, du gaz, du pétrole et du charbon, s’élèvent à 20 000 milliards de dollars sur la période 2005–2030. Il n’est pas possible d’imaginer que seuls les États financeront ces dépenses avec des fonds publics. Ce sont les entreprises qui seront en première ligne avec des fonds essentiellement privés.
Le rôle des politiques publiques est donc de transformer le cadre réglementaire et les conditions des marchés afin d’orienter les investissements vers les bons choix pour la collectivité.
Il convient alors de bien identifier qui doit faire quoi, au niveau national, international et régional, entre décideurs publics et opérateurs du secteur privé. Cette articulation des actions entre les différents acteurs est essentielle, car, bien conçue, elle donnera de la visibilité aux acteurs. Il s’agit de permettre aux entreprises de prendre les bonnes décisions d’investissement, sans le faire au détriment de la sécurité énergétique ou à un coût excessif qui ferait perdre en compétitivité.
Réguler l’action
Incitations et contreparties
Dans le domaine des énergies renouvelables, les États membres vont négocier dans le cadre communautaire des cibles nationales, mais il reviendra ensuite à chaque gouvernement d’opter pour la politique et les instruments particuliers qui lui sont le mieux adaptés.
Dans le domaine de l’efficacité énergétique, les principaux gisements d’économie d’énergie se trouvent principalement dans le secteur des transports et des usages résidentiels. Les actions à mener relèvent tout autant des politiques des transports, du logement ou de la fiscalité, que de la politique de l’énergie.
Dans le domaine de la sécurité, l’Union propose des mesures à la fois communes et nationales, comme l’adoption de normes de sécurité communes entre gestionnaires de réseau de transport d’énergie.
Si l’on assiste à un certain « retour des États » sur la scène énergétique, les conflits d’intérêts que générera la prise en compte croissante par la communauté internationale de la problématique « énergie-climat » plaident pour la mise en place d’un nouvel ordre qui dépasse le jeu des acteurs étatiques, ou en tout cas en régule l’action dans l’intérêt commun.
C’est pourquoi il importe de donner le maximum de consistance au renforcement en cours des partenariats énergétiques de l’Union avec les grands pays fournisseurs (Russie, pays de la Caspienne, Algérie, Opep…), mais aussi avec les grands pays consommateurs (Chine, Inde, États-Unis…), de même qu’avec les pays en développement.
Un partenariat « consistant » ne porte pas seulement sur les grands projets d’investissement dans l’amont ou la construction d’infrastructures de transport d’énergie, mais comprend aussi un volet « aval » et des investissements croisés (par exemple construire des raffineries dans les pays producteurs), un volet « maîtrise de la demande et lutte contre le changement climatique » et un volet de coopération sur le cadre institutionnel, juridique et économique le plus approprié.
La question du climat après 2012
Identifier qui doit faire quoi, entre décideurs publics et opérateurs privés
La question du climat repose, elle, sur le protocole additionnel de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), établi en décembre 1997 à Kyoto.
Globalement, les pays industrialisés s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 5 % par rapport aux niveaux de 1990 durant la période 2008–2012.
L’Union européenne réduit collectivement ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % et la France a un objectif moindre – stabiliser ses émissions – du fait du nucléaire. Sans nouvel accord, ce cadre multilatéral s’achèverait en 2012, date de fin d’application des objectifs.
La question du post-2012 est donc posée. Elle l’est non seulement au niveau de l’ONU, mais aussi dans le cadre du G8, de l’AIE, de l’OCDE, de l’UE (qui négocie « d’une seule voix » dans le processus ONU sur le changement climatique). Dans ce contexte, les États-Unis ont récemment décidé d’organiser une conférence avec les pays qui, ensemble, représentent plus de 80 % des émissions. L’accent est mis sur les coopérations technologiques.
Une approche sectorielle est envisagée, le but étant notamment d’essayer de trouver des règles dans des secteurs clés (électricité, transports, carburants alternatifs) qui pourraient à terme devenir communes.
L’une des questions qui se posent est de savoir dans quelle mesure ce nouvel engagement des États-Unis va effectivement permettre de progresser dans le processus onusien des négociations climatiques internationales, puisque aussi bien, pour répondre au défi global du changement climatique, l’engagement de tous les pays du monde est nécessaire et que l’objectif premier à rechercher collectivement est d’éviter au monde un réchauffement de plus de 2 °C au-delà duquel l’humanité franchirait un seuil dangereux.
Une responsabilité commune mais différenciée
À la croisée des chemins
L’Union a construit un cadre pérenne autour de l’objectif limite de 2 °C et a adopté un plan d’action intégré énergie-climat ambitieux. Les États-Unis sont très centrés sur les technologies.
Le troisième ensemble d’acteurs, les pays en développement, lui, n’est soumis à aucune contrainte même si les principaux d’entre eux, comme la Chine et l’Inde, ont mis en place des politiques volontaristes dans le domaine de l’efficacité énergétique. Il faut réconcilier ces dynamiques.
Plusieurs pistes sont évoquées aujourd’hui pour trouver la coalition internationale la plus large possible, avec le maximum d’acteurs concernés, pour résoudre ces défis corrélés entre eux.
Des accords multilatéraux sectoriels pourraient être envisagés, accompagnés d’instruments économiques (quotas négociables et taxes) et de réglementations, le tout dans le cadre de la Convention climat.
Tous les pays s’accordent sur le fait que le futur cadre international devra tenir compte du « principe de responsabilité commune mais différenciée » entre pays industrialisés et en développement.
Chaque pays doit prendre sa part de l’effort collectif nécessaire.
Une des idées avancées est de prévoir pour les pays en développement une réduction des émissions par rapport à un scénario tendanciel. Il ne s’agit nullement de remettre en cause la priorité accordée au développement et à l’élimination de la pauvreté, mais de raisonner en termes de réduction de l’intensité énergétique et de l’intensité carbone de nos économies. L’enjeu est de faire réaliser aux pays en développement un saut technologique vers un développement sobre en carbone.
Agir dès maintenant, agir à tous les niveaux
Le protocole de Kyoto a été ratifié par 156 pays, à l’exception notable des États-Unis et de l’Australie
La mise en place sur le continent européen d’une politique de l’énergie plus cohérente, qui n’altère pas la compétitivité des entreprises européennes et fasse de l’Europe un acteur majeur pour la mise en place au niveau international de systèmes énergétiques plus sûrs et plus durables, exige donc que chaque responsable politique, à chaque niveau, anticipe les vulnérabilités de sa situation énergétique, optimise ses capacités à faire face en cas de crise (pétrolière, gazière, électrique), incite à ce que l’offre endogène de son pays permette de mieux suivre la demande, aujourd’hui et demain, identifie si les sources d’approvisionnement sont fiables et pérennes, le tout dans une dynamique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
C’est de la réponse que chaque État donnera à ces questions que pourra émerger une véritable politique intégrée, cohérente et durable de l’énergie en Europe.
Mais ces questions se posent aussi à tous les pays du monde et l’Union ne peut agir seule face au double défi de l’énergie et du climat.
1. Le Conseil européen propose que cet objectif passe à 30 % « à titre de contribution à un accord mondial global pour l’après-2012, pour autant que d’autres pays développés s’engagent à atteindre des réductions d’émission comparables et que les pays en développement plus avancés sur le plan économique apportent une contribution adaptée à leurs responsabilités et à leurs capacités respectives. »