Alberto Santos=Dumont, le « père de l’aviation », un Brésilien très français
C’est en France qu’Alberto Santos=Dumont, célèbre pionnier brésilien de l’aviation, a établi ses nombreux records aéronautiques et dirigé une véritable entreprise de « R & D » d’aéronefs, dirigeables ou plus lourds que l’air. Auteur du premier vol officiellement homologué, il mariait avec maestria exploits sportifs et innovation. Cent ans après, un hommage lui a été rendu tant en France qu’au Brésil.
Alberto Santos=Dumont, né au Brésil, le 20 juillet 1873, de parents eux-mêmes Brésiliens, a toujours revendiqué cette nationalité dont il était fier et à laquelle il montra son attachement sa vie durant, ne serait-ce qu’en y revenant régulièrement. Réciproquement, le Brésil n’a cessé, dès 1901, lors de son premier prix d’aérostier, de lui manifester officiellement sa reconnaissance pour ses exploits, par de multiples signes : son nom a été donné à sa ville natale, à des aérodromes dont celui de Rio, il a des bustes dans de nombreuses villes, un musée à Petropolis dans la maison originale qu’il avait construite « La Encantada » (l’enchantée) ; il eut des funérailles nationales.
L’année Santos=Dumont
A Neuilly, boulevard du général Kœnig |
Après 2005, « l’année du Brésil en France », et, avant 2008, « l’année de la France au Brésil », 2006 avait été déclarée « année Santos=Dumont » et a été jalonnée de manifestations dans les deux pays.
En France, deux expositions ont été consacrées à sa vie et à son œuvre : l’une, à la mairie du XVIe arrondissement, avec le concours de l’Aéro-Club de France, comprenait de nombreuses vitrines de documents et photographies de l’époque ; l’autre, plus importante, au Théâtre de Neuilly-sur-Seine, avec le concours du musée de l’Air et de l’Espace, installé au Bourget, du GIFAS et du Groupe aéronautique Safran, comportait deux copies réalisées au Brésil et remises à la France, d’aéronefs de Santos=Dumont, habituellement au musée de l’Air, le « n° 14 bis » avec lequel il réalisa le premier vol homologué d’un plus lourd que l’air et son modèle ultime, la « Demoiselle ».
Enfin, le 5 novembre 2006, à la prairie de Bagatelle, en bordure du Bois de Boulogne, entre 10 heures et midi, a eu lieu la reconstitution du fameux vol de 1906 (voir page suivante : « le premier vol mondial »), avec une autre copie du 14 bis également importée du Brésil et avec un pilote Brésilien.
Deux patries à égalité
Une montre sur mesure
La maison Cartier a appelé « Santos » un de ses modèles de chronographe, en souvenir du premier bracelet-montre mis au point par Louis Cartier, en 1904, pour son ami Alberto qui ne pouvait pas, dans ses expériences, se servir d’une montre à gousset ; elle a fêté son centenaire en 2004, en rééditant divers modèles, lors d‘une grande fête au Bourget. Il existe aussi des modèles « Demoiselle » plus récents, du nom d’un aéronef Santos=Dumont.
Pour manifester son profond attachement à la France, où il vécut de nombreuses années, il écrivait son double nom, à la mode portugaise ou brésilienne (d’abord le nom de la mère puis celui du père, au contraire de la coutume espagnole inverse), non pas avec un trait d’union simple, mais avec un signe double pour indiquer qu’il considérait ces deux pays comme ses deux patries à égalité.
Henrique Dumont, le père d’Alberto, Brésilien, était issu d’une famille de bijoutiers, installée au Palais-Royal, à Paris, qui émigra au Brésil, en 1816, pour mettre en pratique ses connaissances sur les diamants, tout en conservant des relations étroites avec la famille restée en France. Il fit pratiquement toutes ses études à Paris, chez des parents, les Coeuré, d’abord au lycée Charlemagne, puis à l’École centrale (promotion 1853).
Rentré au Brésil, il fut d’abord Enngenheiro (ingénieur) des travaux publics à Ouro Prêto, dans l’État de Minas Geraes, puis ingénieur civil et entrepreneur pour la navigation fluviale. Il se lança alors dans la culture du café et créa et développa pendant une quinzaine d’années, d’immenses plantations, les « fazendas », où il fit fortune.
Le premier vol mondial
On connaît la célèbre controverse qui dure encore, depuis plus d’un siècle, sur l’auteur véritable du premier vol mondial d’un plus lourd que l’air, que les Brésiliens et les Nord- Américains se disputent férocement.
Les premiers démontrent que leur héros fut l’auteur, à 33 ans, du premier vol dûment constaté par une foule parisienne en délire, et contrôlé officiellement, le 12 novembre 1906, sur la pelouse de Bagatelle, alors sur la commune de Neuilly-sur-Seine contiguë à Paris, grâce à son modèle 14 bis, piloté debout, à hélice unique, avec roues, et partant directement du sol.
Les seconds soutiennent que les fameux frères Wright, Wilbur, l’aîné, 36 ans, et Orville, le cadet, 32 ans, avaient une antériorité de trois années, comme ayant décollé, les premiers, sur le continent américain, à Kill Devil Hills à quelques kilomètres au sud de Kitty Hawk, sur la côte Est (Caroline du Nord), sans témoin mandaté, le 17 décembre 1903, grâce à leur modèle Flyer, piloté couché, à deux hélices, sans roues mais avec des patins, une rampe de lancement rudimentaire avec un contrepoids qu’il fallait remonter à chaque décollage (une catapulte, disent les Brésiliens) combiné avec un plan peu incliné muni d’un chariot à quatre roues.
La seule certitude historique, incontestée de part et d’autre, est que les deux groupes d’inventeurs ne se connaissaient à l’époque, ni de près ni de loin, que leurs initiatives parallèles étaient entièrement indépendantes, qu’il n’y eut de plagiat ni d’un côté, ni de l’autre et, enfin, que les essais des Wright étaient peu connus en Europe, même en 1906, trois ans après, et, pratiquement pas, de Santos = Dumont.
Né près de Palmira, devenue depuis Santos-Dumont, Alberto était le sixième enfant d’une famille de huit. Dès son plus jeune âge et ses premières années d’études, il montra le plus grand intérêt pour la mécanique. Installé à Paris à 19 ans, après la mort de son père, il devint peu à peu une personnalité des plus en vue, au fur et à mesure que ses exploits le faisaient connaître.
Il aimait passionnément, selon tous les récits des contemporains, le grand monde parisien et, au-delà, les Cours européennes à Londres ou à Monaco où il rencontra l’impératrice Eugénie. Il apparaissait souvent entouré des plus jolies femmes parisiennes ou sud-américaines qu’il attirait par sa célébrité et à qui il lui arrivait d’offrir des bijoux de Cartier, dans tous les endroits à la mode, où il se faisait volontiers photographier ou caricaturer par son ami, le très connu Sem, pseudonyme de Georges Goursats, son aîné de dix ans. Il fut de l’Automobile Club, de l’Aéro-Club, il avait sa table chez Maxim’s, au Fouquet’s ou à la Grande Cascade et sa photo était souvent publiée dans la presse, à chaque nouveau record, ce qui ne lui déplaisait pas.
En 1897, il se lance, à 24 ans, dans la conception, la réalisation et l’expérimentation de ballons libres, puis de dirigeables gonflés à l’hydrogène de préférence au gaz d’éclairage et munis d’une hélice motorisée.
Du dirigeable au plus lourd que l’air
De 1897 à 1906, il concentre ses travaux sur les dirigeables, avec le triomphe du 19 octobre 1901, dans l’après-midi, où il remporte après plusieurs tentatives, avec son modèle numéro 6, le prix Deutsch de la Meurthe, du nom de l’industriel Henry Deutsch dit de la Meurthe (1846−1919), célèbre philanthrope, l’un des fondateurs de l’Aéro-Club. Ce prix devait être attribué au premier aérostier qui aurait accompli le parcours départ du hangar de l’Aéro-club de Saint-Cloud et retour, en contournant la tour Eiffel, le tout en moins de trente minutes. De 1906 à 1910, il renonce aux ballons même dirigeables, plus chanceux dans son choix que le général comte allemand Ferdinand Von Zeppelin.
Santos=Dumont oriente désormais ses travaux sur les plus lourds que l’air, avec des triomphes dûment enregistrés, sous l’égide de la Fédération aéronautique internationale : les 13 septembre (13 mètres), 23 octobre (60 mètres) et, enfin, 12 novembre 1906 (220 mètres en 21 s 1⁄5, vitesse maximale : 41,292 km/h) toujours à Bagatelle et avec son modèle numéro 14 bis, ainsi baptisé du fait qu’il avait d’abord quitté le sol pendant des essais à Neuilly, suspendu au dirigeable numéro 14 ; il remporte ainsi les prix Archdeacon et Aéro-Club.
L’appareil, une sorte de grand cerf-volant, était, d’après sa fiche technique, un biplan du type canard c’est-à-dire les ailes à l’arrière et un long empennage à l’avant, à une seule hélice propulsive, surface portante : 42 m², largeur : 10,80 m, longueur : 13,10 m, structure en pin tendu de tissu, moteur à explosion à pétrole de 50 CV. Le pilote qui avait repris la nacelle en osier des dirigeables, se tenait donc debout, en avant des ailes. Les tentatives de reconstitution récentes ont montré que le pilotage d’un tel engin était particulièrement délicat, d’autant qu’il décollait vent arrière, ce qui, croyait-on à l’époque, était préférable.
Un lieu d’essais et une équipe
Un ULM avant l’heure
En 1908, Clément-Bayard produisit le modèle Santos=Dumont n° 20, dit la « Demoiselle » du nom courant des libellules, « le plus vite, le plus léger et le plus petit aéroplane du monde ». Environ 50 exemplaires furent vendus à des célébrités sportives telles que Roland Garros.
Pour la réussite de ces derniers exploits et leur mise en application avec de nouveaux prototypes, il fallait, outre un pilote acrobate, la conjonction de trois éléments : un lieu d’essais ; un moteur suffisamment puissant ; un constructeur mécanicien.
De 1902 à 1908, son installation d’essais à Neuilly, appelée l’Aérogare, comprenait un hangar en bois et toile permettant d’abriter les aéronefs, dirigeables et aéroplanes, un atelier, une fabrique d’hydrogène. Il y employa jusqu’à 15 personnes sans compter un des deux frères Voisin, futur constructeur lui aussi et qui l’aidait dans ses recherches.
Le moteur, ce fut d’abord, progrès déterminant par rapport au moteur à vapeur d’Ader, le premier moteur à explosion ultraléger, à pétrole, de Léon Levavasseur.
Quant au constructeur mécanicien déjà compétent en automobile, capable de s’intéresser au développement du modèle en petite série, ce fut Adolphe Clément dit Clément-Bayard, à Levallois.
D’autres inventions
A Saint-Cloud, place Santos-Dumont |
Dès mars 1910 (Alberto Santos= Dumont n’avait pas encore 37 ans), son état de santé évolua dramatiquement par la conjonction du surmenage dû à des efforts trop longtemps soutenus, d’une dépression nerveuse entraînée par sa prise de conscience que l’aviation devenait un moyen de locomotion courant, que l’ère des premiers pionniers touchait à sa fin et qu’il fallait admettre que les frères Wright étaient sans doute, les premiers au monde, d’autant plus qu’ils poussaient l’audace à venir faire des démonstrations remarquées, en France, et des débuts d’une maladie irréversible, probablement la sclérose en plaques.
Du jour au lendemain, il annonça qu’il abandonnait l’aviation, ferma son « aéroport » et licencia tout son personnel. Dès ce moment, malgré de nouvelles inventions dans des domaines aussi divers que l’hélicoptère ou l’hydravion ou le remonte-pente de ski, qui n’eurent pas le succès attendu, son existence ne fut plus qu’une longue descente physique et intellectuelle qui le mena, après des rémissions et des séjours en sanatorium en France et en Suisse, jusqu’à son suicide à São Paulo, vingt-deux années plus tard, en 1932, au tout début de sa soixantième année.
Que « le premier vol d’un plus lourd que l’air », selon l’expression consacrée, ait eu lieu en France avec Santos=Dumont ou aux États-Unis avec les frères Wright, est certes capital pour les Brésiliens, les Français et les Américains. Mais, au-delà des trois pionniers tous légitimement entrés dans la légende, leurs admirateurs se retrouveront facilement d’accord pour admettre que les dix premières années du siècle dernier ont été déterminantes dans l’histoire de l’aviation avec le passage du ballon à l’avion, et l’essor fulgurant d’une multitude de modèles mis au point par des inventeurs tout à la fois passionnés et audacieux.
Santos=Dumont, grâce à son caractère original, ses qualités d’inventeur, son courage de pionnier est resté pour beaucoup de Français et de Brésiliens qui se reconnaissent un peu en lui, et pas seulement les aviateurs, le symbole de l’amitié plus que séculaire entre la France et le Brésil.
____________ Bibliographie : SABIX n° 28 (Albert Caquot) et n° 30 (Auguste Comte).