La santé aux États-Unis, coûteuse et complexe, mais performante et dynamique
Les systèmes de santé américains et français sont très différents. Convaincus que l’implication personnelle des assurés dans la gestion de leur capital santé est indispensable, les Américains ont défini un système, imparfait mais vivace, avec sa diversité et son dynamisme. On ne fera pas de progrès en France sans injecter de la flexibilité, de la concurrence et de la responsabilité comme aux États-Unis, tout en conservant un système de base obligatoire et solidaire entre tous. Les Pays-Bas et l’Allemagne l’ont bien fait, pourquoi pas nous ?
Quelques comparaisons
• Dépenses de santé (en % du PIB) :
États-Unis 15,3 % – France 11,1 %
• Nombre de médecins en activité (pour 1 000 habitants) :
États-Unis 2,4 – France 3,4
• Nombre d’infirmières (pour 1 000 habitants) :
États-Unis 7,9 – France 7,2
• Dépenses de médicaments (par personne et par an) :
États-Unis 673 euros – France 570 euros
• Financement des dépenses :
États-Unis, impôt 45 % ; assurances privées 33 % ; ménages 22 %
France, prélèvements obligatoires 80 % ; assurances privées 10 % ; ménages 10 %
• Assurés :
États-Unis 83 % (45 millions de personnes n’ont pas d’assurance-maladie)
France 100 %
• Hôpitaux :
États-Unis, publics 33 % ; mutualistes et fondations 56 % ; cliniques privées 11 % ;
France, publics 37 % ; privés non lucratifs 40 % ; cliniques privées 23 %
En 1990, les États-Unis ne consacraient encore que 11,9 % de leur PIB à la santé, contre 15,3 % aujourd’hui. Avec un PIB par tête de 30 % supérieur au nôtre, quand un Français dépense 100 euros, un Américain en dépense 180 (voir en encadré quelques comparaisons).
La croissance rapide de ces dépenses, qui risque de constituer un handicap pour la compétitivité du pays, et le sort des 45 millions de « sans-assurance », sont des sujets importants de débat aux États-Unis. Avec un réalisme surprenant pour nous, Français, l’opinion publique est convaincue que la fourniture par l’État de tous les soins, gratuits, ouverts à tous et sans contrainte ne peut pas être une solution viable. Le débat porte donc sur le vrai problème : comment équilibrer qualité, coût et accessibilité, sans oublier les aspirations légitimes des professions de santé ?
Des deux côtés de l’Atlantique, experts et responsables sont arrivés à la même conclusion : il faut responsabiliser les différents acteurs, assurés, professions médicales et assureurs.
Mais comment ? L’échec des régulations étatiques appliquées en France et encore plus au Royaume-Uni renforce les Américains dans leur conviction que l’implication personnelle des assurés dans la gestion de leur capital santé est indispensable. En considérant les deux aspects de ce capital, le financier et l’entretien de sa santé. Depuis soixante ans, le niveau moyen des revenus des Américains a été multiplié par trois et leur niveau d’éducation considérablement amélioré. Il leur semble logique que ceux, de plus en plus nombreux, qui en ont la capacité, assument une responsabilité croissante dans ce domaine. Au lieu d’une méthode universelle et uniforme, les États-Unis ont mis en place toute une série de programmes adaptés le mieux possible au cas de chacun.
86 millions d’assurés « aidés »
Tous les Américains handicapés ou de plus de 65 ans sont pris en charge quel que soit leur niveau de revenu
Loin d’être laissés sur le trottoir des hôpitaux, les Américains âgés, ou handicapés, ou sans ressources (86 millions de personnes au total), sont couverts depuis 1965 (Président Johnson) par deux systèmes d’assurance-maladie spécialement construits pour eux.
Le programme Medicare assure les personnes de plus de 65 ans et les handicapés. Il est géré par l’État Fédéral. Sa version de base couvre les soins hospitaliers et est financée principalement par les cotisations des salariés en activité. Trois options complémentaires, qui prennent en charge les soins de ville, les médicaments (mis en place par le Président Bush en 2006) et l’accès à des filières de soins libres, sont financées à 25 % par les cotisations des bénéficiaires et à 75 % par le budget fédéral.
Le programme Medicaid assure les personnes disposant de très faibles ressources. Il est géré par chacun des 50 États avec un certain degré de liberté. Il est financé à la fois par le Gouvernement fédéral à 57 % et par les 50 États à 43 % en moyenne, les États « pauvres » recevant plus que les autres de Washington.
Un complément à Medicaid (SCHIP) a été mis en place en 2003 pour les soins des enfants des familles aux revenus intermédiaires. Les prestations fournies par ces programmes sont souvent inférieures à celles de notre CMU, mais tous les Américains handicapés ou de plus de 65 ans sont pris en charge quel que soit leur niveau de revenu.
170 millions d’assurés « classiques »
Quatre domaines de négociation
L’employeur, l’assureur, l’assuré et les professions médicales négocient dans quatre domaines.
• Financement : l’employeur ou le salarié
• Choix de l’assureur et du type de contrat : l’employeur ou l’assuré
• Relations entre l’assureur et les professions médicales : les médecins sont salariés des assureurs ou payés par un forfait annuel par patient, ou payés à l’acte ; le prix des actes est négocié ou non entre l’assureur et les médecins
• Relations entre le patient, l’assureur et les médecins : le malade est libre de consulter les médecins de son choix ; il est mieux pris en charge s’il consulte les médecins choisis et accrédités par son assureur ; il est tenu de consulter les médecins choisis par l’assureur et (ou) de suivre un parcours de soins.
Les deux tiers des Américains de moins de 65 ans sont pris en charge par une assurance-maladie liée à l’emploi. En France, les cotisations obligatoires des employeurs et salariés sont versées à une Caisse nationale (CNAM) gérée par l’État et d’autres cotisations (plus ou moins facultatives) à une mutuelle ou assurance complémentaire privée. Aux États-Unis, les cotisations sont variables suivant les entreprises et versées à des assurances ou mutuelles privées. La quasi-totalité (99 %) des entreprises de plus de 200 personnes ont un plan d’assurance-maladie pour leurs salariés, mais seulement 52 % de celles de moins de 10 salariés. En règle générale, les garanties sont excellentes dans les grandes entreprises prospères, et moindres dans les petites entreprises.
Pour ces 170 millions d’assurés, l’État n’intervient que pour définir des normes de qualité des soins et vérifier leur application.
Les combinaisons entre options étant possibles, les offres concernant l’aspect financier des contrats d’assurance sont très diversifiées, allant de l’assurance classique aux plus récents plans d’épargne santé : Indemnity Plan, Medical Saving Account, Flexible Saving Account, Health Reimbursement Account et Health Saving Account.
De même, de multiples modes d’accès aux soins sont proposés notamment par les « Managed Care Organizations (MCO) » : Health Maintenance Organization, Preferred Provider Organization, Point of Service. Toutes ces offres émanent d’entreprises privées ou de puissantes mutuelles jouant le rôle d’assureur et éventuellement celui de fournisseur de soins. En France, des mutuelles comme la MGEN des enseignants fournissent également ces deux services, malheureusement pour une très faible partie des dépenses de soins.
Vers davantage de responsabilité individuelle
Les entreprises peuvent négocier les aspects techniques et légaux au mieux des intérêts de leurs salariés
Confier à l’employeur ou aux syndicats le soin de choisir l’assureur santé des salariés constitue un progrès par rapport au monopole français de la CNAM. Les entreprises possèdent souvent des services achats compétents capables de négocier les aspects techniques et légaux au mieux des intérêts de leurs salariés. Il semble aussi logique de confier ensuite à l’assureur la sélection des services de soins qu’il va recommander à ses assurés.
Aux États-Unis, cette approche s’est parfois avérée peu incitative pour les employeurs et les assureurs, et déresponsabilisante pour les assurés. Les nouveaux plans d’épargne santé tendent à reporter le versement des cotisations, le choix de l’assureur, de ses filières de soins et des dépenses qu’il décide d’assumer, sur l’individu lui-même. Il est censé mieux connaître ses besoins et changer d’assureur plus aisément quand c’est nécessaire. Le plus récent, le Health Saving Account, permet au salarié d’accumuler sa vie durant un capital qu’il est libre d’utiliser ou non pour payer ses soins médicaux « courants ». Les soins « extraordinaires ou catastrophiques » restent couverts par une assurance classique.
Un argument de recrutement
L’un des buts des organisations de « Managed Care » est de diminuer les coûts mais aussi de guider le malade dans le labyrinthe du monde de la santé et d’améliorer la qualité des soins reçus. Les différents assureurs sont censés faire pression sur les fournisseurs de soins pour satisfaire leurs clients en obtenant le meilleur rapport qualité-prix possible. Il s’est naturellement trouvé des assureurs qui ont surtout cherché à augmenter leurs profits à court terme, ou à diminuer les prix aux dépens de la qualité et d’autres qui se sont montrés incapables de sélectionner les bons réseaux de médecins ou sont simplement mal gérés.
Ces organisations sont donc critiquées, mais elles gèrent une très grande majorité (97 %) des salariés américains qui en sont généralement satisfaits. Dans un pays où règne le plein-emploi, la qualité du contrat d’assurance-maladie constitue un argument important de recrutement. Les entreprises sont donc très motivées par le choix d’un « bon » assureur.
45 millions « sans assurance-maladie »
Les personnes sans assurance ne sont ni les plus âgées, ni les plus pauvres, ni les plus handicapées du pays. Il s’agit majoritairement de personnes qui cumulent plusieurs de ces facteurs : minorité hispanique, revenu inférieur au double du seuil de pauvreté, jeune adulte entre 18 et 34 ans, employé dans des entreprises de moins de 100 salariés et ne possédant pas la nationalité américaine. Cette situation peut être temporaire, la personne se trouvant entre deux emplois ou en attente d’une prise en charge publique. À tout moment, moins de 5 millions de personnes sont sans assurance depuis plus de quarante-huit mois. Il est difficile de quantifier lesquels, parmi ces 45 millions, pourraient s’assurer mais parient volontairement sur leur « bonne santé », et lesquels ne le peuvent objectivement pas. En cas de problème grave, ces personnes sont soignées, principalement par les hôpitaux publics pour un coût de 35 milliards de dollars en 2002.
Des résultats contrastés
D’après de nombreux indicateurs, la santé publique est meilleure en Europe qu’aux États-Unis. Faut-il accuser le système de soins américain ? Pas forcément, la santé d’une population dépend plus des types de population (immigration) et des modes de vie (éducation, nourriture, activité physique, violence) que des progrès de la médecine. Quand il s’agit de traitements spécifiques, notamment de maladies graves (ex : cancer, maladies cardiaques), les résultats aux États-Unis sont nettement meilleurs qu’en Europe. En partie parce que les nouvelles techniques et médicaments y sont appliqués plus rapidement et plus systématiquement.
L’idée d’une assurance obligatoire pour tous fait son chemin et certains des 50 États l’ont mise en place, comme le Massachusetts en avril 2006. Les personnes qui n’en ont pas les moyens financiers sont aidées par cet État à souscrire une assurance privée sur une sorte de bourse facilement accessible aux individus. Ceux qui ne souscrivent pas d’assurance-maladie sont soumis à des pénalités financières. Ce système modéré, très éloigné de l’assurance-maladie obligatoire gérée par un monopole d’État, a été décidé par la majorité démocrate de l’État et soutenu par le gouverneur républicain. Une grande partie du financement public, qui était versé directement aux hôpitaux publics pour soigner les personnes sans assurance, est maintenant versée aux individus eux-mêmes pour leur permettre d’adhérer à l’assurance de leur choix. Il est probable que des systèmes similaires se généraliseront peu à peu aux États-Unis.
Motiver les professions médicales
Disposer de la liberté de choix est toujours mieux que de faire face à un monopole
La majorité des praticiens travaillent dans le cadre du « Managed Care » et certains expriment leur crainte de perdre leur liberté de prescription, de devoir « marchander » leurs honoraires avec des assureurs privés et d’avoir à rendre des comptes à des assureurs sur la qualité et le coût de leurs traitements. Ces dangers sont réels, mais, pour les professionnels, disposer de la liberté de choix est toujours mieux que de faire face à un monopole comme c’est le cas en France avec le ministère et la CNAM. Le résultat est que les professions médicales sont nettement mieux rémunérées aux États-Unis, peuvent donc mieux s’organiser (secrétariat, assistants), disposent de plus de choix dans leur façon d’exercer leur profession et sont beaucoup plus satisfaites qu’en France.
Améliorer notre système
Les professions médicales sont mieux rémunérées aux États-Unis qu’en France.
Les systèmes de santé américain et français sont très différents, et le système américain n’est pas notre modèle.
Du côté américain, c’est un système de management de la santé imparfait mais vivace avec sa diversité et son dynamisme, et de l’autre le monolithe figé mis en place par le couple CNAM-État français. Là-bas, médecin traitant, médecin référent, paiement à l’acte, paiement per capita, filières de soins, programmes de prévention, assurances avec ou sans franchise individualisée, plan d’épargne santé, toutes ces possibilités coexistent.
En France, les complémentaires santé, mutuelles et assureurs font peu à peu émerger le même foisonnement de solutions qu’aux États-Unis, malheureusement pour la petite part (10 %) dont ils sont responsables.
Tout n’est pas parfait dans le système américain, ni dans le système français d’ailleurs. Mais on ne fera pas de progrès en France sans injecter de la flexibilité, de la concurrence et de la responsabilité comme aux États-Unis tout en conservant un système de base obligatoire et solidaire entre tous les résidents. Les Pays-Bas et l’Allemagne l’ont bien fait, pourquoi pas nous ?
Senator Hillary Clinton proposal
This is not government-run : There will be no new bureaucracy – adding – You can keep the doctors you know and trust. You can keep the insurance you have, if you like that. But this plan expands personal choice and keeps costs down.
New York Times, 18 septembre 2007