La production informatique, élément majeur du fonctionnement des entreprises
Moins noble sans doute que le développement aux yeux des spécialistes, la production informatique constitue en fait l’élément majeur du fonctionnement des entreprises. Disposant aujourd’hui de méthodes éprouvées pour satisfaire l’utilisateur, la production informatique doit encore évoluer vers une meilleure prise de conscience de la notion de service.
La production, ce sont certes des méthodes et les processus, mais ce sont aussi des hommes. Ceux-ci sont appelés à une révolution : passer de l’esprit pompier à l’esprit service.
Notre camarade Jean Ullmo avait cru devoir commencer son ouvrage sur Le Profit par un théorème d’existence. Il en va quasiment de même pour le service, ou plus exactement la famille de services, rendu par la production informatique. La seule différence c’est que nous ne le démontrerons pas par un calcul, mais par l’observation de l’offre existant sur le marché.
Ce doute existentiel n’empêche pas que les caractères spécifiques de la gouvernance de la production sont connus depuis des décennies. Ils sont aujourd’hui largement formalisés grâce à l’ITIL (voir encadré) qui n’a fait au fond que mettre en forme et donner un statut normatif à des idées et des pratiques qui étaient « dans l’air » depuis longtemps.
Est-ce parce que l’informatique construit par nature des automates que l’on a longtemps considéré, et que l’on considère encore parfois, qu’elle devait marcher toute seule, le corollaire étant qu’il n’est besoin de personne pour rendre un service quelconque à cet effet ?
Historiquement, la vie des systèmes informatiques a d’abord été le fait de collaborateurs au profil « d’auteur-compositeur-interprète », intervenant de bout en bout pour concevoir, réaliser, et exploiter les systèmes informatiques dont ils avaient la responsabilité. Il n’était pas question alors d’identifier un service spécifique de production. Ce point d’histoire n’aurait qu’un intérêt très limité si le phénomène ne se répétait pas à chaque rupture technologique : il y a vingt ans, les premiers adeptes du « downsizing » (diminution de la taille des ordinateurs) ont reproduit trait pour trait les tâtonnements de leurs anciens du monde des « mainframes » (gros ordinateurs), et le même retour en arrière s’est observé quand les micro-ordinateurs ont pu prétendre au statut de serveurs, puis encore quand l’Internet a amené le client léger. C’est sans doute ce qui explique qu’on rencontre encore des maîtres d’ouvrage qui ont gardé cette vision, et qui refusent à ce titre d’envisager de financer un service dont ils contestent l’existence.
La preuve par l’offre
La meilleure argumentation que l’on peut opposer à cette vision des choses est sans doute que l’on observe une offre spécifique sur le marché : le noyau de ce qu’on appelle aujourd’hui infogérance recouvre bien pour l’essentiel la production informatique.
Et d’ailleurs, cette offre se décompose en de nombreuses prestations : l’hébergement, qui va de la simple mise à disposition de surface dans des locaux sécurisés jusqu’à la fourniture « d’énergie informatique »1 ; le financement ; la surveillance et la conduite des opérations, pour lesquelles on trouve des prestataires de télépilotage ; l’assistance aux utilisateurs ; les services de proximité, c’est-à-dire l’installation, le déménagement ou encore la maintenance de postes de travail et d’infrastructures locales ; l’impression, de la réception des documents sous leur forme électronique à la mise en poste, qui a connu un succès tel que les services internes ont pratiquement disparu ; le « backup », c’est-à-dire la mise en réserve de ressources mises à disposition des clients en cas de sinistre, etc.
On peut sophistiquer encore l’analyse avec l’émergence de nouvelles offres potentielles : l’intégration et la mise en production des applications, qui est en général considérée comme très dépendante des systèmes d’information, mais qui peut très bien faire l’objet d’une prestation industrielle ; la mise à disposition des clients d’outils de « process monitoring », c’est-à-dire de surveillance de l’exécution des processus liés au métier de l’entreprise au-delà de celle des processus informatiques ; le traitement du papier, qui entraîne bien d’autres services que l’impression : la scanérisation, l’archivage, le traitement du courrier, le traitement des chèques, etc. ; l’assistance spécifique à l’utilisation d’outils d’intérêt général, du type infocentre ; l’archivage, dont la réglementation de plus en plus précise et exigeante imposera un peu partout la mise en place de solutions industrielles, etc.
Des principes formels de gouvernance
ITIL, au service de l’entreprise
ITIL, abréviation de Information technology infrastructure library (bibliothèque de l’infrastructure des technologies de l’information), est un cadre de référence proposé par l’OGC (Office of Government Commerce) du Royaume-Uni pour servir de guide pratique aux services informatiques. Il se propose de doter les directions informatiques d’outils et de documents permettant d’améliorer la qualité de leurs prestations en termes de satisfaction de leurs clients. ITIL vise à ce que l’informatique soit au service de l’entreprise et non l’inverse. ITIL se décompose en neuf domaines, couverts par neuf livres ou cahiers.
Les professionnels connaissent depuis longtemps les concepts clés qui fondent le fonctionnement de la production informatique, ses rapports avec ses clients comme ses fournisseurs. Mais c’est aux Britanniques que revient l’honneur, à travers l’ITIL, mise au point dans un cadre qui n’est pas sans évoquer la façon dont les Français ont créé Racines et Merise2, de leur avoir donné un statut normatif. Au cœur de cet ensemble se trouve la notion de contrat de service qui est, pour le service récurrent, le pendant du contrat d’application pour le développement-intégration.
Pour l’anecdote, on notera que la nécessité de ce contrat a semblé tellement évidente aux rédacteurs de l’ITIL que le cahier qui lui est consacré (« Service Level Management ») n’éprouve même pas le besoin d’en évoquer les « benefits ».
Les deux autres concepts majeurs sont : la gestion des changements, qu’il faut en réalité entendre comme le processus d’autorisation, de coordination, et de planification de ces derniers. Il a pour objet de rompre le cercle vicieux changement – incidents bien connus de tous les praticiens ; la gestion des incidents qui a pour objet d’assurer le rétablissement du niveau de service, dont on ne peut dissocier la gestion des problèmes, pour l’éradication des causes d’incidents.
L’ITIL distingue encore bien d’autres disciplines qu’il n’est pas utile d’énumérer ici. Pourtant, elle est loin de recouvrir l’ensemble des processus qu’il y a lieu de mettre en œuvre dans une production informatique. En particulier, les cahiers consacrés aux processus opérationnels sont aujourd’hui très peu développés. Par exemple, on ne trouve pas grand-chose sur la gestion des opérations, qui va de l’élaboration du plan de travail quotidien à sa mise en œuvre et au contrôle de son exécution. Cela n’a pas grande importance. En effet, les professionnels maîtrisent normalement ces processus aussi bien sinon mieux que les processus transverses et ce sont en général les mieux formalisés.
On notera au passage qu’il existe abondance d’outils sur le marché pour supporter l’exécution des uns comme des autres.
De la culture de la crise à la maîtrise du service
Le noyau de ce qu’on appelle aujourd’hui infogérance recouvre bien pour l’essentiel la production informatique. Face à cette richesse, il est paradoxal que les grands prestataires aient tout fait pour présenter « l’informatique » comme un service intégré, qui ne pouvait faire l’objet que d’une délégation globale. L’éclatement de plus en plus fréquent des grands contrats monoprestataires rend cette vision de moins en moins crédible.
L’homme de production est en général un personnage éminemment sympathique. Un bon développeur ignore tout et tous ; il tuerait père et mère pour tenir ses délais. Au contraire, son homologue de la production ferait « les pieds au mur » pour rendre service à ses utilisateurs : rester « en salle » jusqu’à trois heures du matin pour faire passer un traitement imprévu, où s’atteler nuit et jour à la résolution d’un incident.
Pour développer des applications informatiques, il suffit d’individus moyens. Assurer un service au jour le jour exige des esprits supérieurs.
Ce dévouement, qui est sa caractéristique première, a des contreparties qui ne sont pas toujours positives. Comme c’est la seule situation dans laquelle il est reconnu – on ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure – l’homme de production aime la crise. C’est cela qui lui interdira de dire non à une demande perturbatrice alors qu’il sait pertinemment qu’il devrait le faire, ou qui le poussera à chercher indéfiniment par lui-même l’origine d’un incident au lieu de se tourner vers des supports externes susceptibles de l’identifier beaucoup plus rapidement.
Le défi des directeurs de production pour les prochaines années est de transformer cette culture de la crise en maîtrise d’un service adapté. L’homme de production ne doit pas perdre ce dévouement qui est sa caractéristique principale. Il doit l’exercer à bon escient. Et pour cela il doit être parfaitement au fait des exigences profondes des métiers de ses clients. Il doit savoir au jour le jour ce qui est important et ce qui ne l’est pas.
À cet effet, il doit mettre en place et retrouver facilement des dossiers d’exploitation contenant des consignes claires et pertinentes. Il doit organiser des présentations et des formations, tant avec ses collègues des études qu’avec les maîtres d’ouvrage, à l’occasion de toute mise en production importante.
On constate que les directions de production qui ont mis en place cette politique deviennent les premiers dépositaires de la connaissance fonctionnelle d’ensemble des systèmes d’information, avant même les concepteurs, les réalisateurs ou les utilisateurs de ces systèmes.
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1. On entend par énergie informatique l’exécution, par un processeur, d’instructions dans un environnement multiclients.
2. Racines et Merise sont des méthodes bien connues de développement de programmes informatiques.
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