La santé aux États-Unis, coûteuse et complexe, mais performante et dynamique

Dossier : La Santé, l'inéluctable révolutionMagazine N°630 Décembre 2007
Par Bernard ZIMMERN (49)
Par Philippe FRANCOIS

Les sys­tèmes de san­té amé­ri­cains et fran­çais sont très dif­fé­rents. Convain­cus que l’im­pli­ca­tion per­son­nelle des assu­rés dans la ges­tion de leur capi­tal san­té est indis­pen­sable, les Amé­ri­cains ont défi­ni un sys­tème, impar­fait mais vivace, avec sa diver­si­té et son dyna­misme. On ne fera pas de pro­grès en France sans injec­ter de la flexi­bi­li­té, de la concur­rence et de la res­pon­sa­bi­li­té comme aux États-Unis, tout en conser­vant un sys­tème de base obli­ga­toire et soli­daire entre tous. Les Pays-Bas et l’Al­le­magne l’ont bien fait, pour­quoi pas nous ?

Quelques com­pa­rai­sons
Dépenses de san­té (en % du PIB) :
États-Unis 15,3 % – France 11,1 %
Nombre de méde­cins en acti­vi­té (pour 1 000 habitants) :
États-Unis 2,4 – France 3,4
Nombre d’infirmières (pour 1 000 habitants) :
États-Unis 7,9 – France 7,2
Dépenses de médi­ca­ments (par per­sonne et par an) :
États-Unis 673 euros – France 570 euros
Finan­ce­ment des dépenses :
États-Unis, impôt 45 % ; assu­rances pri­vées 33 % ; ménages 22 %
France, pré­lè­ve­ments obli­ga­toires 80 % ; assu­rances pri­vées 10 % ; ménages 10 %
Assu­rés :
États-Unis 83 % (45 mil­lions de per­sonnes n’ont pas d’assurance-maladie)
France 100 %
Hôpi­taux :
États-Unis, publics 33 % ; mutua­listes et fon­da­tions 56 % ; cli­niques pri­vées 11 % ;
France, publics 37 % ; pri­vés non lucra­tifs 40 % ; cli­niques pri­vées 23 %

En 1990, les États-Unis ne consa­craient encore que 11,9 % de leur PIB à la san­té, contre 15,3 % aujourd’­hui. Avec un PIB par tête de 30 % supé­rieur au nôtre, quand un Fran­çais dépense 100 euros, un Amé­ri­cain en dépense 180 (voir en enca­dré quelques comparaisons).

La crois­sance rapide de ces dépenses, qui risque de consti­tuer un han­di­cap pour la com­pé­ti­ti­vi­té du pays, et le sort des 45 mil­lions de « sans-assu­rance », sont des sujets impor­tants de débat aux États-Unis. Avec un réa­lisme sur­pre­nant pour nous, Fran­çais, l’o­pi­nion publique est convain­cue que la four­ni­ture par l’É­tat de tous les soins, gra­tuits, ouverts à tous et sans contrainte ne peut pas être une solu­tion viable. Le débat porte donc sur le vrai pro­blème : com­ment équi­li­brer qua­li­té, coût et acces­si­bi­li­té, sans oublier les aspi­ra­tions légi­times des pro­fes­sions de santé ?

Des deux côtés de l’At­lan­tique, experts et res­pon­sables sont arri­vés à la même conclu­sion : il faut res­pon­sa­bi­li­ser les dif­fé­rents acteurs, assu­rés, pro­fes­sions médi­cales et assureurs.

Mais com­ment ? L’é­chec des régu­la­tions éta­tiques appli­quées en France et encore plus au Royaume-Uni ren­force les Amé­ri­cains dans leur convic­tion que l’im­pli­ca­tion per­son­nelle des assu­rés dans la ges­tion de leur capi­tal san­té est indis­pen­sable. En consi­dé­rant les deux aspects de ce capi­tal, le finan­cier et l’en­tre­tien de sa san­té. Depuis soixante ans, le niveau moyen des reve­nus des Amé­ri­cains a été mul­ti­plié par trois et leur niveau d’é­du­ca­tion consi­dé­ra­ble­ment amé­lio­ré. Il leur semble logique que ceux, de plus en plus nom­breux, qui en ont la capa­ci­té, assument une res­pon­sa­bi­li­té crois­sante dans ce domaine. Au lieu d’une méthode uni­ver­selle et uni­forme, les États-Unis ont mis en place toute une série de pro­grammes adap­tés le mieux pos­sible au cas de chacun.

86 millions d’assurés « aidés »

Tous les Amé­ri­cains han­di­ca­pés ou de plus de 65 ans sont pris en charge quel que soit leur niveau de revenu

Loin d’être lais­sés sur le trot­toir des hôpi­taux, les Amé­ri­cains âgés, ou han­di­ca­pés, ou sans res­sources (86 mil­lions de per­sonnes au total), sont cou­verts depuis 1965 (Pré­sident John­son) par deux sys­tèmes d’as­su­rance-mala­die spé­cia­le­ment construits pour eux.

Le pro­gramme Medi­care assure les per­sonnes de plus de 65 ans et les han­di­ca­pés. Il est géré par l’É­tat Fédé­ral. Sa ver­sion de base couvre les soins hos­pi­ta­liers et est finan­cée prin­ci­pa­le­ment par les coti­sa­tions des sala­riés en acti­vi­té. Trois options com­plé­men­taires, qui prennent en charge les soins de ville, les médi­ca­ments (mis en place par le Pré­sident Bush en 2006) et l’ac­cès à des filières de soins libres, sont finan­cées à 25 % par les coti­sa­tions des béné­fi­ciaires et à 75 % par le bud­get fédéral.

Le pro­gramme Medi­caid assure les per­sonnes dis­po­sant de très faibles res­sources. Il est géré par cha­cun des 50 États avec un cer­tain degré de liber­té. Il est finan­cé à la fois par le Gou­ver­ne­ment fédé­ral à 57 % et par les 50 États à 43 % en moyenne, les États « pauvres » rece­vant plus que les autres de Washington.

Un com­plé­ment à Medi­caid (SCHIP) a été mis en place en 2003 pour les soins des enfants des familles aux reve­nus inter­mé­diaires. Les pres­ta­tions four­nies par ces pro­grammes sont sou­vent infé­rieures à celles de notre CMU, mais tous les Amé­ri­cains han­di­ca­pés ou de plus de 65 ans sont pris en charge quel que soit leur niveau de revenu.

170 millions d’assurés « classiques »

Quatre domaines de négociation
L’employeur, l’assureur, l’assuré et les pro­fes­sions médi­cales négo­cient dans quatre domaines.
 Finan­ce­ment : l’employeur ou le salarié
 Choix de l’assureur et du type de contrat : l’employeur ou l’assuré
 Rela­tions entre l’assureur et les pro­fes­sions médi­cales : les méde­cins sont sala­riés des assu­reurs ou payés par un for­fait annuel par patient, ou payés à l’acte ; le prix des actes est négo­cié ou non entre l’assureur et les médecins
 Rela­tions entre le patient, l’assureur et les méde­cins : le malade est libre de consul­ter les méde­cins de son choix ; il est mieux pris en charge s’il consulte les méde­cins choi­sis et accré­di­tés par son assu­reur ; il est tenu de consul­ter les méde­cins choi­sis par l’assureur et (ou) de suivre un par­cours de soins.

Les deux tiers des Amé­ri­cains de moins de 65 ans sont pris en charge par une assu­rance-mala­die liée à l’emploi. En France, les coti­sa­tions obli­ga­toires des employeurs et sala­riés sont ver­sées à une Caisse natio­nale (CNAM) gérée par l’É­tat et d’autres coti­sa­tions (plus ou moins facul­ta­tives) à une mutuelle ou assu­rance com­plé­men­taire pri­vée. Aux États-Unis, les coti­sa­tions sont variables sui­vant les entre­prises et ver­sées à des assu­rances ou mutuelles pri­vées. La qua­si-tota­li­té (99 %) des entre­prises de plus de 200 per­sonnes ont un plan d’as­su­rance-mala­die pour leurs sala­riés, mais seule­ment 52 % de celles de moins de 10 sala­riés. En règle géné­rale, les garan­ties sont excel­lentes dans les grandes entre­prises pros­pères, et moindres dans les petites entreprises.

Pour ces 170 mil­lions d’as­su­rés, l’É­tat n’in­ter­vient que pour défi­nir des normes de qua­li­té des soins et véri­fier leur application.

Les com­bi­nai­sons entre options étant pos­sibles, les offres concer­nant l’as­pect finan­cier des contrats d’as­su­rance sont très diver­si­fiées, allant de l’as­su­rance clas­sique aux plus récents plans d’é­pargne san­té : Indem­ni­ty Plan, Medi­cal Saving Account, Flexible Saving Account, Health Reim­bur­se­ment Account et Health Saving Account.
De même, de mul­tiples modes d’ac­cès aux soins sont pro­po­sés notam­ment par les « Mana­ged Care Orga­ni­za­tions (MCO) » : Health Main­te­nance Orga­ni­za­tion, Pre­fer­red Pro­vi­der Orga­ni­za­tion, Point of Ser­vice. Toutes ces offres émanent d’en­tre­prises pri­vées ou de puis­santes mutuelles jouant le rôle d’as­su­reur et éven­tuel­le­ment celui de four­nis­seur de soins. En France, des mutuelles comme la MGEN des ensei­gnants four­nissent éga­le­ment ces deux ser­vices, mal­heu­reu­se­ment pour une très faible par­tie des dépenses de soins.

Vers davantage de responsabilité individuelle

Les entre­prises peuvent négo­cier les aspects tech­niques et légaux au mieux des inté­rêts de leurs salariés

Confier à l’employeur ou aux syn­di­cats le soin de choi­sir l’as­su­reur san­té des sala­riés consti­tue un pro­grès par rap­port au mono­pole fran­çais de la CNAM. Les entre­prises pos­sèdent sou­vent des ser­vices achats com­pé­tents capables de négo­cier les aspects tech­niques et légaux au mieux des inté­rêts de leurs sala­riés. Il semble aus­si logique de confier ensuite à l’as­su­reur la sélec­tion des ser­vices de soins qu’il va recom­man­der à ses assurés.

Aux États-Unis, cette approche s’est par­fois avé­rée peu inci­ta­tive pour les employeurs et les assu­reurs, et déres­pon­sa­bi­li­sante pour les assu­rés. Les nou­veaux plans d’é­pargne san­té tendent à repor­ter le ver­se­ment des coti­sa­tions, le choix de l’as­su­reur, de ses filières de soins et des dépenses qu’il décide d’as­su­mer, sur l’in­di­vi­du lui-même. Il est cen­sé mieux connaître ses besoins et chan­ger d’as­su­reur plus aisé­ment quand c’est néces­saire. Le plus récent, le Health Saving Account, per­met au sala­rié d’ac­cu­mu­ler sa vie durant un capi­tal qu’il est libre d’u­ti­li­ser ou non pour payer ses soins médi­caux « cou­rants ». Les soins « extra­or­di­naires ou catas­tro­phiques » res­tent cou­verts par une assu­rance classique.

Un argu­ment de recrutement
L’un des buts des orga­ni­sa­tions de « Mana­ged Care » est de dimi­nuer les coûts mais aus­si de gui­der le malade dans le laby­rinthe du monde de la san­té et d’améliorer la qua­li­té des soins reçus. Les dif­fé­rents assu­reurs sont cen­sés faire pres­sion sur les four­nis­seurs de soins pour satis­faire leurs clients en obte­nant le meilleur rap­port qua­li­té-prix pos­sible. Il s’est natu­rel­le­ment trou­vé des assu­reurs qui ont sur­tout cher­ché à aug­men­ter leurs pro­fits à court terme, ou à dimi­nuer les prix aux dépens de la qua­li­té et d’autres qui se sont mon­trés inca­pables de sélec­tion­ner les bons réseaux de méde­cins ou sont sim­ple­ment mal gérés.
Ces orga­ni­sa­tions sont donc cri­ti­quées, mais elles gèrent une très grande majo­ri­té (97 %) des sala­riés amé­ri­cains qui en sont géné­ra­le­ment satis­faits. Dans un pays où règne le plein-emploi, la qua­li­té du contrat d’assurance-maladie consti­tue un argu­ment impor­tant de recru­te­ment. Les entre­prises sont donc très moti­vées par le choix d’un « bon » assureur.

45 millions « sans assurance-maladie »

Les per­sonnes sans assu­rance ne sont ni les plus âgées, ni les plus pauvres, ni les plus han­di­ca­pées du pays. Il s’a­git majo­ri­tai­re­ment de per­sonnes qui cumulent plu­sieurs de ces fac­teurs : mino­ri­té his­pa­nique, reve­nu infé­rieur au double du seuil de pau­vre­té, jeune adulte entre 18 et 34 ans, employé dans des entre­prises de moins de 100 sala­riés et ne pos­sé­dant pas la natio­na­li­té amé­ri­caine. Cette situa­tion peut être tem­po­raire, la per­sonne se trou­vant entre deux emplois ou en attente d’une prise en charge publique. À tout moment, moins de 5 mil­lions de per­sonnes sont sans assu­rance depuis plus de qua­rante-huit mois. Il est dif­fi­cile de quan­ti­fier les­quels, par­mi ces 45 mil­lions, pour­raient s’as­su­rer mais parient volon­tai­re­ment sur leur « bonne san­té », et les­quels ne le peuvent objec­ti­ve­ment pas. En cas de pro­blème grave, ces per­sonnes sont soi­gnées, prin­ci­pa­le­ment par les hôpi­taux publics pour un coût de 35 mil­liards de dol­lars en 2002.

Des résul­tats contrastés
D’après de nom­breux indi­ca­teurs, la san­té publique est meilleure en Europe qu’aux États-Unis. Faut-il accu­ser le sys­tème de soins amé­ri­cain ? Pas for­cé­ment, la san­té d’une popu­la­tion dépend plus des types de popu­la­tion (immi­gra­tion) et des modes de vie (édu­ca­tion, nour­ri­ture, acti­vi­té phy­sique, vio­lence) que des pro­grès de la méde­cine. Quand il s’agit de trai­te­ments spé­ci­fiques, notam­ment de mala­dies graves (ex : can­cer, mala­dies car­diaques), les résul­tats aux États-Unis sont net­te­ment meilleurs qu’en Europe. En par­tie parce que les nou­velles tech­niques et médi­ca­ments y sont appli­qués plus rapi­de­ment et plus systématiquement.

L’i­dée d’une assu­rance obli­ga­toire pour tous fait son che­min et cer­tains des 50 États l’ont mise en place, comme le Mas­sa­chu­setts en avril 2006. Les per­sonnes qui n’en ont pas les moyens finan­ciers sont aidées par cet État à sous­crire une assu­rance pri­vée sur une sorte de bourse faci­le­ment acces­sible aux indi­vi­dus. Ceux qui ne sous­crivent pas d’as­su­rance-mala­die sont sou­mis à des péna­li­tés finan­cières. Ce sys­tème modé­ré, très éloi­gné de l’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire gérée par un mono­pole d’É­tat, a été déci­dé par la majo­ri­té démo­crate de l’É­tat et sou­te­nu par le gou­ver­neur répu­bli­cain. Une grande par­tie du finan­ce­ment public, qui était ver­sé direc­te­ment aux hôpi­taux publics pour soi­gner les per­sonnes sans assu­rance, est main­te­nant ver­sée aux indi­vi­dus eux-mêmes pour leur per­mettre d’adhé­rer à l’as­su­rance de leur choix. Il est pro­bable que des sys­tèmes simi­laires se géné­ra­li­se­ront peu à peu aux États-Unis.

Motiver les professions médicales

Dis­po­ser de la liber­té de choix est tou­jours mieux que de faire face à un monopole

La majo­ri­té des pra­ti­ciens tra­vaillent dans le cadre du « Mana­ged Care » et cer­tains expriment leur crainte de perdre leur liber­té de pres­crip­tion, de devoir « mar­chan­der » leurs hono­raires avec des assu­reurs pri­vés et d’a­voir à rendre des comptes à des assu­reurs sur la qua­li­té et le coût de leurs trai­te­ments. Ces dan­gers sont réels, mais, pour les pro­fes­sion­nels, dis­po­ser de la liber­té de choix est tou­jours mieux que de faire face à un mono­pole comme c’est le cas en France avec le minis­tère et la CNAM. Le résul­tat est que les pro­fes­sions médi­cales sont net­te­ment mieux rému­né­rées aux États-Unis, peuvent donc mieux s’or­ga­ni­ser (secré­ta­riat, assis­tants), dis­posent de plus de choix dans leur façon d’exer­cer leur pro­fes­sion et sont beau­coup plus satis­faites qu’en France.

Améliorer notre système

Les pro­fes­sions médi­cales sont mieux rému­né­rées aux États-Unis qu’en France.

Les sys­tèmes de san­té amé­ri­cain et fran­çais sont très dif­fé­rents, et le sys­tème amé­ri­cain n’est pas notre modèle.

Du côté amé­ri­cain, c’est un sys­tème de mana­ge­ment de la san­té impar­fait mais vivace avec sa diver­si­té et son dyna­misme, et de l’autre le mono­lithe figé mis en place par le couple CNAM-État fran­çais. Là-bas, méde­cin trai­tant, méde­cin réfé­rent, paie­ment à l’acte, paie­ment per capi­ta, filières de soins, pro­grammes de pré­ven­tion, assu­rances avec ou sans fran­chise indi­vi­dua­li­sée, plan d’é­pargne san­té, toutes ces pos­si­bi­li­tés coexistent.

En France, les com­plé­men­taires san­té, mutuelles et assu­reurs font peu à peu émer­ger le même foi­son­ne­ment de solu­tions qu’aux États-Unis, mal­heu­reu­se­ment pour la petite part (10 %) dont ils sont responsables.

Tout n’est pas par­fait dans le sys­tème amé­ri­cain, ni dans le sys­tème fran­çais d’ailleurs. Mais on ne fera pas de pro­grès en France sans injec­ter de la flexi­bi­li­té, de la concur­rence et de la res­pon­sa­bi­li­té comme aux États-Unis tout en conser­vant un sys­tème de base obli­ga­toire et soli­daire entre tous les rési­dents. Les Pays-Bas et l’Al­le­magne l’ont bien fait, pour­quoi pas nous ?

Sena­tor Hil­la­ry Clin­ton proposal
This is not govern­ment-run : There will be no new bureau­cra­cy – adding – You can keep the doc­tors you know and trust. You can keep the insu­rance you have, if you like that. But this plan expands per­so­nal choice and keeps costs down.
New York Times, 18 sep­tembre 2007

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